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Politique post-vérité ou journalisme post-politique ?

Un système qui, le lendemain de l’élection de Donald Trump, fait commenter l’événement par Christine Ockrent – sur France Culture… – et le surlendemain par BHL interviewé par Aphatie, n’est pas seulement aussi absurde qu’un problème qui voudrait donner des solutions : c’est un système mort.

On ne s’étonnera pas que le thème des morts-vivants connaisse un tel regain d’intérêt dans les séries ou dans les films : c’est l’époque qui se représente en eux, et c’est peut-être bien le sentiment confus de cette époque, à la fois déjà morte et encore vivante, qui travaille secrètement les sensibilités pour leur faire apparaître le zombie comme le personnage le plus parlant du moment.

Les morts-vivants

On objectera sans doute que les morts-vivants sont plutôt des trépassés qui reviennent, alors qu’en l’occurrence l’époque, si toute vie s’en est retirée, n’en finit pas de mourir. Institutions politiques, partis en général, parti socialiste en particulier, médias, c’est tout le système de la conduite autorisée des opinions qui a été comme passé à la bombe à neutrons : évidement radical au-dedans, ou plutôt chairs fondues en marmelade indifférenciée, seuls les murs restent debout, par un pur effet d’inertie matérielle. Au vrai, ça fait très longtemps que la décomposition est en marche, mais c’est que nous avons affaire à un genre particulier de système qui ignore ses propres messages d’erreur-système. Dès le 21 avril 2002, l’alarme aurait dû être généralisée. Mais ce système qui enseigne à tous la constante obligation de « changer » est lui d’une immobilité granitique — tout est dit ou presque quand Libération, l’organe du moderne intransitif, fait chroniquer Alain Duhamel depuis cent ans. Il s’en est logiquement suivi le TCE en 2005, les étapes successives de la montée du FN, le Brexit en Grande-Bretagne, Trump aux États-Unis, et tout le monde pressent que 2017 s’annonce comme un grand cru. Voilà donc quinze ans que, désarçonné à chaque nouvelle gifle, vécue comme une incompréhensible ingratitude, le système des prescripteurs fait du bruit avec la bouche et clame que si c’est ça, il faut « tout changer » – avec la ferme intention de n’en rien faire, et en fait la radicale incapacité de penser quoi que ce soit de différent.

Mais avec le temps, le travail de l’agonie devient mordant, et le système se sent maintenant la proie d’une obscure inquiétude : commence même à lui venir la conscience confuse qu’il pourrait être en cause — et peut-être menacé ? Sans doute réagit-on différemment en ses différentes régions. Le Parti socialiste n’est plus qu’un bulbe à l’état de béchamelle, dont on mesure très exactement la vitalité aux appels de Cambadélis, après l’élection de Trump, à resserrer les rangs autour de Hollande (ou bien aux perspectives de lui substituer Valls).

C’est la partie « médias », plus exposée peut-être, qui exprime un début d’angoisse terminale. A la manière dont elle avait pris la raclée du TCE en 2005 – une gigantesque éructation contre le peuple imbécile (1) – , on mesure quand même depuis lors un effet des gifles à répétition. Alors les médias, un peu sonnés à force, commencent à écrire que les médias pourraient avoir eu une responsabilité. Le propre du mort-vivant cependant, encore debout mais en instance de mourir, c’est que rien ne peut plus le ramener complètement vers la vie. Aussi, la question à peine posée, viennent dans l’instant les réponses qui confirment le pur simulacre d’une vitalité résiduelle, et la réalité de l’extinction en cours. Y a-t-il responsabilité des médias ? « Oui, mais quand même non ».

La protestation sociologique des médias

Comme le système prescripteur du changement pour tous n’a aucune capacité de changement pour lui-même, défaut qui signe d’ailleurs la certitude quasi-évolutionnaire de sa disparition, il s’arrange pour poser la question sous la forme qui le remette aussi peu que possible en question : non nous ne sommes pas « coupés », et nous ne vivons pas différemment des autres ; oui nous avons fait notre travail, la preuve : nous avons tout parfaitement fact-checké.

Dans un mouvement aussi sincèrement scandalisé que touchant de candeur, Thomas Legrand, par exemple, proteste sur France Inter qu’on puisse trouver la presse « déconnectée » : n’est-elle pas désormais « peuplée de pigistes et de précaires » (2) ? Il faut vraiment être arrivé au bout du chemin pour n’avoir plus d’autre ressource que de transformer ainsi le vice en vertu, et se faire un rempart de la prolétarisation organisée des soutiers, providentielle garantie sociologique d’une commune condition qui rendrait sans objet les accusations de « déconnexion ». Mais on en est là. Des hipsters précarisés jusqu’au trognon servent de bouclier humain à des éditorialistes recuits qui, désormais étrangers à toutes les régulations de la décence, n’hésitent plus à en faire un argument.

Comme on veut cependant donner tous les gages de la meilleure volonté réflexive, on concède qu’on doit pouvoir encore mieux faire pour connaître ce qui agite les populations réelles, et l’on promet de l’enquête, du terrain, de la proximité, de l’immersion, bref de la zoologie. On se demande alors si le contresens est l’effet d’une rouerie de raccroc ou d’une insondable bêtise. Car si l’élection de Trump a révélé « un problème avec les médias », ça n’est que très superficiellement de « ne pas l’avoir vue venir » : c’est plutôt d’avoir contribué à la produire ! L’hypothèse de la bêtise prend immanquablement consistance avec les cris d’injustice que pousse sur Twitter un malheureux présentateur de France Info : «  Mais arrêtez de dire que c’est un échec de la presse, c’est d’abord un échec de la politique ! C’est pas la presse qui donne du taf aux gens ». Ou encore : « C’est dingue de se focaliser uniquement sur les médias. La désindustrialisation de la Rust Belt ce n’est pas à cause des journaux ». Tranchant de la forme, puissance de l’analyse – l’époque.

« C’est dingue de se focaliser uniquement sur les médias »

Tout y est, et notamment que « la presse » ne se reconnaît aucune responsabilité depuis vingt ans dans la consolidation idéologique des structures du néolibéralisme, qu’elle n’a jamais réservé la parole à ceux qui en chantaient les bienfaits, qu’elle n’a jamais réduit à l’extrême-droite tout ce qui, à gauche, s’efforçait d’avertir de quelques inconvénients, de la possibilité d’en sortir aussi, qu’elle n’a jamais fait de l’idée de revenir sur le libre-échange généralisé une sorte de monstruosité morale, ni de celle de critiquer l’euro le recommencement des années trente, qu’elle n’a jamais pédagogisé la flexibilisation de tout, en premier lieu du marché du travail, bref qu’elle n’a jamais interdit, au nom de la « modernité », du « réalisme » et du « pragmatisme » réunis, toute expression d’alternative réelle, ni barré absolument l’horizon politique en donnant l’état des choses comme indépassable — oui, celui-là même qui produit de la Rust Belt dans tous les pays développés depuis deux décennies, et fatalement produira du Trump avec. Mais non, bien sûr, la presse n’a jamais fait ça.

Le petit bonhomme de France Info ne doit pas écouter sa propre chaîne qui, en matière économique, éditorialise à un cheveu de BFM Business, comme toutes les autres au demeurant, raison pour quoi d’ailleurs le pauvre est devenu strictement incapable d’avoir même l’idée d’une différence possible, l’intuition qu’il y a peut-être un dehors. De ce point de vue on pourra égailler autant qu’on veut des bataillons de pigistes précarisés dans la nature avec pour feuille de route « le retour au terrain », on ne voit pas trop ce que cette dispersion pourrait produire comme révisions éditoriales sérieuses, qui auraient dû survenir il y a longtemps déjà, et ne surviendront plus quoi qu’il arrive. On en a plus que l’intuition à cette phénoménale déclaration d’intention du directeur du Monde qui annonce avoir constitué une « task force » (sic) prête à être lâchée à la rencontre « de la France de la colère et du rejet » (3), et l’on mesure d’ici l’ampleur des déplacements de pensée que des enquêtes ainsi missionnées vont pouvoir produire auprès de leur commanditaire. Il est vrai que celui-ci n’hésite pas à témoigner d’un confraternel ascendant à l’endroit des « médias américains confrontés à leur 21 avril. Nous avons eu aussi le référendum de 2005. On a appris à être plus vigilants ». La chose n’avait échappé à personne.

L’intuition tourne à la certitude quasi-expérimentale quand, au lendemain d’un désastre comme celui de l’élection américaine, on peut lire qu’Hillary Clinton « avait le seul programme réalisable et solide » (Jérôme Fenoglio, Le Monde), que « la réaction identitaire contre la mondialisation alimente la démagogie de ceux qui veulent fermer les frontières » (Laurent Joffrin, Libération), que « le choix de la presse [finalement il y en avait un ?] était le triste choix de la rationalité contre le fantasme » (Thomas Legrand, France Inter), que « la mondialisation n’est pas seule en cause [car c’est] la révolution technologique [pourrait-on être contre ?] qui est autant, sinon plus, responsable du démantèlement des vieux bassins d’emploi, c’est elle qui porte la délocalisation du travail, bien plus que l’idéologie [sic] » (Le Monde), scies hors d’âge, qu’on lit à l’identique depuis 2005, enfermées dans l’antinomie de la mondialisation ou du quatrième Reich, produits de série emboutis sur enclumes éditorialistes, l’ironie tenant au fait qu’on aura rarement vu propagandistes de la flexibilité frappés d’une telle rigidité, puisqu’il est maintenant acquis que, ayant perdu toute capacité de révision cognitive, ils iront jusqu’au bout du bout, d’un pas mécanique, les bras devant à l’horizontale.

Le fulgurant éditorialiste du Monde devrait pourtant se méfier de ses propres analyses, dont une part pourrait finir par s’avérer fondée : c’est qu’on sait déjà ce qu’il va écrire fin avril-début mai 2017, qu’on pourrait même l’écrire dès aujourd’hui à sa place, et qu’une telle simplicité donne immanquablement des envies d’automatisation – la fameuse technologie –, à moins, il est vrai un cran technologique en dessous, qu’on ne fasse tirer au sort la construction de phrases par un singe, dans un sac où l’on aura mélangé des cubes avec écrit : « protestataire », « populisme », « colère », « tout changer », « repli national », « manque de pédagogie », « l’Europe notre chance », et « réformer davantage ». Substitution par le système expert ou bien par le macaque, il est exact en tout cas que l’emploi de l’éditorialiste du Monde, lui, n’aura pas été victime, selon ses propres mots, de « l’idéologie ».

La « politique post-vérité » (misère de la pensée éditorialiste)

On en finirait presque par se demander si l’indigence de ses réactions ne condamne pas ce système plus sûrement encore que l’absence de toute réaction. C’est que pour avoir depuis si longtemps désappris à penser, toute tentative de penser à nouveau, quand elle vient de l’intérieur de la machine, est d’une désespérante nullité, à l’image de la philosophie du fact-checking et de la « post-vérité », radeau de la méduse pour journalisme en perdition. L’invocation d’une nouvelle ère historique dite de la « post-vérité » est donc l’un de ces sommets que réserve la pensée éditorialiste : une nouvelle race de politiciens, et leurs électeurs, s’asseyent sur la vérité, nous avertit-elle (on n’avait pas vu). Des Brexiteers à Trump, les uns mentent, mais désormais à des degrés inouïs (plus seulement des petits mensonges comme « mon ennemi c’est la finance »), les autres croient leurs énormités, on peut donc dire n’importe quoi à un point nouveau, et la politique est devenue radicalement étrangère aux régulations de la vérité. C’est une nouvelle politique, dont l’idée nous est livrée là par un gigantesque effort conceptuel : la « politique de la post-vérité ». Soutenue par les réseaux sociaux, propagateurs de toutes les affabulations et, à l’évidence les vrais coupables, ça la presse l’a bien vu.

Car, on ne le dit pas assez, contre la politique de la post-vérité, le journalisme lutte, et de toutes ses forces : il fact-checke. On ne pourra donc pas dire que le journalisme a failli face à Trump : sans relâche il a compulsé des statistiques et retourné de la documentation — n’a-t-il pas établi qu’il était faux de dire que tous les Mexicains sont des violeurs ou qu’Obama n’était pas américain ? Mais voilà, la post-vérité est une vague géante, un tsunami qui emporte tout, jusqu’aux digues méthodiques du fact-checking et du journalisme rationnel, et les populations écumantes de colère se mettent à croire n’importe quoi et n’importe qui. Au fait, pourquoi en sont-elles venues ainsi à écumer de colère, sous l’effet de quelles causes, par exemple de quelles transformations économiques, comment en sont-elles arrivées au point même de se rendre aux pires mensonges ? Cest la question qu’il ne vient pas un instant à l’idée du journalisme fact-checkeur de poser.

Il est d’ailleurs mal parti pour en trouver les voies si l’on en juge par les fortes pensées de ses intellectuels de l’intérieur, comme Katharine Viner, éditorialiste au Guardian, à qui l’on doit les formidables bases philosophiques de la « post-vérité ». Et d’abord en armant la percée conceptuelle de connaissance technologique dernier cri : les réseaux sociaux, nous explique Viner, sont par excellence le lieu de la post-vérité car ils enferment leurs adhérents dans des « bulles de filtre », ces algorithmes qui ne leur donnent que ce qu’ils ont envie de manger et ne laissent jamais venir à eux quelque idée contrariante, organisant ainsi la végétation dans le même, l’auto-renforcement de la pensée hors de toute perturbation. Mais on croirait lire là une description de la presse mainstream, qui ne se rend visiblement pas compte qu’elle n’a jamais été elle-même autre chose qu’une gigantesque bulle de filtre ! Ainsi excellemment partie pour un exercice décapant de remise en cause, Katharine Viner en vient logiquement à conclure que Trump « est le symptôme de la faiblesse croissante des médias à contrôler les limites de ce qu’il est acceptable de dire » (4). Le tutorat moral de la parole publique, spécialement celle du peuple et des « populistes », voilà, sans surprise, le lieu terminal de la philosophie éditorialiste de la « post-vérité ». Comprendre ce qui engendre les errements de cette parole, pour lui opposer autre chose que les postures de la vertu assistée par le fact-checking, par exemple une action sur les causes, ne peut pas un instant entrer dans une tête d’éditorialiste-de-la-vérité, qui comprend confusément que, « les causes » renvoyant à ce monde, et l’hypothèse d’y changer quoi que ce soit de sérieux étant par principe barrée, la question ne devra pas être posée.

The Man-Machine

Le journalisme post-politique

Ce que le journalisme « de combat » contre la post-vérité semble donc radicalement incapable de voir, c’est qu’il est lui-même bien pire : un journalisme de la post-politique – ou plutôt son fantasme. Le journalisme de la congélation définitive des choix fondamentaux, de la délimitation catégorique de l’épure, et forcément in fine du gardiennage du cadre. La frénésie du fact-checking est elle-même le produit dérivé tardif, mais au plus haut point représentatif, du journalisme post-politique, qui règne en fait depuis très longtemps, et dans lequel il n’y a plus rien à discuter, hormis des vérités factuelles. La philosophie spontanée du fact-checking, c’est que le monde n’est qu’une collection de faits et que, non seulement, comme la terre, les faits ne mentent pas, mais qu’ils épuisent tout ce qu’il y a à dire du monde.

Le problème est que cette vérité post-politique, opposée à la politique post-vérité, est entièrement fausse, que des faits correctement établis ne seront jamais le terminus de la politique mais à peine son commencement, car des faits n’ont jamais rien dit d’eux-mêmes, rien ! Des faits ne sont mis en ordre que par le travail de médiations qui ne leur appartiennent pas. Ils ne font sens que saisis du dehors par des croyances, des idées, des schèmes interprétatifs, bref, quand il s’agit de politique, de l’idéologie.

Le spasme de dégoût que suscite immanquablement le mot d’idéologie est le symptôme le plus caractéristique du journalisme post-politique. Comme « réforme » et « moderne », le « dépassement de l’idéologie » est l’indice du crétin. Sans surprise d’ailleurs, le crétin post-politique est un admirateur de la « réalité » — systématiquement opposée à toute idée de faire autrement. Les deux sont évidemment intimement liés, et le fact-checking à distance avec eux. La purgation achevée de l’idéologie laisse enfin apparaître la « réalité », telle qu’en elle-même immarcescible, qu’il n’y a plus qu’à célébrer rationnellement en fact-checkant la conformité des énoncés (post-)politiques à ses « faits ».

Il faut avoir fait l’expérience de regards de sidération bovine confrontés à l’idée que la « fin des idéologies », le « refus de l’idéologie », sont des summum d’idéologie qui s’ignorent pour se faire plus précisément une idée du délabrement intellectuel d’où sont sortis simultanément : la « réalité » comme argument fait pour clôturer toute discussion, c’est-à-dire évidemment la négation de toute politique comme possibilité d’une alternative, la noyade de l’éditorialisme dans les catégories du « réalisme » et du « pragmatisme », la place de choix donnée par les médias à leurs rubriques de fact-checking, la certitude d’être à jour de ses devoirs politiques quand on a tout fact-checké, le désarroi sincère que les populations ne se rendent pas d’elles-mêmes à la vérité des faits corrects, et cependant la persévérance dans le projet de soumettre toute politique à l’empire du fact-checking, à en faire la vitrine d’une presse moderne qui, très significativement, pousse sur le devant de la scène ses Décodeurs et sa Désintox’.

Mais voilà, les décodeurs recodent sans le savoir, c’est-à-dire, comme toujours les inconscients, de la pire des manières. Ils recodent la politique dans le code de la post-politique, le code de la « réalité », et les désintoxiquer intoxiquent – exactement comme le « décryptage », cette autre abysse de la pensée journalistique, puisque « décrypter » selon ses ineptes catégories, c’est le plus souvent voiler du plus épais brouillard.

Le fact-checking qui, épouvanté, demandera dans un cri de protestation si c’est donc qu’« on préfère le mensonge à la vérité », est sans doute ici hors d’état de saisir l’argument qui n’a rien à voir avec l’exigence élémentaire d’établir correctement des faits, mais plutôt avec l’accablant symptôme, après Trump, d’une auto-justification des médias presque entièrement repliée sur le devoir fact-checkeur accompli. Trump a menti, nous avons vérifié, nous sommes irréprochables. Malheureusement non. C’est qu’un Trump puisse débouler dans le paysage dont vous êtes coupables. Vous êtes coupables de ce qu’un Trump n’advient que lorsque les organes de la post-politique ont cru pouvoir tenir trop longtemps le couvercle sur la marmite politique.

Différences et préférences

Car voilà toute l’affaire : la post-politique est un fantasme. Elle est le profond désir du système intégré de la politique de gouvernement et des médias mainstream de déclarer forclos le temps de l’idéologie, c’est-à-dire le temps des choix, le désir d’en finir avec toutes ces absurdes discussions ignorantes de la « réalité », dont il nous est enjoint de comprendre que, elle, ne changera pas. Mais c’est le désir de ce système, et de ce système seulement. Pour son malheur, le peuple obtus continue, lui, de penser qu’il y a encore matière à discuter, et quand toutes les institutions établies de la post-politique refusent de faire droit à cet élémentaire désir de politique, alors ce peuple est prêt à saisir n’importe quelle proposition, fût-ce la pire, pourvu qu’elle soit celle d’une différence (5). Tout le fact-checking du monde n’ôtera jamais que la politique est l’exercice de la différence quand il est, lui, le prononcé silencieux de la fin des différences, ce qui reste quand on a décidé qu’il n’y aurait plus de différences : le règne vide et insignifiant des « faits » – mais pour mieux laisser sans le remettre en question, dans l’arrière-plan, le signifié-maître : le monde est comme il est.

Il reste alors une seule ligne de repli au journalisme mainstream, au journalisme de la post-politique qui se croit le journalisme de la vérité : concéder qu’il reste bien en effet une différence, mais une seule, et qu’elle est hideuse au point que tout devra lui être préféré — « tout » devant s’entendre adéquatement comme l’ensemble des sacrifices à consentir « hélas » à la « réalité ». Maintenir cette configuration du problème post-politique, n’admettant comme extérieur que la politique innommable de l’extrême-droite, requiert alors d’opérer le déni radical de la différence de gauche. Et si jamais celle-ci commence à faire son chemin, de la combattre impitoyablement.

C’est bien en ce point que ce système laisse affleurer ses propres préférences, ses haines inavouables. Disons ici carrément ceci : plutôt qu’une différence de gauche, il préférera prendre le risque de la différence d’extrême-droite, dont il doit bien pressentir que ses propres efforts, dérisoirement inefficaces, ne suffiront plus longtemps à en empêcher l’advenue. Et voilà, au bout de ses échecs à endiguer quoi que ce soit, où il finira d’impuissance : s’il faut en passer par l’expérience d’extrême-droite, ainsi soit-il ! Elle sera tellement ignoble qu’elle aura au moins le mérite de remonétiser le discours de la vertu, et la « réalité » sera réinstallée dans ses droits en une alternance à peine.

Au reste, il s’en trouvera bien quelques-uns au sein du grand parti post-politique pour apercevoir que les rapports de l’extrême-droite et de la « réalité » sont en fait loin d’être si distendus que le fact-checking pourrait le faire croire : Marine Le Pen ne sortira pas de l’euro, Trump a déjà fait savoir qu’il préserverait la déréglementation financière, la Grande-Bretagne du Brexit ne sera pas exactement un enfer anti-capitaliste. À coup sûr, ce sont les migrants, les étrangers, et en France tous ceux qui ne respirent pas la souche, qui connaîtront leur douleur. Mais, d’une part, un républicanisme autoritaire caparaçonné d’islamophobie s’en accommodera parfaitement. Et, d’autre part, la post-politique de la morale cachera sa joie de se refaire la cerise aussi facilement — le dernier espoir pour les ventes de Libération, du Monde et de L’Obs, c’est bien le FN.

Le déni de l’homogénéité (pauvre Décodeur)

Si donc, du point de vue de la « réalité », le choix est entre le bien et un moindre mal, dont on expliquera qu’on le tient cependant pour le sommet du mal, alors il faut se mettre à tout prix en travers du vrai mal, mais sans pouvoir dire ouvertement que c’est lui qu’on considère comme tel : le mal d’une autre différence, le mal qui ne croit pas à la « réalité », celui qui pense que les définitions implicites de la « réalité » sont toujours mensongères, au moins par omission, qu’elles occultent systématiquement d’où sont venus ses cadres, qui les a installés, qu’ils n’ont pas toujours été là, par conséquent qu’il est possible d’en inventer d’autres. Ce mal à combattre sans merci, c’est la différence de gauche.

On ne s’étonnera pas de lire sous la plume d’un décodeur demi-habile la puissante critique de « lémédia » (6), injuste réduction à l’uniformité d’un paysage si chatoyant de diversité. « Lesjours.fr ou Le Chasseur Français » ne racontent pas la même chose nous apprend le penseur-décodeur, de même qu’« Arte c’est [pas] pareil que Sud Radio ». Comme c’est profond, comme c’est pertinent. « L’actualité sociale [n’est pas] présentée de manière identique dans L’Humanité et dans Valeurs Actuelles » poursuit-il si bien lancé, et n’est-ce pas tout à fait vrai ? On pense aussitôt à Gilles Deleuze : « on connaît des pensées imbéciles, des discours imbéciles qui sont faits tout entiers de vérités ». Misère de la pensée fact-checkeuse.

Dans le registre qui est pourtant le sien, pour ne pas trop le secouer quand même, on pourrait demander à notre décodeur combien de fois par an il entend citer L’Humanité, Politis ou Le Monde Diplomatique dans la revue de presse de France Inter, ou ailleurs, combien de fois il voit leurs représentants à la télé ou dans les radios. Voudrait-il avoir l’amabilité de se livrer à ce genre de décompte ? (on lui signale qu’Acrimed s’y livre à sa place depuis deux décennies et que, de même, jamais un article d’Acrimed n’est cité dans lémédia bariolés). Au hasard, puisqu’il décode au Monde, pourrait-il fact-checker vite fait combien de reprises ont salué l’édifiante enquête de Politis sur les méthodes managériales de Xavier Niel (7), où l’on comprend tout de même une ou deux choses sur ce qui conduit de la violence néolibérale aux rages qui saisissent les classes salariées ?

La gauche, l’inadmissible différence

Sauf pour cette forme de cécité intéressée qui tient des variations de queues de cerises pour des différences ontologiques, lémédia existent bel et bien, on peut même en donner la caractéristique constitutive : la haine commune de la gauche que, significativement, tous nomment de la même manière : « extrême-gauche » ou « gauche radicale », quand ça n’est pas le risible « gauche de la gauche », cet aveu involontaire que ce qu’ils appellent usuellement « la gauche » est bel et bien à droite. Sans surprise, cette haine est portée à son comble dans les médias de gauche de droite, où le culte de la « réalité », c’est-à-dire le schème fondamental de la pensée de droite, a été si profondément intériorisé que le reconnaître mettrait à mal des engagements de plusieurs décennies – au service de la « réalité » –, et pire encore, des représentations intimes de soi, des luttes personnelles trop incertaines pour s’efforcer de croire qu’on est « quand même de gauche ».

Il suffit d’observer dans ces médias le traitement comparé, textuel, iconographique et politique, des personnalités de gauche (de vraie gauche) et des personnalités du centre, voire carrément bien installées à droite, pour se faire une idée de leur lieu réel – encore le week-end dernier dans Libération, « NKM, la geek, c’est chic », oui, c’est d’une insoutenable violence. S’il y a des endroits où l’on fait sans merci la chasse à la différence de gauche, à cette différence qui pense que le monde présent n’est pas la « réalité », parce qu’il n’a pas toujours été ce qu’il est, qu’il l’est devenu par l’effet d’une série de coups de force, dont la plupart d’ailleurs ont été politiquement accomplis par des gouvernements « de gauche », et symboliquement validés par des médias « de gauche », s’il y a des endroits où cette différence fait l’objet d’une traque éradicatrice, ce sont bien, en effet, « lémédia ».

Or l’étouffement systématique de la différence de gauche, celle qui s’en prendrait ouvertement à la mondialisation libérale, qui fracturerait le verrou à toute politique progressiste possible de l’euro, qui contesterait l’emprise du capital sur toute la société, et même : remettrait en question les droits de la propriété lucrative sur les moyens de production, organiserait juridiquement le contrôle politique des producteurs sur leur activité, cet étouffement ne laisse ouvert que le soupirail de l’extrême-droite, porte des Trump au pouvoir car ceux-ci arrivent lancés avec bien plus d’avance que des Sanders, dont lémédia, en effet, ont tout fait pour qu’il ne vienne pas déranger la candidate chérie (8), comme ils font tout pour abaisser Corbyn, traîner Mélenchon dans la boue, tous noms propres à lire ici plutôt comme des noms communs, comme les appellations génériques d’une possibilité de différence. Oui lémédia existent, bons apôtres du dépassement de l’idéologie en proie à des haines idéologiques incoercibles : par haine de Sanders, ils ont eu Trump ; par haine de Corbyn, ils maintiendront May ; à Mélenchon ils préféreront tacitement Le Pen – mais attention, avec des éditoriaux grandiloquents avertissant qu’il y a eu « un séisme ». Et si d’aventure le désir d’une différence de gauche désinvestissait ces personnages trop institutionnels et souvent trop imparfaits, pour prendre la rue sérieusement, c’est-à-dire, par-delà le folklore du monôme, avec la menace de conséquences, lémédia n’y verraient plus que des « casseurs », comme lors de Nuit Debout quand, passé le moment du ravissement citoyen, le cortège de tête a commencé à affoler les rédactions, interloquées d’« une telle violence ».

L’écroulement ?

C’est qu’un système signale son impuissance à ses points de stupéfaction, qui le voient désemparé d’incompréhension aux situations qu’il a lui-même contribué à produire. On sait qu’on se rapproche de ces points lorsque, résultat nécessaire de la prohibition des différences, la confusion s’accroît, nourrie par le commentaire médiatique, lui-même de plus en plus désorienté. Alors des électeurs de « gauche » affolés se précipitent à une primaire de droite ; on débat gravement de la légitimité d’une telle participation ; on laisse un pur produit du système se qualifier lui-même d’anti-système quand une telle bouffonnerie devrait lui valoir le ridicule universel ; on commentera bientôt son livre intitulé Révolution, et le sauf-conduit accordé sans sourciller à une pareille imposture lexicale livrera en effet l’essence réelle de lémédia, leur commune collaboration au dévoiement des mots, à l’effacement de toute perspective de transformation sociale dont le signifiant historique, « révolution », recouvre désormais la suppression des 35 heures et la libéralisation des autocars. Car il faut imaginer comment aurait été reçue la Révolution d’un Macron dans les années 70, à l’époque où lémédia n’avaient pas encore acquis leur consistance d’aujourd’hui : dans un mélange d’outrage, de rires et d’épluchures. Dans un formidable télescopage où le fortuit exprime inintentionnellement toute une nécessité, c’est sur Macron, précisément, que L’Obs fait sa une le jour même de l’élection de Trump – Macron, l’agent par excellence de l’indifférenciation, du règne de la non-différence, le carburant de la différence d’extrême-droite.

Lorsque la gauche officielle, celle que lémédia accompagneront jusqu’à la décharge, devient à ce point de droite, qui peut s’étonner que la droite pour continuer d’avoir l’air de droite, c’est-à-dire différente de la gauche, n’ait d’autre solution que d’aller encore plus loin à droite, et que tout le paysage soit alors emporté d’un seul mouvement ? Mais poussé par qui ? Sinon par cette « gauche » elle-même et sémédia. Pacte de responsabilité, CICE, TSCG, loi travail, étranglement de l’AP-HP, massacre social passivement observé à La Poste : les commandements douloureux mais incontestables de la « réalité » – elle, hors fact-checking. Et pendant la destruction qui trumpise infailliblement toutes les sociétés, lémédia soutiennent à bout de force la « gauche-qui-se-confronte-au-réel (elle !) », cet asile de la démission politique, cette pauvreté pour têtes farineuses, qui ont trouvé leur dernière redoute dans ce rogaton de pensée.

Plutôt l’abîme que la vraie gauche, voilà à la fin des fins le choix implicite, le choix de fait, de lémédia. C’est que les protestations outragées d’une telle imputation n’en pourront mais : de quelque manière que les individus recouvrent leurs actes en paroles, ce sont bien ces actes qui trahissent leur préférences de fait, leur préférences réelles. Après avoir tout fait pour ne laisser aucune chance à la seule différence opposable à la différence d’extrême-droite, on dira alors que, comme Trump, Le Pen est arrivée… parce que le bas peuple ne croit plus à la vérité. Voilà où en est la pensée de lémédia. Qui n’auront bien sûr, pas plus à ce moment qu’aujourd’hui, aucune responsabilité dans l’état des choses.

Un système qui ne possède plus aucune force de rappel, plus aucune régulation interne, plus aucune capacité de piloter une réelle transition politique à froid ne mérite que de disparaître. Il va. Le propre d’un système aussi rigidifié, aussi hermétique à son dehors, et incapable d’enregistrer ce qui se passe dans la société, c’est qu’il ne connait pas d’autre « ajustement » que la rupture, et qu’il suffit de très peu de temps pour le faire passer de l’empire écrasant qui barre tout l’horizon à la ruine complète qui le rouvre entièrement.

Frédéric Lordon

Notes

(1) Voir « La procession des fulminants », Acrimed, 17 juin 2005.

(2) Thomas Legrand, « La presse déconnectée ? », L’édito politique, France Inter, 14 novembre 2016.

(3) Jérôme Fenoglio, cité in « En France, les médias promettent de “réduire la distance avec les lecteurs” », Libération, 19-20 novembre 2016.

(4) Katharine Viner, « How Technology Disrupted the Truth », The Guardian, 12 juillet 2016, Katharine Viner reprend ici une citation de Zeynep Tufekci, sociologue turque.

(5) Ou qu’elle lui semble en avoir suffisamment l’air…

(6) Samuel Laurent, responsable des Décodeurs au Monde, « La post-vérité, lémédia, le fact-checking et Donald Trump », Medium France, 14 novembre 2016.

(7) Erwann Manac’h et Sweeny Nadia, « Enquête sur le système Free », Politis, 18 mai 2016.

(8) Lire l’article de Thomas Frank à paraître dans Le Monde diplomatique de décembre 2016.

 http://blog.mondediplo.net/2016-11-22-Politique-post-verite-ou-journalisme-post
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COMMENTAIRES  

24/11/2016 07:26 par François

Tout comme pour les politiques, il ne faut pas croire que les éditorialistes sont nuls ou atteints de troubles mentaux divers. Il faut juste comprendre qu’ils ne roulent pas pour la vérité mais pour leurs patrons. De même les politiques ne roulent pas pour leurs électeurs mais pour leurs donnateurs de campagne (qui sont aussi les patrons des éditorialistes).
Mais cette idée parrait tellement contre nature pour les gens intrinsequement honnêtes (la grande majorité de la population) qu’elle peine à être acceptée. Ç’est un peu comme les principes de la mécanique quantique qui semblent contre nature dans le monde macroscopique mais décrivent si bien le monde microscopique. Il aura fallu 1/2 siècle pour qu’il s’impose.
Sinon je suis bien content de lire ici Frédéric Lordon, ça me rappelle le bon vieux temps de là bas si j’y suis.
J’espère qu’il multipliera ses interventions.

24/11/2016 08:00 par legrandsoir

Vous pouvez retrouver F. Lordon sur son blog (voir lien en fin d’article)

24/11/2016 08:15 par Geb.

Quoi d’autre ???

Sinon que d’ajouter : "Comme toujours ce sont ceux qui paient les violons qui choisissent la musique".

Il n’y a jamais eu de médias "libres". Simplement à un moment ou à un autre des médias au service des intérêts de leurs lecteurs et surtout au service de ceux qui les financent et les animent.

Des "médias" ça ne peut être que des "transmetteurs de pensée". Et AUCUNE pensée ne peut être indépendante des intérêts de ceux qu pensent à travers elle.

Le jour ou les médias révolutionnaires, au service de la majorité exploitée, ont accepté les financements et les concepts de leurs ennemis minoritaires, (Quelle qu’en soit la raison invoquée), ils ont signé leur arrêt de mort...

Et l’arrêt de mort de ceux qui ont continué à les suivre par paresse ou habitude.

L’"objectivité" de la presse ne peut être que celle des intérêts qu’elle est censée défendre et pérenniser.

Que tous ceux qui nous ont gavé avec cette "objectivité" illusoire qui a détruit les espoirs de NOTRE classe exploitée s’en souviennent quand ça va leur faire mal au c..

Et bravo à Lordon pour cette analyse magistrale.

24/11/2016 10:34 par Assimbonanga

Quelle déception ! A lire le titre accrocheur du paragraphe " Les Morts-vivants", j’ai cru que Lordon allait nous faire une révélation sur la possible réincarnation d’une famille pharaonique sur la photo de la famille Trump au soir de l’élection du richissime pater familias. J’allais enfin avoir confirmation que leur image empesée, leurs visages retouchés, leur absence d’expression, leurs poses d’automates, leur vêture lissée, leurs coiffures standardisées, leurs coloris recolorisés, relevaient du processus de la résurrection vampirique...

J’avoue que, comme d’autres commentateurs, ce long article me semble un Anapurna. J’ai du mal à m’y accrocher. Faudrait-il pas une enquête sur le journalisme ? Sur les écoles de journalisme ? École publique ou fondations financées par de généreux philanthropes ? Faudrait-il pas rééditer le petit bouquin qu’un élève journaliste avait écrit au sortir de ces études, l’élève François Ruffin ? Cela nous en dirait peut-être mieux sur le concret de la situation ?

24/11/2016 10:39 par Roger

Oups ! ça décape bien...
J’anticipe qu’il y aura un lot de commentaires sur la difficulté (pour ne pas dire plus..) du "style" de Lordon. Et c’est une des caractéristiques de lémédia que ne pointe pas F.L. : en plus du fact-checking, ils ont imposés avec les idées courtes et simplistes le vocabulaire, les phrases et le style qui vont avec...Technique classique de la volonté d’acculturer.
Mais pourtant, en prenant le temps de lire, de consulter un dictionnaire, de relire, d’accepter de ne pas tout comprendre tout de suite (oui je sais c’est facile quand on est retraité !), on dispose là d’une analyse particulièrement éclairante de la manière dont les propriétaires des média les font travailler à la manipulation insidieuse des opinions, avec les résultats que l’on sait. Et devant la stupéfaction, l’étonnement sincère de leurs journalistes de une, on peu penser en effet que le degré zéro de leur pensée est pourtant bien le fond de leur pensée !

24/11/2016 22:31 par G. Bassignot

Article intéressant, quoique un peu long, l’auteur aurait pu dire la même chose de façon plus concise. Ceci dit, pourquoi utiliser ces anglicismes ? Que veut dire "fact-bashing" ? Je n’ai jamais entendu ni vu ce terme ou que ce soit... la langue française serait-elle si pauvre qu’il faille recourir à l’anglais pour exprimer certaines idées... ? C’est comme le terme "coatch" qui veut dire entraineur, maintenant, c’est commun de dire "coatch" au lieu d’entraineur, comme c’est commun de dire "week end" au lieu de fin de de semaine. Cela fait plus classe, parler trop français devient "ringard", voire arriéré... De la même façon on parle de "tsunami" au lieu de raz de marée, penserait-on qu’un ’tsunami" est plus important qu’un "raz de marée" ? Alors qu’il s’agit d’un mot japonais qui signifie justement "raz de marée".. Excusez mon ignorance, je suis sans doute encore un des derniers dinosaures restant qui pense que notre langue est encore une belle langue et n’a pas besoin d’utiliser des termes d’autres langues pour exprimer certaines idées. Peut-être que je suis vraiment un "ringard" parce que je refuse l’américanisation de la France et par extension du système dont vous vous nous faites à longueur de temps (à juste titre) la critique...

25/11/2016 04:29 par depassage

@ G.Bassignot
Je ne crois pas que vous êtes ringard et je ne crois que le français manque de mot pour exprimer certaines réalités. Par contre, il y a des états d’esprit qui peuvent varier d’un peuple à un autre, d’une communauté à une autre ou d’une corporation à une autre qui se traduisent par des mots qu’on ne peut traduire sans nuire à leurs sens.
Par exemple : fack-cheaking qui peut se signifier vérifier les faits, observer les faits ou enquêter sur les faits pour les vérifier, mais laisse incompréhensible la croyance en la vérité du fait. Le fait est la vérité et lui suffit, on ne prend même pas la peine de l’interroger. En réalité, il n’y a pas des fait sans faits causes ou faits conséquences (un fait est une étape, une saillie parmi d’autres d’une réalité toujours en mouvement et bien complexe, ma foi !) sauf si on rentre dans certains labyrinthes de la science proche de la science fiction. En plus, les faits ne sont pas tous observables, certains peuvent être écartés parce que jugés sans importances ou peuvent nous échapper ou être ignorés par notre filtre idéologique (et qui n’en a pas ?)
J’avertis que je ne suis pas un spécialiste en langue anglaise, c’est juste un fait de mes observations par côtoiement.
Une des conséquences de cette croyance amène ses adeptes à croire qu’ils sont l’émanation de la vérité, fait étrange mais c’est comme ça. Dans les faits, ils ne sont que la vérité d’un ordre, comme certains croient qu’ils sont la vérité de Dieu et au dessus de tout alors que peut-être ils ne valent pas une mouche aux yeux du Dieu universel qu’il ne proclame tel que pour mieux le trahir.
Frederic LORDON à une vision de poète qui fait tilt sur les arnaques de ceux qui se prennent pour nos guides. Il vaut qu’on se donne la peine de le comprendre.

25/11/2016 05:43 par Malbrough

Texte très intéressant .
Reflet du chaos dans lequel notre société est plongée .
( chaos qui touche nos vies , nos personnalités propres ( par absence d’espoir , d’alternative et trop plein de tensions)
Bien d’accord que celui-ci est lié à la perversité du néolibéralisme qui nous fut imposé il y a plus de 30 ans, avec ses dérégulations , sont "toutépermis" , puisqu’il n’y a apparemment plus aucune règle , plus aucune loi apparentes sauf celles de la prédation pour ceux (une minorité) qui en tirent profit , sans limite donc .
Par exemple pendant longtemps le capitalisme revendiquait des lois anti monopoles pour stimuler une saine concurrence : celles-ci ont sauté .
Nous sommes dans l’hyper concentration , dans l’ère des méga groupes , de la méga finance prééminente , dissociée du réel , qui gèrent comme ils l’entendent , à travers ses dirigeants , ses collaborateurs , des sommes colossales ,utilisant des mécanismes abscons (ex les effets de levier) , dont on ne connait même plus l’origine et qui investissent dans n’importe quoi , sauf dans le réel cad la production à l’intérieur de nos frontières , jugée peu rentable, has been ,en regard des bénéfices immenses obtenus à partir du travail dans les pays à bas coût et non taxé .
Ou encore les bénéfices à court terme issus de la spéculation à court terme des sociétés et individus qui ont la main sur les flux financiers , sur nos banques , nos épargnes .
Cette pieuvre étrangle nos sociétés et n’épargne personne (exemple une partie des agriculteurs devenus entrepreneurs , sollicités par le gigantisme et jouant en bourse les récoltes ).
Pour terminer : il suffit d’observer par exemple via un documentaire l’anéantissement de la ville de Détroit ,au nord des USA ,en face du Canada , autrefois prospère , dévolue à la construction automobile et tuée par la mondialisation , (Cf Michael Moore) , pour comprendre qu’un D Trump , promettant de remettre les pendules à l’heure , cad relancer un capitalisme régulé , qui permet aux salariés de vivre tout simplement , avait toutes les chances de se faire élire .

25/11/2016 08:14 par chb

Je cherche en vain, dans ce superbe mais déjà trop long article, des mots qui me semblent particulièrement maltraités médiatiquement.
Ben y a pas « Russie », dommage. Car justement le Parlement européen, angoissé par la petite musique moscovite, vient de concrétiser

Les communications stratégiques de l’UE en tant qu’instrument pour contrecarrer la propagande des parties tiers

en votant rien de moins que la censure : des mesures destinées à limiter l’activité des médias russes en Europe. Sur les 691 députés qui ont pris part au vote, 304 ont voté pour, 179 contre et 208 se sont abstenus.
Y a pas guerre, non plus. Nos journaux (propriété notamment de marchands d’armes !) ont pourtant pris tout leur rôle comme tambour d’ingérences.
A développer, donc.
Nb : La Marseillaise, ex-quotidien communiste, vient de rendre l’âme.

25/11/2016 10:41 par D. Vanhove

Désolé... je vais sans doute prendre un risque en espérant que les lecteurs de LGS ne me tomberont pas dessus à "bras raccourcis"... mais en d’autres temps, un tel texte aurait été traité de "branlette intellectuelle"... et ce n’est pas le premier émanant de FL qui me paraît se faire plaisir (rien de grave, hein...!) à travers de telles logorrhées... mais me semble déconnecté de ce que vivent les citoyen-nes, et dans ce sens, se marche dessus en adressant précisément ce même reproche aux tenants du pouvoir...

je partage l’avis émis ci-dessus qu’un tel papier aurait pu être bcp plus court, avec moins d’assertions en "english", mais soit... chacun écrit comme il le sent, mais ce n’est pas pcq c’est du "FL" qu’il faut systématiqmt crier "au génie"... quant à y voir de la poésie, excusez-moi, mais je ne partage pas ce mélange des genres et préfère - de loin - me tourner vers les vrais poètes que sont les Villon, Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Apollinaire, Eluard, Ferré... et qqs autres encore...

25/11/2016 16:47 par legrandsoir

@D. Vanhove
Si vous évoquez les "citoyen-ne-s", vous devriez savoir que vous faites offense à nos lectrices en parlant de "lecteurs" du GS.
Les lecteurs-trices du GS sont des citoyen-ne-s chatouileux-ses et i-el-l-e-s sont nombreux-ses à vouloir être considéré-e-s ou à s’horrifier du charabia démago-féministe qui plombe les écrits de gauche, tandis que les journaux féministes, même de droite, s’amusent d’avoir diffusé le virus de l’illisibilité.
Lire ou relire : https://www.legrandsoir.info/le-la-grand-e-soir-ee-a-ses-lecteurs-trices-francais-es-et-etrangers-eres.html

25/11/2016 17:40 par depassage

@ D.Vanhove

Ces derniers temps, j’ai un peu de temps et je vais être peut-être le premier à vous tomber dessus à bras raccourcis. Tout est souvent un point de vu d’un instant. Vous dites :

mais me semble déconnecté de ce que vivent les citoyen-nes, et dans ce sens, se marche dessus en adressant précisément ce même reproche aux tenants du pouvoir...

et vous avez entièrement raison. Ce discours peut donner des mines refrognées à beaucoup, je vous l’accorde. Mais si, sur quelque point précis, en tire un plaisir en sentant qu’on n’est pas seul à étouffer sur de véritables logorrhées qui nous entoure au quotidien, pourquoi ne pas voir en la personne un poète sans le comparer aux poètes cités-ici pour dire que cela reste limité et c’est de la littérature.
J’espère que vous avez bon dos et que mon bras raccourcis ne vous a pas fait mal. En tout cas, je vous apprécie beaucoup.

25/11/2016 19:11 par "Personne"

Je doute qu’un tel texte participe à l’éveil des Consciences.

« Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément. […]
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage ;
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ;
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajouter quelquefois, et souvent effacez. » BOILEAU, L’art d’écrire.

à LGS,
Au sujet de la féminisation des noms : il aurait été préférable d’établir une règle de proximité d’accord du genre . « Les lecteurs et les lectrices sont nombreuses à LGS ». En effet derrière la règle actuelle, on trouve la justification : « pour une raison qui semble commune à toutes les langues, que le genre masculin étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble. » Vaugelas (1585-1650)

25/11/2016 22:32 par depassage

Cher personne,
Vous êtes redoutables dans les références et les citations. Je profite de cette occasion et de votre remarque par citation interposée pour apporter mon sel sur le féminin et le masculin. Tout provient de notre imaginaire et de nos facultés de distinction en résumant, facultés sans lesquels on n’aurait pas pu survivre. En fait, le monde est un ou il apparaît un où tout est lié à tout. Qui dit distinction, dit comparaison. C’est en comparant les choses entre elles que notre imaginaire s’est développé sans jamais aller plus loin que ce que nous offrent notre environnement constitué du ciel et de la terre. Tout ce qui nourrit ou d’apparence faible a tendance à être féminisé par comparaison à la mère qui nourrit son enfant avec son lait et à sa taille généralement plus petite que celle de l’homme, et tout ce qui protège et qui est fort, est généralement au masculin et le reste est souvent neutre ou indifférencié. Mais dans tout cela, il faut tenir compte des cultures, de leurs histoires, de leurs lieux géographiques et de leurs influences réciproques. La terre ne peut être que féminin ou neutre et le ciel masculin ou neutre ( le ciel féconde la terre et et l’homme féconde la femme). Mais il y a tellement de préjugées qui rentrent en jeu dans toutes les cultures qu’il est presque impossible de saisir le pourquoi d’un tel féminin ou d’un tel masculin. On peut trouver par exemple dans certaines cultures ce qui désigne une chose en générale est au masculin, mais cette même chose prise en particulier est au féminin. Le pain, une pain.
En conclusion, j’ai toujours voulu vous remercier pour votre travail et je ne l’ai pas fait. C’est l’occasion pour le faire : je vous remercie.

26/11/2016 09:02 par macno

@ D. Vanhove
« en d’autres temps, un tel texte aurait été traité de "branlette intellectuelle" »

À "branlette intellectuelle", dans un commentaire "fantôme", moi j’avais préféré (si je me souviens bien), le concept philosophique en diable de "masturbation intellectuelle"...Quant à "se faire plaisir" on pourrait parler comme avait dit Léo, d’« Onanisme torché au papier de Hollande »....
« Poètes, vos papiers ! »
Je vous rejoins donc pas mal avec une nuance peut-être un peu plus bisexuée, mais oserai-je dire, n’entrons pas dans les détails...
Comme quoi les grands esprits se rencontrent...
Par contre, je n’ai pas eu votre privilège de faire paraître un tel commentaire Ô combien chargé de ces si impertinents et donc sacrilèges propos. En effet, "Anesthésie" a implacablement endormi par 3 fois mes humbles commentaires "fantômes" similaires au vôtre sans autre forme de procès.
Lâchement frappés d’ostracisme muet ils furent...
@ Legrandsoir : « L’erreur est humaine, y persévérer est diabolique ».

26/11/2016 09:48 par tchoo

Vous prenez les lecteurs de LGS pour quoi ?
serait-il incapable de comprendre un long texte de Frédéric LORDON ?
Ces écrits ne sont jamais court, souvent complexe à comprendre d’un seul sujet et mérite souvent une relecture.
Alors bien sur, dans notre monde tweeté, cette façon de faire parait incongrue et déstabilisent ceux mêmes qui croient se préoccuper de la compréhension des autres.
Je trouve cet écrit très explicite et plutot clair, décrivant remarquablement cette presse et son penchant plutôt LE Pen que Mélenchon ressenti confusément par beaucoup et parfaitement mis en mot par LOrdon

26/11/2016 15:27 par Aris-Caen

Quand je lis du Frederic LORDON, je pense tout de suite à Jean-Pierre Garnier.
« Leur faire peur ? ou nous faire rire... »
http://www.librairie-tropiques.fr/2016/04/jean-pierre-garnier-leur-faire-peur-ou-nous-faire-rire.html

26/11/2016 17:44 par D. Vanhove

@ depassage : merci pour votre commentaire et non, votre bras ne m’a pas fait mal...

@ macno : n’ai pas la prétention d’être un "gd esprit", mais suppose qu’il s’agit-là d’un second degré... quant aux "oublis" de LGS, j’ai moi-même posté parfois l’un ou l’autre commentaire qui n’a pas tjr été publié... pas grave... je pense que le travail de qualité effectué par LGS reste le plus important à considérer...

@ tchoo : perso, je n’émets aucun doute quant à la capacité des lecteurs de LGS à comprendre quoi que ce soit... je dis simplement qu’un tel article aurait pu être amputé de moitié pour dire la même chose... et il semble que je ne sois pas le seul à penser de la sorte... (merci au lien bcp moins tendre que ma note posté par Aris-Caen) mais seulement voilà, certains n’osent p-ê tout simplement pas l’émettre, de peur de se faire rouer de mots... (j’ai moi-mm pris des précautions en introduction de mon commentaire)... c’est dire s’il existe consciemment ou non une pression interne au sein des lecteurs du site... ce qui me semble regrettable

enfin, et pour en revenir plus au fond de l’article de FL, non seulement je pense qu’il est possible de formuler la même chose de manière plus courte et tout aussi compréhensible, mais je pense aussi qu’il s’y trouve des éléments incorrects avec lesquels on peut ne pas être d’accord : comme p.ex. de fustiger ceux qui ne croient plus en une idéologie, quelle qu’elle soit d’ailleurs, et se font traiter de "crétin" par Mr Lordon qui, heureusement pour lui, n’en a pas connu les désastres comme ceux qui l’ont svt payés de leurs vies sous d’autres régimes, assurément "idéologiques" pour le coup ! ; ou encore celui de dire que "la politique est l’exercice de la différence", quand à mes yeux, elle est d’abord l’exercice d’un rapport de forces... ce qui n’est pas la même chose... ; etc,...

bref, le texte me paraît bcp trop long pour ouvrir ici un débat sur ses assertions qui me paraissent pour le moins, contestables... à moins que d’aucuns n’aient déjà fait de FL une icône intouchable...

26/11/2016 21:50 par macno

@ D. Vanhove
« n’ai pas la prétention d’être un "gd esprit", mais suppose qu’il s’agit-là d’un second degré. »
C’était bien évidemment un second degré, voire plus !
« le texte me paraît bcp trop long pour ouvrir ici un débat sur ses assertions qui me paraissent pour le moins, contestables »
On est entièrement d’accord.
J’avais, il y a maintenant pas mal de temps, un à-priori assez positif au sujet de F. Lordon. Depuis il m’a bien désillusionné, et c’est dommage...

26/11/2016 22:53 par legrandsoir

Solution : lisez des textes plus courts.

27/11/2016 07:45 par macno

@legrandsoir
« le texte me paraît bcp trop long pour ouvrir ici un débat sur ses assertions qui me paraissent pour le moins, contestables »
« Solution : lisez des textes plus courts ».

Pourquoi vous adressez-vous plus particulièrement à moi et d’une manière méprisante comme pour envenimer les choses ?
Je ne peux que rétorquer : "c’est franchement malin comme réponse...!"
Ce n’est vraiment pas le moment (devinez pourquoi !), je n’ai vraiment pas le cœur à disserter sur un texte, celui de Lordon, qui en définitive ne présente d’intérêt que pour ceux qui le comprennent, c’est à dire à mon avis, pas grand monde.
À mon avis il vaut mieux en rester là...

27/11/2016 15:36 par Roger

Bref, pour faire court si j’ose dire, et sans vouloir comparer le "petit" Lordon à ce géant, j’ai l’impression que certains commentateurs n’ont du jamais pu lire Marx...Il est vrai qu’il a presque tout dit, a la fois simplement et poétiquement, dans un court opuscule : Le Manifeste...
Chacun trouve du grain à penser là où tombent des semences (Je ne sais plus de qui c’est, mais c’est court et ça en dit long !).

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