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Offensons gaîment les imbéciles

Voici donc la dernière polémique agitant le microcosme : le départ houleux de M. Finkielkraut, place de la République, samedi 47 mars, après avoir été pris à partie par quelques individus participant au mouvement Nuit debout. Fidèle à la détestable tradition qui consiste à réagir instantanément au moindre fait divers, la bulle politico-médiatique s’est empressée de s’exprimer à tort et à travers sur le sujet.

Dans une touchante unanimité, diverses personnalités politiques telles que Najat Vallaud- Belkacem, Myriam El Khomri, Patrick Kanner, Nicolas Dupont-Aignan, Alain Juppé, Eric Ciotti, Gilbert Collard ou Marion Maréchal Le Pen ont donc exprimé leur désapprobation, chacune à sa façon. À leurs côtés, journaux de droite comme de droiche (la droite qui se croit encore de gauche) ont cédé avec bonheur à leur passe-temps favori : hurler en meute contre les déviants qui ne respectent pas leurs idoles, leurs critères, leurs catégories de pensée… et surtout d’impensé. Poussant de petits cris outrés qui ne sont pas sans évoquer la parade nuptiale propre aux gallinacées, la sainte alliance de l’ordre établi, dans une poussée laborieuse, a finalement accouché de l’onomatopée suivante :

atteinteàladémocratienuitdeboutvraivisagesectaireinsultesfascismelynchageindignecrachatsexpulsionviolenceinacceptable.

Laurent Joffrin se fend ainsi d’un éditorial où, exerçant ses privilèges d’éditocrate, il se livre à une pratique dans laquelle sa confrérie excelle : l’art de la sommation symbolique à l’égard des gueux. Il écrit ainsi : « Tout partisan sensé de cette expérience nouvelle doit dire : « Je me désolidarise sans nuances de ce comportement. » Mais qui est Laurent Joffrin ? Qu’importe Laurent Joffrin ? De quelle légitimité se prévaut Laurent Joffrin pour nous dicter notre conduite ? Nul ne le sait. Sans doute se pense-t-il de droit divin puisqu’il fait partie de la Sainte Corporation. Il n’en est rien.

Mais peut-être serait-il bon de rappeler en premier lieu les faits — et non la première version, outrancière et distordue, colportée par des médias grégaires et peu scrupuleux, pressés d’extraire la valeur scandaleuse d’un fait divers toujours bienvenu en période de vaches maigres.

Les descriptions initiales de l’incident (la sortie mouvementée d’Alain Finkielkraut, donc) rivalisaient en effet de superlatifs — « expulsion violente et choquante », « crachats », « lynchage de foule », « insultes et intimidations physiques » : n’en jetez plus ! C’est tout juste s’il en est ressorti vivant. Après clarifications et rectifications (1), il s’avère néanmoins que la thèse d’une foule haineuse et violente refoulant d’emblée M. Finkielkraut dans une ambiance de plumes et de goudron tombe quelque peu à plat : l’académicien a bel et bien pu assister à l’assemblée pendant un certain temps avant d’être chahuté, hué et poussé verbalement vers la sortie par quelques individus, la Commission « Accueil et Sérénité » du mouvement l’escortant même gracieusement pour s’assurer que tout se passe bien. Voilà pour l’affaire.

Mais peut-être serait-il aussi bon de rappeler les faits et dires antérieurs — ceux qui expliquent pareil accueil de la part de certains participants ? Car M. Finkielkraut n’est pas né de la dernière pluie, et en l’occurrence son casier est plutôt fourni. Ouvrons donc le carnaval :

« Je suis né à Paris et suis le fils d’immigrants polonais, mon père a été déporté de France, ses parents ont été déportés et assassinés à Auschwitz, mon père est rentré d’Auschwitz en France. Ce pays mérite notre haine. Ce qu’il a fait à mes parents était beaucoup plus brutal que ce qu’il a fait aux Africains. Qu’a-t-il fait aux Africains ? Il n’a fait que du bien. Mon père, il lui a fait vivre l’enfer pendant cinq ans. Et on ne m’a jamais enseigné la haine. Aujourd’hui la haine des noirs est encore plus forte que celle des arabes. » (Entretien au journal israélien Haaretz, 18 novembre 2005.) « Les gens disent que l’équipe nationale française est admirée par tous parce qu’elle est black-blanc-beur. En fait, l’équipe de France est aujourd’hui black-black-black, ce qui provoque des ricanements dans toute l’Europe. » (Idem.)

« En France, on aimerait bien réduire ces émeutes à leur dimension sociale, les voir comme une révolte des jeunes des banlieues contre leur situation, contre la discrimination dont ils souffrent, contre le chômage. Le problème est que la plupart de ces jeunes sont des Noirs ou des Arabes avec une identité musulmane. Regardez ! En France il y a aussi des immigrés dont la situation est difficile — des Chinois, des Vietnamiens, des Portugais — et ils ne prennent pas part aux émeutes. C’est pourquoi il est clair que cette révolte a un caractère ethnique et religieux. » ( Idem, à propos de la révolte des banlieues en 2005.)

« Mais je pense que l’idée généreuse de guerre contre le racisme se transforme petit à petit monstrueusement en une idéologie mensongère. L’antiracisme sera au vingt et unième siècle ce qu’a été le communisme au vingtième. » (Idem.)

« Mais en France, au lieu de combattre ce genre de propos [l’antisémitisme noir (sic)], on fait exactement ce qu’ils demandent : on change l’enseignement de l’histoire de la colonisation et l’histoire de l’esclavage dans les écoles. Maintenant, l’enseignement de l’histoire coloniale est exclusivement négatif. Nous n’apprenons plus que le projet colonial a aussi apporté l’éducation, a apporté la civilisation aux sauvages ». (Idem (2))

« Le Coran est un livre de guerre. » (BFM TV, 27 novembre 2006.)

« “Je dis que ces jeunes excités (...) font la com’ de Dieudonné. Peut-être n’aurait-il pas eu besoin de cela pour jouer deux soirs de suite à guichets fermés devant une foule surexcitée, victime antillaise de l’esclavage, qui vit, aujourd’hui, de l’assistance de la métropole.” (RCJ, 6 mars 2005). Après le vif tollé déclenché par ces propos, Alain Finkielkraut a présenté des excuses timorées, ajoutant tout de même que « les Antilles filent un mauvais coton idéologique (3) ». » (Le Monde, 25 mars 2005.)

« Polanski n’est pas le violeur de l’Essonne. Polanski n’est pas pédophile. Sa victime, la plaignante, qui a retiré sa plainte, qui n’a jamais voulu de procès public, qui a obtenu réparation, n’était pas une fillette, une petite fille, une enfant, au moment des faits. » (Europe 1, 9 octobre 2009, à propos du viol d’une enfant de 13 ans, que Roman Polanski avait droguée au préalable.)

La sélection ne se veut évidemment pas exhaustive — à dire vrai, de nombreux autres éléments pourraient être versés au dossier. Outre ses problèmes criants avec l’islam, les Noirs et les Arabes, mentionnons également que toutes les thèses de M. Finkielkraut s’inscrivent contre le courant progressiste, dénonçant notamment le « risque totalitaire » qui découlerait des mouvements collectifs. C’est tout naturellement, d’ailleurs, que le couperet tombe sur Nuit debout : « Ceux qui s’enorgueillissent de revitaliser la démocratie réinventent, dans l’innocence de l’oubli, le totalitarisme  », diagnostique gravement le médecin Finkielkraut. Maintenant que nous avons été démasqués, les commissions Goulag ne devraient plus tarder. Notons en tout cas la célérité avec laquelle cette analyse fulgurante est délivrée : après une petite heure sur une place, M. Finkielkraut est capable de caractériser définitivement un mouvement hétérogène et protéiforme ayant essaimé dans plus de 150 villes et près de 15 pays. L’Internationale du Totalitarisme serait-elle en marche ?

Au vu de tout cela, l’on comprendra aisément que des participants (et non le mouvement Nuit debout, qui n’a pas de voix officielle) aient vu rouge et aient dirigé sans aménité l’immortel vers la sortie. Car au final, Alain Finkielkraut à Nuit debout, c’est un peu comme DSK dans une manif’ féministe ou Christine Boutin à la Gay Pride : on avouera que la compatibilité est au mieux Médiocre.

Comme en témoigne en effet le fleurissement de commissions dédiées à ces questions, Nuit debout s’inscrit résolument contre les discriminations opérées entre les personnes à raison de leur origine, leur sexe, leur religion, leur orientation ou identité sexuelle, etc. La parole xénophobe et raciste n’y est effectivement pas tolérée.

Or qui est Alain Finkielkraut, sinon l’un des plus éminents représentants de ce néo-racisme chic actuellement en vogue ? Oh, bien sûr, les tenants de ce courant d’idées avancent masqués : ils ont parfaitement compris tout l’intérêt qu’il y avait de mobiliser avec habileté la mythologie républicaine, devenue la référence cardinale du débat politique français. Ils prétendront donc défendre la République, la laïcité. Mais n’est-ce pas ce que tous prétendent ? N’est-il pas étrange que la République soit devenu le référent commun, et pour ainsi dire incontournable, depuis les frontières de l’extrême-gauche jusqu’à l’extrême-droite ? N’y a-t-il pas un malentendu à dissiper si des traditions intellectuelles aussi opposées, se haïssant farouchement et se combattant depuis des décennies, utilisent le même terme ? Loin d’en rester au registre incantatoire, peut-être conviendrait-il alors d’interroger le contenu réel de celui-ci ?

Mais c’est bien ce que se refuse à faire le commentariat autorisé. Une fois les mots magiques prononcés (République, laïcité), la volaille médiatique de cour glousse de satisfaction et s’en tient là. Or c’est précisément ici que devraient commencer les questions ! La République ? Quelle République ? Celle gravée dans le marbre juridique de la Constitution, ainsi définie dans son premier article : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances  » ? Ou bien sa tentative de refondation identitaire actuelle, fédérée par les deux grandes causes du XXIè siècle que sont la viande halal et le port du foulard ?

La République qui ne trie pas les personnes selon leurs origines ou leur religion, ou la République contre l’islam, la République contre « les banlieues », la République de l’exclusion ? Avouons que ce n’est pas exactement le même projet de société !

Bien sûr, toujours sous couvert d’une impeccable défense de la République et de la laïcité, les « penseurs » — on comprendra le droit aux guillemets — du courant précédemment évoqué jureront sur la tombe de leurs aïeux que leur ennemi n’est bien évidemment pas l’islam : c’est l’islamisme. C’est pourquoi ils nous expliquent deux phrases plus loin, avec un art consommé du foutage de gueule, que le premier mène par essence au second. Alors ? « Surtout, pas d’amalgames ! », nous disent en écho les journaux, illustrant tout article sur « l’islamisme » avec des photos de femmes voilées. « Sus au communautarisme ! », s’exclament-ils en parlant à tort et à travers d’une « communauté musulmane » qui n’existe pas. « Halte au repli ! », s’écrient-ils en expulsant sans cesse les populations honnies de l’espace commun. « Intégrez-vous ! » tonnent-ils à des populations qu’ils excluent de fait de l’ensemble auquel elles sont censées s’intégrer. Et le festival d’injonctions paradoxales, d’assignations identaires et de prophéties auto-réalisatrices de se poursuivre, participant à créer d’une main ce qu’ils prétendent combattre de l’autre.

C’est, dit-on, dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes. Pas sûr que la sagesse populaire s’applique à la stratégie millénaire du bouc émissaire : désignant symboliquement les musulmans ou les populations d’ascendance africaine à la vindicte collective, M. Finkielkraut et ses divers clones officiant chaque jour dans les médias dominants participent non seulement du pourrissement généralisé du débat public, mais encore de son divertissement au sens propre : un détournement.

Il s’est pourtant trouvé de belles âmes pour s’indigner du fait que l’on empêche M. Finkielkraut de s’exprimer.

D’un, de son aveu même, M. Finkielkraut n’était pas venu pour prendre la parole.

De deux, nombre de participants de Nuit debout sont si accommodants qu’ils l’auraient sans doute laissé faire s’il avait essayé (d’autres l’auraient hué).

De trois, la critique prête doucement à sourire de la part de médias dominants qui ont largement pris soin de verrouiller le débat en purgeant les antennes des opinions hétérodoxes — que ce soit par des plateaux délibérément composés pour « faire la peau » au seul intervenant présentant un point de vue différent (lequel sert alors d’alibi commode au pluralisme, seul contre tous), par terrorisme intellectuel, par des questions si débiles qu’on ne peut tout simplement rien y répondre d’intelligent ou par des formats inadaptés empêchant par définition toute contestation élaborée : comment montrer toute l’ignominie d’un système en 7 minutes chrono, coupure publicitaire comprise ? Nuit debout n’a aucune leçon à recevoir de la part de ceux qui ont organisé une distribution de la parole aussi violemment inégalitaire dans un espace qui se clame généraliste.

De quatre, les braves petits soldats des régiments médiatiques se sont visiblement auto-intoxiqués avec leur propre vision des choses : il a toujours été parfaitement clair pour les participants de Nuit debout qu’il ne s’agissait surtout pas d’une tribune pour des idées apparentées à l’extrême-droite. Quiconque se glisserait incognito au micro pour y développer les thèses typiques de ce courant d’idées serait bien vite contraint de partir sous les jets de tomates et les huées. « Ouvert à tous » ne signifie pas « ouvert à la haine ». Si tel est le cas, que nos moralisateurs dominicaux nous expliquent d’ailleurs placer les frontières (4). En fait non, car c’est là notre prérogative souveraine.

De cinq, apprécions l’amusante contradiction qui consiste à dauber très lourdement sur l’ « absence des banlieues » … avant de s’élever contre « l’éviction » de l’un de ses détracteurs les plus acharnés. Il faudrait savoir ! Oui, nous voulons bel et bien un maximum de monde. Voilà pourquoi notre première exigence doit être de ne pas admettre ceux dont la préoccupation exclusive est de diviser et trier selon les origines, la couleur, la religion, etc. — car ce sont eux les briseurs d’unité qui ne veulent pas de tous ! Mais la volaille de cour est devenue à ce point inculte et stupide que, revisitant l’histoire de la seconde moitié du XXè siècle aux États-Unis, elle soutiendrait sans doute que les réunions réservées aux Noirs, dans le cadre du mouvement des droits civiques, constituaient une forme inacceptable de « communautarisme » ou de sectarisme  ; mieux, par équité démocratique, il eût encore fallu que le point de vue raciste y fût aussi représenté — et prière de ne surtout pas chahuter ! Faisant fi des réalités les plus élémentaires des rapports de force, voici leur conception aérienne du débat : « une minute pour l’oppresseur, une minute pour l’opprimé  ». Et les vaches seront bien gardées. Car lorsque les dés sont ainsi pipés, — on ne déconstruit pas un édifice séculaire en posant une égalité artificielle entre le bâtisseur-promoteur et le souffre-douleur — quel véritable changement pourrait-il en sortir ? Précisément aucun, et c’est tout l’intérêt des planches délicatement savonnées en faveur de l’ordre établi qui portent aujourd’hui le nom galvaudé de « débat ». Il est vrai que la conception bourgeoise de l’égalité démocratique est pour le moins éthérée, se résumant au légalisme formel et à la ruse du vote : ô puissance du fétiche de l’isoloir, une fois tous les 1 825 jours Bernard Arnault et les Klur sont effectivement égaux.

Nuit debout est un mouvement par et pour les sans-dents et les sans-voix, de façon à ce que nous puissions porter sur la place publique nos thématiques. Nuit debout n’a donc pas vocation à servir de tribune ou de plate-forme promotionnelle pour les obsessions maladives des vieilles barbes réactionnaires, a fortiori lorsque celles-ci disposent déjà de l’attention complaisante du cirque médiatique (malgré le passif évoqué plus haut), cumulent depuis des années des centaines d’heures de parole sur les ondes, font régulièrement les unes des magazines et sont même invitées en première partie de soirée sur le service public. Disposant de ronds de serviette attitrés un peu partout, M. Finkielkraut a d’ailleurs très vite pu retomber sur ses pattes, ralliant ses plates-bandes habituelles pour chouiner sur l’odieux traitement dont il avait été l’objet (5).

Cruelle ironie du sort, c’est le « Cercle des volontaires » qui recueille les premières pensées de l’académicien après sa sortie. Quiconque connaît la ligne et les affinités intellectuelles de ce média ne manquera pas d’y voir un sarcasme du destin. Échaudé par l’incident, M. Finkielkraut y va au bulldozer : « On a voulu purifier la place de la République de ma présence, et donc j’ai subi cette purification avec mon épouse  ». Antisocial, tu perds ton sang-froid ? Le sous-entendu particulièrement ignoble derrière le vocable utilisé est d’autant plus scandaleux que de par son histoire familiale, M. Finkielkraut devrait se souvenir que les mots ont un sens. Mais mobiliser les allusions les plus répugnantes pour maximiser sa posture victimaire fait visiblement partie de cette stratégie d’outrance permanente que l’homme aime déployer en tous lieux.

La réaction enfantine et vexée de l’immortel (« Gnagnagnagna ! Pauvre conne ! Pauvre conne ! »), déjà culte, constitue cependant un précieux objet sociologique : ne témoigne-t-elle pas d’une expérience universelle, à savoir celle de la blessure intime que génère spontanément le rejet ? M. Finkielkraut aura ainsi, très banalement, fait l’expérience de ce que peuvent (par exemple) ressentir un Arabe ou un Noir lorsqu’ils sont recalés quelque part parce qu’ils ne sont pas de la bonne couleur ! Et, en effet, ce n’est jamais très agréable — ça laisse même un goût amer en bouche, voire un peu d’écume au bord des lèvres. Nul doute donc qu’après cet épisode, M. Finkielkraut désavouera publiquement toutes les saloperies qu’il a jamais pu énoncer sur ces populations. Ne sous-estimons jamais les vertus mélioratives des leçons de la vie.

Il y a néanmoins fort à craindre que lesdites leçons n’aient jamais été tirées. L’intéressé n’écrivait-il pas, il y a de cela très longtemps déjà : « Seul dans son coin, le gamin hébété contemple sa blessure. Il n’est pas le semblable de ses semblables, il a reçu en pleine figure le choc de son appartenance à une tribu méprisée. Juif : il n’aura pas trop de sa vie entière pour apprivoiser la violence de cette révélation. » Comment se fait-il que cette violence symbolique de l’assignation identitaire soit décrite avec tant de justesse pour les uns, mais reproduite sur les autres ? Pourquoi est-il si dur de remplacer « juif » par d’autres adjectifs ? Certaines « tribus » compteraient-elles donc plus que d’autres ? De deux choses l’une : ou bien les humains sont « égaux en dignité et en droits », quelle que soit leur origine et appartenance, ou bien il y a hiérarchie, fût-ce de façon implicite. Au vu des antécédents évoqués, M. Finkielkraut a visiblement choisi son camp. Il aurait pourtant pu faire de cette blessure un combat à vocation universelle, il aurait pourtant pu s’engager pour que tous fussent reconnus comme « semblables de leurs semblables ». Tel ne fut pas son chemin.

Pourquoi donc un fait divers confinant au non-événement a-t-il été aussi relayé, commenté et condamné par le microcosme politico-médiatique, et partant constitué comme événement ? Car derrière M. Finkielkraut, c’est tout un monde qui fait bloc. Si le parti de l’ordre établi se serre instinctivement les coudes, par-delà des désaccords mineurs ou des nuances de rejet de l’autre, c’est parce qu’eux ont pleinement atteint la solidarité de classe que nous peinons tant à (re)construire. Il faut dire qu’ils ont l’avantage à la fois du petit nombre et d’une bien meilleure homogénéité sociologique. Fréquenter les mêmes lieux de pouvoir, les mêmes cercles et les mêmes adresses aide assurément à constituer une certaine conscience de caste. Lorsqu’Alain Finkielkraut, ivre de vengeance analytique, ose raconter qu’à Nuit debout, « le même fraye avec le même, toute altérité est bannie  » — on se pince volontiers, tant c’est là avant tout… un portrait saisissant du monde dans lequel lui évolue !

Car une forme de « communautarisme » jamais dénoncée (et pour cause !), c’est tout simplement celui… des élites — par exemple celle de la noblesse d’épée médiatique, laquelle s’entr’invite et se renvoie l’ascenseur à longueur d’émissions, de colonnes et de chroniques pour pontifier gravement dans l’entre-soi béni des gardiens du temple, loin de la foule stupide et totalitaire, là où l’on sait. Or qu’est-ce qu’Alain Finkielkraut, récemment nommé à l’Académie française (donc auréolé des plus hautes gratifications symboliques et considéré comme une autorité), sinon l’archétype même de l’orthodoxie intellectuelle — un faux impertinent que l’Agence France Propagande présente d’ailleurs sans rire comme un « inlassable pourfendeur du politiquement correct  » … lorsqu’il épouse en fait le sens du vent avec une impeccable et désespérante constance.

Aux étourdis qui auraient pu oublier un instant que les médias dominants font partie intégrante des pouvoirs établis et du dispositif de maintien de l’ordre, cette séquence aura au moins eu le mérite d’être l’équivalent fonctionnel d’un grand seau d’eau glacé sur la tête. Il ne s’agit pas seulement de travailler les corps récalcitrants à la matraque, il faut également disciplinariser, modeler et coloniser les esprits.

On pourrait pourtant prendre au mot le cirque médiatique lorsqu’il emploie les termes suivants concernant l’incident : « expulsion » et « violente ». Des mots tout à fait intéressants, car on pourrait leur associer un tout autre contenu que l’affaire Finkielkraut. Par exemple, que trouve-ton lorsque l’on tape expulsion dans un moteur de recherche ? On tombe sur des liens évoquant les procédures d’expulsion de locataires. En voilà un sujet autrement plus sérieux. Des dizaines de milliers de ménages sont expulsés chaque année, un chiffre en hausse constante. Mais où sont les caméras et les réactions scandalisées lorsque des familles entières sont jetées à la rue ? Quel écho médiatique pour ces gosses dormant dans la rue après pareilles expulsions ? Passé le marronnier de la fin de la trêve hivernale, où sont les révoltés du dimanche ?

Et il n’y a pas que les locataires : les expulsions concernent aussi les sans-papiers. Là encore, combien d’affaires sordides dans les placards ? Toujours en tapant expulsion dans un moteur de recherche, on tombe d’ailleurs, dans la presse régionale, sur un cas bien concret : deux étudiantes albanaises vivant en France depuis 4 ans. Les parents ont récemment obtenu la carte de séjour, pas les enfants. La préfecture a refusé. Assignation à résidence, OQTF (6), peur du charter. Le jour fatidique, qui viendra filmer les cris, les bras tendus et les visages en pleurs ? Parmi les grands indignés du 17 avril, qui parlera de cette véritable expulsion et de toutes les autres ?

Virer une vache sacrée de la pensée réactionnaire d’un mouvement progressiste ?

Impensable, ignoble, infamant. Expulser des pauvres ou des sans-papiers ? Évidence naturelle de la routine. Résumé saisissant du terrible pouvoir d’imposition médiatique, qui sait choisir avec soin ses motifs de scandale. On apprécierait que les dizaines de milliers d’expulsions locatives et de mesures d’éloignement annuelles suscitassent autant d’émotion. Mais la marque Finkielkraut est plus vendeuse que des gueux anonymes éjectés sans ménagement ou reconduits à la frontière. Le tollé de confort masque avant tout un silence glacé qui dessine, en creux, un certain ordre du monde. Que nous apprennent ces indignations à géométrie variable sur notre société ? À chacun ses grandes causes.

Passons au second mot, violences. « Violences » a beau être un substantif désespérément ouvert, il a étrangement du mal, dans certaines sphères, à se marier avec l’adjectif policières. Ce n’est pourtant pas la violence que refusent de montrer les médias dominants : au contraire, ceux-ci sont très friands du spectacle des images d’affrontement entre cagoulés et policiers, parfaite entrée en matière pour dérouler le sempiternel thème de la manifestation qui dégénère au 20 heures. En revanche, les mêmes médias redécouvrent les charmes de la pudeur lorsqu’il s’agit de changer la focale : les vitrines de banque brisées et les panneaux publicitaires démolis, oui ; les visages en sang, les points de suture, les contusions violacées et les bras en écharpe suite aux interventions policières, non. On serait mauvaise langue, on y verrait presque un signe de collusion avec le pouvoir. Ce n’est pourtant pas faute de fournitures : Internet regorge de belles images à ce sujet — parfois animées, et même plutôt rudement animées. On pourrait d’ailleurs en faire un joli album, avec en intro quelques images de lycéens tabassés dûment annotées en mobilisant les mots forts du quinquennat : « Ma priorité, c’est la jeunesse » ; « Je veux une République exemplaire » ; « Un président qui tient le cap, celui de la priorité Jeunesse » — tant il est vrai que promesses vouées à l’abandon et auto-louanges réjouies libellées en langue de baobab fournissent toujours les meilleurs textes à mêmes.

Oubliés, donc, les jeunes et moins jeunes molestés gratuitement, plaqués brutalement ou gazés sans raison. Ce n’est pas vrai, objecteront les prêtres cathodiques : on a beaucoup montré la vidéo de ce lycéen frappé par un flic courageux pendant que ses deux collègues tenaient fermement le malotru. C’est vrai. Néanmoins, pour une image ou une vidéo « choc » montrées, combien d’autres passées sous silence ? Car l’on connaît la rhétorique : quand elles percent finalement le mur de l’omertà, ces violences policières sont religieusement atténuées et présentées comme des incidents isolés — là où toute l’histoire de la contestation sociale montrent qu’elles sont structurelles, systématiques et couvertes par la hiérarchie, la justice et le pouvoir. Mais dire cela, c’est pour le coup taper dans un vrai tabou : il n’est qu’à constater la levée immédiate de boucliers lorsque le sujet est mis sur la table. Par la magie des dénégations d’État outrées et des pusillanimités médiatiques, le réel est gentiment évacué au profit d’un récit enchanté où les forces de l’ordre incarnent toujours la figure héroïque du rempart face à la sauvagerie.

C’est pourtant une toute autre version que l’on pourrait entendre de l’autre côté du tonfa — encore faudrait-il pour cela que les médias dominants tendissent leurs micros aux concernés. Mais il est vrai que les mêmes n’avaient guère plus d’appétit pour mettre en lumière les multiples cas de perquisitions brutales et honteuses (appartements saccagés, portes défoncées, plaquages abusifs, menottage illégal, insultes gratuites) en novembre dernier, et que la ténacité journalistique sur ces sujets est inversement proportionnelle à l’usage massif du bobard et des délicatesses verbales (« il y a pu avoir, ici ou là, quelques excès… ») de la part du pouvoir. Enchantés par le maniement viril de la matraque en régime ordinaire, les planqués feigneront donc de s’insurger lors du prochain Malik Oussekine (qui ne devrait pas tarder) alors que tous les signes précurseurs étaient là, devant leurs yeux — s’ils avaient seulement daigné les ouvrir.

Si les pleutres manquent d’inspiration pour explorer un terrain pourtant fécond, on peut même aiguiller leur réflexion. Comment se fait-il que l’usage des lanceurs de balle de défense (7), pourtant grands faucheurs d’yeux devant l’Éternel, se répande malgré les nombreux mutilés ? Comment se fait-il que l’on assiste à une militarisation rampante des techniques de gestion des foules ? Comment se fait-il qu’une telle culture de l’impunité se perpétue ? Comment se fait-il que les jeunes Arabes et Noirs soient particulièrement harcelés et touchés par les violences policières ? Comment se fait-il que les peines soient dérisoires même dans les rares cas où un dossier accablant parvient au tribunal ? Comment se fait-il que les autorités se drapent dans leur vertu républicaine et n’aient pour seule réponse qu’un martial « Circulez, rien à voir » ?

Voilà donc des violences autrement plus significatives que quelques « dégage fasciste ! » qui, pour désagréables, en demeurent au seul stade verbal ; voilà donc des violences (et l’on pourrait en citer tant d’autres) sur lesquelles pourraient — devraient — se pencher ceux qui prétendent « porter la plume dans la plaie  ». Or là encore, les indignés du dimanche savent faire bloc pour choisir leurs combats. Entre la violence active du système et la violence dérisoire des petits, on connaît le biais systématique de la caisse de résonance des médias alignés : taire, atténuer ou naturaliser la première pour mieux braquer la pleine puissance de ses projecteurs sur la seconde.

Ne nous y trompons pas : les médias alignés, les médias dominants, les médias orthodoxes ne seront jamais de notre côté. Leur éventuelle bienveillance est feinte, leur sympathie de façade et éphémère : aux premiers heurts, aux premiers incidents sérieux, la sainte coterie saura d’instinct retourner dans la main de ses maîtres pour y ronronner avec la satisfaction obscène du prédateur dorloté.

Élevée en batterie dans des conditions épouvantables, la volaille médiatique de cour est régie par la loi du mimétisme grégaire. En conséquence, au fur et à mesure que les choses se clarifieront, le déluge de commentaires se muera rapidement en francs torrents de boue — et la charge sera alors générale.

Le regard médiatique est une surveillance disciplinaire. Il permet de peser à distance sur le mouvement en cherchant à lui dicter son agenda et son cadre. Les médias alignés ne se sont pas seulement raconté des histoires en dépeignant implicitement Nuit debout comme neutre : comme à leur détestable habitude, ils ont cherché à opérer une dépolitisation en évacuant la question des contenus pour se focaliser sur des aspects purement formels ou folkloriques. Pour ne prendre que ces quelques exemples clivants, les revendications ouvertement anticapitalistes ou le soutien aux migrants et sans-papiers d’une partie significative du mouvement n’ont peu ou pas été évoqués. À la place, et profitant il est vrai des ambiguïtés providentielles des débuts œcuméniques, les médias dominants ont cherché à promouvoir l’image inoffensive d’un citoyennisme Bisounours préoccupé de synthèse cosmique, comme si l’on allait faire se câliner autour du même feu oppresseurs et opprimés. Eh bien non ! Quiconque y participe sait bien que Nuit debout est loin d’être politiquement neutre.

On l’oublierait presque tant les centrales syndicales sont friandes des journées trihebdomadaires de témoignage social, mais le mouvement est tout de même parti de l’idée de faire la peau à la loi Travail — celle-là même que les médias alignés nous présentent comme « vidée de sa substance  » dans un festival éhonté de contre-vérités. Alors non, Nuit debout n’est pas le parti de l’entente universelle, une douce utopie qui s’oublierait rêveusement pendant quelques semaines avant d’aller solder toute conflictualité dans une simple demande de renouveau. Car à ce stade débouleraient en meute les vendeurs de marchandise frelatée, et on ne les sent que trop pressés de nous refourguer la dernière baudruche à la mode — au hasard, un énarque naguère parti pantoufler en tant que banquier d’affaires pour devenir millionnaire (loin donc de son propre idéal, qui appelle trois zéros supplémentaires).

On convoquera volontiers la psychiatrie pour tenter d’expliquer comment les médias alignés peuvent d’une part nous jouer la partition périmée du renouveau, et d’autre part faire la promotion active d’un représentant archétypal de l’ordre établi, une caricature sociologique incarnant jusqu’au grotesque ce vieux monde que Nuit debout entend fermement bazarder. Il est vrai que les mêmes journalistes en pâmoison, travaillant probablement sous produits hallucinogènes, persistent inlassablement à nous dépeindre l’homme en question comme le visage même de la modernité — là où ses idées, antidatées du XIXè siècle, fleurent bon le coup de grisou.

Nuit debout n’avait pas même une semaine que des voix s’élevaient déjà pour réclamer à cor et à cri sa fossilisation dans le mouroir à espérances collectives par excellence qu’est l’urne. La pression extérieure ne faiblira pas ; au contraire, elle ira même en s’intensifiant jusqu’à ce que le seuil de l’hostilité ouverte soit allègrement franchi. Nous n’aurons pas droit à la paix, et surtout pas de la part des railleurs de salon qui expliquent pourtant que nous ne représentons rien (raison pour laquelle ils continuent à parler de nous ?). Tout à sa ferveur de l’épandage venimeux, M. Finkielkraut se venge d’ailleurs en décrétant finalement que « Nuit debout n’intéresse personne  ». D’où sa venue ?

Laissons donc les canetons médiatiques barboter dans leur petit bassin habituel : bavardage dépolitisé, passion du futile, amour du secondaire, concours de cancans sur des bisbilles, ragots de palais et culte pittoresque de la dernière bulle sondagière en vogue. Ne nous préoccupons pas d’eux. Continuons de nous auto-définir et de nous auto-organiser comme il nous plaira, loin de leurs sommations hautaines. Nuit debout n’a aucune leçon à recevoir de la part des élites déchues qui ont façonné, accompagné et encensé ce monde laid.

Que faire des images de la sortie houleuse de M. Finkielkraut ? Piégés par la machine à décerveler médiatique, certains se précipitent aussitôt à plat ventre sous le feu nourri des injonctions à « condamner ». L’attitude à adopter se déduit pourtant aisément, et pour ainsi dire quasi mécaniquement, des remontrances unanimes exprimées par la caste de la bonne moralité bourgeoise : ce haut fait doit être revendiqué. Ces images doivent être brandies comme l’oriflamme de notre renaissance. Elles s’inscrivent dans le sillage des images largement scénarisées de la chemise d’Air France, ou des huées bien méritées de l’exécutif au salon de l’Agriculture ; elles font partie des symboles forts d’un ordre finissant, celui d’élites triplement faillies que les opprimés congédient sans ambages. Comment ne pas se réjouir que la peur et la honte changent enfin de camp ?

Comment ne pas se réjouir que les fondés de pouvoir de l’ordre établi commencent à ravaler leur arrogance et se mettent à raser les murs ? Comment ne pas se réjouir que les sans-dents et les sans voix,

agonis d’injures diverses, humiliés, méprisés, privés de parole, traités comme du bétail et sans cesse renvoyés au néant de leurs existences isolées se décident enfin à riposter ? Rappelons en effet que par un jeu fatal de pressions mécaniques, les uns courbent l’échine lorsque les autres relèvent la tête. Sauf à aimer se bronzer la nuque, il va donc bien falloir sortir de cette culture de la soumission qui voudrait que l’on baisât les pieds de nos maîtres à chaque heure de la journée. Nos vies valent plus que leurs habits de soie. Il va falloir s’y résoudre : même les sans-dents peuvent mordre.

On pourrait d’ailleurs établir un parallèle saisissant entre le désormais cultissime « Gnagnagnagna ! Pauvre conne ! Pauvre conne ! » de M. Finkielkraut et le non moins fameux « Casse-toi pauv’ con ! » de M. Sarkozy. Incapables de faire face à la conflictualité lorsqu’elle n’est pas méthodiquement liquidée par le cadre feutré de la mise en scène médiatique, les puissants révèlent leur véritable visage. Non régulée, la pression populaire casse les codes de convenance. Tombent alors les artifices. Le roi est nu. Et c’est peu dire que le spectacle n’est pas beau à voir. Ceux qui n’avaient pas de mots assez durs pour fustiger le supposé parler des proverbiales « racailles de banlieue » trahissent eux-mêmes un langage étonnamment fleuri. Mais peut-être est-ce l’effet du printemps ?

À ceux qui condamnent vigoureusement l’épisode Finkielkraut depuis la bordure extérieure, soyez donc certains d’une chose. Nous ne demandons surtout pas votre approbation, et encore moins votre permission. Nuit debout est un mouvement souverain qui se passera joyeusement tant de vos injonctions paternalistes que de votre condescendance, qu’elle se veuille bien- ou malveillante. Nous n’avons que faire des demi-bénédictions intéressées, des soutiens factices, des brevets de fréquentabilité autorisée ou des sermons dispensés ex cathedra par les détenteurs autoproclamés de chaires de vertu bien dérisoires. Nous vous offensons ? Tant mieux. Peut-être est ce même là notre plus grande fierté. Mettez-vous donc à l’aise pour protester, car nous n’en sommes qu’au début.

La nuit progresse, l’aube approche et les fourches arrivent. Et vous avez bien raison de resserrer les rangs pour sauvegarder votre ordre à l’agonie : cette fois, vous ne serez pas du bon côté du manche.

SILENCE

(1) Saluons par exemple l’effort d’impartialité dans la rubrique « Les décodeurs » du Monde. L’article est paru sur le site Internet le 18 avril à 15h15, soit plus de 40 heures après les faits. Élémentaire leçon de journalisme à méditer à l’ère de l’instantanéité décervelée.

(2) Notons d’ailleurs que M. Finkielkraut ne s’est pas excusé de ces propos. Il a ainsi déclaré : « Du puzzle de citations qu’il y a eu dans Le Monde, surgit un personnage odieux, antipathique, grotesque, auquel je n’aurais pas envie de serrer la main et on me dit, et là le cauchemar commence, que ce personnage c’est moi, je suis sommé d’habiter ce corps textuel, d’en répondre devant le tribunal de l’opinion. Soudain, j’ai quitté l’univers du dialogue et je suis entré dans celui du procès. » Puis, plus tard : « Je présente des excuses à ceux que ce personnage que je ne suis pas a blessés (…). » Sa ligne de défense, bien commode, consistera ainsi à dire que le journal a déformé ses propos, et qu’il ne se reconnaît pas dans ceux-ci.

(3) N’est-ce pas tout à fait spirituel ? On notera une nouvelle fois l’ambiguïté consommée dans ce vrai-faux rétropédalage qui se dédit. In cauda venenum [dans la queue le venin], disaient les Romains : M. Finkielkraut fait mine de présenter ses excuses pour la forme, puis conclut sur cette fine allusion au coton.

(4) Car on pourrait leur soumettre une charmante liste de noms, et nos scandalisés seraient alors bien gênés aux entournures de soutenir que si, si, on doit absolument laisser venir ou parler cette personne…

(5) Dès dimanche, le lendemain, M. Finkielkraut était invité de l’émission L’esprit de l’escalier, en partenariat avec deux médias (une radio et un site Internet) ; lundi, il était à la matinale de France Culture (où il dispose d’une émission hebdomadaire) ; mardi, une tribune dans Le Figaro

(6) Obligation de Quitter le Territoire Français.

(7) On aura reconnu dans cette sinistre et risible novlangue le flashball.


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Le Printemps des Sayanim
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Lorsque l’on tente, comme ce fut le cas récemment en France, d’obliger une femme à quitter la Burqa plutôt que de créer les conditions où elle aurait le choix, ce n’est pas une question de libération mais de déshabillage. Cela devient un acte d’humiliation et d’impérialisme culturel. Ce n’est pas une question de Burqa. C’est une question de coercition. Contraindre une femme à quitter une Burqa est autant un acte de coercition que l’obliger à la porter. Considérer le genre sous cet angle, débarrassé de tout contexte social, politique ou économique, c’est le transformer en une question d’identité, une bataille d’accessoires et de costumes. C’est ce qui a permis au gouvernement des Etats-Unis de faire appel à des groupes féministes pour servir de caution morale à l’invasion de l’Afghanistan en 2001. Sous les Talibans, les femmes afghanes étaient (et sont) dans une situation très difficile. Mais larguer des "faucheuses de marguerites" (bombes particulièrement meurtrières) n’allait pas résoudre leurs problèmes.

Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

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