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La pelle à tarte, ou comment le monde fut sauvé

Chers terriens,

je me permets de vous écrire de ma résidence lunienne (avec le soutien indéfectible et enthousiaste des administrateurs du Grand Soir, toujours à la pointe de l’information véridique, pas trafiquée, pas inventée du tout) car il est arrivé quelque chose que vous devez absolument savoir, dans la mouise où les tarés qui vous gouvernent vous laissent (nous, sur la lune, on est tranquille, vu que nous y avons établi la Commune Lunienne, communauté solidaire et partageuse – en attendant que vous vous y mettiez sur terre – d’ailleurs, qu’est-ce que vous attendez ? Le 6 mars ?)

Comme vous le savez peut-être, la Mer de la Tranquillité (un endroit très tranquille sur la lune) abrite un Mont-de-Piété réputé dans toute la galaxie où nombre d’aliènes fauchés ont laissé ces dernières dizaines de millions d’années des artefacts contre quelques piécettes intergalactiques.

Or, le nommé Ma Tante, notre voisin le dragon tenancier du Mont-de-piété de la Mer de la Tranquillité, dans un moment d’épanchement, m’a livré hier une information que j’ai peine à croir : un aliène un peu fauché à l’époque (il y a quelques millions d’années, une paille !) avait laissé... La Terre au clou ! notre planète chérie ! et il lui avait envoyé il y a quelques jours (à Ma Tante) un message l’informant qu’il s’était refait et qu’il revenait chercher son bien.

D’abord, je dois vous avouer qu’à cette nouvelle, j’ai été pris d’un rire nerveux qui ne s’arrêtait plus, ce qui a rendu Ma Tante très perplexe, parce qu’il avait trouvé jusque là que j’étais un garçon plutôt tempéré. Mon rire attira Carla, notre camarade syndicaliste vendeur de parapluies, puis la vache Angela (que m’avaient laissée des astronautes indiens, qui n’avaient pas osé la faire descendre de leur baquet où elle était montée paresseusement, vu que les vaches c’est sacré en Inde – y’a qu’à voir la préposée aux affaires sociales au Consulat de France), puis Ferdinando, l’agent de la Petite Île Formidable des Caraïbes, qui venait juste de garer son baquet devant le pavillon après un voyage secret sur la Terre.

En voyant la tête de Carla, notre camarade syndicaliste, lorsqu’il apprit l’arrivée imminente du propriétaire de la Terre, je cessai de rire immédiatement. Parce que, bien sûr, même si on a beau souhaiter tout ce qu’il y a de mauvais pour nos ennemis, quand ça a des conséquences sur les camarades, et sur les terriens en général qui ne font que subir les élucubrations thanatiques de quelques uns, on se dit que ce n’est pas juste.

Il y a encore tellement de gens délicieux sur la terre... des tas de créateurs, d’artistes, d’honnêtes travailleurs qui ne demandent qu’à vivre en paix, à être soigné gratuitement, à bénéficier d’un service public de qualité, à manger des produits sains, à ne pas être fiché, propagandé, embobiné, bombardé, j’en passe et des pires...

En plus, je me souvenais de ce que Ma Tante nous avait dit quand il nous avait proposé des télés de remplacement pour celle qu’il avait cassée : « vous pouvez emprunter les objets que vous voulez à mon Mont-de-piété, à condition de ne pas les abîmer, parce que ça peut arriver que des aliènes, une fois refaits, viennent récupérer leur bien ».

Là, il y avait vraiment un hic... parce qu’on ne peut pas dire qu’on allait rendre à l’aliène la Terre dans le même état qu’il nous l’avait laissée. On pouvait mettre en branle toutes les ressources d’imposture, de mensonge, d’invention et de maquillage de preuves dont disposaient la grande puissance nortuaire et son personnel de maison (et qui représentent la quintessence de leur action), l’aliène ne serait pas si bête en survolant son bien, il verrait bien que la Terre est devenue une vaste poubelle.

Bref, aussi pathétique que soit notre situation terrienne, il nous fallait empêcher que cet aliène reprenne sa planète. Après un long conciliabule, nous conclûmes qu’il fallait retenir le taulier le plus longtemps possible ici, sur la Lune, voire lui faire changer d’avis et qu’il reparte avec autre chose, je ne sais pas moi, on trouverait bien parmi les objets laissés au clou par d’autres aliènes.

Ma Tante n’avait pas été très loquace à propos de son client, mais il faut dire que ça faisait une paye qu’il ne l’avait pas vu, et qu’en quelques millions d’années, une personne peut changer un peu, c’est vrai. En plus, par paresse, me semble-t-il (la vie dans la Mer de la Tranquillité était très tranquille jusqu’à notre arrivée), Ma Tante n’avait pas informatisé son administration et c’est vraiment le bazar dans ses fiches en papier cartonné sur lesquelles il annote les informations au crayon depuis toutes ces milliers d’années.

Et puis, un après-midi, on toqua à la porte.

Je n’attendais personne : le facteur, qui depuis la privatisation partielle de la Poste, n’a plus de frein à sa mobylette (terciarisation de l’entretien oblige), jette tout en passant sur le paillasson ; quant à M. Lanclous (ou Anclou, ou Lancou ou Ancou – un visiteur sinistre que j’avais eu récemment, et qui cherchait la terre à tout prix), je l’avais envoyé de l’autre côté de la Voie Lactée.

C’est dire si je tremblais en ouvrant la porte.

Et je me trouvai nez à nez avec... le sosie de Carla ! Le sosie de notre camarade-syndicaliste vendeur de parapluies ! Avec les cheveux blancs et un peu plus de rides, mais son vrai sosie ! L’homme devant moi avait le même bonnet, le même vieux manteau, les mêmes godillots et la même besace (sur laquelle était cousu en rouge vif Articles de farces et attrapes) !

M. Carla Bis demanda à voir M. Désiré Yvonne, du Mont-de-piété de la Mer de la Tranquillité, car celui-ci avait laissé un panneau accroché à la petite cloche sur la porte qui indiquait qu’il était chez moi.

Je restai sans voix. Ce camelot vendeur de farces et attrapes était propriétaire de notre planète ? (Notez que je dis ça sans préjugé : contrairement à ce que l’on pourrait penser, je n’ai rien contre les farces et attrapes) Quand même, j’invitai le visiteur à entrer, pour retrouver dans le salon notre voisin le dragon marin Yvonne alias Ma Tante, et (son descendant ?) notre camarade Carla.

Ce furent des retrouvailles très émouvantes entre Yvonne, Ma Tante, et en Général tout le monde. Évidemment, le plus troublé dans l’affaire, ce fut Carla, qui reconnut chez le vieux Carla Bis les traits familiers de sa lignée, et en particulier ceux de sa cousine Noémie... Aaaaaah Noémie.... Il en eut les larmes aux yeux.

Effectivement, son vénérable ancêtre était venu récupérer la Terre, qui commençait à lui manquer dans sa panoplie de farces et attrapes (!!!!!). Elle faisait rire à des années-lumières à la ronde, et le fait qu’elle soit dégoûtante et au bord du suicide (sans parler des abeilles qui mourraient par milliards) enchanterait les petits enfants de la galaxie (visiblement il avait déjà fait le tour du propriétaire). Au début, il avait bien pensé la nettoyer un peu (au karsher ? avait demandé Carla en tremblant), mais finalement, il trouvait que, telle quelle, la Terre était un magnifique repoussoir et pouvait servir de punching-ball avec grand succès n’importe où où il irait. Un peu comme le méchant qu’on bat dans Guignol si vous voulez mieux (vous vous souvenez de l’époque on tout le monde finissait ses phrases par « si vous voulez mieux ? » Aaah la Terre... Elle a beau tomber en morceaux, elle me manque quand même un peu... et quelquefois, elle me fait même rire tout seul...)

Nous, ça nous faisait pas rire du tout, parce que, comme je l’ai déjà écrit, il faut savoir trier le bon grain de l’ivraie et d’ailleurs le faire assez vite car bientôt, il n’y aura peut-être même plus de grain du tout – ni d’ivraie d’ailleurs.

Bon, après ces réflexions d’un optimisme pétulant, on suggéra quand même à Carla de suggérer à son aïeul de reprendre du clou de Ma Tante autre chose que la Terre, si le tenancier du Mont-de Piété était d’accord, bien sûr.

Et là, la réponse tomba comme un couperet : Yvonne Ma Tante refusa catégoriquement cet arrangement qui aurait arrangé tout le monde, surtout les camarades terriens qui sont déjà le punching-ball des puissants, et qui en auraient subi un deuxième, même si le fait de savoir que les puissants s’en prendraient aussi plein la gueule leur auraient sûrement bien plu.

C’est alors que Ferdinando, le merveilleux agent de la merveilleuse Petite Île Formidable de Caraïbes (celle qui tient tête depuis 60 ans à la thanatique grande puissance nortuaire) eut une MERVEILLEUSE idée !

Pourquoi Carla bis, ou Carla l’Ancien (comme on dit Pline l’Ancien, ou Théodose l’Ancien, ou Tarquin l’Ancien, ou Ginette l’Ancienne) ne prendrait-il pas seulement des morceaux de la Terre, comme le Territoire de la grande puissance nortuaire par exemple et ceux, aussi insignifiants soient-ils, de son personnel de maison. Ça, c’était une bonne idée pour un punching-ball !

Et il sortit une pelle à tarte qui ferait très bien l’affaire pour découper les morceaux.

Carla l’ancien avait déjà déposé sur la table toute sa fortune qui, pensait-il, lui permettrait de récupérer son clou.

Mais c’était sans compter sur la finesse et la solidarité de classe d’Yvonne Ma Tante, le tenancier du Mont-de-Piété. Lorsqu’il aperçut la figure décomposée de notre camarade syndicaliste vendeur de parapluies, qui voyait déjà nos camarades terriens se prendre des baffes de tous les enfants de la galaxie, il expliqua à l’ancêtre de ce dernier qu’avec le temps (quelques millions d’années, une paille !) il y avait eu une légère inflation et que malheureusement ses piécettes lui permettaient de reprendre seulement une partie de son bien.

Et il brandit la pelle à tarte, et commença à découper soignement les pires morceaux de la terre, c’est-à-dire la grande puissance nortuaire (en faisant bien attention de ne pas déborder sur la Petite Île Formidable de Caraïbes)...

Et il s ’arrêta là,

parce que ses affidés (de la grande puissance nortuaire), ceux qu’on appelle l’occidé collectif, sont plutôt des victimes et, la grande puissance nortuaire disparue, les camarades les tireraient d’affaire en trois coups de cuillière à pot (sans oublier de balancer leurs dirigeants en taule pour 50 ans) et ne manqueraient pas d’établir (n’est-ce pas ? n’est-ce pas ?) la société solidaire et partageuse que tout le monde un peu sain d’esprit et raisonnable attend parce qu’elle est la meilleure solution pour tout le monde (Tout le monde !)

Et Carla l’ancien, tout heureux d’avoir récupéré le pire de la terre qui améliorait considérablement la qualité de son punching-ball, repartit dans sa tournée intergalactique de farces et attrapes augmentée.

Et nous, on partit prendre l’apéro pour fêter ça.

Adapté d’extraits de SOUS LES CRATÈRES NUCLÉAIRES LA PLAGE.

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Le capitalisme mondial commence à ressembler à la fin d’une partie de Monopoly.

Caitlin Johnstone

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