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La marche de nulle part vers zéro

James Howard KUNTSLER

Dans pratiquement tous les domaines, les Etats-Unis ne savent pas du tout quoi faire. Nous ne savons pas quoi faire pour résoudre la crise économique qui grandit. Nous ne savons pas quoi faire dans nos relations avec les autres nations dans ce contexte tendu de l’économie mondiale. Nous ne savons pas quoi faire au sujet de notre propre culture et de nos traditions, nous ne sommes pas capables d’évaluer ce qui est utile et ce qui est dépassé. Nous ne savons absolument pas quoi faire dans les relations entre les hommes et les femmes. Et nous sommes carrément paralysés dans nos relations avec l’écosystème de la planète.

Pour apaiser ces doutes agaçants nous nous contentons de surfer sur l’élan donné par les machines existantes – le flot de produits industriels proposé à des clients qui n’ont pas les moyens de les acquérir ; les infrastructures de transport gigantesques qui se dégradent impitoyablement ; Les opérations malhonnêtes des banques centrales qui minent toutes les structures mondiales d’établissement des prix et des coûts ; les idéologies politiques basées sur des mensonges comme la croissance illimitée ; les transgressions culturelles de la police de la pensée et de la protection institutionnalisée des puissants.

C’est une société en grand danger mais qui ne veut pas le savoir. La panacée d’un PIB en croissance infinie n’est qu’un artifice statistique pour satisfaire de nouveaux éditeurs sans cervelle, dilapider de l’argent dans des entreprises hasardeuses et embobiner les électeurs. Si nous regardions les choses en face, nous nous préparerions activement à la fin de la voiture individuelle, mais nous préférons colporter le conte des fée du “miracle de la fraction hydraulique” parce qu’il nous offre l’illusoire mais réconfortante assurance que nous pourrons continuer à aller à WalMart indéfiniment (dans notre voiture !). Est-ce qu’on se rend seulement compte que nous n’avons même plus assez d’argent pour entretenir le vaste réseau de routes, rues, autoroutes et ponts dont ont besoin toutes ces voitures ? Ou qu’il n’y aura bientôt plus assez de capital pour garantir les prêts dont les Américains ont besoin pour acheter leurs voitures ?

L’économie mondiale se rétracte rapidement parce qu’elle n’était que la manifestation de la fin de l’ère du pétrole bon marché. Maintenant nous entrons dans l’ère du pétrole cher et beaucoup de choses qui semblaient très bien marcher jusqu’ici, ne marchent plus aussi bien. Les produits chinois bons marché fabriqués en série qui abondent dans les rayons des magasins WalMarts et Target ne se vendent plus aussi bien quand les Étasuniens perdent leurs salaires et doivent utiliser les allocations du gouvernement pour payer leur essence parce qu’ils sont nés dans un monde où on est obligé d’aller partout en voiture, et parce que les traficotages de la banque centrale contribuent à augmenter terriblement le prix de la nourriture.

En ce moment, on entend beaucoup parler de la "renaissance industrielle" aux Etats-Unis, basée sur l’emploi des robots. Quel espèce de film fantastique dégoûtant et ridicule à la Popular Mechanics* se joue-t-on ? S’il ne reste plus aux êtres humains qu’un petit rôle administratif dans la production, comment vont faire les 200 millions d’Etasuniens pour survivre ? Et qui achètera ces produits ? Vous pouvez être sûrs que les peuples de Chine, Brésil et Corée auront assez d’usines pour fabriquer tout ce dont ils ont besoin. Vont-ils se mettre à acheter nos produits maintenant ? Vont-ils robotiser leurs propres usines et appauvrir des millions de leurs propres travailleurs ?

Cette dynamique révèle un manque de réflexion effarant, particulièrement du fait qu’elle ne prend pas en compte les conséquences éventuelles - c’est à dire la possibilité d’un soulèvement, d’une révolution, de désordres civils, de cruauté, de pagaille et de mort ; elle est dans la droite ligne des expériences menées par des gouvernements psychopathes au 20ième siècle. Les populations au désespoir deviennent folles. Vous pouvez être sûrs que le manque est la mère des génocides.

Qu’est-ce qui préoccupe les Etats-Unis aujourd’hui, en juin 2014 ? Si l’on en juge par la couverture de Time Magazine : le triomphe du “transgenre.” N’est-ce pas magnifique de célébrer la confusions des sexes comme la plus récente et la plus glorieuse réussite de notre culture ? Ce n’est pas étonnant que les Russes pensent que nous sommes fous et ne veuillent plus rien avoir à faire avec l’Occident. Je dois le dire à la rédaction du Time Magazine : ce n’est pas l’extase devant la confusions sexuelle qui va faire entrer la civilisation américaine au coeur du nouveau siècle.

Ce sera, en réalité, exactement l’inverse. On n’a pas besoin de confusion de quelque nature que ce soit. On a besoin d’ordre et d’une notion claire des limites dans toutes les sphères de l’action et de la pensée. On n’a pas besoin des pleurnicheries, ni des excuses, ni des voeux sur la comète, ni de la pompeuse autosatisfaction qui caractérisent le cours normal de notre vie nationale.

James Howard Kunstler

Notes :

* Popular Mechanics est un magazine mensuel étasunien consacré à la science et à la technologie.

** Le titre a été emprunté à P. Grasset qui fait l’analyse de cet article ici : http://www.dedefensa.org/article-la_marche_de_nulle_part_vers_z_ro_04_06_2014.html

Traduction : Dominique Muselet

 http://kunstler.com/clusterfuck-nation/coasting-toward-zero/
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COMMENTAIRES  

09/06/2014 15:08 par babelouest

Note aux états-uniens : vous ne savez pas quoi faire pour ceci, ou cela ? Comme généralement quand vous faites quelque chose, c’est pire, par pitié, ne faites rien. Fichez-nous la paix.

Il semble que ce soit le genre de discours que vous ne voulez pas entendre. Comme des gosses touche-à-tout, qui cassent tout. Une telle façon de procéder durera-t-elle longtemps ? Avec de pareils zozos, sous sommes capables d’y passer tous.

09/06/2014 18:22 par rémi

L’impossibilité de la croissance
George Monbiot

C’est simple. Si nous ne parvenons pas à changer de système économique, nous sommes foutus.
....
Ce n’est ni le capitalisme, ni le communisme qui ont rendu possible les progrès et les pathologies (guerres mondiales, concentration sans précédent des richesses, destruction de la planète) de l’ère moderne. C’est le charbon, suivi du pétrole et du gaz.
....
L’échec incontournable d’une société bâtie sur la croissance et sa destruction des organismes vivants de la Terre sont les fondements accablants de notre existence. Dès lors, ils ne sont mentionnés pratiquement nulle part. Ils constituent le grand tabou du XXIe siècle....
...
http://babordages.fr/limpossibilite-de-la-croissance-par-georgemonbiot/

09/06/2014 22:01 par anonyme

C’est agaçant, pourquoi toujours opposer robots et travailleurs... il faut dénoncer le travail, c’est l’espoir de tout être humain de s’affranchir du travail, d’ailleurs les humains les plus privilégiés ne travaillent guère.
Sinon quoi ? abandonnons la moissonneuse et remettons nous à battre le blé au fléau ? tout le monde aura du boulot ? C’est bon pour la santé de se casser le dos du matin au soir ?
Vraiment, ce n’est pas la faute des robots si les gains de productivité qu’ils permettent partent uniquement dans la poche des actionnaires... le problème, ce ne sont pas les robots, ce sont encore et toujours les capitalistes !

10/06/2014 11:08 par Dominique

Excellent cet article sur l’impossibilité de la croissance. Il y a un troisième tabou, comme le démontre Mickael Ruppert dans ses livres (Crossing the Rubicon, ...), l’augmentation exponentielle du nombre d’habitants de cette planète n’a pas été rendu possible par le capitalisme ou par le communisme mais par l’augmentation exponentielle de l’usage d’énergie, essentiellement le pétrole. Nous sommes aujourd’hui sur le plateau de pic pétrolier et heureusement (malheureusement diront certains), il n’y aura pas d’uranium pour plus longtemps que de pétrole.

La croyance rendue populaire par nos élites n’est rien de plus que du scientisme, une forme de superstition particulièrement extrémiste car celles et ceux qui en souffrent ne s’en rendent pas compte et sont persuadés d’avoir raison : les nouvelles technologies résoudront les problèmes posés par les anciennes, alors qu’en pratique les nouvelles technologies ne font que rajouter de nouvelles sources de pollution et d’exploitation des ressources aux anciennes, que leurs promoteurs sont souvent les mêmes, et que dans tous les cas leur but est toujours le même : le profit.

Le futur de l’humanité passe donc par ce que certains appellent la décroissance, un mot à ne pas confondre avec optimisation. La décroissance implique de mettre fin au productivisme, pas de l’optimiser, et ce qu’il soit capitaliste, communiste ou je ne sais quoi iste. Comme dans le marxisme, l’économie doit être mise au service de l’être humain et pas l’inverse, mais en plus l’économie doit respecter tout le vivant, et pour ce faire elle doit être mise au service de la planète, de la nature, de notre environnement. Comme ils disent à Cuba, il faut cesser de travailler contre la nature, ce qui coûte énormément de travail et d’énergie pour se mettre à travailler avec la nature. C’est beaucoup de travail au début pour remettre en place les cycles naturels, mais une fois que ceux-ci sont partis, c’est beaucoup moins de travail.

Certains, même à gauche, entretiennent volontiers la confusion entre société respectueuse de l’environnement et retour à l’âge des cavernes, alors qu’en vérité c’est le scientisme béat de nos élites qui est en train de condamner l’espèce humaine. Aujourd’hui même, les espèces animales et végétales disparaissent à un rythme plus rapide que durant tout le reste de l’histoire de la terre. Visiblement, ce fait têtu ne suffit pas à convaincre ceux qui ne veulent pas l’être, et pourtant les indiens d’Amérique du nord nous avaient averti : "Vous ne vous rendrez compte que l’argent ne se mange pas que le jour où il ne restera rien d’autre."

Exploitation de la nature par l’homme et exploitation de l’homme par l’homme ne sont que les deux faces d’un processus qui commence avec l’exploitation de la nature par l’homme. Et c’est bien cette double exploitation qui rend possible le capitalisme, lequel n’est jamais que la dernière version des civilisations de domination qui nous asservissent depuis que l’être humain s’est séparé de la nature et s’est mis à vouloir la dominer. Se battre pour changer la société est bien, mais sans changer la cause de toutes les causes, notre rapport avec la nature, nous ne ferons que changer la forme des choses et cela n’aura donc aucune influence autre que cosmétique.

10/06/2014 13:17 par patrice

Ce serait plutôt la marche de nulle part vers le néant pour l’humanité et ce du fait d’immondes crapules qui ont pris le controle total de la planète !
Ils achètent tout avec leur fortune colossale, que ce soit le monde physique, que les consciences des dirigeants avec leur technologie machiavélique , nous en sommes arrivés à un tel niveau d’abjection dans le non sens qu’à moins d’une prise de conscience collective mondiale des peuples c’est la catastrophe assurée qui nous attend !

10/06/2014 15:59 par yah

Au lieu d’ordre et limite, pourquoi pas : sens et imagination. le contraire de l’ordre, ce n’est pas de désordre, c’est l’émancipation. L’émancipation collective. plutôt qu’en pensant le monde et tenter de trouver des solutions qui s’appliqueraient à tous, et qui ne viennent pas, et qui nous font écrire que ça va être la catastrophe pour bienôt, pouquoi ne pas s’appliquer à soi-même des choses toutes simples comme respecter la vie (du meurtre jusqu’à l’alimentation), enlever tout ce qui est toxique, (dans ma maison et dans mon assiette, la télé, les robots, les plats cuisinés...) et ajouter tout ce qui est sain, jusque dans nos coeurs, où il n’y aurait plus de place pour la haine, qui fait encore gagner ceux qui pourrissent tout, mais de l’amour. Encore faut-il savoir quoi et comment aimer...

la colère, c’est boire un poison en pensant que l’autre va mourir.

15/06/2014 20:46 par JOHN

Effectivement, le commencement c’est surement d’avoir une pensée la plus juste possible. C’est un investissement nécessaire, plutôt que de laisser son cerveau devant la télé. Malheureusement, pour sans doute de multiples raisons, les occidentaux préfèrent continuer de sniffer de la propagande plutôt que de se bouger la cervelle. C’est surtout pour cela que les choses risquent fortement de continuer a aller de mal en pis.
Reste qu’il existe quand même un espoir, par une minorité qui peut-être va continuer de grandir, en choisissant la pilule de la vérité plutôt que celle du mensonge et de la facilité.
Résistants, levez-vous et battez-vous sans cesse. Car à chacun sa part et sa responsabilité.
Quelques armes pour le combat :
>http://jcjeveritas.canalblog.com/archives/2014/06/14/30074568.html]
Que la vérité soit avec vous.

17/06/2014 00:20 par Feufollet

Le constat de l’impasse est récurent
Les commentaires qui le suivent sont intéressants
Surtout celui de Domi qui parle de décroissance
L’Occident du nord atterri de son rêve des trente glorieuses
L’Orient du sud veut décoller pour ses prochaines trente glorieuses
N’importe quel commun de mon genre
Formé aux mathématiques élémentaires
Sais depuis déjà que la Pangée
N’en a plus les capacités
Reste les économistes, les politiques sans vision
Les perroquets médiatiques et leurs auditoires
Pour encore y croire par force de sublimation
Et par force de désespoir
Avec ou sans robots
C’est l’agriculture paysanne qui subvient
A nos besoins quotidients

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