Plein écran
13 commentaires

La famine, arme des forts contre les faibles

Si on voulait vraiment la preuve que la faim n’est pas un accident climatique ou je ne sais quelle fatalité qui pèserait sur des contrées abandonnées des dieux, il suffirait de regarder la carte des famines à venir. Dressée par l’économiste en chef du Programme alimentaire mondial, Arif Husain, cette carte est édifiante. Selon lui, 20 millions de personnes risquent de mourir de faim dans quatre pays au cours des six prochains mois : le Yémen, le Nigéria, le Sud-Soudan et la Somalie (http://ici.radio-canada.ca/nouvelle...). Or la cause majeure de cette insécurité alimentaire est politique. Quand elle n’a pas directement provoqué le chaos générateur du non-développement ou la rupture des approvisionnements, l’intervention étrangère a jeté de l’huile sur le feu. La guerre civile et le terrorisme y ont ruiné les structures étatiques, banalisant une violence endémique et provoquant l’exode des populations.

Au Yémen, les bombardements saoudiens, depuis mars 2015, ont généré un désastre humanitaire sans précédent. L’ONU s’alarme de la situation, mais c’est une résolution du conseil de sécurité qui a autorisé l’intervention militaire étrangère ! La fermeture de l’aéroport de Sanaa et l’embargo infligé par la coalition internationale ont privé la population de médicaments. Les stocks de blé baissent à vue d’œil. Les banques étrangères refusent les transactions financières avec les établissements locaux. 14 millions de personnes, soit 80 % de la population, ont besoin d’aide alimentaire, dont 2 millions sont en état d’urgence. 400 000 enfants souffrent de malnutrition. Jugée coupable de soutenir le mouvement houthi, la population yéménite est condamnée à mort. En fournissant son arsenal à Riyad, les puissances occidentales participent à ce crime de masse.

Au Nigéria, la situation chaotique dans laquelle est plongé le nord-est du pays gangrène toute la région. Des millions de personnes, fuyant les violences du groupe Boko Haram, s’entassent dans des camps de réfugiés. Totalement dépendants de l’aide humanitaire, ces populations « survivent par 50 °C, dans des huttes au toit de tôle, avec un point d’eau, des cuisines communes et un repas par jour », explique Arif Husain. Alimenté par la propagande saoudienne, le terrorisme défie aujourd’hui cet Etat, le plus peuplé du continent, qui comptera 440 millions d’habitants en 2050. Depuis la calamiteuse destruction de la Libye par l’OTAN, l’Afrique sub-saharienne est devenue le terrain de chasse préféré des djihadistes. La famine qui s’annonce est la conséquence directe de cette déstabilisation.

Au Sud-Soudan, la proclamation de l’indépendance, en 2011, a débouché sur une guerre civile où deux camps rivaux se disputent le contrôle des richesses énergétiques. Cet Etat sécessionniste, fragmenté, enclavé, coupé du nord auquel l’opposa une interminable guerre civile, est le fruit de la stratégie américaine. Cette création artificielle visait à contrecarrer l’influence du Soudan, inscrit de longue date sur la liste des « rogue states ». Porté sur les fonts baptismaux par Washington, qui a armé la guérilla sécessionniste de John Garang pendant 20 ans, le Sud-Soudan est aujourd’hui un champ de ruines. Depuis décembre 2013, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été tuées. 2,5 millions ont fui leurs foyers et près de 5 millions font face à une insécurité alimentaire « sans précédent », selon l’ONU. Pour les réclamations, prière de s’adresser aux néo-cons de Washington.

En Somalie, les aléas climatiques font peser la menace d’un nouveau désastre alimentaire. En 2011, la terrible famine consécutive à la sécheresse avait fait 260 000 morts. Cette vulnérabilité de l’agriculture vivrière reflète l’état de non-développement du pays, écartelé en une dizaine d’entités politiques rivales. Le règne sanglant des seigneurs de la guerre locaux, les interventions militaires étrangères (USA, Ethiopie, Kenya), l’influence croissante, sur fond de décomposition politique, de l’organisation islamiste radicale Al-Shabab, ont donné à ce pays l’indice de développement humain le plus faible de la planète. Depuis l’effondrement du régime marxiste de Syaad Barré en 1991, les structures étatiques se sont évanouies. L’économie est exsangue, le système éducatif délabré. La hausse des prix des denrées et la chute des revenus, aujourd’hui, font redouter le pire.

D’autres zones de tensions, hélas, suscitent l’inquiétude. Les conflits en cours en Syrie, en Irak, en Afghanistan, en Ukraine, en Libye, au Zimbabwe, bouleversent les conditions de vie et génèrent des flux migratoires. Certains pays, enfin, vivent dans une insécurité alimentaire chronique : la République démocratique du Congo, la République centrafricaine, le Burundi, le Mali, le Niger. Ce n’est pas un hasard si la plupart de ces pays sont en proie à la guerre civile, au terrorisme et à l’intervention militaire étrangère. Le désordre qui y sévit est d’abord de nature politique et géopolitique. Loin d’être une fatalité, il résulte de causes endogènes et exogènes identifiables. La famine ne tombe pas sur les damnés de la terre comme frappe la foudre. C’est l’arme des puissants pour écraser les faibles.

Bruno GUIGUE

Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

20/02/2017 09:07 par D. Vanhove

Situation que dénonce inlassablement Jean Ziegler depuis des décennies... avec les résultats que l’on voit...

à la lecture de ce papier on apprécie une fois encore, les agissements de nos "amis" américains qui de près ou de loin se trouvent systématiqmt dans les plans criminels qui mènent à ces désastres... (sans oublier la part de l’UE, évidmt !)...

20/02/2017 09:22 par BQ

Merci encore pour tous ces billets Bruno Guigue.

20/02/2017 09:38 par Scalpel

Au delà du chiffre monstrueux de vingt millions de vies humaines, c’est l’indifférence, l’écran de fumée médiatique sur ces crimes qui est le plus effroyable. Pendant ce temps Paris...bombe le torse sur ses contrats d’armements...pour "sauvegarder l’emploi". Comment ces gens peuvent-ils trouver le sommeil ?
Où est donc passé l’odieux alibi des "droits de l’homme" à l’origine de la destruction de l’Irak et de la Lybie ?
Hollande et Sarkozy ne l’emporteront pas au paradis. A faire lire à toutes ces bonnes consciences qui accablent Poutine ( "annexion" de la Crimée...) et aujourd’hui Trump (pour un mur dont la construction fut décidé 10 ans en arrière sans parler du mur de la honte israélien qui ne choque guère les manifestants sorossiens à 35 U$ de l’heure) de tous les maux de la terre cependant que ce dernier, dans le viseur du deep state, étrillé médiatiquement, ne fait qu’arriver au pouvoir. Quelle inqualifiable hypocrisie.

20/02/2017 23:34 par vagabond

Nous ne faisons rien, juste parler dans le vide. Rien ne changera.

21/02/2017 08:31 par Adel

C est un holocauste constitué de plein de petits holocaustes. Comme çà il se remarque moins et il est dilué.

21/02/2017 09:49 par Mourad

(Entretien de Bachar el-Assad avec Europe1 et TF1)

Michel Scott : Alors, en résumé, l’Iran et la Russie sont des promoteurs de la paix et les Occidentaux sont des fauteurs de guerre, c’est ça ?
Bachar el-Assad  : Exactement. A 100% !

http://www.voltairenet.org/article195331.html

21/02/2017 15:31 par Dominique

Malheureusement vagabond a raison. Quand à Jean Ziegler ce n’est qu’un enfonceur de portes ouvertes qui ne fait que dire ce que tout le monde sait déjà, en tous cas toutes celles et ceux qui ne se satisfont pas du bourrage de mou des merdias dominants. De plus et comme tout bon socialiste c’est une girouette à géométrie variable. Pendant des années, il soutient Kadafy et le jour où celui-ci a le plus besoin d’être aidé, il tourne sa veste et déclare en direct à la TV suisse que Kadafy est fou. Affaire entendue, les fachos peuvent lâcher leurs chiens de guerre sur la Libye avec le résultat que l’on sait : au moins 150’000 pour liquider 1 seul mec sans le juger et tout un pays, sa population et ses richesses livré à des gangs mafieux. Dans cette affaire, Tiegler a bien fait la paire avec BHL avec la grande différence que BHL n’a jamais trahit les siens !

De plus, il n’y a pas que ce faux-cul de Jean Ziegler pour dénoncer cette situation : la société civile la dénonce ainsi que d’autres ignominies de notre mode de vie depuis longtemps. Le problème est de deux ordres :

 D’abord les médias et la culture dominants appartiennent aux actionnaires des corporations qui ont façonnés et façonnent toujours la société industrielle. Ils sont juste chargé d’assurer le spectacle. Tous partis confondus Ils font et défont les politiciens, lesquels leur doivent tout, ne sont rien sans eux et le savent bien.

 Ensuite la gauche est quasi inexistante et ne sait que se compromettre avec les corporations qui mènent le monde. Et pour bien le prouver dans les actes, dés qu’elle a le pouvoir, elle mène une politique souvent encore pire que la droite, comme en Equateur où, après avoir endetté le pays pour des génération, "l’économiste de gauche" Rafaël Correa se parjure, ignore la constitution qu’il a fait passer et envoie l’armée contre les peuples autochtones afin de livrer leurs territoires aux corporations de ses créditeurs étrangers, le tout sur fond de corruption généralisée.

Critiquer le système est facile et presque toutes et tous réalisent qu’il est non réformable et condamné. Mais peu sont près à faire les sacrifices nécessaires à l’abolir car cela implique de refuser ses mythes comme le travail obligatoire et son productivisme, le succès et sa fortune, le progressisme et ses industries, et donc de vivre réellement en marge du système. L’empire romain n’a pas chuté en raison de la force militaire des barbares mais sous l’action conjuguées des luttes internes et du fait que de plus en plus de gens se mirent à vivre en marge de l’empire sans payer d’impôt. Or aujourd’hui, les seuls exemples de luttes qui remettent réellement en cause les fondements du systèmes sont les squats, les ZADs, ainsi que les petits paysans et les quelques communautés qui pratiquent encore une agriculture traditionnelle et non industrielle. Tout le reste n’est au mieux que du réformisme.

21/02/2017 23:39 par Michel Rolland

Dominique de qui je lis souvent les commentaires et qu’on ne peut pas accuser d’être de droite, a raison sur toute la ligne. Plus je regarde une certaine "gauche", même pseudo-radicale, et plus je considère qu’elle est la meilleure alliée du néolibéralisme. Il faut que la vrai gauche cesse de travailler pour gagner des élections et qu’elle devienne combattante, quitte à perdre le vote des zombies... parce qu’il faut bien l’admettre, la pensée de 90 % de la population d’Occident est contrôlée par la dictature médiatique. Il y a donc autant de zombies de gauche que de zombies de droite. Tous ces gouvernements néolibéraux sont élus par des zombies.

Il n’y a plus de gauche contre la droite, il y a le peuple contre le néolibéralisme.

Michel

22/02/2017 10:19 par Assimbonanga

Moi aussi j’aime bien ce que dit Dominique.
Vivre marginalement, baisser en consommation seraient les seules solutions. Hélas, aucun candidat n’a ce programme à proposer ! Il est évident que ce n’est pas vendeur. "Votez pour moi, je vous promets la décroissance !"
On est mal.
En attendant, ça n’empêche pas de se trouver mieux dans la ligne de Mélenchon ou de Ruffin en proximité avec les premières victimes du rouleau compresseur capitaliste que dans la ligne conventionnelle qui va de Hamon à Fillon.
Mais on est mal.
Notre civilisation a déjà rayé de la surface de la terre de nombreuses espèces animales et on ne voit pas comment stopper cet appétit qui met la terre à nu.
A François Ruffin, plutôt que d’interdire les sèche-linge qui viennent de Pologne, j’ai envie de lui dire d’arrêter d’acheter des sèche-linge et d’étendre son linge à l’air ambiant, mais ça met au chômage les ouvriers qui fabriquent les sèche-linge.
On est mal.
Notre civilisation est encore trop loin de la réflexion nécessaire.
Et les élections, finalement, ce n’est qu’un grand cirque pour désigner un quidam au sommet d’une pyramide qui fonctionnerait avec ou sans lui...

23/02/2017 07:50 par cunégonde godot

Dominique :
Ensuite la gauche est quasi inexistante et ne sait que se compromettre avec les corporations qui mènent le monde.

Non. La "gauche" et l’ "extrême-gauche" européistes ne sont pas « inexistantes », bien au contraire !. Car que l’on sache être européiste (maastrichien) c’est accepter, approuver et activement participer au système capitaliste mondialiste, si les mots que vous employez possèdent encore un sens...

23/02/2017 10:39 par Toff de Aix

Le vrai problème est : que sommes nous prêts à faire pour mettre en adéquation nos paroles, et nos actes ?

Les contributions l’ont bien souligné : le problème des "progressistes" et se résume trop souvent, aujourd’hui, à être en fait à la remorque du capitalisme. Se bat-on pour plus d’argent (donc pour plus de consommation au final, quoi qu’on en dise) ou pour plus de justice ? Sachant que ce qu’on appelle "justice" est en fait, très souvent, plus de consommation au final, désolé de le dire.

Notre mode de vie n’est pas compatible avec notre environnement, surtout quand nous sommes plus de 7 milliards. Désolé de le redire, mais Malthus avait raison. De toutes façons, tout ceci va se ré équilibrer, et peut être bien plus vite que ce que la majorité veut croire. La fin du système tout entier est très proche : pas de sensationnalisme, ni de prophétie vaseuse, juste un constat, étayé par des faits précis, sourcés et vérifiés.

Lire et relire utilement, pour son édification personnelle, le blog et le livre de Mathieu Auzanneau ("or noir")
On pourra aussi se pencher sur l’ouvrage de Pablo Servigne, reconnu dans le milieu scientifique "comment tout peut s’effondrer".

Accrochez vous, après la lecture de ces deux références, vous ne verrez plus les choses de la même façon.

25/02/2017 13:08 par Autrement

Voici un des organismes qui ne se contentent pas de parler : en appeler à la conscience de ceux qui en ont une, en faisant ressortir le double langage de la plupart des "responsables" et politiciens, c’est aussi un acte :

Questions de l’AFASPA aux candidats à la présidentielle
par Hayat Boustajeudi 23 février 2017
L’AFASPA, Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique a 45 ans cette année. Créée en soutien aux luttes pour l’indépendance, elle a toujours défendu différentes organisations dans leur combat pour la démocratie, le droit et la justice. Ayant participé au mouvement anti-apartheid, elle n’a eu de cesse de dénoncer les arbitraires et la répression dans plusieurs pays d’Afrique mais aussi condamner le soutien de la France aux régimes qui portent atteinte aux droits de l’Homme et des peuples en Afrique. Des positions que l’on peut lire dans la revue trimestrielle “Aujourd’hui l’Afrique” créée en 1975 .

Et première question (dont des commentairesprécédents avaient rappelé l’importance) :

Mettrez-vous fin à l’application du « pacte colonial », c’est-à-dire l’ingérence politique, économique et militaire française en Afrique qui conduit et renforce la faillite des Etats africains dans leurs responsabilités et celle des peuples dans leur souveraineté ? Que comptez vous faire du Franc CFA dont la gestion, l’émission , la convertibilité-parité avec l’Euro est assurée par la Banque de France et la Caisse des dépôts et consignations et donc relève toujours du droit régalien de la France depuis 1945-46 ?

Le franc CFA est un des plus graves fauteurs de famine en Afrique :
Voir sur LGS ICI. Mais comme le fait justement remarquer l’auteur en conclusion, il y a aussi une dimension subjective de la nécessité du combat, et c’est aussi aux colonisés eux-mêmes (comme en général aux peuples eux-mêmes) de lutter pour leur émanipation :

Il n’est possible de prendre ses distances à l’égard du colonialisme sans en même temps les prendre à l’égard de l’idée que le colonisé se fait de lui-même à travers le filtre de la culture colonialiste. (...) Le franc CFA agit comme un virus qui détruit la structure économique des pays africains de la zone franc. En conséquence, si ces pays veulent amorcer un véritable développement autocentré, alors il leur faut sans tarder oeuvrer à la disparition du franc CFA qui retarde leur développement.

Que faire, demandait un commentateur ? Dans l’immédiat, informer, mobiliser...

01/04/2017 02:39 par Rémy Dubeau

Bonjour M.Guigue,

je me souviens que vous aviez mis par le passé en référence, si je ne me trompe pas (ce qui pourrait arriver), la résolution 2201 du 3 mars 2015 pour la justification de l’intervention saoudienne.

Cette résolution ne concerne pas une intervention et je ne crois pas qu’il n’y ait eu de résolutions adoptées en faveur de la l’intervention de la coalition saoudienne.

sources :

With Yemen gripped in crisis, Security Council coalesces around [unanimous adoption] Resolution 2201 (2015) demanding Houthis withdrawal from government institutions

The Security Council today demanded that Houthi rebels in Yemen “immediately and unconditionally” withdraw from Government institutions, safely release President Abd Rabbuh Mansur Hadi and all others from house arrest, and engage in good faith in United Nations-brokered negotiations designed to keep the fracturing Middle Eastern country on a steady path towards democratic transition.

Through the unanimous adoption of resolution 2201 (2015) in a late-breaking meeting, the Council strongly deplored actions by the Houthis — who had gained control of the capital Sana’a in September — to dissolve parliament and take over Government institutions, demanding that they refrain from further unilateral actions that could undermine the political transition and security of the country.

https://www.un.org/press/en/2015/sc11781.doc.htm

On 24 March, President Abdo Rabbo Mansour Hadi sent the Council a letter asking for a Chapter VII resolution inviting all willing countries to provide support to deter the Houthi advance in the south. He also informed the Council about his request to the GCC and other Arab countries to intervene militarily against the Houthis. That same day the Qatari mission to the UN hosted an informal meeting with Council members, outlining the elements of a resolution that GCC countries were preparing, but as of the end of March no text had been circulated. Meanwhile, Saudi Arabia announced that it was commencing airstrikes against Houthi targets with other Arab countries in response to Hadi’s request.

http://www.securitycouncilreport.org/chronology/yemen.php?page=2

merci.

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
 Contact |   Faire un don
logo
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft :
Diffusion du contenu autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.