[La lutte contre le gaspillage énergétique et la hausse de l’efficience énergétique sont indispensables dans ce contexte-là . Ce sont des mesures de transition. Elles sont indispensables parce que l’accumulation capitaliste basée sur les fossiles (générateurs de rente, c’est-à -dire de surprofit) a amenés l’humanité dans un véritable cul-de-sac énergétique, que nous sommes pris en otages, et que le changement climatique serre maintenant le sac au niveau du goulot.]
POS, 11 janvier 2007.
En usant de sa popularité pour présenter un « Pacte écologique », Nicolas Hulot a projeté la question environnementale au premier plan de l’attention. On ne peut que s’en féliciter, car les clignotants sont vraiment au rouge dans quantité de domaines. Face aux dangers qui s’accumulent, il est positif que l’animateur d’Ushuaïa sorte de son rôle médiatique d’ami de la nature et s’appuie sur son expérience pour poser les problèmes en termes politiques.
Quand Nicolas Hulot appelle à « une évolution en profondeur vers d’autres façons de produire, de consommer, de se nourrir, de se loger, de se déplacer, de se chauffer », il lance un message fort qui conduit chacun à interroger son programme, son discours, ses pratiques... Les partis traditionnels en sont bien incapables en profondeur, tant leur agenda est bétonné par les dogmes néolibéraux. Et la gauche anticapitaliste ? Elle ne peut évidemment pas endosser la démarche consensuelle de Hulot : comme l’a fait remarquer François Duval, « l’écologie ne peut être détachée des enjeux politiques, des conflits sociaux, des luttes contre les inégalités » [1]
Pourtant, en parallèle à cette démarcation globale, les marxistes ont tout intérêt à approfondir le débat sur le terrain que Nicolas Hulot a lui-même délimité, comme Olivier Besancenot et la LCR l’ont fait à travers leur réponse [2]. Ce faisant, la gauche se familiarisera davantage avec des « dossiers environnementaux » qu’elle a sous-estimés, touchera du doigt les articulations concrètes entre le social et l’environnemental et améliorera la pertinence de ses propres propositions. C’est dans cet esprit que je voudrais faire quelques brèves remarques sur la manière dont le Pacte aborde la lutte contre les changements climatiques et les alternatives énergétiques.
L’actualité apporte chaque jour de nouveaux indices inquiétants du réchauffement global. En cette matière, la phrase de Nicolas Hulot - « Nous n’avons pas d’autre choix que d’opérer rapidement la mutation écologique » - est donc plus que correcte : elle doit être prise au pied de la lettre. Par contre l’affirmation suivante est discutable : « Aucune offre nouvelle d’énergie, écrit Hulot, n’est susceptible de répondre quantitativement à la demande de consommation si celle-ci reste en l’état, quels que soient les progrès en matière d’efficacité énergétique » (Objectif 2). Or, l’énergie solaire qui atteint la surface de la Terre équivaut 8000 fois la consommation mondiale d’énergie, et le potentiel technique actuel permet d’en capter environ 1% sous ses différentes formes [3], soit 8 fois la consommation mondiale (6 fois selon certaines études, 10 fois selon d’autres). De plus, ce potentiel pourrait augmenter très vite si on s’en donnait les moyens, ce qui implique que la recherche en matière d’énergie soit réorientée radicalement vers les renouvelables [4]. Le pacte, sur ce point, est donc « scientifiquement » contestable. « Quantitativement », « la demande de consommation » peut être rencontrée par une autre source que les énergies fossiles. Non seulement en France, mais aussi au niveau mondial. Non seulement « en l’état », mais aussi en incluant le droit au développement des pays du Sud. A fortiori si l’on prend en compte une estimation raisonnable des futurs « progrès en matière d’efficacité énergétique ».
Il n’est pas surprenant qu’un point de départ biaisé concernant « l’offre d’énergie nouvelle » débouche sur une conclusion tronquée. C’est ce qui se passe lorsque Nicolas Hulot écrit : « Si nous voulons éviter la catastrophe climatique il n’y a pas d’autre solution que de réduire massivement la consommation énergétique globale » (Objectif 2). Cette conclusion est reprise au niveau du titre de l’Objectif 2 - « Organiser la baisse de la consommation énergétique ». Or, elle n’est que très partiellement correcte. Face aux changements climatiques, il serait beaucoup plus juste d’affirmer que l’objectif doit être « Sortir des énergies fossiles », ou « Engager la transition vers les énergies renouvelables ». Ou encore : « Réduire la consommation d’énergie pour réussir la transition vers les renouvelables » - car ces deux dimensions sont inséparables (on verra plus loin pourquoi).
Il est vrai que la nécessité d’un « plan ambitieux d’économie d’énergie et de développement des renouvelables » est mentionnée plus loin dans le texte de l’Objectif. Mais le passage aux renouvelables n’est pas repris au niveau des cinq Propositions (en outre celles-ci sont muettes sur l’arrêt du réacteur EPR, comme Vincent Gay l’a fait remarquer [5]. De plus, la priorité aux renouvelables n’est pas mentionnée explicitement au niveau de l’Objectif 9, concernant la recherche scientifique [6]. En fait, les renouvelables occupent une place assez secondaire dans le Pacte. C’est étonnant et regrettable, car ce sont eux qui indiquent le changement de cap fondamental à opérer pour sauver le climat.
L’impression qui se dégage du Pacte est que la lutte contre les changements climatiques se ramène essentiellement à une réduction massive de la consommation d’énergie. Cette réduction est certainement indispensable, mais pourquoi ? Parce qu’aucune offre nouvelle d’énergie ne permettrait de satisfaire la demande ? On vient de voir que ce n’est pas la réponse. Pourquoi alors ? Parce la masse gigantesque de gaz carbonique accumulée dans l’atmosphère depuis deux siècles et demi fait que sauver le climat - dans la mesure du possible... - implique de se passer quasi-complètement des sources fossiles dans les quarante ans à soixante ans à venir, à l’échelle mondiale.
Des délais aussi brefs posent d’énormes problèmes sociaux, structurels, techniques, d’organisation, de relations internationales. Ils posent surtout d’énormes problèmes de profitabilité, car le solaire photovoltaïque, élément fondamental du futur système énergétique, ne sera pas rentable d’un point de vue capitaliste avant une trentaine d’années (sauf pour alimenter en courant électrique des points non raccordés au réseau). La lutte contre le gaspillage énergétique et la hausse de l’efficience énergétique sont indispensables dans ce contexte-là . Ce sont des mesures de transition. Elles sont indispensables parce que l’accumulation capitaliste basée sur les fossiles (générateurs de rente, c’est-à -dire de surprofit) a amenés l’humanité dans un véritable cul-de-sac énergétique, que nous sommes pris en otages, et que le changement climatique serre maintenant le sac au niveau du goulot.
Dans la perspective de développement durable à laquelle adhère Nicolas Hulot, il est absolument indispensable d’articuler lutte contre le gaspillage et efficience énergétique accrue, d’une part, et développement massif des renouvelables, d’autre part. En effet, la « baisse massive de la consommation », à elle seule, ne définit pas une politique « durable ». Seule la transition vers les renouvelables le fait. Elle seule permet de prendre toute la mesure du bouleversement social qui s’imposera, et que Nicolas Hulot décrit bien en termes généraux quand il parle d’évolution vers d’autres modes de produire, de se loger, de bouger, etc. Et elle seule permet de relever le défi climatique au niveau planétaire : car comment les populations pauvres des pays en développement pourraient-elles sortir de l’extrême précarité énergétique, si ce n’est par un transfert de technologies climatiquement soutenables ?
Cette articulation nécessite un plan. Il y a urgence, mais pas au point de se précipiter à décréter la nécessité d’une taxe carbone socialement injuste et, probablement, fort douloureuse [7]. Nous avons dix ans. Comme le disait récemment le climatologue JP van Ypersele : « Il y a urgence, mais il y a malentendu sur ce délai de dix ans. De toute manière, l’inertie du système climatique est telle que les émissions du passé nous confrontent à un réchauffement inévitable, quoiqu’on fasse. C’est le futur qu’il s’agit de préparer. La décennie qui vient est décisive en ce sens que, au cours de cette période, devront être prises des décisions très radicales, qui permettront de sauver le climat dans les cinquante années ultérieures, et au-delà . Mais ces mesures doivent faire partie d’un plan. Il est plus important de consacrer les dix prochaines années à élaborer un bon plan que de prendre dans la précipitation des mesures spectaculaires mais inefficaces à long terme » [8].
Ceci ouvre évidemment toute la question du projet de société, du mode de production. Il faut effectivement une « économie circulaire », comme l’écrit Nicolas Hulot dans son pacte (Objectif 1) et il est certain que « le but » d’une telle société ne peut être de « produire pour produire ». Mais il ne saurait être non plus de « réduire les flux de matière et d’énergie ». Cette réduction, en soi, ne peut être qu’une étape transitoire, pas un but. Pour « redonner un sens au progrès », comme le dit le promoteur du Pacte écologique, il faut un projet de société positif, ayant pour but la satisfaction des besoins démocratiquement déterminés. C’est peu dire que la lutte contre le changement climatique rehausse l’importance de cette discussion.
Daniel Tanuro
– Source : POS www.sap-pos.org
[Face à cette déferlante, il est utile de rappeler quelques faits sur Nicolas Hulot. Comment gagne-t-il sa vie ? Quelles sont ses activités ? Qui sont ses amis et soutiens ? Et surtout, quelles sont ses idées ? Bref, pourquoi le télé-écologiste aux discours inoffensifs et aux actions timides est un parfait « produit médiatique » ? <BR>
Nicolas Hulot, le pacte médiatique, par Sophie Divry.]
« Kyoto mon amour », par Daniel Tanuro.
Le rapport Stern, ou la stratégie néolibérale face au changement climatique. Qui va payer « l’échec sans précédent du marché » ? par Daniel Tanuro.
Les prochaines guerres auront pour enjeu les ressources « naturelles », par Michael Klare.