RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Procès Lagarde, la culpabilité version business class

La Cour de justice de la République a rendu ce lundi 19 décembre son jugement dans l’affaire de l’arbitrage Tapie : l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy et actuelle directrice du Fonds monétaire international, Christine Lagarde est reconnue coupable mais reste dispensée de peine et son casier judiciaire reste vierge (!). Véritable prouesse, voire un non-sens juridique, cette sentence est définitive car il n’est pas possible de faire appel. Elle ne fait que confirmer une justice d’exception à l’égard des personnalités éminentes de l’État.

Alors qu’elle avait affirmé se mettre en congé durant son procès, Christine Lagarde, qui risquait jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende (somme dérisoire comparée au plus de 400 millions incriminés), n’a pas daigné assister au rendu de son jugement et a préféré rentrer à Washington où siège le FMI. Il faut dire que le suspens n’était pas vraiment à son comble... Avec une Cour, dont la raison d’être est d’exempter les politiques de la justice ordinaire, il était couru d’avance qu’elle n’allait pas risquer gros. D’autant que le parquet, c’est-à-dire l’accusation dans cette affaire, s’était prononcé pour un non-lieu lors de l’instruction et avait requis la relaxe. Dans ces conditions, la défense de Christine Lagarde s’avérait une simple formalité...

Paradoxalement, elle est pourtant bien reconnue coupable de négligence dans la gestion de l’arbitrage rendu en 2008 entre Bernard Tapie et l’ancienne banque publique Crédit lyonnais lorsqu’elle était ministre. Arbitrage qui avait extrêmement bénéficié à l’homme d’affaire français, en lui octroyant pas moins de 403 millions d’euros d’argent public – dont 45 millions au titre du préjudice moral – aux dépens des intérêts de l’État et donc des contribuables. Ce qui n’empêcha pas Christine Lagarde d’affirmer qu’elle assumait des décisions, prises « avec pour seul objectif la défense de l’intérêt général ».

Le fait qu’elle n’ait pas engagé de recours après la sentence arbitrale constituait bien une faute pénalement répréhensible et c’est pourquoi elle était jugée pour « détournement de fonds publics commis par un tiers » résultant de sa négligence. Pendant le procès, Christine Lagarde justifia son manque d’attention vis-à-vis de cet arbitrage en invoquant la crise financière de 2008 qu’elle s’attelait alors à régler... Ce qui peut faire sourire ou bondir, lorsque l’on sait que la gestion de la crise bancaire de 2008 a été l’un des plus grands transferts d’argent public vers le secteur financier, faisant exploser la dette publique française (1). L’affaire Tapie n’est pas tout à fait terminé pour autant puisque l’ancien directeur de cabinet de Madame Lagarde et actuel directeur d’Orange, Stéphane Richard est, avec Bernard Tapie, mis en examen.


Confiance prolongée ?

En France, le gouvernement a aussitôt réaffirmé sa confiance en Christine Lagarde, via un communiqué du ministre de l’Économie, Michel Sapin : « Christine Lagarde exerce son mandat au FMI avec succès et le gouvernement maintient toute sa confiance en sa capacité à y exercer ses responsabilités. » Le FMI qui, en février dernier, en dépit de sa mise en examen et d’un procès en perspective, avait reconduit Christine Lagarde à la tête de l’institution pour un second mandat de cinq ans (2)|, a renouvelé de nouveau son soutien quelques heures après le verdict malgré sa condamnation. Réuni en urgence à Washington, le conseil d’administration du FMI a exprimé sa « pleine confiance » dans sa capacité à assurer ses fonctions « efficacement » et a loué son « incroyable leadership ». Rien que ça ! Premiers actionnaires du FMI, les États-Unis ont également renouvelé leur confiance et rendu hommage à une « dirigeante solide ».

La Cour de justice de la République semble, elle aussi, avoir été charmée par l’aura de Christine Lagarde, puisque dans son arrêt final elle justifie la dispense de peine en évoquant la « personnalité » et la « réputation internationale » de la directrice du FMI. Devant de tels arguments juridiques, on reste sans voix...

Alors que le FMI vante à tour de bras la « bonne gouvernance » et exige la plus grande discipline aux États qu’elle endette via ses plans d’ajustements et autres memoranda, on observe dans ses rangs des démissions successives de ses directeurs généraux sur fond de scandales à répétition : l’ancien directeur du Fonds Dominique Strauss-Kahn, contraint à la démission en mai 2011 après son arrestation pour tentative de viol à New York, et son prédécesseur, l’espagnol Rodrigo Rato, poursuivi lui aussi pour détournement de fonds, fraude fiscale, blanchiment, escroquerie, faux et usage de faux, dans l’affaire Bankia.

Une inculpée préside le FMI

En résumé, Christine Lagarde avalise le vol de 403 millions d’euros dans les caisses de l’État, et en ressort avec un casier vierge, un blason redoré et demeure à la tête d’une des institutions financières les plus puissantes au monde, puisque les statuts du FMI ne prévoient pas de démission automatique en cas de condamnation.

Pendant ce temps, Jon Palais, des associations Bizi et ANV-COP21, va comparaître le 9 janvier à Dax pour avoir réquisitionné une chaise dans une agende BNP Paris afin de dénoncer les milliards d’euros que la banque participe à faire échapper au fisc (3) ; un jeune homme est condamné à trois mois ferme à Toulouse pour avoir volé un fromage ; et enfin Ysoufou et Bagui Traoré ont écopé respectivement de six mois de prison dont trois avec sursis et huit mois de prison ferme ainsi que deux ans d’interdiction de séjour à Beaumont-sur-Oise et 7000 euros d’amende pour avoir exigé la lumière sur les causes du décès de leur frère mort sous les coups de la police.

Autant d’illustrations de l’impartialité de la justice (4).

Composée de 12 parlementaires et 3 magistrats, la Cour de justice de la République, cour d’exception, doit tout simplement être supprimée. Comme l’avait d’ailleurs promis François Hollande en février 2012 : « Je ferai voter une loi supprimant la Cour de Justice de la République. Les ministres doivent êtres des citoyens comme les autres. » Une promesse (comme beaucoup d’autres...) restée lettre morte et récupérée aujourd’hui par Manuel Valls, dans sa course des primaires.

Justice business class, justice de classe.

Cet article a été publié sur le site de l’hebdomadaire français Politis

»» http://www.cadtm.org/Proces-Lagarde-la-culpabilite

Notes

|1| En cinq ans, la dette publique est passée de 1 200 à 1 800 milliards d’euros sous le règne de Nicolas Sarkozy.

|2| Celui-ci a débuté en juillet 2016.

|3| Voir l’appel à soutien de J. Palais et à mobilisation lors de son procès, dont le CADTM France est signataire.

|4| Lire le communiqué de presse du CADTM « Procès Luxleaks et Lagarde : la justice protégera-t-elle encore longtemps la délinquance financière ? »


URL de cet article 31358
  

Palestine, photographies de Rogério Ferrari
Préface, Dominique Vidal - Texte, Leïla Khaled Rogério Ferrari n’est pas un reporter-photographe. Il ne scrute pas, ne témoigne pas, n’écrit pas d’images. Il s’emploie à rendre au plus grand nombre ce qu’il a reçu en partage : l’humanité tenace de celles et ceux à qui elle est déniée. Existences-Résistances est un alcool fort, dont l’alambic n’a pas de secret ; il lui a suffit de vivre avec celles et ceux qui en composent le bouquet. Au bout de ces images, point d’ivresse. Mais un silence. De ces silences (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« L’ennemi n’est pas celui qui te fait face, l’épée à la main, ça c’est l’adversaire. L’ennemi c’est celui qui est derrière toi, un couteau dans le dos ».

Thomas Sankara

Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.