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Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident

Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé organisé à son retour, pas de confettis, pas de veillées autour d’un feu de bois où le narrateur tiendra en haleine un public captivé. Et peu importe qu’il ait accompli la traversée une fois, deux fois ou vingt fois, qu’il soit revenu les bras chargés d’échantillons, de vécus, d’épices ou de pièces d’or, on dira qu’il radote avec des histoires de dragons et de sirènes, même si lui parle surtout de mers bleues, d’îles paradisiaques et de peuplades accueillantes (mais aussi de dragons et de sirènes).

Mais si le cœur vous en dit, jetez quelques bûches dans l’âtre et approchez-vous. N’ayez crainte, je n’ai rien à vendre et ne vous demanderai rien en échange (mais si vous aviez un petit verre de rhum pour ma pauvre gorge desséchée, j’dirais pas non).

* * *

« Comment ne pas critiquer Cuba lorsqu’il y a des persécutions contre les homosexuels ? »
Gérard Miller, émission On n’est pas couché, 20 janvier 2018.

Chaque année, c’est le même scénario. Les élèves des écoles de journalisme ont un rapport à faire sur un sujet de leur choix. Chaque année, il y en a qui choisissent « les médias alternatifs ». Et chaque année, parmi les « médias alternatifs », il y en a qui choisissent (entre autres) Le Grand Soir. Et chaque année, la rencontre qui ne devait durer « qu’un quart d’heure, une demi-heure max’ » s’achève au bout de 2 heures, 3 heures ou (le record) 4 heures... C’est pas que je sois bavard (je le suis, et alors ?), c’est surtout qu’ils réalisent à quel point ils ont été bernés par deux années « d’études ». « J’ai l’impression d’avoir fait deux années d’études pour rien » a été le cri du cœur de l’un d’entre eux. Quand je les vois, je vois des bébés tortues qui sortent du sable et qui tentent de courir vers l’eau tandis que des Drahi et des Bouygues planent au-dessus... Peu réussiront à atteindre la mer.

* * *

Il fut un temps où je possédais un appareil d’auto-torture appelé « téléviseur ». Télé veut dire à distance (comme dans « télécommande », « téléphone », « téléprompteur » ou « t’es laid, alors ne t’approche pas »). Et viseur est assez explicite. Et s’il y a un viseur, c’est qu’il y a un visé. Si vous possédez un de ces assemblages électroniques, c’est que la proie est à proximité. Inutile de tourner la tête dans tous les sens car la cible, c’est vous. Et le petit rond de lumière rouge là au milieu de votre front vous donne un petit air d’hindou (rêveur). Et tous les snipers vous le diront : vous verrez peut-être l’éclair mais vous n’entendrez pas le boum (E=MC2). A l’époque donc où je possédais un de ces engins, j’observais avec un intérêt très anthropologique des egos surdimensionnés aux QI riquiquis qui visaient à distance à capter mon attention. Et certains, en plaçant la barre intellectuelle un peu plus haut, y arrivaient. Attention, « plus haut » ne veut pas dire « très haut », juste plus haut que la moyenne. Disons à 20 cm du sol, ce qui en termes audiovisuels représente l’Himalaya de la pensée. Parmi ces raretés, il y avait Gérard Miller. [voir sa réponse]

Mon objectif ici n’est pas de me lancer dans une attaque ad hominem contre G. Miller, mais d’analyser un phénomène typique chez les intellectuels de gauche médiatisés. Et à l’instar de la grande question de la poule et de l’œuf, se demander si c’est leur médiatisation qui les rend ainsi, ou s’ils sont médiatisés parce qu’ils sont ainsi. Probablement les deux à la fois : ils sont autorisés à entrer dans le champ médiatique pour cause de compatibilité de leur discours avec le cadre préétabli des expressions tolérées, et leur présence répétée provoque en retour, par une sorte d’instinct de survie pour ne pas se voir condamné à une « mort médiatique », une mise en conformité de leur discours avec le cadre.

C’est ainsi que le 20 janvier 2018, lors de l’émission On n’est pas couché, Gérard Miller prononça cette phrase somme toute empreinte d’un certain bon sens : « Comment ne pas critiquer Cuba lorsqu’il y a des persécutions contre les homosexuels ? ». Pas de quoi s’énerver, sauf si votre détecteur de « Bullshit » (grosse connerie manifeste) est poussé à fond. Et moi, lorsque j’entends une phrase qui contient le mot « Cuba », mon détecteur de « Bullshit » personnel entre en surchauffe en émettant un sifflement strident.

Premier constat : la question est formulée au présent. Au présent signifie maintenant ou dans un horizon temporel proche. Que signifie « proche » ? Hier, il y a un an, dix ans ? Les événements auxquels Miller pourrait faire allusion (à condition d’être beau joueur et d’éteindre pour un moment son détecteur de « Bullshit ») datent d’environ 50 ans. Et parce que je me sens d’humeur conciliant, je vais placer mon détecteur de « Bullshit » en mode silencieux.

Nous voilà donc transposés dans le passé, un demi-siècle en arrière, et Cuba connaît « des persécutions contre les homosexuels ». De la nature de ces persécutions, nous ne saurons rien, car il y a persécution et persécution (arrêtez-moi si je me trompe). Et il y a ensuite le contexte d’une époque (contexte régional, pour ne pas dire mondial). Un rapide tour d’horizon nous révèle que la « persécution » était encore l’apanage de la plupart des pays dans le monde. On découvre, par exemple, qu’aux Etats-Unis – pays souvent présenté comme le nec plus ultra des droits individuels – la Justice US devait encore, et jusqu’aux années 2000, se prononcer sur les droits des homosexuels. Qui l’eut crû ?

On pourrait donc prononcer une phrase, aussi vraie que celle de Gérard Miller (et même plus, mais je vous rappelle que mon détecteur de « Bullshit » est en mode silencieux), comme celle-ci : « Comment ne pas critiquer les Etats-Unis lorsqu’il y a des persécutions contre les homosexuels ? ». Vous pouvez bien-entendu remplacer « Etats-Unis » par un autre pays. Et aussi remplacer « persécutions contre les homosexuels » par « assassinats en masse » ou « guerres non provoquées », actes dont ils sont coutumiers.

61% des Américains ont une opinion favorable de George W. Bush (dont 54% des Démocrates)
Sondage CNN/SSRS de janvier 2018.

Et c’est ici que le premier bât blesse, car c’est une phrase qui ne leur viendrait même pas à l’esprit. Entre deux « vérités vraies », certaines trouvent naturellement leur place dans la narrative dominante, d’autres restent profondément enfouies.

Si les gays à Cuba ne pouvaient pas faire leur service militaire dans l’armée, aux Etats-Unis la discrimination a officiellement perduré jusqu’en 1996 (lorsque le Congrès US n’a pas spécifiquement autorisé leur présence dans l’armée, mais a simplement jugé que la question de l’orientation sexuelle ne sera pas posée...). Les exemples ne manquent pas, et une simple remise en contexte accompagnée d’une chronologie, date à date, fait ressortir toute l’absurdité d’une mise en accusation répétée ad nauseam pour les uns et balayée sous le tapis pour les autres. Mieux encore : pour les autres, et uniquement pour les autres, de tels rappels seront présentés a contrario dans une démonstration censée souligner les progrès accomplis et vanter le « progressisme » en marche.

« Progressisme » ? A chacun le sien, à chacun son époque. J’aime bien revoir les images des troupes révolutionnaires cubaines déboulant à La Havane le 1er janvier 1959, avec des Noirs, hilares et poings levés, juchés sur les blindés. A la même époque, dans certains coins des Etats-Unis, et pas des moindres, leurs semblables avaient l’obligation de s’asseoir au fond des bus, se voyaient interdire l’entrée de certaines universités. Aux Etats-Unis, la dernière loi anti-lynchage fut promulguée en... 1968 (même si les meurtres racistes n’ont pas cessé). Et les gays, me demandez-vous ? Un article de l’agence de presse Reuters de Juin 2017 signalait une augmentation des meurtres anti-gay (une trentaine par an).

Quelqu’un pourrait-il me trouver un seul cas de meurtre raciste ou anti-gay à Cuba, depuis 1959 ? Bonne chance.

Deuxième constat : Lorsqu’on prononce une phrase comme « à Cuba, les gays sont persécutés », vous pensez à qui, en termes de persécuteurs ? Au pouvoir en place, bien-sûr, au gouvernement, aux dirigeants, aux autorités... à Fidel Castro. Et vous auriez en quelque sorte raison, parce que c’est bien ainsi que la phrase est censée être comprise.

Et maintenant la même phrase légèrement remaniée : « aux Etats-Unis, les gays sont persécutés ». Qui vous vient à l’esprit ? Le président des Etats-Unis ? Grands Dieux, non. Vous pensez à des « red necks » du Sud, des ploucs attardés vivant au bord de marécages et se mariant entre cousins et cousines, à de grands propriétaires terriens nostalgiques des champs de coton récoltés grâce à une main d’œuvre bon marché, vous pensez au Ku Klux Klan.

Et c’est ici que le deuxième bât blesse. Dans le contexte latino (et le mythe urbain sur les "camps pour gays"), Cuba n’est pas tombée bien bas, mais est partie de très bas, pour évoluer très rapidement - en termes sociétaux, l’évolution a été même fulgurante. Et c’était aussi une époque où une autre partie de la population, et non des moindres, les femmes, a connu une libération, là aussi, fulgurante. Alors, si on devait parler de la situation aujourd’hui, on peut affirmer qu’elle est probablement l’une des meilleures sur le continent, sinon au monde.

Et ce progrès n’a pas été accompli « malgré » le pouvoir en place, mais bien « grâce » à lui, en luttant bec et ongles contre des préjugés et un conservatisme général hérités des anciens pouvoirs colonialistes et impérialistes en place, où la vie d’une personne, gay ou pas, ne valait que par sa fortune et son degré de fidélité à l’ordre des choses.

Une situation jugée sans le contexte (c’était comment avant ?) n’a pas de sens. C’est assez absurde mais surtout complètement ingérable du point de vue de la réflexion. Et on tombe dans des travers à la Miller où on parle d’une époque et d’un processus (la révolution cubaine) qui a fait plus que tout autre processus pour la justice et l’égalité, etc. Miller confond une situation donnée et sa position dans une courbe de changement global et radical. Comme s’il disait d’un élève qu’une note de 8/20 n’est pas une bonne note. Eh bien ça dépend si l’élève avait auparavant une moyenne de 2 ou de 18, non ? Et si l’élève accomplit un progrès fulgurant, on va quand même lui rappeler sans cesse l’époque où il n’obtenait que 2 ?

C’est comme si je disais « Comment ne pas critiquer le maoïsme d’un certain G.M. ? » et sa complicité avec tous les errements de la « révolution culturelle » chinoise. Ce serait malhonnête de ma part. Ou peut-être pas, mais le dit GM le penserait probablement, surtout formulé de cette manière.

« Il y a un sacré paquet de connards à Cuba - comme partout.
Mais la différence à Cuba, c’est qu’ils ne sont pas au pouvoir.
 »
Jose G. Perez

Parce qu’on parle du même élève, de la même révolution, du même processus, des mêmes personnes, les progrès accomplis (fulgurants, je le rappelle) l’ont été par les révolutionnaires cubains eux-mêmes et contre un certain conservatisme de l’époque. Et parlant de questions sociétales, il m’agace de les entendre systématiquement – et stupidement – posées en termes purement politiques, alors qu’elles sont avant tout culturelles, et la culture est un domaine sur lequel la politique peut agir, certes, mais avec un temps de réponse qui n’est pas de l’ordre de 24 heures. On peut nationaliser une entreprise du jour au lendemain, on peut rayer le droit du travail du jour au lendemain, on peut dépénaliser l’homosexualité du jour au lendemain (Cuba : 1979. France :1981) mais on ne peut pas « obliger » une population, du jour au lendemain, à devenir « tolérante ». La seule solution « par le haut » connue à ce jour, c’est l’éducation et l’exemple (venu d’en haut). Heureusement, Cuba a un système éducatif des plus efficaces, et des dirigeants des plus intelligents. Mais ça prend quand même du temps. Pas beaucoup en fait, mais quand même juste assez pour ouvrir une fenêtre de tir anachronique et permettre à un Miller de faire son mariole à la télé française en 2018, et prononcer une de ces « pensées-réflexes » qui n’ont aucune validité intellectuelle réelle.

Les « camps de travail » (vous voyez le parallèle, non ?) pour « homosexuels » n’ont jamais été que des camps militaires réservés aux réfractaires et/ou aux « inadaptés » au service militaire et à la vie dans une caserne (dont, par exemple, les Témoins de Jéhovah). Ce qui, à l’époque, n’était pas un raisonnement absurde. Y étaient-ils torturés ? Non. Subissaient-ils des lynchages ? Non. Subissaient-ils les quolibets du personnel d’encadrement ? Peut-être, probablement. Que les camps n’aient existé que 2 ans (ou 4, j’ai la flemme de chercher), et qu’ils aient été fermés par un ordre venant d’en haut, de très haut, peu importe. La fenêtre de tir anachronique s’est ouverte, et restera ouverte pour l’éternité. Et, cerise sur le gâteau, on accusera du phénomène ceux qui ont précisément lutté contre. Orwell est notre ami.

Troisième constat : lorsque l’idéologie dominante a « décidé » de viser un pays, ce dernier a intérêt à avoir un curriculum vitae exemplaire (selon l’idéologie dominante) et aussi loin dans le passé que possible. Si le pays se décide à faire une révolution, il a intérêt à savoir jongler avec toutes les assiettes en même temps, et peu importe la Guerre Froide, une tentative d’invasion militaire, les attentats terroristes et les sabotages, un blocus cruel et inhumain, et même la présence d’une base militaire d’une grande puissance, sans oublier la Révolution elle-même – de quoi remplir ses journées.

Quatrième constat : la méthode de la critique rétroactive. Cette méthode est largement employée en Occident. Elle s’appuie sur deux principes. Le premier est que nous sommes l’étalon-mesure de ce qui est bien ou pas – ceux qui pensent comme nous et ceux qui ne pensent pas comme nous. Le deuxième est qu’il faut non seulement « penser comme nous » mais le faire en même temps dans une sorte de chorégraphie de nage synchronisée. Ce matin, je me suis réveillé avec tel principe chevillé au corps, et j’exige à partir de désormais inclus que tout le monde se soit réveillé dans le même état d’esprit, de préférence à la même heure. Cette méthode s’applique comme couverture d’une arrogance culturelle profonde et, comme la plupart des postures arrogantes, produit des situations au mieux cocasses, au pire tragiques.

Comme un intellectuel français qui critique Cuba sur un sujet où Cuba s’est révélée plutôt précurseur en la matière. Ce qui est aussi le cas pour les droits des femmes où Cuba enfonce allégrement - dans le temps et dans l’espace – le pays des droits de l’homme. Transposée dans les années 60/70, la comparaison des droits acquis entre Françaises et Cubaines donnerait une médaille d’or à Cuba et une médaille en chocolat (à l’huile de palme) à la France.

Cette méthode semble être destinée aussi à fournir une excuse pour ne jamais soutenir, ne jamais s’engager, cantonnant son utilisateur dans une position cynique des plus confortables. Parce qu’un "authentique" révolutionnaire doit être à la fois révolutionnaire, anti-ceci, anti-cela, pro-ceci et pro-cela. Si une seule case n’est pas cochée, "désolé, votre candidature n’a pas pu être retenue. Au suivant. Désolé...". Et si d’aventure une case se retrouve finalement cochée, on en trouvera une autre qui ne le sera pas. Ce ne sont pas les excuses qui manqueront, des plus graves au plus futiles, de la peine de mort au rap, tout sera bon. Le tout de la part de ceux qui se chatouillent le nombril avec des pétitions en ligne, et contre ceux qui ont réalisé, et réussi (ne vous en déplaise), une des plus formidables transformations sociales du siècle dans un des contextes les plus difficiles jamais imposé à un pays.

«  La gauche occidentale n’a pas la moindre putain d’idée du monde dans lequel elle vit ».
José Saramago, écrivain et journaliste portugais, Prix Nobel de littérature.

Dans un livre publié en 2003 [et non en 2013 comme indiqué précédemment - comme le temps passe... NdA] (« Cuba est une île » Viktor Dedaj/Danielle Bleitrach/Jacques François Bonaldi – Ed. Le Temps des Cerises), nous avions souligné un aspect fondamental de la propagande anti-cubaine : la décontextualisation. Phénomène qui ne se limite pas à Cuba, loin s’en faut, mais qui dans le cas Cubain s’applique systématiquement. A tel point que des éléments qui seraient jugés incontournables dans d’autres cas sont ici purement et simplement évacués.

Comme parler de l’émigration cubaine (qui reste, malgré tout, l’une des plus faibles du continent) sans mentionner la loi états-unienne « Cuban Adjustment Act » de 1964 destinée à favoriser l’émigration cubaine et provoquer une fuite de cerveaux. Et ce n’est pas comme si on fouillait dans quelques archives obscures, c’est un élément qui est sans cesse rappelé par les responsables cubains.

L’évacuer n’est donc ni le fruit d’une ignorance, ni un oubli, mais le résultat d’un choix. Et tant pis si le public non-averti se retrouve berné, en train de regarder un film dont on aurait coupé la moitié de l’image.

En réalité, il n’y a pas un seul sujet que je connaisse sur Cuba qui ne fasse pas l’objet soit d’un charcutage, soit d’une déformation invraisemblable. (« Les prisons pour sidéens » provoquent encore chez moi une colère sourde). Et cette pensée-réflexe, mentionnée plus haut, ne touche pas que les tâcherons du journalisme ou les habituels propagandistes.

Lors d’une conférence récente sur Cuba, le rédacteur en chef adjoint du mensuel Le Monde Diplomatique, Renaud Lambert, a conclu son intervention d’une quarantaine de minutes en mentionnant in extremis le mot « embargo », qu’il a lui-même qualifié de « terrible ». On n’en saura pas plus. Juste qu’il est « terrible ». J’en suis encore à me demander comment l’élite du journalisme français arrive à évacuer d’une intervention l’aspect « terrible » de la réalité, tout en ponctuant son intervention d’anecdotes sur le service dans les restaurants ou la qualité de l’hébergement pour les touristes. Omettre de mentionner le terrible, c’est ça que je trouve terrible.

De Cuba d’ailleurs, il ne sera jamais fait mention du fameux « embargo », ou alors juste en passant. A quelques exceptions près, vous qui me lisez n’avez en réalité pas la moindre idée en quoi il consiste. Vous pensez peut-être même, à l’instar des fake journalistes de l’AFP, que l’embargo est levé. Ou votre ignorance totale en la matière vous permet d’ânonner des choses comme « l’embargo n’existe pas » ou que « ce n’est qu’une excuse ».

De Cuba non plus, il ne sera jamais fait mention des 3000 attentats perpétrés contre l’île – ce qui à l’échelle de France équivaudrait à 20 000 attentats. En guise de marronnier journalistique, on préférera au mieux ne parler que des attentats contre Fidel Castro, ce qui impose l’idée que les criminels auteurs de ces attentats n’avaient qu’un objectif somme toute louable, « débarrasser Cuba d’un dictateur ». Les jeunes qui pêchaient à la ligne à Caibarien, ou les ouvriers de l’usine bombardée par des bombes incendiaires, ou le touriste italien mort dans un attentat à la bombe dans un hôtel, les passagers de l’avion commercial cubain, et toutes les 3000 victimes de ces attentats auraient peut-être leur mot à dire. Encore eut-il fallu ne pas les faire tomber dans l’oubli, ni eux, ni leurs assassins.

De Cuba, on ne lira que des articles stupides publiés dans les Inrockuptibles qui racontent comment on « enfermait les malades atteints du Sida ». Et peu importe si j’ai l’impression d’avoir été le seul Occidental à avoir mis les pieds dans ces centres (pas compliqué, il suffisait de demander), et peu importe s’ils avaient plus l’allure de Country Clubs réaménagés que de prisons, rien n’y fera. Un récent échange sur le sujet avec une personne se présentant comme ancien dirigeant d’Act Up m’a fait comprendre que 1) l’hystérie collective existe et que 2) un pervers narcissique un tantinet manipulateur (« vous vous en fichez des morts du SIDA ») peut prendre la tête d’une organisation reconnue.

« Il y a beaucoup d’ignorance sur ce qui se passe à Cuba et on ne veut jamais rien leur reconnaître. Si d’autres avaient fait ce que Cuba a fait [pour lutter contre le SIDA], ils seraient admirés par le monde entier. »
Peggy McEvoy - représentante de UN-AIDS à Cuba, de 1996 à 2001

De Cuba, on n’entendra rien sur la solidarité médicale accordée par l’île à travers le monde, avec +/- 40 000 médecins et travailleurs de la santé déployés dans les régions les plus reculées. Là aussi, les esprits chagrins parleront de « propagande » (pas très efficace, apparemment) ou de « business, pas de charité » et, pour appuyer leurs dires, mentionneront les rares cas où Cuba « fait payer » effectivement ses services, mais uniquement à ceux qui en ont les moyens. C’est comme si la France envoyait 250 000 médecins à travers le monde. Et je demande à tous de réfléchir à ce que serait une France qui enverrait 250 000 médecins à travers le monde. A quoi ressemblerait-elle, cette France-là ? A celle que vous connaissez ?

De Cuba, on ne saura rien des dizaines de milliers, peut-être des centaines de milliers, de réfugiés accueillies par l’île. Des réfugiés politiques, originaires de tous les continents (mais surtout de l’Amérique latine, évidemment), et de toutes obédiences, mais aussi des « réfugiés médicaux ». Des réfugiés accueillis avec une telle spontanéité et un tel naturel que je n’ai pas réussi, après des années de recherches, à trouver un Cubain capable de me fournir ne serait-ce qu’une estimation de leur nombre. Ils n’en savent tout simplement rien. Ils ne se sont apparemment même pas posé la question, ni avant, ni après. Au point de soigner l’assassin du Che, Mario Terán.

Vous vous demandez peut-être le rapport entre tout ce qui précède, le début de ce texte, et la phrase de Gérard Miller. C’est ici je que je rallume mon détecteur de « Bullshit ».

En considérant ne serait que cette toute petite pointe de l’iceberg de solidarité que Cuba a offerte tout au long de son existence révolutionnaire, en connaissant ceux et celles qui en ont été les instigateurs et les acteurs, comment diable arrive-t-on à croire pour ne serait-ce qu’une nanoseconde que ces derniers aient pu, un jour, regarder quelqu’un et se dire « hum... celui-là, et celle-ci, nous allons les persécuter parce que leur orientation sexuelle m’incommode » ?

La seule explication que j’ai trouvée est qu’il existe une force physique mystérieuse qui s’énonce ainsi (n’en déplaise à Archimède) :

« Tout corps intellectuel, plongé dans un milieu médiatique amorphe, subit une force verticale dirigée de haut vers le bas, et opposée au poids des arguments développés. Cette force est appelée poussée de Viktor Dedaj ». Wikipédia (édition 2050, alors patience...).

Viktor Dedaj
et ça pousse, ça pousse...

Traduction en portugais : Como Cuba revela toda a mediocridade do Ocidente


« Que ce soit bien clair : nous avons commis des erreurs, évidemment. Et nous en commettrons d’autres. Mais je peux te dire une chose : jamais nous n’abandonnerons le combat pour un monde meilleur, jamais nous ne baisserons la garde devant l’Empire, jamais nous ne sacrifierons le peuple au profit d’une minorité. Tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait non seulement pour nous, mais aussi pour l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie, les générations futures. Nous avons fait tout ce que nous avons pu, et parfois plus, sans rien demander en échange. Rien. Jamais. Alors tu peux dire à tes amis ’de gauche’ en Europe que leurs critiques ne nous concernent pas, ne nous touchent pas, ne nous impressionnent pas. Nous, nous avons fait une révolution. C’est quoi leur légitimité à ces gens-là, tu peux me le dire ? Qu’ils fassent une révolution chez eux pour commencer. Oh, pas forcément une grande, tout le monde n’a pas les mêmes capacités. Disons une petite, juste assez pour pouvoir prétendre qu’ils savent de quoi ils parlent. Et là, lorsque l’ennemi se déchaînera, lorsque le toit leur tombera sur la tête, ils viendront me voir. Je les attendrai avec une bouteille de rhum. »

Ibraim Alfonso, interviewé par Viktor Dedaj, la Havane


Recueil d’une série d’interview effectuées à Cuba. Différentes personnalités parlent de leur expérience personnelle du blocus des Etats-Unis contre Cuba - et parfois aussi d’autres choses.

Publiés à l’origine dans une série d’articles, les textes ont été regroupés dans un document unique téléchargeable ici.

Bonne lecture.

 

EN COMPLEMENT, ET POUR FAIRE BONNE MESURE

Gérard Miller se rattrape un peu, mais voyons voir le jour où il abordera Cuba...

EN COMPLEMENT, HISTOIRES VECUES

Il y a quelques années, je regardais un documentaire sur la Colombie, diffusée par une chaîne de télévision française. Je ne me souviens plus de son titre (ah, si vous saviez combien je donnerais pour le retrouver), mais je me souviens parfaitement d’un passage.

Le passage en question traitait des programmes d’aide fournis par l’UE à la Colombie. Sur place se trouvait une délégation de députés européens pour suivre les programmes en question. Parmi ces députés se trouvait Alain Lipietz – député de Les Verts à l’époque. Dans une scène, on le voit sur le terrain en train de faire son travail de député, rien à dire. Puis arrive la scène fatale. Etrangement (j’écris « étrangement » parce que la scène n’a pas été coupée au montage), deux Colombiennes s’approchent d’Alain Lipietz et lui parlent de leurs maris « disparus » - pratique courante en Colombie. Elles lui demandent s’il peut faire quelque chose pour les aider. Un moment poignant, vous comprenez ? Soudain, Alain Lipietz les interrompt et leur rétorque, sur le ton d’un adulte qui réprimande des enfants turbulents, qu’il fallait qu’elles arrêtent de se plaindre, que l’UE était déjà assez gentille de fournir des aides, et qu’il fallait savoir être reconnaissant.

Et c’est ainsi que le dénommé Alain Lipietz passa à mes yeux du statut de quasi-inconnu à celui de « connard fini » dont il fallait retenir le nom (que voulez-vous, il y a des comportements qui ne trompent pas – et qui ne pardonnent pas non plus).

La scène suivante se déroule dans un restaurant. Le comité local de l’association France-Cuba est réuni pour une rencontre amicale. A la table, deux amies (institutrices, la précision me paraît importante) qui rentrent d’un voyage sur l’île, et qui racontent. Des divergences d’opinion apparaissent et l’échange s’emballe, jusqu’au moment où l’une des deux assène d’un ton péremptoire « Oui, mais quand même, Cuba est bien une dictature. Nous avons même vu à La Havane des militaires passer de maison en maison pour obliger la population à signer une pétition contre l’Egypte ». Je suis désarçonné au point d’en avoir le bec cloué. La conversation se poursuit un moment, mais sans moi, plongé que je suis dans une perplexité abyssale. Lorsque soudain : la lumière.

A Cuba, les autorités mènent une combat sans merci contre un moustique (communément appelé « moustique tigre ») qui transmet le dengue (et autres cochonneries), et chaque foyer y participe. D’abord par des mesures préventives – pose de pièges, élimination des eaux stagnantes, etc. Si la présence du moustique est détectée dans un quartier, ce dernier est fumigé en bonne et due forme sur un rayon de quelques centaines de mètres. La méthode est efficace. En guise de contrôle, des employés, vêtus de kaki, passent de maison en maison et font signer au passage un registre. Et voici le coup d’estocade : sur le dos de leur vêtement de travail est inscrit le nom savant du moustique : Aedes Aegypti.

Et voilà comment le combat contre un moustique à La Havane devient une pétition de l’armée cubaine contre l’Egypte.

Cette scène se déroule dans le local d’une section parisienne du PCF, qui avait organisé une soirée d’information sur Cuba (beaucoup de monde, ce soir-là). Parmi les intervenants, Salim Lamrani, Rémy Herrera, Paul Estrade et Orlando Requeijo Gual (Ambassadeur de Cuba) – j’en oublie, je crois. Toutes les interventions me paraissent limpides (comme toujours dans le camp des « pro », d’ailleurs). Bref, une bien belle soirée. Arrive le moment des questions. Une dame annonce qu’elle revient de Cuba, que c’était son premier voyage et précise qu’elle y avait été avec une « délégation du PCF », et se lance dans une intervention interminable pour « expliquer » Cuba parce que, voyez-vous, elle, elle avait compris des tas de choses, mieux que tous les marioles qui avaient pris la parole avant elle (et qu’elle n’avait apparemment même pas écoutés). Puis elle termine en regrettant que Cuba ne s’intéresse pas plus à l’écologie – alors que l’île était classée à l’époque par l’ONG World Wildlife Fund comme le seul pays au monde à pratiquer un développement durable.

Comment ne pas pousser des soupirs d’agacement ?

Illustration : médecin cubain en Haïti.

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