Lumpen, Berlin 1920 Europe 2020

CHARCLOT

Lumpen

nous vivons dans l’hiver, entre deux rangées de voitures cartons sales étalés au sol où, comme taches encore plus sales, flottent nos haillons, nos sacs, ce qu’il reste, parfois, de notre vie d’avant,

nous vivons dans l’hiver, contreseings de l’injurieuse misère, héritiers affalés de la démangeaison bourgeoise, enfants perdus du progrès,

nous vivons dans l’hiver, sous les creux abandonnés des villes affamées, assis, emmitouflés, regardant virevolter les lumières assassines des machines

nous vivons dans l’hiver, à des milliers d’années lumières du temps disparate qui nourrit les âmes bien nées

nous vivons dans l’hiver, comme feuilles sur le fleuve, emportés par les courants des voix affables et des rires gras et froids dégoulinants des écrans

nous vivons dans l’hiver, remontant le temps sans peaux de bête, sans feu, ni forêt de hêtre, dans la trame asphyxiée des déserts urbains

nous vivons dans l’hiver, dans le confinement assourdi et moite de l’humidité ambiante, éponges pathétiques d’un monde parallèle où rien ne finit ni jamais ne commence

nous vivons dans l’hiver, prés des falaises abruptes et miroitantes du monde de demain, éreintés hagards, pusillanimes, nous accrochant comme à écueils à nos sacs de misère

nous vivons dans l’hiver, naviguant au grès opportun des distributions, de la promesse d’une soupe chaude ou d’un lit sans pou, sourires contraints balafrant nos figures

nous vivons dans l’hiver, nous vivons a genoux pour quelques pièces, un mégot, un morceau de monde, jetés à notre pâture par des mains aux yeux de chien

nous vivons dans l’hiver, sans attendre à demain que sourie la fortune, fortune fortune, petit bout de ciel bleu entre deux murs gris sales et puants

nous vivons dans l’hiver, la saison tortionnaire qui brise les corps aussi sûrement qu’un junte, maîtresse discourtoise au blanc linceul

nous vivons dans l’hiver, seul ou en meute, criants pour rien, repliés comme des canifs dans ces lieux aux relents d’urine et de merde

nous vivons dans l’hiver, les yeux fixés sur les chaussures qui défilent, écrasant nos espoirs comme océan envoyant aux brisants un bateau de migrants

nous vivons dans l’hiver, où l’écume blanche et glacée, d’heures en heures, ne forme plus qu’un amas grisâtre et sans vie d’où surnagent, ça et là, les couleurs encore vives d’emballages de barres chocolatées , de capotes usagées, de paquets de clopes vides et de canettes écrasées

nous vivons dans l’hiver, emportant nos fardeaux, nos fortunes de bric, nos trésors de broc, où restent parfois quelques images moisies, dernier lien à notre humanité, défendus chèrement , méprisés pleinement

nous vivons dans l’hiver, quand même les rats se cachent, qu’on plaint plus nos chiens que nous, de cette tendresse désarmante et suffisante

nous vivons dans l’hiver, quand d’autres glissent sur les pentes damnés de nos enfers individuels, remontants, descendants, encore et encore

nous vivons dans l’hiver, loin des pays de glace, de la toundra, des rennes, leurs forthunes, s’imposant à nos âmes comme un fouet, déciment même l’espoir de retour

nous vivons dans l’hiver, et c’est là que nous mourrons, ramassés au matin par le camion rouge d’enfants apeurés

nous vivons dans l’hiver, dans des châteaux forts de carton, sous des ponts d’autoroute pareils à des falaises , dans le vacarme incessant des camions fourmi

nous vivons dans l’hiver, nous sommes ceux qu’on invite à rester , oui à rester loin de l’arrière cour, de peur d’une contagion malencontreuse

nous vivons dans l’hiver et ne serons même pas des souvenirs pour ceux qui nous ont connu, disparaissant comme disparaîtront nos effets, par aumône républicaine, fils et filles de rien, dans un trou, un brasier, un dernier rond de fumée

nous vivons dans l’hiver, sous le beau ciel d’été, quand pour sable doré, sous nos culs réchauffés, le bitume sert de canapé, on meurt aussi très bien en Juillet

nous vivons dans l’hiver, accrochés les uns aux autres, s’aimant, se détestant , se cherchant , se chassant, tour à tour, violence, coups de pinard et de sang, gueules cassées autour d’une soupe

nous vivons dans l’hiver et il vit en nous, dans les sentiments qui s’en vont goutte à goutte ou à torrent pour ne plus voir que soi dans le miroir de nos âmes

nous vivons dans l’hiver, du matin au matin, entre deux portes, sous des monceaux de cartons, chassés, traqués, insultés, la nuit n’est jamais notre amie

nous vivons dans l’hiver, oubliés, ramassés dans un coin, nous sommes un élément du décor auquel on s’habitue, un morceau de mobilier urbain qu’on ignore, un amas de déchets

nous vivons dans l’hiver et nous mourrons sous le fier soleil de Mai à coté de gallinacées portant de jolies robes aux motifs printaniers, riantes, énervées, agacées, rayonnantes,,, absentes, le nez collé à leue psyché électronique

nous vivons dans l’hiver, sans laisser d’autres traces sur le noir goudron que les pas hésitants qui nous conduisent d’un courant d’air à un autre, d’une grille de parking à celle d’un dégoût

nous vivons dans l’hiver et, parfois, quand le frimas traverse la frime, on voit nos mines atterrées mais vite enterrées au journal télévisé

nous vivons dans l’hiver, comme d’autres s’égarent en mer sur des boudins en caoutchouc, traversant des désert pour en trouver un autre

nous vivons dans l’hiver, frôlant la vie comme on frôle la fortune, espérant dans le sort presque autant qu’en la mort

nous vivons dans l’hiver, enfants de l’assistance à l’âme déjà recluse, échoués du système, égarés de nos rêves, fuyards aussi magnifiques que pathétiques

nous vivons dans l’hiver et demain d’autres et d’autres et d’autres encore rejoindront,dans les yeux, l’étonnement, cette fausse plage aux pavés noircis d’oxyde

nous vivons dans l’hiver et nos corps n’ont plus leurs places sur les bancs étriqués et parcellés, des piques au sol nous chassent comme pigeons au chéneau, déjà nous faisons trop de bruit

nous vivons dans l’hiver, , sans candeur, sans douceur, têtes baissées, toujours prêts à fuir à la moindre sirène, l’œil moitié fermé dans la lumière froide des ruelles déclassées
nous vivons dans l’hiver, ivres le soir et, souvent, le matin, cette chaleur éphémère aux bras décharmés de sorcière antique, pythie acharnée de notre désuétude

nous vivons dans l’hiver, nous vivons dans l’hiver, nous vivons dans l’hiver, nous vivons dans l’hiver et, de leurs faces pommadées, naissent d’autres hivers

nous vivons dans l’hiver mais nous y bâtissons parfois des rêves qu’aucun prince, aucun roi, n’approchent jamais et, qu’au matin, la balayeuse à la stridence obscène emporte

nous vivons dans l’hiver et nous avons la chance de ne pas y vivre femme.

COMMENTAIRES  

14/12/2020 10:04 par Assimbonanga

Longue vie la littérature et à la poésie !
Les textes que j’ai récemment "soumis" au Grand Soir et qui n’ont pas eu l’honneur d’être retenus pour paraître :
- Saisi du CSA à propos du reportage de « Complément d’enquête » consacrée à La France insoumise. Lien : https://melenchon.fr/2020/12/11/saisi-du-csa-a-propos-du-reportage-de-complement-denquete-consacree-a-la-france-insoumise/
- Vénézuéla mode d’emploi, lien : https://venezuelainfos.wordpress.com/2020/12/10/venezuela-mode-demploi-par-maurice-lemoine-memoire-des-luttes/
Pardon @Iraë, finalement tu as peut-être raison : on se casse bien le bul pour rien...

14/12/2020 13:59 par J.J.

À pleurer de rage !
Et que peut on faire pour ceux là qui n’ont rien, nous qui comparés à d’autres(qui ne liront pas ce texte), n’avons pas grand chose ? Comment soulager ces océans de misère et de désespoir ?

Il y eut un Abbé Pierre, il y a bientôt 60 ans qui a lancé un appel au secours. Qui l’a entendu, qui l’a écouté parmi ses comparses aux "habits brodés d’or, pour chanter veni creator".
Qui l’ entendu, qui l’a écouté chez les porteurs de loden, qui condescendent, à la sortie de la grand messe à mettre une thune dans la boîte de conserve qu’on leur tend, pensant s’ouvrir ainsi à bon compte les portes d’un illusoire paradis ?

- "On a nos pauvres, nous, mon bon monsieur ".

14/12/2020 15:40 par Assimbonanga

Je ne vais pas me décarcasser une fois de plus à mettre en page un article qui ne sera pas publié.
Par contre, aux lecteurs attentifs, voici un lien à ouvrir :

FRANCE. 2020. Dépeçage d’EDF. Hercule : un projet de pillage insupportable

Quelques vidéos, trop rares attestent de prises de paroles de députés à l’Assemblée Nationale, sans doute moins urgentes que le cri du froid de Noël ci-dessus. Une conférence de presse a réuni des députés de tendances totalement opposées d’ordinaire. Il y en a même de droite : Julien Aubert. Mais cette nouvelle tarde à sortir au JT soir de France 2. Le système médiatique freine. Chacun regarde l’autre continuer de passer la chose sous silence. Pourtant, ça a gueulé à l’Assemblée ! Ruffin va sans doute se prendre encore une amende, pour avoir crié, et sans masque.
Je ne joins aucun lien vers des vidéos puisque le formulaire électronique du Grand Soir les rejette systématiquement. On peut chercher François Ruffin ou la luciole mélenchantée.
Merci @JJ (à ne pas confondre avec JC ! Ces deux pseudos sont diamétralement opposés.)

14/12/2020 15:51 par charclot

@Assimbonanga
Quand les ennemis de nos ennemis sont nos ennemis... Il n’y a rien à attendre du groupuscule terroriste en place au palais

@ Grand soir... c’est surement à cause des pubs mais c’est plutôt chiant de pas pouvoir passer le lien youtube et même des fois sur d’autres sites... surement une nécessaire protection à la guerre cybernétique.
recherche youtube "Jaures" - Zebda - 2009

@ J.J.
"Vous comprenez quand même, nous avons nos œuvres...!"....Après il fallait quand même rester poli...

Paroles de la chanson « Jaurès » par Jacques Brel
Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s’appelaient décembre
Quelle vie ont eu nos grand-parents
Entre l’absinthe et les grand-messes
Ils étaient vieux avant que d’être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laissent au visage un teint de cendres
Oui notre Monsieur, oui notre bon Maître

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

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On n’peut pas dire qu’ils furent esclaves
De là à dire qu’ils ont vécu
Lorsque l’on part aussi vaincus
C’est dur de sortir de l’enclave
Et pourtant l’espoir fleurissait
Dans les rêves qui montaient aux yeux
Des quelques ceux qui refusaient
De ramper jusqu’à la vieillesse
Oui not’bon Maître, oui not’Monsieur

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

Si par malheur ils survivaient
C’était pour partir à la guerre
C’était pour finir à la guerre
Aux ordres de quelque sabreur
Qui exigeait du bout des lèvres
Qu’ils aillent ouvrir au champ d’horreur
Leurs vingt ans qui n’avaient pu naître
Et ils mouraient à pleine peur
Tout miséreux oui not’bon Maître
Couverts de prèles oui not’Monsieur (*)

Demandez-vous belle jeunesse
Le temps de l’ombre d’un souv’nir
Le temps de souffle d’un soupir

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

14/12/2020 16:30 par Le Fou D'ubu

Une traversée des hivers qui mord l’âme. Combien encore, entourés d’immondices, de trésors non trouvés persistent à briller... Mais quand les cris apeurés des bourgeois que les milices attaquent résonneront dans les ruelles même des beaux quartiers, les héritiers affalés de leurs démangeaison changeront de saison... " Poètes vos papiers ! " chantait Léo, il y a déjà trop longtemps ...

18/12/2020 20:23 par CHEVALIER

Tellement puissant qu’aucun commentaire ne semble pouvoir y trouver sa place.
Comme le disait le poète, l’on imagine que :
"lorsqu’il tend son escarcelle
Personne ne donne
De peur de la remplir d’un poids trop lourd
Il est si maigre.
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