La revanche du rameur

L’origine de cette fable humoristique semble remonter à 1997. Il en existe de nombreuses variantes.

Deux universités ont pour habitude de se confronter annuellement dans une compétition d’aviron. Le doyen de l’université A, qui a perdu les deux confrontations précédentes contre l’université B, décide d’appliquer à son équipe les techniques managériales modernes enseignées dans son établissement. Il débloque un budget conséquent pour ce projet et fait appel au cabinet de conseil Mc Delsen fondé par d’anciens élèves. Les deux équipes s’entraînent dur, mais l’équipe A est réorganisée à la lumière des méthodes de management modernes.

L’heure de la course arrive enfin, malheureusement, le bateau A perd avec un kilomètre de retard sur l’équipe B. Le doyen de l’université A et les consultants de Mc Delsen en sont très affectés. Ils se réunissent pour rechercher les causes de cet échec. Une mission d’audit composée de seniors managers est constituée. Après enquête, elle constate que leur équipe est constituée d’un barreur, de cinq consultants et de trois rameurs, alors que l’équipe B comporte un barreur et huit rameurs. La direction décide de lancer une nouvelle mission de conseil pour l’année suivante, mission confiée à un groupe d’experts de haut niveau.

Ceux-ci proposent de procéder à une réorganisation totale du bateau de l’université A. Il est question de manuel qualité, de procédures d’application, de documents de suivi. Une nouvelle stratégie est mise en place, basée sur une forte synergie. Elle doit améliorer le rendement et la productivité grâce à des modifications structurelles. On parle de Zéro Défaut, de Qualité Totale. La nouvelle équipe supervisée par Mc Delsen comprend désormais un directeur général d’aviron, un directeur adjoint d’aviron, un manager d’aviron, un superviseur d’aviron, un consultant qualité, un contrôleur de gestion, un chargé de la communication interne, un barreur et… Un rameur !

Il est demandé au rameur de rédiger un rapport d’activité tous les vingt coups de rame. Une brève réunion de suivi et d’évaluation des objectifs est programmée tous les kilomètres. La course a lieu et l’équipe A termine cette fois avec trois kilomètres de retard sur l’équipe B qui s’obstine à fonctionner avec un barreur et huit rameurs ! Le doyen et les consultants de Mc Delsen en sont profondément affectés et prennent une décision rapide, mais logique et courageuse : ils licencient le rameur, celui-ci n’ayant pas atteint ses objectifs. Ils vendent le bateau et annulent la mission ainsi que tous les investissements prévus pour la réorganisation.

Avec l’argent ainsi économisé, le doyen rénove son bureau, et l’associé Mc Delsen en charge du projet octroie une prime aux managers et aux superviseurs. Il augmente les salaires des directeurs et s’attribue une indemnité exceptionnelle de fin de mission.

La Revanche du rameur est un livre écrit par Dominique Dupagne, publié chez Michel Lafon (février 2012).

COMMENTAIRES  

15/02/2017 09:45 par Assimbonanga

C’est cela ! Notons de surcroît que le rameur est toujours le moins payé mais qu’il coûte toujours trop cher.

15/02/2017 11:10 par Autrement

Merci Bernard, c’est sublime ! Diffusons !

17/02/2017 17:36 par L. A.

Bravo et merci de nous retransmettre cette fable hilarante. Dans le même ordre d’idées, je me souviens vaguement d’un texte satirique assez poilant (désolé de ne pas pouvoir mieux raconter, c’est assez loin dans ma mémoire) sur les fameux audits à la suite desquels les entreprises décident de « dégraisser ». Il s’agissait dans cette parodie de faire l’audit d’un orchestre symphonique (considéré comme une entreprise et vu sous le rapport du coût, comme d’hab’). Les « experts », uniquement comptables et tout à faits ignares en musique, pondaient un rapport dans lequel ils pointaient du doigt les « dysfonctionnements » et les « améliorations » à prévoir selon eux. On apprenait que l’ensemble du personnel (les musiciens) faisait plusieurs fois la même tâche (des répétitions), que pendant l’exécution de leur « mission » (interprétation d’une œuvre symphonique) certains « collaborateurs » n’intervenaient que par intermittence (en fonction des silences dans la partition), que plusieurs groupes d’« équipiers » faisaient inutilement la même chose (l’ensemble des violonistes, l’ensemble des contrebassistes, etc.), qu’un « élément » ne faisait presque rien (le triangle), etc. Je ne me souviens plus des mesures qu’ils proposaient, mais on peut l’imaginer, c’était évidemment absurde, quoique proféré sur le ton de sérieux et avec la langue de bois qui sont coutumiers aux pignoufs de cette espèce.

22/02/2017 22:02 par Philippe Huysmans

Je l’ai retrouvé, et c’est en effet hilarant :

http://jmomusique.skynetblogs.be/archive/2009/06/04/humour-anglais.html

10/03/2017 16:41 par L. A.

Avec un peu de retard, merci à Philippe Huysmans d’avoir retrouvé trace de cette parodie. J’en avais eu connaissance dans les années 90, dans le cadre de mon travail (où sévissait alors un « cabinet d’audit ») par un collègue syndicaliste qui était par ailleurs pianiste classique. C’était donc voici un certain bout de temps, au cours du siècle passé… et même du précédent millénaire : dans une autre vie ! Mais comme on le voit, les choses ne changent pas si vite et les mêmes imbéciles continuent de sévir, impunément.

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