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Pour qui vient du sud de l’Amérique avec les morts enterrés dans l’estomac, il faut se contenir en écoutant les fils de la bourgeoisie de Caracas crier « dictature » (La Tecl@ Eñe)

Non, le Venezuela n’est pas une grande barricade. Ce n’est pas non plus la multitude qui a envahi Caracas. Les médias mentent. Depuis que jeudi dernier a commencé la dénonciation mondiale d’un supposé « coup d’Etat » de Maduro, la ville est pareille à elle-même. Les rues sont les rues de toujours, puissantes, si caraquègnes. Au point qu’on apprenait l’existence du « coup d’Etat » à travers des messages qui parvenaient du dehors, alors que tout était comme d’habitude dans le Centre, autour de l’Assemblée Nationale, du palais présidentiel de Miraflores.

Y a-t-il eu ou non un coup d’Etat ? Juridiquement parlant, non. Le Tribunal Suprême de Justice (TSJ) a émis une sentence sur une Assemblée Nationale (AN) entrée dans l’illégalité parce qu’elle veut maintenir de force trois députés élus de manière frauduleuse, dont la majorité de droite issue des législatives de 2016 a annoncé à plusieurs reprises qu’elle allait en finir avec le président Nicolás Maduro, et qui a tenté en octobre 2016 d’imiter un coup d’État institutionnel « à la brésilienne », puis a revoté en janvier 2017 une non-reconnaissance du président élu. Tout change selon le point départ qu’on prend… En Argentine le journal La Nación ne dit-il pas que la violence politique a commencé avec la guérilla des montoneros ?

On pourrait aller plus loin : ceux qui dirigent aujourd’hui l’Assemblée Nationale – et l’opposition de droite en général – sont les mêmes qui lancèrent le coup d’Etat d’avril 2002 contre le président Chavez avec l’appui du MEDEF local et d’un secteur pro-étatsunien des forces armées. Ils feignent aujourd’hui l’amnésie.

Il n’y a pas eu cette fois de « coup d’État » mais une décision du Tribunal Suprême qui dans un premier temps a retiré leur immunité aux parlementaires et a donné au TSJ la possibilité d’assumer les compétences d’une AN refusant les verdicts de la justice. L’avalanche médiatique fut automatique, comme il se doit, dans le cadre des attaques internationales contre le Venezuela, avec à leur tête, la vieille OEA historiquement sous influence de Washington. Le vendredi se produisit un tournant inattendu lorsque la Procureure Générale de la République déclara face aux caméras que la résolution du TSJ avait rompu le fil constitutionnel. Le soir-même, autre surprise : le président Maduro annonça la réunion du Conseil de Sécurité de la Nation pour résoudre ces divergences. Résultat : le lendemain le TSJ a fait marche arrière en supprimant les deux articles qui faisaient polémique. Simple pirouette pour revenir au point de départ ?

De nombreux experts constitutionnels ont pris publiquement position en donnant leur avis sur la validité de la première décision du Tribunal Suprême. La droite a dit que tout était un montage : la sentence, la Procureure Générale, Maduro, la révision et la résolution finale. Tout cela n’aurait été qu’une machination chaviste pour démontrer qu’il y a une séparation de pouvoirs au Venezuela – bref le grand complot… C’est alors que, sur commande médiatique internationale, la droite a tout rejeté et s’est lancée dans la rue – escarmouches jeudi et vendredi – avec quelques minutes de tambourinage de casseroles , concentration le samedi dans les rues de l’Est riche de la capitale – deux mille personnes – et le mardi un grand show pour les caméras, pendant que les députés annonçaient leur intention de destituer les magistrats du TSJ.

Choc des pouvoirs de l’Etat, choc des caméras et choc international.

Et la rue ?

L’envers du décor… Pour le casting du grand JT planétaire (comme en 2013, 2014, 2015 et 2016..), la droite offre à un essaim de journalistes quelques plans serrés de son « peuple révolté » : des jeunes bien payés, organisés en commandos, entraînés par les paramilitaires colombiens ou par d’autres puissances, pour agresser les forces de l’ordre et fournir les clichés nécessaires de la « dictature de Maduro ».
Le monde fantastique de la bourgeoisie vénézuélienne : en haut pour l’international, en bas pour les copines sur instagram.
La Direction de la Magistrature du Tribunal Suprême de Justice après le passage des commandos « pacifiques » de l’opposition, le 8 avril 2017, à Caracas.

Caracas se divise en deux grands « arrondissements ». L’Ouest, gouverné par le chavisme, l’Est par l’opposition de droite. La limite centrale : la Plaza Venezuela. L’accès à l’ouest fut interdit à la droite depuis qu’en février 2014 elle a incendié plusieurs institutions de l’État. Ce fut le cycle des guarimbas menés par l’Aube Dorée vénézuélienne et qui laissa un total de 43 morts. Leopoldo López, organisateur de ces violences, fut arrêté et transformé par les médias du monde entier en « prisonnier politique » (1). C’est pour cela que les manifestations de la droite ont lieu dans l’Est de la ville. C’est une frontière de classes : c’est la que se concentre sa base sociale, classes moyennes et hautes, minorité sociologique mais majorité médiatique.

Comme pour la droite équatorienne qui refuse de reconnaître le verdict des urnes et joue la carte de la violence de rue, le pari réitéré par les dirigeants de la droite vénézuélienne est de parvenir à l’Ouest : au Palais de Miraflores, au Conseil National Électoral, au Parquet général de la République, où que ce soit, selon la conjoncture. Passer au-delà de la Plaza Venezuela, c’est ce qu’annoncent les dirigeants à tout instant pour finalement, tromper leur monde. Parce qu’en n’ayant pas d’autorisation pour pénétrer dans ce secteur, ils se retrouvent face à un cordon de policiers. Faudrait-il les laisser passer ? Pour se battre avec les manifestants du chavisme ?

C’est sur cette base que la droite a appelé à manifester le mardi. Ils étaient peu, très peu. Disons 3 mille, avec pour objectif de renverser un gouvernement, une dictature. Parce que c’est ainsi qu’ils parlent. Et pour qui vient du Sud de l’Amérique avec les morts enterrés dans l’estomac, il faut se contenir en écoutant les fils de la bourgeoisie de Caracas crier « dictature », eux, les propriétaires des choses depuis si longtemps, eux qui ont gagné à chacune de nos morts. La matrice de communication internationale est claire : coup d’État, « régime », dictature, censure, prisonniers politiques, violations des droits de l’homme, crise humanitaire, etc… Dans les rues le jeu est différent : groupes de choc pour chercher l’affrontement, générer de la fumée, des pierres, des courses-poursuites. Il faut des images pour l’OEA, pour le monde, pour justifier l’intervention (2). Si les masses n’y vont pas, il faut des cellules entraînées. Ils n’étaient pas plus de 300 dans les zones de choc. Ces images se mêlent à celle de la speakerine commerciale, la blonde Lilian Tintori devenue épouse de prisonnier politique/figure angélique internationale, plus quelques personnes évanouies, plus un jet d’autopompe, et voilà, tout y est… « Maduro sombre dans la dictature » écrira tel ou tel site « alternatif » en Argentine, en France : la boucle sera bouclée sur la planète « George Orwell ».

La droite ne réussit pas à remobiliser. Elle a trompé ses militants par deux fois l’an passé. Elle avait réuni près de 40 mille personnes avec la promesse d’arriver au palais de Miraflores. A la fin de chaque concentration elle a renvoyé les gens chez eux, pour qu’ils frappent sur des casseroles, dans le meilleur des cas. Les dirigeants ont fini par perdre la légitimité, leur base sociale veut une revanche, une punition. Les dirigeants aussi. Ce n’est pas si simple de renverser un gouvernement sans forces armées, sans classes populaires, et sans une fraction de la bourgeoisie qui noue des pactes avec ce gouvernement.

C’est pour cela qu’ils dépendent du front international. Les jours avant, pendant et après le « coup d’État », une vingtaine de dirigeants ont quitté le pays : Capriles Radonsky, Lilian Tintori, Freddy Guevara, Julio Borges, entre autres. Un hasard ?

Ils ont perdu la rue. Le chavisme par contre, la tient encore. Avec moins de spontanéité et plus de travailleurs de l’État, c’est vrai. Chacune des bases sociales a diminué. L’une est passée de moyenne à petite, l’autre d’immense à grande. Cette dernière se fait plus forte quand l’impérialisme annonce la couleur, comme cela s’est passé depuis plusieurs semaines : les rangs se serrent, l’ennemi historique se rapproche. Il suffit de voir les images. Les plans de la droite sont tous en plan serré, celles du chavisme font la longueur de deux colonnes.

Quelque chose a retenu l’attention ces jours-ci : il n’y a pas eu de climat de coup d’État, de convulsion politique comme cela s’est produit à de récentes occasions – en octobre passé par exemple. La normalité vénézuélienne a continué dans les rues de Caracas et du pays. Comme si le conflit, aussi réel que l’est le choc des pouvoirs de l’État et des menaces de l’OEA, n’avait rien à voir avec les gens ordinaires. Il y a comme une sorte de fatigue vis-à-vis de cette logique de conflit/accord entre superstructures, de la petite politique. Un signal qui montre la nécessité de comprendre ce qui se passe dans les temps du peuple, ceux qui ne se reflètent pas dans les agendas communicationnels/politiques. Pourquoi face à quelque chose de si important beaucoup – la majorité – semble regarder de si loin ? Qu’indique ce moment ?

Ne pas réussir à organiser de manifestations massives est un problème circonstanciel pour la droite : ce n’est pas une préoccupation stratégique car la dépolitisation de la société fait partie de son plan. En revanche, pour le chavisme le coût est grand : une des forces du processus de transformation fut de rendre la politique aux citoyens, de les rendre partie prenante de la trame décisionnelle, de briser la politique comme ce qui se discute à huis-clos. Il existe des appels à manifester, à écouter les dirigeants, à soutenir les décisions du président : de moins en moins de sujets « protagoniques » et de plus en plus de canaux de réception de la ligne officielle. Qu’est-ce qui s’éloigne ? les dirigeants des bases ou les bases des dirigeants ? Le résultat est que la politique semble revenir au lit normal de la politique restreinte, celle-là même que la révolution s’est proposée de briser. Cette dynamique est celle de la désaffiliation, du distancement de la politique dans une dynamique nationale marquée par des épisodes périodiques, répétés, comme celui que nous traversons.

Où vont ceux qui s’éloignent ? Ils vont résoudre le jour d’aujourd’hui, marqué par les difficultés d’une économie sabotée comme partie du plan de déstabilisation, où le poids principal retombe sur les secteurs populaires – base principale du chavisme.

Où iront-ils électoralement ?

***

La question politique est : pourquoi, en plein assaut international, le Tribunal Suprême de Justice a-t il rendu cette sentence au sujet de l’Assemblée Nationale ? Il était prédictible qu’elle déboucherait sur un scénario de plus forte pression internationale, d’incertitude nationale, et de dégâts dans l’opinion. La raison en serait l’impossibilité d’avancer dans une initiative de création/modification d’entreprises mixtes pétrolières : pour cela, selon la Loi des Hydrocarbures, est nécessaire l’approbation de l’Assemblée Nationale. Quelle modification ou création se verrait freinée ? Il fallait qu’elle fût stratégique pour prendre cette décision dans ces heures. En tout cas cela n’a pas fait l’objet du débat public.

D’où la question du solde final. Tout cela a-t-il servi à la repolitisation, à l’ouverture de canaux, à la revitalisation des canux démocratiques ? Si par contre cela se traduit par une distance majeure entre les gens et la politique, alors le solde est négatif et aura apporté plus d’éléments à une tendance qui croît dangereusement. Le problème est de mesurer le résultat en termes de jeu d’échecs, comme une bataille de forces politiques qui se meuvent uniquement depuis leurs dirigeants. A partir de cette logique -qui imprègne la direction du chavisme – s’est livrée une bataille victorieuse.

Tous ces éléments sont en plein développement. La droite persistera à user du pouvoir législatif comme d’un espace d’où diriger la confrontation politique. Elle veut non seulement destituer les magistrats du Tribunal Suprême mais voter « la rupture de l’ordre constitutionnel et la permanence du coup d’État”. Son plan a pour épicentre la sphère internationale, preuve de sa faiblesse interne, de ses incapacités à diriger, de ses conflits internes, l’impossibilité de faire le saut qu’elle n’a pas su faire depuis 1999 pour se battre sur un pied d’égalité. Voilà d’où vient cette surdose d’OEA, d’agression économique, d’infiltration de paramilitaires. Il ne semble pas qu’elle réussira à réunir plus de gens autour d’eux. Cela a-t-il vraiment de l’importance ? La question centrale semble celle de savoir si elle réussira à attirer les votes de ceux qui se sentent fatigués.

La révolution pour sa part se trouve face a la nécessité de renaitre de là où elle est née : des gens, d’un peuple qui n’est pas le même qu’en 1999 ni matériellement ni politiquement. Et un des pires dangers de la direction est celui de se croire autosuffisant. Quant au plan économique le pari a déjà été formulé par le gouvernement : il se jouera centralement avec les entrepreneurs. On leur a accordé une libération des prix, des dollars pour l’importation, des espaces de télévision. Le résultat ne se fait pas encore sentir au quotidien. Du temps ? Il n’en reste pas beaucoup. En face se prépare une revanche sur les masses.

Marco Teruggi
Journaliste et poète
(spécial pour La Tecl@ Eñe)
Caracas, 5 avril 2017

Source : http://www.lateclaene.com/teruggi-marcos-venezuela

Traduction : Thierry Deronne

Note :

(1) Voir Venezuela : la presse francaise lâchée par sa source ?

(2) Voir « Brévissime cours de journalisme pour ceux qui croient encore à l’information« , https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/02/22/brevissime-cours-de-journalisme-pour-ceux-qui-croient-encore-a-linformation/


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