Plein écran
commentaires

Onfray, lard et cochon ? (Chronique d’un intello précaire perdu dans la tourmente néolibérale)

Pour une énième fois, on me demande ce que je pense de Michel Onfray. « Facile ! » je réponds. On me regarde alors, ébaubi. Comment ? Par quel prodige serais-je capable de résoudre cette énigme ? Car c’en est une ! Cet homme divise les familles, l‘ensemble de la gauche, la petite bourgeoisie, les bobos, la mer rouge, les médias ; en bref : la so-cié-té ! C’est le Brexit de la matière grise, la pierre philosophale de la division !

Onfray l’anarchiste

Les plus attentifs ont cependant retenu une chose : c’est un anarchiste.

Commençons par-là. Les anarchistes sont une très grande famille de pensée qui, sur le spectre politique, se situe à gauche. Ils furent historiquement les ennemis jurés des jacobins, des girondins (quoi qu’en dise l’intéressé), de la bourgeoisie, des léninistes, des stalinistes, des fascistes, des nazis, des colonialistes et des démocraties occidentales. Tout ce beau monde s’est toujours allié contre eux dans le but de les liquider. Et pour cause, ils préconisent l’abolition de l’État centralisé et de sa violence, des patrons et du capital et prônent l’autogestion, une forme extrême de démocratie horizontale au sein de laquelle la liberté et l’égalité seraient enfin une osmose.

Onfray et l’anarchisme

Voilà, en gros, de quoi se réclamerait Michel Onfray. A voir votre grimace, on sent bien que ce n’est pas tout à fait ça. Voyons plutôt ce que l’homme retient de notre définition. Il est d’abord ouvertement athée. Nous n’avons pas mentionné l’athéisme car il a existé des groupes anarcho-syndicalistes qui croyaient en Dieu (si vous en doutez, allez consulter Chomsky). Oh, ils n’étaient pas nombreux mais ils ont existé.

Reconnaissez d’ailleurs que les personnes frottées d’anarchisme ont tendance à mettre sur un pied d’égalité, d’un côté, la religion en tant que pouvoir terrestre sans bien-fondé (c’est-à-dire dont l’existence et la violence sont illégitimes), et les croyances de chacun, de l’autre. Il se trouve que ces deux notions sont incompatibles. L’une est un pouvoir qu’il faut abattre car oppresseur et corrupteur (D’où le fameux « Ni Dieu ni Maître ») mais l’autre est un crédo personnel ; et, dans l’anarchisme, la liberté de penser ce que l’on veut est loi. En effet, tout ce qui peut favoriser l’émancipation et le développement des individus est sacré. Donc, rien n’empêche un anar d’être croyant si cela l’aide à se situer dans le monde. Michel Onfray se dit athée et islamophobe. Il faut cependant le taquiner un peu pour qu’il mentionne son rejet des autres religions, la chrétienne en particulier, mais cela ne vient pas toujours de soi. Il faut souvent lui arracher les mots de la bouche...

Onfray le fustigeur

Nous avons dit que les anarchistes se méfient des gauches organisées en partis dont les structures pyramidales oppressent et favorisent les tendances autoritaires, le culte de la personnalité, le copinage, le népotisme, la censure, voire l’autocensure. Pour eux, la France Insoumise, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) et la nébuleuse d’extrême gauche « étatiste » leur rappellent qu’une dérive staliniste est toujours possible dès que l’on relâche l’attention.

Ici, l’anarchiste Michel Onfray s’en donne à cœur joie. Il est même impitoyable envers cette gauche ancrée dans le vingtième siècle. Poutou, Mélenchon et consorts sont des populistes, des comédiens au service du système ; ils représentent, tout autant que Macron, le « vieux monde » qu’ils disent vouloir détruire. Fidèles rouages du système, ils sont – concédons quelques variations chromatiques – à l’image d’un Tsipras et n’attendent qu’une chose, arriver au pouvoir pour trahir le peuple et s’en mettre plein les poches. La virulence du discours est telle que ses détracteurs, à gauche, ne peuvent qu’y opposer une critique sectaire qui les ridiculise, conforte Onfray dans ses dires et fait les délices de la droite et de l’extrême-droite. Dans les gazettes de l’extrême gauche, le philosophe est inévitablement un « réactionnaire », le porte-flingue de l’anticommunisme, le chien de garde de la classe dominante, un idéologue contre-révolutionnaire, etc.

Il est aussi sans pitié avec le macronisme. Un intellectuel indépendant ne se doit-il pas de mettre dos à dos ses ennemis ? Macron, « ce gamin [...] ce petit garçon qui vit ce qui est dit contre les Etats-Unis comme une offense personnelle », dit-il. Macron, vautré dans le néolibéralisme du modèle maastrichtien est aux ordres de Bruxelles et ne peut conduire la France que dans le mur. Une telle indépendance peut parfois écorner le portefeuille : France Culture (est-ce une coïncidence ?) vient de lui sucrer ses retransmissions de colloques.

Onfray nage-t-il en eau trouble ?

Plus d’une fois, des journaux bien-pensants de gauche ont voulu lui régler son compte. Comme si on leur avait demandé quelque chose. Mais le coup a foiré et ils se sont embourbés dans un psychologisme nauséabond. Avec Onfray, il faut rester sur le terrain politique. Maigre philosophe, piètre économiste, écrivain de talent, provocateur né ; c’est le premier intellectuel médiatique à avoir usé des idéaux libertaires pour faire du buzz et c’est tout naturellement qu’il déclare : "J’aime beaucoup le peuple, et pas beaucoup ceux qui le gouvernent, qu’ils soient de droite ou de gauche". Cela ne mange pas de pain quand on se déclare anar.

Le filon de la pensée libertaire est à ciel ouvert, intact et tombe à pic dans le ras le bol général des élites et de l’Europe allemande, de l’euro et des traités européens anti-démocratiques. Onfray, tire à boulets rouges, l’œil dans une meurtrière qui n’avait jamais été utilisée de la sorte et, pour l’instant, les ventes vont plutôt bien. Il racole sur tout le spectre politique, sans oublier les extrêmes mais il est à l’image du Bitcoin pour les non-initiés ; tout le monde connaît mais personne ne sait vraiment comment cela fonctionne, et surtout à quoi cela peut bien servir.

Mais comme disent les Espagnols « quand vous frappez l’eau, le poisson remonte à la surface ». Dans les filets du philosophe grouillent une myriade d’éperlans de la pensée ; des insatisfaits qui peinent à comprendre leur mal. Onfray est pour eux un baume qui n’engage à rien mais qui procure un semblant de caractère social. C’est un peu du Le Pen sans le vomi.

Onfray et le libertarianisme

Pour situer Onfray, il faut revenir à Macron et à sa révolution nationale. Ces deux-là incarnent en fait le même grain de ripolinage sur le vieux mur salpêtré du modèle français. Leur fond de commerce est le même « ni de droite ni de gauche ». Macron fait cela la tête dans le guidon avec le succès que l’on connaît. Onfray sur le mode funambule. Mais tous deux ont ramené leur camelote des États-Unis.

Là-bas, l’anarchisme n’est pas seulement de gauche. Ils ont aussi des types qui se disent « libertariens » (libertarians), des extrémistes qui se battent pour une société sans état (d’où leur nom) et qui revendiquent un individualisme ancré dans le capitalisme le plus jusqu’auboutisme. En somme, une pousse néofasciste à l’américaine qui n’a strictement rien à voir avec l’anarchisme. Leur haine de l’État, leur amour de la liberté, leur désir d’égalité, les font passer – et ils en jouent – pour ce qu’en réalité ils ne sont pas. En fait, ils veulent privatiser l’État ; la liberté est celle d’entreprendre au détriment de toutes les autres, et l’égalité est celle de la possibilité de réussite de chacun face aux marchés. Abject !

Sans être libertarien, Michel Onfray, est plus proche d’eux que des anars de toujours. Il en a fait une version française, plus chic et surtout plus critique. Il avance masqué pour des raisons économiques – les ventes sont juteuses – mais au-delà des gains, il faut savoir distinguer l’air du temps et l’opportunisme d’un grand communicant.

Nous reconnaissons que ses détracteurs ne sont pas toujours à côté de la plaque. Tous dénoncent sa médiatisation. Nous irons plus loin, nous parlerons de « Moixification ». Difficile d’oublier les yeux mouillés du petit réaque Moix sur ONPC, confessant son amour pour la poésie d’Onfray. Aplati devant le maître, il miaulait son adoration pour le grand homme. Toute trace de pensée trouble avait alors disparu du petit écran. La preuve par Moix était faite et vous seriez neuneus de l’oublier.

 https://www.nadouce.com/
Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

01/10/2018 03:14 par Georges SPORRI

Libertarien ? Onfray ? Absolument pas ! Puritain plutôt , pas bigot mais bien moraliste , c’est ce que montre son discours crétin contre les corridas , sa morgue contre Cuba , son aversion épidermique contre la violence révolutionnaire , son inénarrable naïveté face à des personnages comme Asselineau - Polony - Sainte Simone de France et d’Europe ...etc. Il prétend avoir lu les 2 textes qui explicitent la divergence Marx - Proudhon ( "Philosophie de la misère" et "Misère de la philosophie" ) mais l’idée de confronter les textes avec des réalités pour vraiment comprendre ne l’a même pas effleuré . Onfray est moins con et moins ouvertement servile que BHL , moins grincheux et réac que Finkielkraut , moins débile que beaucoup , c’est vrai . Puis ça , puis là , comme le vent varie et à son gré le charrie , il peut soudain dire des trucs intelligents ou agréables à entendre , mais lorsqu’il montre les blasons d’idéologue petit bourgeois qui ornent son derrière ( Camus et les girondins par exemple ) il ne mérite de recevoir en réponse que des éclats de rire irrévérencieux !

01/10/2018 23:33 par Ch DELARUE

"J’aime beaucoup le peuple, et pas beaucoup ceux qui le gouvernent, qu’ils soient de droite ou de gauche"
Je pourrais reprendre cette formule populiste sans être populiste, donc avec quelques précisions.
 D’abord, de quel peuple parle-t-on puisqu’on sait désormais qu’il n’y a plus le peuple (sauf pour la doxa) ? Est-ce le peuple-nation qui intègre la classe dominante mais pas les migrants ou s’agit-il du peuple-classe qui fait l’inverse en s’opposant par définition au 1% d’en-haut mais en intégrant les migrants et autres résidents Etc.
 Ensuite, je n’ai vu que des gouvernements roses (centre d’alternance sans perspective d’alternative) et non pas rouge. Le rose a décidé en 1983 de marier le social avec l’économie de la façon qu’on sait (sur ce site - ailleurs faut expliquer). Même sur le volet sociétal - combats de repli - il y aurait bcp à dire.
 Enfin quand on dit j’aime le peuple-classe, c’est y compris les fainéants (assistés), les fonctionnaires (privilégiés et couteux) et la faux français (de papier) et tous les autres, y compris les bobos "ecolo-mixeur".
 Autrement, à Rennes le peuple en burkini peut "pisciner" mais on ignore encore si les "pro-string seulement( H ou F) seront frappés (ou non ) d’exclusion !

02/10/2018 12:31 par Assimbonanga

@Alarue. Les privilégiés sont (étaient), dans l’ancien régime, la noblesse et le clergé, exonérés de tout impôt et, de surcroît ne travaillant pas. Hors, un fonctionnaire se rend chaque jour à son travail et tout son salaire est déclaré, visible, soumis à impôts et cotisations.

02/10/2018 22:04 par irae

Onfray l’anarchiste qui ne répugne pas aux photographies sous les ors de la république épaule contre épaule avec le petit président agité à talonettes.
Onfray le donneur de leçons du haut de sa science et de son (paraît-il) intelligence, mais réticent à descendre dans l’arêne et mouiller la chemise politique. Ce qui donnerait un fond de crédibilité à ses pamphlets politiques, à défaut d’avoir des analyses pertinentes. Car fustiger Mélenchon pour son refus de faire programme commun avec un hamon-ps qu’un nombre croissant de salariés trahis vomissait, après les trahisons en cascade de son camp et le résultat fabuleux que l’on sait, autorise à considérer ses analyses politiques avec la plus grand circonspection. Quant à sa haine du même Mélenchon que n’en n’a-t-il conservé une partie pour en gratifier les puissants. Enfin en ce qui concerne ses louanges de M. Poisson qu’il pare certes des vertus du philosophe et du souverainiste en oubliant ses positions sociétal ultra-catho, je vous laisse juge.
Onfray aurait avantage à s’en tenir à ses cours de philo, à ses expertises avec ses comparses du commentariat bobo-mediatico-parsien et la fermer à moins de montrer un peu de courage politique et arrêter à longueur de livres d’humeur politique de parler des lâches qui ne mettent pas leurs c**** sur la table, quand lui se tient prudemment hors de la mélée.
Au final un peu fort avec les faibles et faible avec les forts le philosophant médiatique.

03/10/2018 00:40 par Renard

Je le trouve effectivement d’une grande mauvaise foi vis à vis de Mélenchon et effectivement il n’est pas une ou deux contradictions près. Mais je salue d’une part son université populaire de Caen qui donne des cours gratuit aux prolétaires sur la philosophie la littérature etc.. à la manière de ce que faisait le PCF fut un temps, il et attaché à expliquer simplement la philosophie pour que tout le monde puisse comprendre, ma mère m’a dit c’est la première fois que je comprends un philosophe !

D’autre part quel plaisir de voir un anarchiste qui à la force du poignet s’est fait une place dans le gotha médiatique (jusqu’à l’excès). On peut dire ce qu’on veut mais il fait tout de même le travail de fond pour Mélenchon en tirant à boulets rouges sur le libéralisme, l’UE, le libre échange ,macron, etc et il défend toujours l’idée de socialisme.

03/10/2018 20:26 par irae

Hélàs renard je ne partage pas votre analyse. Certes je le renvoie à ses chères études n’étant pas en mesure de critiquer sa science. Mais en ce qui concerne le fait qu’il ouvrirait la voie à qui que ce soit, non ! Il aime donner des leçons (il s’estime être le parangon de l’expression orale) voir sa séquence avec un Poutou débutant et à l’égard duquel il affiche dans ses écrits le mépris de classe intellectuelle fort peu philosophique de celui qui issu du milieu rural ne comprend rien à la classe ouvrière.
Quant aux autres, le refrein sous des formes renouvelées et variées de la fameuse blague des chars soviétiques remontant les champs élysées (tantôt anti marxiste, anti-urss et anti-poutine..) oubliant ce qui était la vie du peuple russe avant la révolution, vouant aux gémonies Robespierre et effaçant d’un trait de plume et ce qui était la misère du peuple français et la violence de la monarchie, montre bien à quel point on peut se prétendre philosphe et répéter des lieux communs idiots et de préférence ceux des dominants.

07/10/2018 16:35 par Yannis

Michel Onfray, dans son désir de reconnaissance publique, médiatique. et surtout son ego démesuré - il repasse l’histoire de la philosophie et de la psy par ce filtre uniquement - fait feu de tout bois, et prend bien garde à rebondir sur la polémique du moment qui puisse remobiliser son auditoire, et si possible l’élargir. Il sait bien manier la langue de Molière, son phrasé est éloquent, surtout dans le but de montrer "qu’il en a" (dans la caboche mais aussi dans la culotte).

Ses récentes sorties sur l’affaire Benalla, "Mignon du Roy" et sur le doigt d’honneur à Macron sont tout simplement ridicules et n’apportent de l’eau qu’à son propre moulin, du combustible à ses phantasmes comme aux aigris et adeptes du "tous pourris" sans apporter aucun horizon politique ni collectifs (son individualisme forcené pourrait être sa seule "participation" anarchiste), aucune indication constructive. Homophobe, il verse de plus en plus dans la littérature homoérotique, n’étant plus à une contradiction près. Il a aussi exprimé sa haine de la psychanalise, alors que ses tribunes sont pleines de sous entendus et en même temps des aveux de ses troubles pour le pouvoir, la puissance (sexuelle entre autre) ou encore les pratiques homosexuelles. Pas très anar non plus, sur la question du conflit israélo-palestinien semble-il.

Mais il crée des fractures surtout grâce à sa manière de triturer la langue et de rapprocher ou éloigner comme par magie, les courants et continents de la pensée universelle, reconfigurer l’histoire des philosophies dans une cosmogonie très personnelle. Il crée des débats superficiels et virtuels qui amplifient le bruit de chasse d’eau et les pires bassesses sur les réseaux sociaux... et accessoirement lui permettent de vendre ses livres bien creux philosophiquement, sociologiquement vides. Ses conférences sont un laborieux travail de VRP dans les 4 coins de France (quelle reconnaissance a-t-il ailleurs ??). D’ailleurs celle à laquelle j’ai assisté m’a permis de me faire une idée du personnage : distant et froid tel un notable, prétentieux, à sens unique et triste sire, bref, un révolutionnaire de salon.

Encore un Grand Moi surnageant dans notre époque scatologique...

https://www.lesinrocks.com/2018/10/05/actualite/politique/la-main-puis-tout-le-bras-dans-le-cul-les-insinuations-homophobes-de-michel-onfray-envers-emmanuel-macron-111131715/

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
 Contact |   Faire un don
logo
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft :
Diffusion du contenu autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.