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Les meilleurs moments ? c’est la nuit quand y a pas les chefs.

Les gars en bleu

Jules SEVAL (avec un complément de Maxime VIVAS)

Je suis pas un opérateur, c’est comme ça qu’on veut nous appeler, j’opère personne. Moi, je suis un ouvrier, je dis toujours : j’ai pas la paye d’un chirurgien. Comme tous ceux qui passent au tourniquet à six heures du mat, ceux qui montent au vestiaire enfiler le bleu et mettre les chaussures de sécurité.

Un tourneur, ça oui, j’accepte et j’en suis fier parce que des comme moi qui bossent sur des tours conventionnels, les tours à l’ancienne, y en a plus beaucoup en France. Et j’ai que 25 ans.

A l’école, on travaillait que sur des machines numériques ; le vrai métier, tu vois, c’est Bertand, un ancien, qui me l’a appris. Ça a été mon tuteur, un bonhomme. C’est lui qui m’a appris à bosser sur tour conventionnel. Y en a plus beaucoup des bécanes comme ça dans la boîte, des Cazenave, c’est beau, c’est old school. Dans notre atelier, y en deux, à la réparation il en reste d’autres, mais c’est tout. Ici, on fabrique des moteurs d’hélico, avec Bertrand, on bosse sur la « ligne carter ». « Ligne » c’est atelier, et « carter » c’est ce qui entoure une partie du moteur. C’est des grandes pièces mais c’est vraiment de la haute précision comme travail. Et on est respectés par les gars, parce que si tu maîtrises le conventionnel, forcément sur numérique t’es fort. Tu peux croire que c’est pour le boulot de finition, pour les trucs les plus techniques que l’homme est plus balèze que les machines sophistiquées ? Alors, je dirais que je suis même un peu artisan, Bertrand il dit « artiste ». Tu peux rigoler, je suis sérieux mec. Tu vois les bricoles qu’on fait des fois entre deux séries, c’est pas du travail à la chaîne, chaque pièce est unique et c’est toi qui la conçois.

Bref, je suis ouvrier, comme tous ceux qui taffent dans les ateliers. Les bureaux, les techniciens méthode, les ingénieurs, c’est un autre monde. Nous on porte le bleu, on embauche à six heures, quatorze heures, vingt-deux heures. Et on quitte pareil. Soit en trois huit, soit en deux huit. Les meilleurs moments c’est la nuit quand y a pas les chefs. Tu crois que c’est pour la paye que les gars demandent à bosser en trois huit ? Peut-être certains, mais les trois huit ça te tue, ça nique tes journées, ton rythme il est foutu. Alors que quand t’es de nuit t’es tranquille. Entre deux séries tu peux t’assoir vite fait, t’es pas obligé d’avoir quelque chose dans les mains pour faire style, ou d’aller à la machine d’un collègue genre t’as pas l’outil qu’il te faut sous la main ou tu dois lui demander quelque chose. Et au final, tu fais le même boulot mais tu le fais mieux, y a personne qui vient te foutre la pression, du coup tu stresses moins et tu fais moins de conneries.

Et nous on aime le travail bien fait, je dis nous parce que c’est Bertrand qui m’a transmis ça. Pour faire une pièce comme il faut, si tu veux respecter bien certaines cotes, faire de la bonne finition, t’es obligé de faire des trucs interdits par les normes de la boîte, comme toiler : tu mets directement tes mains dans la machine en marche pour limer la pièce avec du papier. Du coup à Bertrand, il lui manque une demi-phalange. Enfin, c’est courant chez les tourneurs. Comme ça, la boîte elle se protège, en cas d’accident, « il a fait quelque chose d’interdit ». N’empêche que si tu toiles pas, si tu respectes toutes les règles, tu peux pas sortir la pièce conforme. Alors tu regardes si le chef est pas dans les parages et tu le fais, après il est bien content du travail. C’est comme les lunettes, les gants, t’as pas le droit mais y a des moments tu transpires, t’en peux plus, tu les enlèves. A la fin de la journée, t’as du lubrifiant partout, ça peut arriver de se couper avec les copeaux... Tu parles d’un opérateur, je suis un putain d’ouvrier.

Jules SEVAL

EN COMPLEMENT PAR MAXIME VIVAS

Si l’auteur n’a pas lu le roman « 325 000 francs », il devrait le faire et il aura l’impression que Roger Vailland était avec lui, dans son atelier.

Dans son article, Jules SEVAL cite, sans les nommer, les trois formes de travail que les ergonomes (j’en étais un) connaissent, faute de quoi ils ne peuvent exercer leur métier :
-  Le travail prescrit, celui appris en formation, celui des modes opératoires, du règlement de l’entreprise. Ce n’est jamais le travail qui est fait. S’y tenir, c’est gripper la production, c’est faire « la grève du zèle ».
-  Le travail décrit, celui que les « opérateurs » disent faire (et parfois croient faire).
-  Le travail réel, celui qu’ils font, celui des raccourcis opérationnels, celui qui s’adapte aux contraintes, celui de l’expérience acquise, celui qui accroît l’efficacité. On appelle ça « le travail intelligent ».

Ce « travail intelligent », le vrai travail, n’est pas appris dans les écoles de formation. On le trouve parfois dans des « carnets » que les anciens ont écrits, qu’ils portent sur eux et dont ils vont transmettre le contenu aux débutants.

Tous les patrons, toutes les directions d’entreprises, sans avoir une idée précise du « travail réel, intelligent », savent que le « travail prescrit » n’est jamais effectué. Mais l’inobservation des consignes, du règlement, les couvre en cas d’accident et facilitera des sanctions ou licenciements.

Le travail d’un ergonome, après avoir observé le « travail réel » (ce qui demande souvent du temps, car l’opérateur a intérêt à ne pas se dénoncer) consiste à émettre des préconisations pour faire modifier les normes, les règlements, pour que le travail théorique se rapproche du travail fait.

Permettez-moi une anecdote croustillante qui est un souvenir d’une mission que j’ai faite à France Télécom.

J’étais chargé d’intervenir sur le travail des « grands brigadiers » (des techniciens qui font des vacations dans des brigades en 3X8). Pour cela, j’ai passé plusieurs nuits avec eux dans un CPRI (centre principal du réseau interurbain, un central téléphonique, si l’on veut).

Je vais faire court : le technicien passait sa nuit (seul) devant des ordinateurs qui s’étaient ajoutés les uns aux autres au fil du temps, sans cohérence : on trouvait des logiciels en français ou en anglais, des claviers azerty et qwerty, des logiques d’utilisation multiples. Au bout de quelques nuits, je me suis aperçu que, contrairement à ce qu’il m’avait dit au début, le technicien n’y comprenait rien. Puis, mis en confiance, il fit devant moi ce qu’il faisait habituellement, il en éteignit quelques-uns dont il avait appris comment se passer. On approchait là du « travail réel ».

Une nuit, une alarme se déclencha. Elle avertissait d’un dysfonctionnement qui affectait les liaisons téléphoniques. Il fallait intervenir vite et le mode opératoire requerrait l’utilisation des ordinateurs mis à la disposition de l’opérateur. Il se leva du lit de camp sur lequel il s’était allongé (c’était interdit et je ne vis ce lit apparaître qu’au bout de quelques nuits, quand la confiance fut établie). Au lieu de rallumer les ordis, comme il aurait dû, il me dit : «  Montons, ils ont dû laisser une fenêtre ouverte là-haut ». A l’étage au-dessus, une fenêtre était effectivement ouverte et l’humidité de la nuit affectait les connections d’une batterie bardée de milliers de fils multicolores.

Il ferma la fenêtre et me dit : « Regarde » (on se tutoyait, à

présent). Du doigt, il me désigna un tout petit écriteau de carton posé au pied de la batterie et portant les mots « Tapez ici ». Il donna un petit coup de pied à l’endroit indiqué, l’alarme se tut, c’était réparé.

Une intervention ergonomique doit toujours être une opération « gagnant-gagnant » à l’issue de laquelle l’opérateur fournit un meilleur travail sans contrainte nouvelle et, si possible, avec un gain. C’est dire que le rapport final de l’ergonome, en conclusion d’une intervention, doit donner aux directions de préconisations de modifications, sans entrer dans le détail trop précis des choses vues.

Jules SEVAL sera peut-être agacé de lire ici « opérateurs », mais c’est le mot par lequel les ergonomes désignent globalement les « travailleurs » : ouvriers, employés, contremaîtres, techniciens, ingénieurs…

Maxime VIVAS

PS. A ma connaissance, la nécessité d’ergonomes ne figure dans aucun des programmes des candidats déclarés, semi-déclarées ou putatifs à l’élection présidentielle et c’est dommage.

COMMENTAIRES  

13/11/2020 12:50 par robess73

un rappel a maxime .pour l instant un seul candidat déclaré (jlm) un seul programme proposé (a amender) l avenir en commun .

13/11/2020 15:09 par Geb

Un témoignage extraordinaire Qui donne envie de pleurer tant c’est criant de vérité.. Mais aussi d’espoir.

Je bossais dans la Presse quotidien comme cadre de Presse technique dans la partie "pré-presse", C’était" avant" quand il y avait encore de vrais Ouvriers du Livre, du Plomb, de la Crasse, et des conditions de travail et de sécurité plus que limites dans de vraies Imprimeries.

Au début de la Première reconversion vers le Numérique, la Direction administrative a commencé à vouloir pister les salariés et leur imposer une politique de "zéro temps mort". Plus un changement des quotas de production qui restaient incompris par la majorité.C’était une hérésie. Dans la Presse quotidienne, ou ce qu’on produit, (L’information), est la denrée la plus périssable qui existe, ou il n’y pas de flux tendu, et où on est tributaire d’événements extérieurs qu’on ne maîtrise pas, celui qui produit peut avoir à rester à attendre l’info pendant des heures sans rien faire, puis devoir donne un coup de collier dont il ne connaît même pas s’il le finira à temps ou s’il devra allonger ses horaires "ad aeternam" pour le finir.

Et en trois mois ça a été le bordel. A l’époque je gérais comme Adjoint au Chef de Fabrication, les trois équipes du Secteur pré-presse et je bossais de jour l’après midi sur 6 heures quotidiennes. C’était que de l’organisation, du travail commercial, de la relation client, ou de la préparation pour l’équipe de nuit. Ca tournait normal sans à-coups.

Du coup, le responsable de nuit pas formé à cette situation s’était érigé en kapo et il avait pratiquement toute l’équipe contre lui. (Ceux qui ont connu La Presse quotidienne dans les années 70/80, (Et avant), savent de quoi je parle - Personne ne se laissait faire, "le" syndicat était maître, - Il n’y en avait qu’un : la CGT, et c’était presque de l’auto-gestion). Pour moi ça devenait impossible car tout mon boulot de préparation partait en fumée à partir de 20 heurs ou commençait l’équipe de "Nuit".

J’ai demandé à être muté la nuit à la place du responsable en place, et j’ai réunis tous les ouvriers du secteur nuit, en commençant par ceux qui étaient les plus critiquées comme rétifs et qui étaient en réalité les meilleurs et les plus anciens de la profession.

Je leur ai simplement expliqué que ce qui se passait quel qu’en soit le responsable c’était pas de leur responsabilité, et je leur ai laissé carte blanche pour s’organiser. Avec comme seule condition que tout tourne comme normal et comme ils savaient très bien le faire. Et je leur ait foutu la paix sinon pour boire un coup ensemble à la fin du service à 2 heures du matin...

En trois jours tout s’est remis à marcher normalement. Et même dans les plus difficiles des moment de l’Actualité personne ne m’a jamais fait défaut en ne pas terminant le travail. Et je suis resté Chef de nuit jusqu’à la fin.

Conclusion : Ca a marché trois ans. Puis avec les nouvelles technologies ainsi que les coupes sombres dans les rangs des travailleurs non remplacés ça a été la descente aux enfers avec la situation qu’on connait aujourd’hui...

En réalité il n’y pas de mauvais travailleurs, ni de mauvais ouvriers, ni de mauvais citoyens.

Il y a uniquement de mauvais chefs, de mauvais dirigeants, et surtout de mauvais buts et de mauvais moyens, assignés à des tâches souvent incomprises.

Quand des Patrons, des Dirigeants politiques, des chefs de Partis, des Dirigeants syndicalistes, se plaignent de la désaffection et du manque de professionnalisme ou du manque d’engagement, de ceux qu’ils sont censés organiser et motiver dans un but précis, au lieu de mettre en cause la compétence de leurs effectifs ils devraient se demander d’abord si eux-mêmes ils sont compétents.

On n’en serai pas là aujourd’hui et dans tous les domaines.

13/11/2020 16:09 par daniel

Bonjour Bertrand, J’ai beaucoup apprécié ton article faisant référence au monde du travail, tu travailles sur un tour parallèle Cazeneuve, n’oublie pas de portez tes EPI (équipement de protection individuelle) et d’utilisez un crochet pour enlever les copeaux.
Tu fais partie des professions devenus rare que l’on appelle dans le métier Tourneur Outilleur, car tu fabriques à la pièce.
J’ai passé toute ma vie professionnel à réparer et entretenir des machines outils, en début de carrière à Albert dans la Somme où Cazeneuve a "déménager en une nuit" de Saint Denis (Combat de métallos, Les Cazeneuve de la Plaine Saint-Denis de Jean Bellanger, éditions de l’Atelier de 1976 à 1979 paru en 2013) pour acheter Les Ateliers Titan et créer Cazémo (service de reconstruction de Cazeneuve).
Dans le même temps, Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre cassez le parc fabrication Machines- Outils en France alors que nous étions en avance technologiquement avec la commande numérique !!!!

13/11/2020 20:19 par ricolamagouille

bonjour
j’ai jamais eu qu’un boulot c’est clodo...
J’veux po bosser,ça m’enerve,
Toujours un à gueuler pour que tu’l’serv,
Kapo, daron, patron, un d’ces trucs là
Alors, quand y’a boulot même si j’aime ça,
J’remonte la couette et j’fais dodo....

Aprés je sais lire aussi mais c’est une autre problème... Un livre de mes 15 ans...
http://www.elholocausto.net/resultados.htm?cx=014365344683280127913%3Argdrvov5bck&cof=FORID%3A9&ie=UTF-8&q=camps+de+femmes&sa=+++++++++++Buscar+ahora+en+la+web++++++++++++
Sans larmes pas d’amour
A plus

14/11/2020 12:34 par Gege

Il y a vraiment des commentaires qui relèvent du délire , et proviennent d’esprits de toute évidence perturbés . Comme par exemples celui de :

@ Geb

 » Quand des Patrons, des Dirigeants politiques, des chefs de Partis, des Dirigeants syndicalistes, se plaignent de la désaffection et du manque de professionnalisme ou du manque d’engagement, de ceux qu’ils sont censés organiser et motiver dans un but précis, au lieu de mettre en cause la compétence de leurs effectifs ils devraient se demander d’abord si eux-mêmes ils sont compétents. »

Ou l’on découvre que des « chefs » (terme inapproprié) de parti , les dirigeants syndicalistes (c’est mieux ) sont à mettre dans le même sac que des patrons d’entreprises. Au secours le GS vous n’auriez une potion permettant de guérir les personnes atteintes du syndrome du « j’ai rien compris, je mélange tout » .

Plus sérieusement, pour avoir bosser en 3/8 , 7 ans , comme « opérateur » ce que décrit Jules SEVAL c’est tout à fait ça. Ça bousille la santé et la vie de famille , mais c’est vrais , l’absence du chef de service la nuit , c’est le paradis. Comme pour la pause, tu pointes au départ , quand le temps est écoulé tu repointes , mais tu retourne t’asseoir pour en fumer une dernière. De toute les façons du doit faire ton taf , car à 8 h , quand arrive le chef de service , il regarde sur ll’ordi la fiche de production et. te convoque pour te parler « gentiment » si tu n’as pas fait le boulot prévu.

14/11/2020 20:54 par Feufollet

Le savoir faire bien son métier restera indispensable
Pour la société en général
Et pour la satisfaction de l’artisan/artiste exécutant
Le génie ouvrier ne possède pas tout le monde du travail
Mais c’est beau de le savoir encore en vie
Maintenant, il n’est plus possible de se valoriser
Dans les bullshit chez Amazon ou autres esclavagistes de merde modernes

15/11/2020 05:01 par Alamut

@ Geb @Gege

Pour taquiner les deux rivaux de "gôche" (dont j’apprécie les messages !) :
"Ou l’on découvre que des « chefs » (terme inappropriè......." .Pourtant dans la pétrochimie et notamment en 3X8 que j’ai pratiqué pendant plus de vingt ans il y avait pléthore de "chefs de quart","chefs de poste",titres hautement enviés...

Mais la nuit ! Ah ! la nuit ! l’usine vidée du personnel de jour,des contremaitres et autres "gradés" était un peu notre domaine à nous qui étions chargés de la surveillance et de la bonne marche de l’installation.En alternance certains pouvaient passer à la cuisine où des talents se révélèrent et nos parties de belote en salle de contrôle s’interrompaient parfois suite à quelque alarme qui sonnait inopinément.....Rien de glorieux certes, mais pratiques courantes dans toutes les usines "à feu continu" !

@ Anwen
De tout coeur avec vous Anwen, cette citation de Vassili Grossman qui en avait vu de toutes les "couleurs" :
« Cette bonté privée d’un individu à l’égard d’un autre est une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. La bonté des hommes hors du bien religieux ou social ».

15/11/2020 10:21 par CN46400

Souvenirs, souvenirs,
1969, j’ai 25 ans, j’assiste à la réunion hebdomadaire du bureau de la section PCF de Meudon. André Nizard, le secrétaire parle :
- Dimanche le congres va se terminer par l’élection de Georges Marchais, il faut prendre des dispositions pour libérer "X" de la vente de l’Huma-Dimanche. Peux-tu t’en occuper ?
- Bof pourquoi-pas ! Mon voisin, Lassossais, est un vieux militant, je lui demande ce que "X" a de particulier ?
- C’est un ancien prêtre-ouvrier qui travaillais avec Georges à Issy les Moulineaux à la Libération, c’est lui qui l’a fait adhérer en 47 !
Le lendemain, je le rencontre dans son micro-appart du Val Fleury pour s’accorder. On parle.
- Et ouais, avec Georges on faisait équipe sur le même tour chez Voisin.....

19/11/2020 14:59 par Dragon Halluucinai

J’arrive tout à fait à m’identifier à l’auteur. Je ne sais pas trop quel sentiment ça éveille en moi. Douze ans de carrière (c’est pas beaucoup mais pas rien non plus), et oui quand on aime son métier on veut bien le faire.
Cinq ans de nuit sur les douze, et oui vaut mieux être fixe de nuit que d’alterner les postes. La nuit ça te déglingue mais l’alternance jour-nuit, encore plus (surtout quand tu peux pas te projeter et que ton planning est changé plus souvent que ça n’est permis). Je parlerai pas des postes en 12 heures... Alors oui la nuit c’est (en général) moins stressant, pas de chefs en permanence dans les parages, moins de bruits, on dépend moins des autres pour faire son taf... Encore que quand t’es tout seul ou à deux pour gérer certaines situations...
Les règles, dans mon métier, il faut souvent être "bon" pour savoir que la plupart ne peuvent pas être transgresser ; que se soit pour notre sécurité ou pour un travail bien fait. Beaucoup de collègues mettent leur sécurité de côté, non pas pour faire mieux leur travail mais pour abattre plus de travail, pour répondre aux injonctions de temps...
La plupart des réunions d’équipe (les très rares qu’on a encore) commence généralement par un point de notre cadre ou cadre supérieur sur l’activité, est-ce qu’on a été assez productif en gros. Moi je dis souvent en douce à la collègue à côté de moi, généralement moins ancienne que moi (on a bon turnover dans les équipes) : "t’as eu des cours de finance ou un truc du genre dans ta formation toi ? moi la rentabilité c’est pas mon métier"...
Oui c’est super le travail des ergonomes. Quand la direction s’assoie pas dessus. J’ai été mandaté (CGT) pendant presque trois ans en CHSCT. C’est là qu’on se dit que c’est indispensable d’avoir ces instances. C’est aussi là qu’on voit tout le cynisme, l’indécence et le mépris des directions. Les lois, ils s’assoient dessus (l’air de rien), alors les recommandations d’experts extérieurs (les vrais, pas ceux de la télé) et des experts de l’intérieur (les travailleurs), ils s’en balancent mais à un point... Le plus grand et le plus infâme des mépris !
Je dis pas, des cadres y’en a des biens comme dit la chanson de Didier, je peux compter sur les doigts d’une main (pas tous) ceux que j’ai croisé. Pour les membres de direction, des biens j’en n’ai pas vu (c’est pas comme si on se côtoyais non plus).
Alors, je crois que oui, moi le gars en blanc, je suis aussi un ouvrier. Je suis infirmier à l’hôpital public.

20/11/2020 18:42 par fred70

Merde alors, moi qui croyait que les "vrais" métallos n’existait plus ! Je ne bosse plus depuis 10 ans , mais j’en ai fait 25 ans de mécanique d’outillage, alors pensez ... (avant de passer à l’ennemi : l’ordonnancement) et j’ai des souvenirs du front sur la main droite, mais moi c’était pas avec de la toile émeri dans un aléage , juste un bon coup de contre pointe dans le petit doigt , bien artrosé maintenant .
J’arrête là , Jules reconnaitras un des siens , et moi je suis bien content de voir que des jeunes comme lui existent et font toujours ce boulot d’orfèvre en mécanique proto , et lecteur du GS en plus .
Tiens on devarit fonder un club où les vieux retrouveraient les élites manuelles de leur passé d’ouvrier et leurs successeurs .
Mais je m’éloigne de lutte anti-capitaliste peut-être ?

21/11/2020 08:15 par babelouest

@ fred70
Les beaux ajustages, j’ai connu : mon arrière-grand-père était menuisier-charpentier-ébéniste, et il avait appris à mon grand-père cet aphorisme.

— Le menuisier est juste

— le charpentier est lâche

— le forgeron est fort

Explication : le menuisier fait que les pièces qu’il a taillées, chantournées, aplanies doivent s’ajuster parfaitement.

Le charpentier, qui souvent travaille très haut, doit ménager un certain jeu entre les pièces très lourdes qu’il manie : ensuite avec des chevilles légèrement côniques il lie tout cela, et plus rien ne bouge.

Le forgeron prépare le cercle métallique devant entourer les rayons d’une roue légèrement plus petit que la circonférence de ceux-ci, puis il chauffe le fer, qui se dilate. Alors à grands coups de marteau il l’enfile autour des pièces de bois, puis il arrose le cercle, qui se rapetissant ne fait plus qu’un tout indissociable avec le reste.

21/11/2020 08:41 par babelouest

Désolé pour le bandeau bleu, je dois ici donner un autre témoignage.
J’étais simple employé dans une banque,de ceux qui font le boulot "au siège", et que les clients ne voient jamais. J’étais au service des titres et placements. Notre chef de service, qui venait d’arriver, avait remplacé "un vieux de la vieille" qui connaissait tout du boulot. Intelligemment, comme c’était l’époque où commençait l’informatisation, il nous a demandé, à nous qui faisions le travail, comment nous aimerions que l’informatique nous aide via "les transactions" avec la grosse bécane du rez de chaussée. Il appelait cela "l’analyse organique". Chacun s’y est mis, et en un mois largement les résultats ont été présentés aux programmeurs.

Ils ont pu en tirer une analyse fonctionnelle, déclinée ensuite donc en diverses transactions correspondant exactement au travail. Autant dire que rien que le traitement des ordres de bourse et de leur réalisation, particulièrement complexe, devenait plus simple. Nous avons particulièrement apprécié de pouvoir agir sur l’aide que pouvait nous apporter l’informatisation (et non l’inverse comme trop souvent). On peut même dire que quand la génération suivante de machines est arrivée, avec l’apparition du graphisme au lieu de simples caractères, ce fut accepté avec réticence car à nouveau cela devenait compliqué. Là, on ne nous avait rien demandé, et comme c’était à nouveau un chef qui débarquait sans vraiment connaître le travail, on ne pouvait pas lui poser de questions.

21/11/2020 18:46 par EsTIENNE A.

Quand j’ai commencé à bosser , en 1984 , je devais observer, chercher, analyser, comprendre puis réparer , dans une boîte industrielle.
Aujourd’hui, je dois comptabiliser les heures que l’on peut déclarer en R&D , rapport au Crédit d’Impôts , dans la même boîte dont on m’assure qu’elle est toujours industrielle

27/11/2020 14:39 par Vincent

Je lis beaucoup LGS.
C’est ma bouffée d’oxygène journalistique.
Je ne commente jamais car je ne me sens pas légitime lorsqu’il s’agit de géo-politique ou autres thèmes. Je laisse ça à ceux qui savent (ou pensent savoir).
Mais aujourd’hui j’ai envie de partager une chanson que j’ai composée.
Je suis tourneur-fraiseur et je m’identifie à cet article.

Elle s’appelle Mécanitout :

Dans les villes ou dans les patelins, si vous prêtez un peu l’oreille
Vous entendrez des musiciens autour des zones industrielles
Les machines jouent un doux refrain, tout un orchestre clandestin
On entend l’acier qui fredonne et les soupirs d’aluminium

Tourneur fraiseur mécanicien, Mécanitout ! Mécanirien !
Jour et nuit au pied de la machine, au diapason dans toute l’usine.

Découpent en mesure le métal, dans un tourbillon infini
Répétition d’un récital jusqu’au beau milieu de la nuit.

Tourneur fraiseur mécanicien, Mécaniquoi ? Mécanitiens !
Pistons coulissent et marteaux frappent, les percussions d’un automate ?

Ce morceau de cuivre se demande : Vais-je finir dans un Jazz Band ?
Il se voit déjà en trombone, pas comme son père trompe de klaxon.

Tourneur fraiseur mécanicien, Mécanimal ! Mécanibien !
Manufacture au rythme au fou, pas cadencé sur les genoux.

Quand le jour pointe le bout de son nez, apparait le chef d’atelier
La moindre fausse note l’inquiète, corrige tout ça à la baguette.

Tourneur fraiseur mécanicien, Mécanichat ! Mécanichien !
Le dos fatigue, les mains s’abiment dans une symphonie anonyme.

Copeaux de ferrailles en clé de sol, sous les aisselles des auréoles
Portée par une fumée épaisse, à la fin les notes disparaissent

Tourneur fraiseur mécanicien, Mécanibal ! Mécanifaim (fin) !
Toutes les fanfares clandestines finiront un jour en sourdine.

Dans les villes ou dans les patelins, copeaux de ferraille vont se taire
Dans le silence et le chagrin, c’est tout un orchestre qu’on enterre.

Tourneur fraiseur mécanicien ça y est maintenant on n’est plus rien.
Les outils et les instruments ont disparu impunément.

Et en musique :

https://soundcloud.com/user-149727788/zoizo-mix-mecanitout

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