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Les ravages de la LRU (suite)

Mon camarade et ami Xavier Lambert vient de me faire passer cette très bonne analyse sur la "gouvernance" des universités, suite à l’application de la LRU. Le terme de "gouvernance", qui s’est introduit subrepticement dans le langage politique, n’est pas neutre. Ainsi, le Conseil d’analyse économique créé par Lionel Jospin a-t-il, en son temps, publié en anglais (la langue de Wall Street, ne l’oublions jamais) un ouvrage dont la traduction littérale du titre était Gouvernance, équité et marchés globaux. Dans l’ancien français, ce terme était un équivalent de gouvernement. Le mot passa dans l’anglais, avec le même sens, au XVIè siècle, puis disparut. Il renaquit vers 1980, dans les textes de la Banque mondiale et du FMI, toujours associé à l’adjectif "bonne". Une bonne gouvernance implique un recul de l’État qui n’est plus censé être au service du bien public mais fournir des services à des intérêts sectoriels et à des citoyens-consommateurs. Lambert explique dans ce qui suit que, si rien ne change, les universités finiront par être gouvernées par des chefs d’entreprise. Ce qui est parfaitement logique dans l’optique de la gouvernance, puisque la "société civile" (autre expression dangereuse, prisée par de nombreux socialistes) doit se substituer à la puissance publique. Il s’agira toujours de privilégier les intérêts particuliers aux dépens de ceux de la collectivité, des citoyens.

Bernard Gensane

"La loi dite « Liberté et Responsabilités des Universités » a été votée début août 2007. Outre le fait qu’elle modifie profondément le paysage universitaire, notamment du point de vue de sa « gouvernance », elle initie clairement une restructuration profonde du système éducatif français dont la réforme de la « gouvernance » des lycées et collèges est une conséquence directe.

Cette loi modifie de façon substantielle le fonctionnement et les responsabilités des instances délibératives et exécutives des universités et sert de cadre à l’instauration des « Responsabilités et Compétences Élargies » (RCE).

La loi « LRU » diminue de façon significative les compétences des instances centrales. Le Conseil Scientifique et le Conseil des Études et de la Vie Universitaire, instances de propositions, ne peuvent plus qu"émettre des voeux. Le CA voit ses effectifs fortement réduits (trente maximum). Le mode de scrutin est modifié dans le sens d’un recul démocratique. Les listes des enseignants (collège A [professeurs des universités] et B (autres enseignants chercheurs, enseignants, et chercheurs]) qui arrivent en tête se voient attribuer automatiquement la moitié des sièges, le reste étant réparti à la proportionnelle au plus fort reste. De plus, l’élection du président devient concomitante à celle des conseils centraux. Alors qu’il était auparavant élu par les représentants des trois conseils centraux, il n’est plus élu que par les représentants du CA.

Dans un contexte où, nous le verrons par la suite, les pouvoirs du président sont considérablement augmentés, cette situation n’est pas anodine car dans une très grande majorité des cas, il est pratiquement sûr de pouvoir compter sur une majorité acquise pour toutes ses prises de décision. Par ailleurs, les personnalités extérieures qui siègent au CA, si leur nombre reste à peu près identique, sont nommées par le président (elles doivent comporter au moins un chef d’entreprise), ce qui pèse davantage encore sur le rapport majoritaire. Quoi qu’il en soit, la loi prévoit un droit de veto au président qui ne s’accommoderait pas d’une décision de son CA.

De ce point de vue, d’ailleurs, le second rapport Aghion prévoit de remplacer le CA par un « board of trustees », (conseil d’administrateurs, comme quoi l’anglais fait toute la différence !) réduit à 15 personnalités maximum (dont une majorité extérieure à l’université et composée de représentants des collectivités territoriales, du monde économique, des institutions académiques étrangères, et d’anciens diplômés). Rien n’est indiqué sur les modalités de constitution de ce comité si ce n’est que visiblement il n’est pas élu puisque le rapport précise que sera constitué en parallèle un « sénat académique » qui, lui, est « un organe électif ».

Les attributions de ce futur board of trustees sont déterminantes, puisque c’est lui qui va nommer le président et définir l’essentiel de la politique de l’université. Le futur « sénat académique », dont le rapport ne précise pas s’il réunit en les remplaçant les actuels CEVU et CS, sera « responsable de la définition de la politique pédagogique et scientifique », mais cette responsabilité sera toute relative puisque, in fine, cette politique devra être validée par le « board of trustees ».

Comme on le voit, le principe de collégialité qui fondait la gouvernance des universités depuis la loi Faure vole complètement en éclat.

Dans le cadre actuel de la loi LRU, les universités doivent passer d’ici 2012 au régime des RCE. C’est là où se situe essentiellement la fameuse autonomie des universités dont se réclame la loi. Il faut préciser que, aussi bien la loi Faure que la loi Savary reconnaissaient déjà le principe de l’autonomie des universités quant à la définition de leur politique pédagogique et de leur politique de recherche, ainsi que de la gestion de leur budget. Les RCE correspondent à une transformation substantielle des modes de gestion, non pas tant du pont de vue de la recherche et des orientations pédagogiques qui sont encore plus encadrées qu’avant au niveau national, que d’un point de vue budgétaire. En tant qu’EPCSCP (Établissement Public à Caractère Scientifique, Culturel et Professionnel) autonome, les universités sont amenées à gérer un budget « global ». Ce budget est composé d’une dotation globale financière (DGF), qui représente la majeure partie, et de ressources propres. Les ressources propres peuvent être abondées par des fonds privés, par l’intermédiaire de fondations notamment.

La DGF s’articule en deux volets, une part fixe et une part contractuelle. Ce principe existait déjà avant la loi LRU, mais la part contractuelle devient de plus en plus importante au détriment de la part fixe. Or, la part contractuelle est définie en fonction de la façon dont les universités remplissent plus ou moins leur contrat. Certes, ce sont théoriquement elles qui définissent ce contrat en accord avec le ministère, mais les grandes lignes en sont très contraignantes et c’est le ministère qui en établit les orientations politiques. Certains critères déterminants seront, par exemple, le taux de réussite et le taux d’insertion dans l’emploi. Ce qui est problématique, c’est que la prise en compte du taux de réussite ne peut en aucun cas avoir une valeur absolue car elle dépend de nombreux paramètres que chaque université ne maîtrise pas. La question de l’insertion pose d’autres problèmes que je ne développerai pas ici.

La nouveauté essentielle vient du fait que la DGF comprendra, dans le cadre du « budget globalisé », le montant des traitements, chargés, des personnels titulaires travaillant dans chaque université. Outre que la gestion de ces traitements doit se faire évidemment dans le respect de la LOLF, avec les questions qui se posent autour de la « fongibilité asymétrique ». Cela a une incidence importante sur le fait que les personnels titulaires, ressortissant donc à la fonction publique d’État, ne seront plus gérés par l’État mais au niveau de chaque université, sous la responsabilité directe du président, et, par délégation, du DRH (Directeur des Ressources Humaines). Les questions relevant du statut de ces personnels seront traitées pas un CTP (Comité Technique Paritaire) local. Se pose de ce fait la question de l’avenir du statut de fonction publique d’État pour les personnels titulaires relevant de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Autre incidence, non négligeable du point de vue des conséquences, dans le cadre des RCE, le budget est abondé de la masse salariale correspondant aux personnels titulaires de l’université. Cette masse salariale est calculée à un instant donné selon la situation des personnels. Or, la loi prévoit, et le second rapport Aghion le confirme, que les présidents d’université pourront recruter des enseignants chercheurs sur CDD ou CDI selon leur notoriété et la façon dont leur profil pourra renforcer les orientations du contrat de l’université. Cette situation pose de multiples problèmes. D’une part, ces enseignants chercheurs seront nécessairement recrutés avec des salaires sensiblement plus élevés que ceux de leurs collègues titulaires, quid alors des autres salaires compte tenu de la fongibilité asymétrique qui ne permet pas d’augmenter la part du budget consacrée aux salaires ? Cela entrainera-t-il des suppressions d’emplois et, par le jeu de la modulation individualisée des services, une augmentation de la charge d’enseignement d’un certain nombre de collègues titulaires ?

Enfin, cela signifie que sur un même emploi peuvent travailler des personnels avec des statuts différents et des salaires différents sans référence à la grille de la fonction publique. La situation existait déjà avec l’emploi de nombreux précaires pour pallier les insuffisances de postes, mais nous sommes ici dans une situation d’une nature tout à fait différente. Ce qui constituait une exception au statut de la fonction publique devient un élément constituant des politiques d’emploi dans les universités.

Par ailleurs, le recrutement des enseignants chercheurs titulaires se faisait avant la loi LRU par le biais de commissions de spécialistes collégiales dont les membres étaient élus par leurs pairs. Ces commissions ont été remplacées par des comités de sélection dont la loi prévoit qu’ils sont nommés par le président. C’est déjà une nouvelle atteinte à la collégialité. Mais, en outre, le président a tout loisir de casser les décisions d’un comité de sélection si elles ne lui conviennent pas. Cette situation se multiplie de plus en plus actuellement.

Comme on peut le voir, la « gouvernance » des universités s’apparente de plus en plus au fonctionnement d’une entreprise privée et il n’est pas rare de voir un président se décrire comme un chef d’entreprise comme l’a fait par exemple, il y a quelques mois, le président de Toulouse 1 au JT de France 2.

La loi LRU vue par Lise Dumasy, présidente de l’Université Grenoble 3

La loi LRU vise à changer une gestion fondée sur la collégialité pour une gestion plus « managériale », et le rapport Aghion encore plus. Dans le détail, à mon avis (mais c’est un avis de présidente ! ), la loi LRU ne donne pas tant que cela de pouvoir supplémentaire aux présidents seuls, elle renforce les pouvoirs du président plus le CA, et renforce la cohérence entre CA et président (ce qui n’a pas forcement que des désavantages) et ceci au détriment des deux autres conseils ; la prime

majoritaire et la réduction du nombre de conseillers, surtout dans les grosses universités empêche une représentation équilibrée et complète des différentes tendances et disciplines ; en revanche la suppression du panachage est une bonne chose (cela empêche les bidouillages individuels et pousse à la constitution de vraies listes, avec un programme. La coïncidence de l’élection du président et des conseils permet également bien plus qu’avant a un vrai débat stratégique de se construire. En revanche, que le président ne soit élu que par le CA est bien un recul démocratique. Les extérieurs, qu’ils soient ou non proposés par le président votent en général pour lui.

La création du CTP (Comité Technique Paritaire) est plutôt un progrès, il veille au respect des statuts entre autres.

A mon avis le pire est dans les RCE, dans la mesure où l’autonomie promise est surtout un moyen pour l’État de se désengager de sa responsabilité financière : il fixe les buts et les exigences, mais laisse les universités se débrouiller avec les moyens qu’elles ont, c’est-à -dire ceux qu’elles ont à l’instant où elles passent aux RCE ; les mètres carrés ne sont plus rémunérés, et le modèle d’établissement de la DGF fait entrer comme critère la réussite, ce qui revient a donner le plus d’argent a ceux qui en ont le moins besoin, et ne tient pas compte des situations différentes ; en ne nommant pas de nouveaux fonctionnaires, alors qu’il donne toujours de nouvelles missions aux universités, le ministère pousse les universités à recruter des contractuels, ou à puiser dans ses moyens existants en personnels, quitte a alourdir la barque de chacun. De plus il me paraît clair qu’il ne veut pas élever directement les droits d’inscription par crainte des mouvements étudiants, mais il forcera les universités à le faire au cas par cas sous peine de crever ( cf la petite phrase sur les langues anciennes).

Les comités de sélection coutent cher, sont une vraie usine a gaz, et dans les matières ou les communautés sont petites, poussent à la consanguinité, ils sont aussi moins colleégiaux que les commissions de spécialistes, mais beaucoup d’universités ont tourné cela ; le président a un droit de veto élargi peut-être, mais il l’avait avant ; encore une fois c’est surtout le CA qui a des compétences élargies, mais il est vrai que du coup plus de décisions de comités de sélection ont été remises en cause. Cela dit les commissions de spécialistes ne sont pas sans reproche non plus, et il faudrait trouver un système plus satisfaisant ; je ne suis pas choquée par le fait que le CA vérifie de près le déroulement des recrutements.

Les notations de l’AERES (Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) ont une incidence sur les crédits, et sur leur répartition, même si c’est l’établissement qui la fait. Cela crée des zizanies et des inégalités renforcées créées par la prime au mérite et la possibilité de salaires différenciés."

Il s’agit du nombre de mètres carrés par étudiant, préalablement définis par les critères Sanremo, qui déterminaient en partie le montant de la DGF en ce qui concerne à la fois la construction et l’entretien des locaux.

L’AERES évalue les laboratoires de recherche, les chercheurs et enseignants chercheurs, ainsi que les formations.

Xavier Lambert

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