Depuis qu’elle a claqué la porte du Protocole de Kyoto, l’administration Bush refuse tout échéancier de réduction obligatoire des émissions de gaz à effet de serre. En contrepoint, elle plaide pour des engagements volontaires des entreprises et une politique de soutien à l’innovation technologique. Le moins qu’on puisse dire est que cette orientation n’a pas produit les effets escomptés : de 1993 à 2005, les émissions de CO2 du secteur énergétique étatsunien ont augmenté de plus de 15%. Obama renverse la vapeur en promettant une loi dont l’objectif serait de réduire les émissions de 80% en 2050, par rapport à 1990. Pour ce faire, son programme prévoit un système d’échange plafonné de droits d’émission (« cap-and-trade »), un taux annuel de réduction obligatoire, la mise en oeuvre accélérée de technologies « propres », un investissement massif dans la recherche-développement et une série de mesures en faveur de l’efficience énergétique, notamment.
Objectif : restaurer le leadership des USA
Il convient de noter que le point de départ d’Obama n’est pas le sauvetage du climat mais la sauvegarde du leadership mondial des Etats-Unis, en particulier dans le domaine stratégique de l’énergie. « Le plan de Barack Obama pour faire de l’Amérique un leader énergétique mondial » : tel est le titre chapitre énergie-climat dans le programme du nouveau Président [1]. Obama reproche à Bush d’avoir accru la dépendance des USA par rapport au pétrole, donc par rapport aux pays producteurs et à leur régimes hostiles, et d’avoir investi l’armée US massivement en Irak plutôt qu’en Afghanistan. La politique de Bush, selon lui, a fourvoyé les USA dans une impasse où ils se sont affaiblis face à l’Union Européenne et à la Chine, tout en perdant le contrôle absolu sur leur arrière-cour en Amérique latine. Obama incarne ainsi le projet d’une réorientation géostratégique globale visant à rétablir l’hégémonie de l’empire dans un contexte de concurrence aiguisée entre puissances impérialistes et nouvelles puissances capitalistes montantes. Son programme énergie-climat doit être analysé dans ce cadre.
Ce lien entre climat et géostratégie apparaît clairement dans la manière dont Obama se positionne à l’égard des grands pays émergents. Pour rappel, le refus d’un contingentement obligatoire des émissions n’était pas le seul motif d’opposition de Bush au Protocole de Kyoto. Une deuxième raison était que le Protocole n’impose aucune limitation des émissions au club des cinq -Chine, Inde, Brésil, Mexique, Afrique du Sud. Sur ce point, le sénateur de l’Illinois est stratégiquement d’accord avec son prédécesseur, mais s’en démarque sur la tactique à suivre : selon lui, en refusant tout contingentement domestique, Bush aurait fait le jeu de l’Inde et de la Chine, sans compter que l’UE a profité du retrait US pour s’installer au poste de leader climatique (et prendre de l’avance sur le marché des renouvelables). A cet égard, il est significatif qu’Obama n’envisage pas de suivre l’exemple de l’Australie, qui a ratifié Kyoto à Bali, en décembre 2007 : son projet n’est pas de rentrer dans le rang mais de prendre les rênes de la négociation d’un nouvel accord climatique post-Kyoto, afin que cet accord corresponde aux intérêts du capitalisme américain.
Prendre les rênes, mais comment ? Vu le discrédit climatique des USA, évident lors de la Conférence de Bali, le tournant doit être radical et spectaculaire. C’est une condition de succès. Le temps presse : les événements vont s’enchaîner très rapidement jusqu’à la conférence de Copenhague, en décembre 2009. Il est donc indispensable que Washington commence par adopter unilatéralement son propre plan de lutte contre le réchauffement, et il faut que ce plan soit contraignant et ambitieux. C’est le prix à payer pour aborder les deux étapes suivantes : 1°) reprendre la main à l’Europe et 2°) former un front avec l’UE pour imposer aux pays émergents un deal favorable aux multinationales du Nord. L’UE rechignera mais elle ne peut que s’inscrire dans cette perspective : elle aussi veut imposer des contraintes aux grands pays émergents, mais ne peut le faire sans Washington.
Réduction d’émission : la montagne des 80% accouche d’une souris
Voyons maintenant le contenu du plan proprement dit. Selon le quatrième rapport du GIEC, les pays développés, pris globalement, doivent réduire leurs émissions de 80 à 95% d’ici 2050 (par rapport à 1990) [2]. Cet effort herculéen est nécessaire pour ne pas trop dépasser 2°C de hausse par rapport à la période pré-industrielle, tout en respectant le principe des « responsabilités communes mais différenciées » entre pays du Nord et du Sud. A première vue, l’objectif d’Obama est tout juste en conformité avec cette recommandation des scientifiques. A ceci près que, un Américain moyen consommant annuellement à peu près deux fois plus de combustibles fossiles qu’un Européen - pour un niveau de vie à peine supérieur - il faudrait que les autres pays du Nord acceptent de faire un effort de réduction proportionnellement plus important que celui des Etats-Unis pour que le monde développé dans son ensemble atteigne l’objectif minimum fixé par le GIEC [3]. On peut donc s’attendre à quelques jolies empoignades intercapitalistes. Elles donneront de précieuses indications sur les rapports de forces.
Une autre remarque, beaucoup plus importante, concerne les étapes intermédiaires. Selon le GIEC, il est hors de question que les pays riches attendent 2030 ou 2040 pour commencer à diminuer leurs émissions : il doivent s’y mettre tout de suite et atteindre un premier palier de 25 à 40% de réduction en 2020, par rapport à 1990. Or, le programme énergie-climat d’Obama est loin de satisfaire à cette condition : d’ici 2020, il a seulement pour but de ramener les émissions étatsuniennes à leur niveau de 1990. Pour prendre la mesure de l’affaire, on rappellera que les Etats-Unis, s’ils avaient ratifié le Protocole Peanuts de Kyoto, auraient dû ramener leurs émissions 5% sous le niveau de 1990... entre 2008 et 2012. Obama, ici ne prend guère de risques : quand bien même il occuperait la Maison-Blanche durant deux mandats, le gros du boulot serait pour ses successeurs, après 2020. Demain, on rase gratis...
Pour piloter la transition vers 2050, le nouveau Président opte pour un système d’échange de droits d’émission, à l’instar de celui qui fonctionne en Europe depuis 2005. Son programme va même plus loin que le « paquet énergie-climat » de la Commission européenne pour 2012-2020 : il prévoit la vente aux enchères de tous les droits. Une partie des rentrées de cette vente servirait à financer le développement et le déploiement des énergies propres, à investir dans l’efficience énergétique et à faire face aux coûts de la transition. Des coûts qui incluent notamment l’assistance aux bas revenus confrontés à la hausse du prix de l’énergie (différents mécanismes sont prévus, tels que le renforcement du système de primes à l’isolation des maisons et la création d’un fonds spécial pour que les plus pauvres puissent payer leurs factures d’électricité et d’énergie).
Dans le contexte de la récession économique, il est douteux qu’Obama tienne cette promesse de mise aux enchères intégrale des droits. L’expérience européenne est instructive à cet égard. On se souvient que la Commission, en 2005, commença par distribuer les droits gratuitement et par en distribuer trop, ce qui permit aux électriciens, entre autres, d’empocher d’énormes surprofits (voire de reporter sur les factures aux consommateurs le prix de marché des droits reçus gratuitement !). Dans le cadre du « paquet énergie climat « , Bruxelles, en janvier dernier, proposait une vente aux enchères intégrale dans le secteur de la production électrique et le maintien d’une distribution gratuite (ou partiellement gratuite) dans les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale (sans préciser lesquels). Depuis lors, les places boursières ont connu quelques soucis et une série d’Etats membres, criant au crime de lèse-compétitivité, menacent de torpiller le paquet énergie-climat. Que fera l’UE au moment de la décision, d’ici décembre ? Il est probable qu’elle maintiendra le cap sur les 20% de réduction des émissions en 2020. C’est une question de crédibilité, surtout maintenant que son leadership climatique est menacé par les USA. Mais on peut parier qu’elle lâchera du lest sur la vente des droits... et que le patronat US mettra Obama sous une très forte pression pour qu’il fasse de même [4]. Dans ce cas, il manquera d’argent pour appliquer le plan. On y reviendra en conclusion.
Les tours de passe du cap-and-trade
Pour apprécier l’effort de réduction des émissions promis par Obama, on ne peut se contenter de citer les objectifs à l’horizon 2020 et 2050 : il faut savoir dans quelle mesure ces objectifs seront atteints par des mesures structurelles sur le territoire des Etats-Unis. Pour comprendre ce point, il faut rappeler que le Protocole de Kyoto (1997) permet de remplacer des réductions d’émissions au Nord par des investissements « propres » au Sud, d’une part, et de remplacer des réductions d’émissions par des plantations d’arbres - autrement dit par des absorptions de carbone atmosphérique - d’autre part. Ces deux dispositifs sont extrêmement critiquables. Baptisé pompeusement « Mécanisme de Développement Propre » (MDP) [5], le premier a été étudié en détails par des chercheurs de la Stanford University qui ont montré que plus de 50% des crédits de carbone échangés dans le cadre du MDP ne correspondent à aucune réduction réelle des émissions ! Quant au second dispositif, il est contesté pour son imprécision (la quantité de carbone absorbée par les arbres varie en fonction de nombreux paramètres, et le réchauffement risque de transformer les puits de carbone en sources) ainsi que pour son caractère non structurel (quand les arbres sont récoltés et que le bois est brûlé, le carbone retourne dans l’atmosphère), notamment.
MDP et puits de carbone sont de pseudo-solutions. Cependant, au plus les gouvernements et le monde des affaires sont obligés d’admettre la réalité et le danger du réchauffement, au plus ils s’orientent vers ces pseudo- solutions, et au plus ils font pression pour pouvoir y recourir sans entraves. Barack Obama ne dit pas quelle proportion de l’effort américain de réduction serait remplacée par des achats compensatoires de crédits. Son programme se contente d’affirmer que « les émetteurs US soumis à des obligations dans le cadre de l’échange de droits seront autorisés à compenser certaines de leurs émissions en investissant dans des projets énergétiques à bas carbone dans le monde en développement ». S’agissant des puits de carbone, il évoque le développement d’incitants récompensant les propriétaires forestiers, les fermiers et les propriétaires de ranchs qui plantent des arbres, restaurent des prairies ou adoptent des pratiques culturales permettant de capturer le dioxyde de carbone atmosphérique. Aucune estimation chiffrée n’est fournie.
Dingell-Boucher : pas de réduction « domestique » avant 2029 !
On peut cependant approcher les possibles concrétisations de ces principes en examinant un projet présenté tout récemment au Congrès étasunien par John Dingell et Rick Boucher [6]. Dingell et Boucher, deux amis démocrates de Barack Obama (le premier est du Michigan, comme lui) sont respectivement président du comité sur l’énergie et le commerce de la Chambre des représentants, et président du sous-comité sur l’énergie et la qualité de l’air. Nombreux sont les observateurs estimant que leur texte a beaucoup de chances de servir de base à la future loi sur le sauvetage du climat. Or, que dit-il, ce texte ? Que les entreprises pourront remplir une partie de leurs engagements en achetant des crédits de carbone générés par des projets domestiques ou internationaux, et que leur quota de crédits augmentera au fur et à mesure que le plafond des émissions autorisées diminuera : de 5% de l’obligation de réduction durant les cinq première années, le quota montera progressivement jusqu’à 35% en 2024 et au-delà .
Que voilà un système ingénieux : au plus les contraintes climatiques augmentent, au plus on ouvre aux entreprises la possibilité de se soustraire à l’obligation de réduire les émissions. Il suffisait d’y penser. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : si on met la progression des quotas de crédits de carbone en rapport avec la progression prévue des réductions globales d’émission dans la proposition Dingell-Boucher, (6% en 2020, 44% en 2030 et 80% en 2050, par rapport à 2005), que constate-t-on ? Qu’une entreprise qui profiterait au maximum de la possibilité d’acheter des crédits pourrait reporter jusqu’en... 2029 l’obligation de ramener ses propres émissions au-dessous de leur niveau de 2005 [7]. Il est évident que beaucoup d’entreprises choisiront cette solution, pour la simple raison que les crédits de carbone provenant du MDP ou des puits forestiers coûtent beaucoup moins cher que les investissements à réaliser pour diminuer les rejets de CO2. Et puis, d’ici 2029, beaucoup d’eau coulera sous les ponts du Potomac. Si Obama s’inspire effectivement du projet de loi de ses camarades, les patrons US n’auront pas vraiment le couteau climatique sur la gorge.
Vive le charbon... « propre » ?
Voyons maintenant les technologies « propres » que Barack Obama se propose de déployer. Le nouveau Président a quatre priorités : le « charbon propre », les agrocarburants, le nucléaire et la « voiture propre ». Cette énumération devrait suffire à vacciner contre l’obamania tous ceux qui ont un minimum de conscience sociale et écologique. Ce n’est malheureusement pas le cas : à l’instar de la social-démocratie, les partis verts européens dansent en jetant des pétales de rose sur le chemin triomphal qui mène Obama à la Maison Blanche. On fera donc quelques commentaires, en se centrant sur le charbon propre et les agrocarburants.
Fondamentalement, le « charbon propre » n’existe pas, ni pour les mineurs, ni pour les populations autour des mines, ni pour l’environnement en général. L’expression réfère à la technique dite de capture et de séquestration du carbone (CSC). Elle consiste à extraire le CO2 des fumées à la sortie d’installations industrielles grosses émettrices (centrales électriques, cimenteries, usines sidérurgiques) et à le mettre dans un état intermédiaire entre l’état solide et l’état gazeux (« état supercritique ») avant de l’injecter à grande profondeur dans des couches géologiques imperméables. Ce mode de stockage du CO2 est déjà pratiqué à une échelle industrielle en Mer du Nord, par l’entreprise norvégienne Statoil [8], mais c’est une exception. La CSC semble encore loin d’être opérationnelle.
On peut discuter du système lui-même. Il va de soi que la CSC ne constitue pas une réponse structurelle au changement climatique : même énorme, la capacité de stockage géologique est forcément finie, et le risque de fuite du CO2 ne peut être écarté. Cependant, selon nous, on pourrait éventuellement avoir recours à la CSC (comme à d’autres mesures non structurelles d’ailleurs) dans le cadre d’un plan de transition vers une économie sans combustibles fossiles. Pour peu qu’elle donne les garanties indispensables en termes d’étanchéité des réservoirs et d’impact écologique, la CSC pourrait aider à contrer la menace d’une nouvelle vague de construction de centrales nucléaires, tout en permettant de planifier la reconversion avec maintien des acquis sociaux des millions de travailleurs dont l’existence dépend de l’extraction de la houille.
C’est un débat, et l’opinion défendue ici est contestée par d’autres environnementalistes. Mais ce n’est pas de ce débat qu’il s’agit avec Barack Obama. Ce que le Président élu envisage, en effet, n’est pas une transition mais une nouvelle ère charbonnière. « Le charbon est notre source d’énergie la plus abondante et c’est une composante décisive du développement économique de l’Inde, de la Chine et d’autres économies en croissance », écrit-il dans son programme. La suite du texte est explicite : « Obama pense que la lutte impérative contre le changement climatique exige que nous évitions une nouvelle vague de construction de centrales au charbon conventionnelles aux USA et que nous oeuvrions de façon agressive à transférer les technologies charbonnières à bas carbone dans le monde entier ». Il s’agit donc bien de nouvelles mines et de nouvelles centrales électriques au charbon (30 ans de fonctionnement minimum), aux Etats-Unis et dans le monde entier !
On retrouve ici la remarque fait au début de cet article. L’objectif d’Obama n’est pas avant tout climatique mais géostratégique : il veut réduire la dépendance par rapport au pétrole importé et faire des Etats-Unis le leader énergétique mondial, afin de restaurer l’hégémonie de l’empire. Concernant le charbon, le calcul est habile. Premièrement, les réserves prouvées de houille correspondent à trois cents ans de consommation au rythme actuel, la plus grande partie de ces réserves est située aux USA et le charbon est un produit d’exportation majeur de l’économie américaine (probablement 45% d’augmentation en 2008) [9]. Deuxièmement, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud disposent également de gisements très importants qu’elles craignent de ne pas pouvoir continuer à utiliser librement - pour la simple raison que le charbon, pour un même rendement énergétique, produit deux fois plus de CO2 que le gaz naturel. En leur vendant la technologie CSC, les USA pourraient résoudre ce problème et gagner des alliés dans la négociation climatique. Troisièmement, le « charbon propre » ouvrirait au capital étatsunien un vaste champ d’investissements à l’étranger. Outre que ces exportations de capitaux contribueraient à une mainmise impérialiste accrue, elles permettraient en plus de générer les précieux crédits de carbone bon marché dont les entreprises US auront besoin pour continuer à polluer jusqu’en 2029 et au-delà .
Vive les agrocarburants... écologiques ?
Mutatis mutandis, le calcul d’Obama sur le charbon est dans la continuité de la création par George W. Bush de l’Alliance Asie Pacifique pour le climat regroupant les USA, l’Australie, l’Inde et la Chine, notamment. Une continuité analogue apparaît dans le domaine des agrocarburants. En tant que sénateur de l’Illinois - le troisième Etat américain producteur d’éthanol de maïs - Obama s’est engagé très loin dans le soutien à cette filière industrielle néfaste, qui a connu un boom grâce aux incitants généreusement offerts par l’administration. Lorsque G.W. Bush a annoncé sa décision de porter de 5 à 36 milliards de gallons la quantité d’éthanol adjointe obligatoirement à l’essence en 2022, la planète a retenti de protestations au nom de la lutte contre la faim, de la stabilité des prix des produits alimentaires et de l’écologie. Rien de tel face à Obama. Le nouveau Président promet pourtant de faire encore plus fort que l’ancien : son programme prévoit de porter le quota d’éthanol dans l’essence à 60 milliards de gallons en 2030 - presque le double [10]. « L’éthanol de maïs est le plus plus grand succès en matière de combustible alternatif disponible dans le commerce », dit-il. Et d’enchaîner, non sans une certaine démagogie : « Nous devrions combattre les efforts des grandes compagnies pétrolières et de l’agrobusiness visant à miner cette industrie naissante ».
Face aux « préoccupations réelles » soulevées par la conversion de jachères en cultures de maïs énergétique (emploi de pesticides, pompage des ressources en eau, hausse des prix alimentaires), Obama se fait fort de développer les agrocarburants de seconde génération, autrement dit la production d’éthanol à partir de cellulose - et non à partir de sucre. La technologie nécessaire à cette production est quasiment mâture et des machines géantes ont été mises au point pour « moissonner » les jeunes arbres à croissance rapide qui fourniraient la matière première. Alleluia ? Non. En soi, les agrocarburants de seconde génération ne permettent pas d’éliminer le conflit entre les filières alimentaires et énergétiques de l’agriculture. Pour cela, il faudrait interdire que des terres agricoles soient affectées à la plantation d’arbres à croissance rapide, et maintenir cette interdiction même si l’éthanol cellulosique rapporte dix fois plus que les cultures alimentaires. A supposer que le marché admette de telles entraves à la chasse au profit, il reste que la conversion de jachères et de terres dégradées en taillis industriels pour la production d’éthanol cellulosique promet d’avoir un impact écologique très lourd, notamment en termes de biodiversité (monocultures avec usage de pesticides).
Qui va payer ?
A travers sa campagne et son plan énergie-climat, Barack Obama fait miroiter l’idée que la lutte pour le leadership mondial et pour l’indépendance énergétique des Etats-Unis créera des emplois. Selon lui, l’investissement en dix ans de 150 milliards de dollars de fonds publics dans le développement et le déploiement des énergies propres ainsi que dans l’amélioration de l’efficience énergétique (objectif : + 50% en 2030) permettrait de créer 5 millions d’emplois. Des emplois pour les travailleurs américains qui sont « les meilleurs du monde ». Des emplois qui « ne partiront pas dans d’autres pays ». Des emplois dans la construction en Amérique de voitures propres américaines roulant avec du pétrole et de l’éthanol américains, dont la vente sera boostée par des crédits d’impôts aux contribuables américains. Les accents protectionnistes, populaires, voire populistes, sont très présents dans ce discours. Obama a ainsi promis de taxer les surprofits que les compagnies pétrolières ont empoché en bénéficiant des effets d’aubaine (windfall profits), et de distribuer la somme collectée afin que chaque famille reçoive 1000 dollars pour payer ses factures énergétiques...
Petit problème : ce programme a été conçu avant le maelström boursier. D’où viendront les 150 milliards de dollars de subsides aux énergies propres, sachant que 700 milliards de dollars ont été engloutis dans le sauvetage de Wall Street et que les rentrées fiscales diminuent avec la récession ? D’où viendra l’argent pour augmenter les primes à l’isolation des maisons des personnes à bas revenus ? Obama veut que 10% de l’électricité consommée en 2012 aux Etats-Unis provienne de sources renouvelables... plus chères, le surcoût sera reporté sur les factures aux usagers. Qui alimentera le fonds spécial destiné à limiter la hausse des factures d’électricité pour les plus défavorisés, si les patrons refusent la vente aux enchères des droits d’émission ? Et comment les travailleurs américains réagiront-ils si les ambitieux objectifs en matière d’agrocarburants provoquent une flambée des prix des produits alimentaires de base ? L’équipe Obama compte-t-elle contourner ces difficultés en creusant encore plus l’énorme déficit du budget américain ? Ne serait-ce pas créer une nouvelle dépendance par rapport à des régimes hostiles ?
Il est trop tôt pour répondre en détail à chacune de ces questions. Mais le précédent européen permet de dégager une grande leçon : la politique énergétique et climatique capitaliste, avec ses primes et ses incitants, son marché des droits et des crédits, ses feed-in tariffs, ses certificats verts et ses taxes, est au centre de l’offensive d’ensemble contre le monde du travail et contre les pauvres. Au plus les gouvernements capitalistes seront convaincus de faire quelque chose pour sauver le climat, au plus leur politique climatique creusera les inégalités sociales. Au plus ils seront capables de s’unir, au plus ils tenteront d’imposer des solutions injustes aux pays pauvres, et aux pauvres dans les pays pauvres. Voilà le danger qui pointe aujourd’hui.
La victoire d’Obama marque un vrai tournant dans la politique énergétique et climatique des Etats-Unis. On ne peut que se réjouir de la défaite d’un MacCain qui - bien que ses propositions n’étaient pas si éloignées de celles de son rival - avait choisi pour colistière une négationniste climatique à peine voilée : Sarah Palin. Mais les travailleurs américains et les peuples du monde ne tarderont pas à constater que ce tournant se fera sur leur dos. Pour s’y opposer, il ne suffira pas de dire « non » : il faudra mettre en avant une autre politique climatique et énergétique, anticapitaliste et internationaliste. Une politique écosocialiste.
TANURO Daniel
Notes
[1] « Barack Obama’s Plan to Make America a Global Energy Leader », consultable sur le site http:///www.BarackObama.com
[2] Contribution du Groupe de travail III au rapport 2004 du GIEC, page 776
[3] 8 tep/personne/an, contre 4,5 tep environ dans l’Union Européenne.
[4] « Obama’sEnergy Plan May be Curbed But Not Halted », Reuters, 6/11/2008,
http://www.planetark.org/avantgo/dailynewsstory.cfm?newsid=50948
[5] Une erreur s’était glissée à cet endroit dans la version initiale de cet article, attribuant la paternité du Mécanisme de Développement propre à la Convention Cadre des Nations Unies (1992). Or, il a été institué par le Protocole de Kyoto (1997). La Convention, en son article 4, dit seulement que, dans leurs efforts de réduction, les Parties inscrites à l’Annexe 1 (pays développés et en transition) pourront agir individuellement ou conjointement. Cependant, cette Convention posait déjà le principe de l’équivalence entre la réduction des émissions et l’augmentation de l’absorption par les « puits ».
[6] House Committee on Energy and Commerce, 202-225-2927, « Executive summary of the discussion draft », http://energycommerce.house.gov. Lire aussi le mémorandum aux membres du Comité (7 octobre 2008)
[7] « Dingell and Boucher draft climate bill : Likely no CO2 cut until near 2030 », http://climateprogress.org
[8] Le projet Sleipner permet à Statoil d’injecter un million de tonnes de CO2/an depuis 1996 dans un aquifère salin confiné, situé 800 m au-dessous du fond marin.
http://www.statoil.com/statoilcom/S...
[9] « US Coal Exports Seen as Target in Climate Fix », Reuters, 8/10/2008,
http://www.planetark.org/avantgo/dailynewsstory.cfm?newsid=50527
[10] « Us Biofuels Sector Sees Ally in Obama », Reuters, 6/11/2008,
http://planetark.org/avantgo/dailynewsstory.cfm?newsid=50947