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Retour au Venezuela

Treize ans après une première immersion au Venezuela, alors gouverné par Rafael Caldera, Annick Maziers est retournée sur place en mai dernier. Impressions sur la République bolivarienne d’Hugo Chavez, sous la forme d’un carnet de route.

L’absence temporaire du président Chavez a été l’occasion, pour une bonne partie de la presse mondiale de titrer sur le Venezuela... renforçant l’impression d’un régime dictatorial pour certains, éveillant, pour d’autres, respect et curiosité pour un leader adulé par une bonne partie de la population... Au total, des centaines d’articles, mais pour combien d’enquêtes sur le terrain ?

Pour entendre un peuple, c’est peut-être un peu comme pour observer les étoiles... les grandes lumières de la ville peuvent parasiter un peu la tâche. Il ne faut pas hésiter à rentrer dans les terres, quitter la capitale. Cela faisait treize ans que je n’étais pas retournée au Venezuela. Je suis retournée dans mon Llano incandescent, à l’intérieur du pays.

Les mises en garde de quelques amis non chavistes, les e-mails alarmants sur la « dictature » de Chavez, ainsi que la presse avaient fini de me convaincre : il valait mieux ne pas prendre mon fils de sept ans avec moi pour retourner au Venezuela. Je suis donc partie seule pour retrouver les gens avec qui, treize ans auparavant, j’avais vécu. Je ne connaissais rien du Venezuela socialiste. Quand je suis partie, le pays était encore sous le mandat du président Caldera. Hasard des dates, mon départ avait coïncidé avec les derniers mois de la présidence Caldera.

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Mai 2011, j’arrive à Zaraza, à l’intérieur du pays. Je renoue avec mes amis comme si je les avais quittés hier ; tous de milieux différents, de sensibilités politiques différentes. Il y a treize ans, je travaillais dans le cadre d’une action sociale bénévole au coeur du pays avec des enfants, des malades. Aucune prise de position politique n’était souhaitable, neutralité totale, je travaillais avec des gens de tous bords.

Enregistrant, notant, photographiant tout ce que je n’avais plus vu depuis treize ans, j’avais treize années à comprendre. Du balayeur de rues au chauffeur de taxi, de la guichetière au cadre supérieur de la compagnie d’électricité, du collégien au propriétaire terrien exploitant, je les ai tous harcelés de questions. J’ai découvert un nombre incroyable de programmes, il m’était difficile de tout capter tant il y a avait de sujets à développer.

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L’un des programmes les plus impressionnants m’a semblé être les réseaux mercal. Ce sont des magasins du commerce équitable vendant à prix régulés les denrées de base produites localement. Ils sont implantés partout dans le pays. Je me suis rendue dans l’un d’eux. Le bruit courait qu’il n’y avait plus moyen de se procurer de l’huile. Je voulais vérifier. Alors que nous entrions dans le mercal, ils déchargeaient des palettes de bouteilles d’huile.

J’ai vu les comedores, ces cantines publiques gratuites pour les plus de 60 ans, les écoles de musique gratuites pour tous, les formations professionnelles gratuites, les transports publics très bon marché et gratuits pour les personnes âgées.

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L’un des grands points du Venezuela est la mobilité des gens. Compte tenu du prix du carburant, des prix des transports publics (métro, liaisons bus entre les villes...), les Vénézuéliens ont vraiment la possibilité de se déplacer. Ce qui n’est pas un détail quand on sait, en France notamment, l’élimination « naturelle » que représentent pour les étudiants les déplacements à la capitale. Les parallèles me venaient souvent à l’esprit, et de penser à nos retraités européens, français, grecs, anglais, ceux dont la retraite ne permet même pas le paiement d’un loyer ou les couples avec double salaire qui ne peuvent plus payer le gasoil pour se chauffer l’hiver.

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Les maisons que j’avais connues ont été aménagées, les réservoirs d’eau potable ont été changés, le téléphone est accessible à tous et, d’ailleurs, tout le monde a son téléphone portable. La compagnie nationale de téléphone Cantv a été nationalisée en 2006 et elle propose des tarifs sociaux extrêmement accessibles, très encadrés. Tous peuvent être connectés à Internet, le prix est modique et des cours gratuits d’initiation sont offerts partout dans le pays. D’ailleurs, les premiers ordinateurs 100% vénézuéliens voient le jour.

Toute personne qui souhaite étudier peut étudier, les universités sont partout présentes. De très nombreuses femmes reprennent des études tout en gardant leur travail, les horaires ont été aménagés. Dans la ville où j’étais, Zaraza, le nombre d’universités est passé de deux à quatre. Le Venezuela est le pays au monde comptant le plus d’étudiants, 36% de la population étudie. Les bourses sont largement distribuées. Ainsi, l’une de mes amies vit seule avec quatre enfants à charge, ses quatre enfants étudient, aucun n’a besoin de travailler pendant son cursus.

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Il y a des médecins à tous les coins de rue, grâce au programme d’échange de médecins avec Cuba. J’ai pu rencontrer certains de ces Cubains, comprendre comment ils vivaient cette expérience et comment ce « prêt » de médecins était perçu par la population bénéficiaire : une expérience enrichissante pour les premiers car beaucoup de maladies présentes au Venezuela sont maintenant éradiquées à Cuba et, pour les seconds, une aubaine.

J’ai pu voir au fin fond de la campagne des gens opérés, des gens avec des attèles, des lunettes... Les parallèles avec la tendance actuelle en France me viennent en permanence en tête : alors que la France applique un numerus clausus et renvoie des médecins étrangers bien que la population subisse une pénurie criante, que le taux de cancer explose et que la population vieillit ; le Venezuela fait venir 20.000 médecins cubains. C’est l’asymétrie parfaite.

Les familles les plus aisées que je connais sont certes très critiques au premier abord envers le pouvoir... Le vocabulaire est dur et ils ne manquent pas de relever tous les problèmes que connaît encore le Venezuela. Cependant, ils ont quand même tous reconnu ne rien avoir perdu. Ils ont gardé leur bateau, leurs fermes, les multiples voitures... Et, au fil des discussions, eux-mêmes reconnaissent que leur Venezuela est un charme et qu’ils n’ont pas envie de le quitter. Ils sont impliqués dans l’opposition, pour certains, et animent des émissions radio, occupent des postes à responsabilité.

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Le plus déstabilisant pour un esprit européen est peut-être de constater l’incroyable tendresse qu’exprime, avec une grande spontanéité, la population envers le président Chavez. Il est vu tantôt comme un fils, tantôt comme un frère.

Transposer un tel comportement dans notre contexte politique actuel serait tout à fait surréaliste. Il n’est plus question dans notre paysage politique de fracture entre la classe dirigeante, en ce compris les hauts fonctionnaires, et la population ; il est juste question d’univers différents.

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En passant au-dessus de la rivière la plus sale de Caracas, un véritable égout à ciel ouvert, mon amie me dit que « ce fou de Chavez a promis qu’il nagerait dedans ». Cette remarque me fait alors penser à l’un des textes du grand « Gabo ». Il parlait de ce général qui, pour son agrément, avait inversé le cours d’une rivière... Gabriel Garcia Marquez nous plongeait alors dans le réalisme magique ; mais ce que Chavez rend abordable pour une partie de la population, c’est en fait une réalité magique. Il ne cherche pas à inverser le cours des rivières mais bien le cours des choses. Depuis de nombreuses années, personne n’avait autant orienté le développement du pays vers les classes les plus défavorisées, personne n’avait osé.

A l’image de ce métro de Caracas qu’il a fait sortir de terre pour rejoindre les banlieues à flanc de montagne, il a défié et renversé ce que beaucoup pensaient être la fatalité, les lois irréversibles du marché. Ainsi, fou pour certains, leader humaniste pour d’autres, cet homme a su réveiller l’optimise et la fibre politique d’un grand nombre de Vénézuéliens.

Annick Maziers

SOURCE : http://www.lecourrier.ch/retour_au_venezuela

Texte rédigé le 8 août 2011. Annick Maziers a cosigné, avec la photographe Eve Dufaud, le recueil Montagnes d’Hommes - Bergers, Bergères d’exception, 2010, ed. « Lieux Dits », Lyon. http://montagnes-d-hommes.com

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COMMENTAIRES  

03/09/2011 13:12 par oscar fortin

Quel beau témoignage ! On y sent la sérénité d’une personne qui, sans parti pris, livre le plus simplement du monde ses retrouvailles avec un peuple qu’elle avait quitté 13 ans auparavant. Certainement un témoignage à partager avec tous ceux et celles qui se laissent lessiver le cerveau par une presse au service de l’Empire que l’on questionne que très peu.

Merci Madame pour votre témoignage à la vérité et à l’humanité d’un peuple.

04/09/2011 02:41 par vanvoght

trop beau ....... un peu comme en lybie quoi ?????
esperont seulement que cet homme retrouvera la santée et continuras son oeuvre .
me demande si je vais pas emigrer la bas . sachant ce qui nous attend ici !!!!!!!!!!!!!!!!
mais bien sur reste l’interrogation .............. vont " ils " le laisser faire ????

04/09/2011 11:35 par CN46400

Bien sûr "qu’ils" vont le laisser faire...tant qu’il ne commettra pas de bêtise "qu’ils" pourraient exploiter !....

04/09/2011 14:09 par Amaziers

Grand Merci de vos commentaires. Pour ceux qui habitent près de Genève, le 4 octobre l’orchestre philarmonique Jeunesse de Caracas se produira au Victoria Hall ; des jeunes issus de tous les milieux... la chance de pouvoir être musicien pour tous. Une belle preuve encore qu’un autre chemin est possible. En France, combien d’enfants de smicars, de chômeurs devant le clavier d’un piano ?

04/09/2011 17:41 par Paul

En effet, Le Vénézuéla est un très beau pays avec un potentiel énorme. Et le président Chavez a certainement contribué à une amelioration importante du niveau de vie des classes populaires. Ma femme est vénézuélienne et nous avons songer à nous installer là -bas, le seul soucis c’est que je ne me vois pas ma balader quotidiennement avec un gilet pare-balles. Dès que le gouvernement aura rééllement fais quelque chose pour éradiquer ce sentiment omniprésent d’insécurité quotidienne, nous y poserons peut-être nos valises. Il y a encore un long chemin à parcourir avant d’y arriver.
http://www.5min.com/Video/Top-10-Most-Dangerous-Cities-In-The-World-516912232

04/09/2011 20:29 par legrandsoir

Bref : vous attendez que les gens sur place fassent tout le travail pour venir vous installer et poser les pieds sur la table en poussant un ouf de satisfaction.

04/09/2011 19:56 par Eric

félicitations Annick pour votre compte rendu que j’ai diffusé largement dans mon réseau. merci pour votre honnêteté qui mérite d’être souligné à l’ère de la propagande des médias atlantistes

Eric Colonna

05/09/2011 21:44 par Amaziers

Réponse à Paul

L’aspect sécuritaire. Je suis d’accord, tout le monde se plaint de la sécurité, je peux confirmer, cette peur existe au sein de la population.

Quant au lien renseigné : le film est impressionnant mais, comme je dis à mon petit garçon ; il faut toujours regarder le nom de celui qui a écrit, filmé et se demander pourquoi il l’a fait. En l’occurrence, il n’y a pas de signature, je peux donc difficilement prendre en compte ce support. Ce film montre également Rio, je viens de passer un mois au Brésil, dont Rio, avec mon petit garçon de 7 ans… nous sommes toujours en vie, j’ai été frappée …par la tranquillité des gens. Sur les indications d’un ami natif, nous nous sommes baignés en laissant nos affaires sur la plage, chose qui n’est plus possible sur de nombreuses plages d’Europe.

Quant aux faits : je suis restée aussi à Caracas, j’ai été dans les barrios dits sensibles, j’ai toujours pris les transports publics. Il ne m’est rien arrivé, je n’ai vu ni agression, ni coup de feu, ni violence, rien. Par contre, en revenant du Venezuela, dans ma petite gare de Aix-les-bains (ville thermale) , fin d’après-midi, une jeune fille s’est faite frappée par un homme, elle est tombée. Elle avait déjà un oeil au beurre noir. Une seule femme d’une cinquantaine d’année s’est interposée car il semblait ne pas vouloir s’arrêter là , j’étais de l’autre côté des quais. Le jeune homme ne comprenait visiblement pas l’origine du problème. L a gare était normalement fréquentée. J’ai demandé au chef de gare d’intervenir, il m’a répondu que ce « cirque avait lieu tous les jours et qu’il en avait marre de se faire insulter ». J’étais contente que mon fils n’assiste pas à ce spectacle.

Je ne pense pas être une grande naïve très chanceuse, peut-être existe-il un décalage entre la violence réelle et celle que les médias véhiculent, les villes changent peut-être plus vite que leurs étiquettes ?

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