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Débat télévisé sur une guerre mondiale annoncée

Les journalistes qui rient dans les cimetières

Un jour de juin 1922, le Président Poincaré arpentait un cimetière militaire et il eut un sourire capté par un photographe. Le quotidien l’Humanité diffusa la photo à 100 000 exemplaires. Elle fut transformée en carte-postale. Elle façonna l’image de « l’homme qui rit dans les cimetières ». Il ne resta plus aux médias éhontés qu’à reprendre les « éléments de langage » : il s’agissait d’un « rictus dû au soleil » (qu’il n’avait pas en face).

Le 5 février 2023 à 20 h, dans l’émission « C politique » la 5 nous donna à admirer sept Poincaré probablement éblouis par les projecteurs, sept pauvres jouets de rires purement nerveux.

C’était dans un débat ayant pour titre : « Chine-USA : l’autre guerre qui menace ».

Le titre de l’émission nous glace. D’emblée, un invité nous dit que nous sommes entrés «  dans une guerre froide. On craint même une guerre chaude ». L’animateur précise que c’est une « question brûlante ».

Quelques images de Joe Biden ouvrent l’émission. Il dit qu’il est content : un avion de chasse a abattu un ballon chinois que l’animateur appelle « un ballon de surveillance ». Ballon météo en dérive ? Ballon espion ? La question est donc tranchée dans les premières secondes (0mn 11) : il surveillait les Etats-Unis.

Pas moyen de trouver un Chinois pour une émission télé

Parmi les six invités : un états-unien, une états-unienne. Un tiers, donc. Les six et l’animateur sont sympathiques, souriants, pas énervés du tout. Genre marchands d’aspirateurs qui mettent leur pied dans la porte, avenantes vendeuses de Tupperwares. Ils sont heu-reux ! Elles sont heu-reuses !

Combien de Chinois ? D’amis de la Chine ? De politologues neutres ? Zéro. C’est pour ça qu’ils sont heu-reux, les sept mercenaires.

Insistons : dans ce débat télévisé sur la Chine et les Etats-Unis, on voit deux Etats-Uniens, cinq français critiques envers la Chine, aucun Chinois, alors qu’on va surtout parler d’eux (déblatérer sur). Personne pour faire grimacer les deux Etats-Uniens.

On compte 1,4 milliard de Chinois. Et impossible d’en dénicher un pour une émission dont le titre évoque la possibilité d’une guerre entre la Chine et les Etats-Unis ! Pour les Yankees, c’est plus simple : sur les Champs-Elysées, vous tapez du plat de la main contre un réverbère et il vous en tombe deux douzaines, pas le peine de mettre des stagiaires en chasse. Vous choisissez la plus jolie et celui qui parle bien français et qu’on voit sur d’autres chaînes en tant que spécialiste de l’Ukraine, de la Russie, de la démocratie, des canons Caesar, de Poutine et des tartes Tatin (pour les tartes, j’imagine, mais je m’attends à le voir dans l’émission « La persécution des pâtissiers ouïghours »).

Premier constat : tout débat démocratique dans un pays démocratique (la France) sur une télé démocratique peut réunir sept démocrates (dont deux Etats-Uniens) du même avis (négatif) sur la Chine, démocratiquement exclue.

Second constat (amer) : le seul fait d’énoncer le premier constat fait de vous un prochinois.

En effet, trouver à redire, c’est se voir délivrer par les médias la carte du Parti Communiste Chinois. Vous n’avez pas lu Libé ?

Pas lu non plus le brûlot à 100% anti-chinois des militaires français (l’IRSEM, organisme flanqué d’un lieutenant-colonel états-unien) où je suis dénoncé 54 fois (+ 8 photos) au Pentagone et à l’OTAN, OTAN dont un des deux rédacteurs du rapport fut membre jusqu’en 2019 ?

A quoi il fut répondu par ce livre :

L’émission de la 5 dura cinquante-trois minutes. Inutile de la voir, sauf si vous voulez absolument perdre presque une heure de votre vie. Contentez-vous de cliquer au hasard pour glaner des moments où les invités s’approuvent, s’écoutent religieusement, rient, ou éclatent de rire. Tenez, pour vous aider : allez voir à 13mn48, à 18mn16, à 46mn56. Mais vous en trouverez bien plus.

Coupez le son et vous vous croyez sur C8 chez Hanouna quand Bigard fait rire les chroniqueurs et les invités en contant l’histoire de la boulangère à qui Toto a dit : « Vous avez de belles miches ».

Gardez le son et vous croyez écouter « La bande originale » de Naguy sur France Inter où fusent les rires si un invité à répondu « yau de poêle » à la question « Comment vas-tu ? ».

La guerre nous menace ? Rions ensemble sur la 5
Pourquoi cette jovialité alors qu’on parle de « l’autre guerre qui menace » ? Alors qu’on nous dit que nous sommes entrés « dans une guerre froide » et qu’on « craint même une guerre chaude » ?

Pourquoi ?
Pourquoi ? Parce que l’animateur et les six invités sont de la même obédience. Ils boxent à sept sur un ring contre un adversaire qui n’est pas là et qui ne les gratifiera pas d’un bourre-pif.

Mettez sur le plateau, face aux sept comparses, UN SEUL débatteur qui n’adhère pas à leur discours et la mayonnaise est ratée.
UN SEUL, et finis les sourires, les rires, les éclats de rire, les hochements de tête, les tranquilles « Je dirai même mieux », les « Vous avez raison », les « J’ajouterai », les « Ce que je crois, je pense, à mon avis... ». Finis les petits désaccords à la marge, anodins, insignifiants, les ersatz de réserves, les objections de pacotilles, les simulacres de discussions : « Permettez que j’apporte une nuance ? » et « Ce n’est pas pour vous contredire... ».

Il suffirait d’UN contradicteur et les gentils fronceront les sourcils. On verra les grimaces, les coupures de parole, une tension jusqu’alors inconnue. Les sept jetteront des cailloux au mal élevé, à l’imprécateur qui brise le ronronnement harmonieux, qui tarit le dégoulinant baratin, un baratin qui, habituellement, pour l’essentiel des téléspectateurs, n’est que vérité, puisque 100% des personnes présentes le valident.

Donc, pas d’intrus et un choix très «  politique » des sujets. N’oublions pas que, pour les Etats-Unis, les ennemis prioritaires sont la Chine et la Russie. Par conséquent, de la France aussi. C’est donc de ces deux pays qu’on va parler, déparler, à satiété, dans un confortable entre-soi. Le ministre Bruno Le maire avait donné le la en annonçant que « nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie » et en fanfaronnant :. « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe ».

Puis, dans un déferlement de propagande médiatique inouï, la gauche français étant muette, les députés court-circuités (et soulagés ?), la chaîne de télé RT interdite, ce furent les livraisons d’armes à l’Ukraine, des militaires ukrainiens formés sur notre sol pour tuer des soldats d’une armée qui nous délivra du nazisme, soldats d’un pays qui portait la France dans son cœur jusqu’à considérer que parler notre langue était classieux. Et voilà que le petit-fils de Tolstoï dit (dans un français parfait), au nom de la Russie : « La France » est notre ennemie » Tiens, pourquoi ?

L’ARCOM (ex-CSA) ne regarde par la 5, la 5 se fiche de l’ARCOM.
Sud Radio vient d’être mise en garde par l’ARCOM sur une émission d’André Bercoff « Dans tous ses états ».
« L’Arcom a été alertée au sujet des séquences consacrées à la guerre en Ukraine, diffusée les 10 mai et 29 juin 2022 dans l’émission Bercoff dans tous ses états sur Sud Radio et Sud Radio+.
Aux termes de l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent : « (…) Il (l’éditeur) veille au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne ».
Elle a relevé que plusieurs déclarations orientées avaient été délivrées à l’antenne, sans véritable contradiction, alors même que le sujet traité, particulièrement sensible, nécessitait l’expression de points de vue différents ou à tout le moins nuancés.
La diffusion de cette séquence caractérise une méconnaissance des obligations précitées issues de l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018.
En conséquence, l’Autorité a mis en garde l’éditeur des services contre la répétition d’un tel manquement ».

Bis repetita placent : « Le média veille au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne ».

Les sujets dont on ne parle pas existent-ils ?
Les sujets dont on ne parle pas sont peu graves, voire inexistants. Pour un livre collectif « La troisième guerre mondiale a commencé » (titre possible), à paraître aux éditions Delga, j’ai écrit un texte sur les médias. En voici un extrait :

« En France, la règle tacite est que la véracité d’une information qui sert les intérêts des Etats-Unis n’a pas besoin d’être authentifiée avant diffusion. Il suffit pour nos médias d’identifier le pays émetteur. Les Etats-Unis ? On prend.

Comment doit-on, demandent-ils, qualifier des manifestants de Hong-Kong ? Manifestants « pro-démocratie ? » On prend. Il n’y a pas eu des dizaines d’éborgnés comme en France ? Passons.

Que faut-il dire quand la Chine proteste si des navires de guerre états-uniens patrouillent au large de ses côtes et à 10 000 kilomètres de Washington ? Il faut dire, écrire et clamer que « Xi Jinping, furieux, menace et montre ses muscles ». On prend.

Que nous dit-on de Poutine. Il est « fou, cancéreux, parkinsonien, isolé, paranoïaque, mégalomane » ? On prend.

Pour le public, la véracité d’une information qui sert les intérêts des Etats-Unis est prouvée par sa répétition dans la quasi totalité de nos médias transformés en vulgaires caisses de résonance. Inversement, un fait non rapporté par nos médias n’existe pas, même s’il a une importance mondiale.

Prenons l’exemple d’une information qui ne sera pas exagérément offerte à notre émotion : celle de l’incendie de la Maison des syndicats d’Odessa, le 2 mai 2014 où trente-deux Ukrainiens pro-Russes ont péri (quarante-trois, par suite des affrontements dans la ville).

Quant aux bombardements des provinces ukrainiennes russophiles du Dombass depuis 2014 par l’armée de Zelinsky, ils seront éludés afin de pouvoir dater le début de la guerre au 24 février 2022, quand les troupes russes sont entrées en Ukraine, répondant à un interminable appel au secours.

« L’omission est la forme la plus efficace du mensonge. » (George Orwell)
Du 2 au 4 juin de l’année 2005, s’est tenue à La Havane la première rencontre internationale « Contre le Terrorisme, pour la Vérité et la Justice ». Plus de 700 délégués venus du monde entier ont participé aux trois jours de débats et de témoignages. Trois jours pendant lesquels ont été dénoncées la nature et l’étendue d’un terrorisme qui sévit depuis des décennies sur le continent latino-américain, d’un terrorisme mis en œuvre dans le cadre d’une politique décidée à la Maison Blanche et baptisée « Plan Condor »(1). Pendant trois jours ont été démontrés, en direct et sans fioritures, les liens étroits qui existent entre les autorités états-uniennes et le terrorisme de masse. Pendant trois jours ont été exposées les archives du plan Condor, découvertes presque par hasard dans un coin perdu du Paraguay. Trois jours pendant lesquels tous ceux qui s’intéressent à l’Amérique latine ont pu, enfin, voir s’énoncer quelques vérités, ailleurs que dans le cadre des cercles d’initiés. Trois jours pendant lesquels, en pleine « guerre mondiale contre le terrorisme », les sièges réservés à la presse riche des pays riches sont restés désespérément vides. Aucune (insistons sur « aucune ») information n’est passée dans la presse occidentale, car…pendant ce temps, au procès du chanteur Mickael Jackson, mille-quatre-cents journalistes (insistons sur « mille-quatre-cents ») piaffaient d’impatience pour savoir si, oui ou non, un Mickael Jackson lubrique avait bien touché dans son lit quelque chose qui n’était pas à lui ».

Finalement, c’est mieux que des journalistes de la trempe de ceux qu’on a vu sur la 5 n’y soient pas allés. On a échappé à une émission de franche rigolade entre amis assis sur des cadavres.

Maxime VIVAS

Note (1). L’opération Condor (ou « plan Condor) est le nom d’une campagne d’assassinats et de lutte anti-guérilla conduite conjointement par les services secrets du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay avec le soutien des États-Unis au milieu des années 1970. Les régimes dictatoriaux du Cône Sud ont torturé, tué et fait disparaître, non seulement des dirigeants politiques reconnus, mais aussi des dizaines de milliers de militants ou soupçonnés de l’être, ou susceptibles de pouvoir le devenir. L’opération Condor, « dirigée et assistée par Washington [fit], au moins 50 000 victimes, 35 000 « desaparecidos » (disparus) et 40 000 prisonniers parmi les opposants en tout genre, des religieux aux militants de gauche, des syndicalistes aux journalistes et aux intellectuels. »

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