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Retour de Bolivie. Chroniques boliviennes (N° 1)

Grand spécialiste de l’Amérique latine, ami et collaborateur du Grand Soir, Jean Ortiz nous envoie six chroniques de Bolivie.
Voici la première (également publiée dans l’Humanité) très documentée, comme toujours sous sa plume.
Le lecteur curieux comparera pour rire (ou pleurer) les écrits de Jean Ortiz sur l’Amérique latine à ceux de l’envoyé spécial permanent du Monde : Paulo A. Paranagua.

LGS.

1.UN SOCIALISME COMMUNAUTAIRE

L’altiplano des Andes boliviennes est à la fois superbe dans sa quasi nudité apparente et, je ne sais pourquoi , angoissant. A quatre mille mètres d’altitude, sous quatre « frazadas » (couvertures) le froid finit toujours par s’inviter. Même en « acoullicant », en mastiquant et gardant dans la bouche, contre la joue ; des feuilles de coca (devenues « patrimoine universel de l’humanité »), il est difficile de fonctionner à un rythme normal ; l’essoufflement rappelle vite à l’ordre « l’étranger ».

Achacachi est le village des légendaires, parce que très combatifs, « ponchos rouges ». L’un des premiers blocages de route par les « communautés » eut lieu ici, en 2003, contre les politiques néolibérales d’imposition fiscale injuste (« el impuestazo » du gouvernement de Sanchez de Losada), la privatisation de l’eau, la « braderie » du gaz, etc. (34 entreprises privatisées de 1989 à 1993, 41 de 1993 à 1997...) Tout y passe... Et les premiers morts des « ajustements structurels » imposés par la troïka létale : FMI, Banque mondiale, OMC, et les gouvernements serviles de Jorge Quiroga, de Sanchez Losada (lié à Repsol), de Hugo Banzer, de Jaime Paz. Sous l’ancien dictateur Banzer, les actifs de la compagnie nationale pétrolière et des hydro carbures (YPFB) furent bradés en quatre lots.

Les privatisations coûtèrent 444 millions de dollars au pays. « Guerre du gaz » (20003, 70 morts) , « guerre de l’eau » (1999-2000, et au-delà), pour la récupération des richesses nationales, contre les privatisations, l’augmentation vertigineuse des tarifs (plus 300% le prix de l’eau « dénationalisée » à Cochabamba). Le gouvernement, soutenu bec et ongles par Washington, fut contraint d’annuler le contrat léonin de la multinationale nord-américaine de l’eau, Bechtel. Les pauvres de Cochabamba, de El Alto, s’organisèrent en coordinations, en comités, pour que l’eau devienne un « droit humain ». Le soulèvement populaire exigea l’étatisation des hydrocarbures et une Assemblée constituante. En 2003, La Paz fut assiégée par les mouvements sociaux et indigènes. Dans cette période d’abyssale crise structurelle, d’émergence de nouveaux acteurs sociaux, entre 2000 et 2003, la « vision de pays » changea profondément ; au prix de dizaines de morts. L’histoire de la Bolivie, une histoire de dépossession, bascula. Le pays vivait étranger à lui-même jusqu’à ces insurrections populaires.

La forme « communauté » est en Bolivie l’organisation traditionnelle des peuples indigènes. Bolivia vient du quechua « Buliwya ». A Cota Cota Baja, les « mallkus » (autorités autochtones) nous accueillent, fièrement vêtues de leur écharpe-ceinture. Les « peuples premiers », leurs communautés, sont reconnus constitutionnellement, en 2009, en tant que moteurs et acteurs de la révolution. Cela complexifie, mais n’invalide pas, l’analyse marxiste.

La montée en puissance de nouvelles formes de mouvements sociaux, cocaleros, mineurs, collectifs multiples d’usagers, comités de défense et de gestion communautaire des « biens communs », nouveaux syndicats, et la création d’un outil politique, le MAS (Mouvement vers le socialisme), d’abord mouvementiste puis structuré en parti, tout cela a porté au pouvoir, « à partir d’en bas », un Evo Morales collectif . La Bolivie du racisme colonial, de la discrimination d’Etat, est devenue aujourd’hui un « Etat plurinational », multiethnique, multiculturel. Le pays a retrouvé le fil de son identité et fait cap vers un socialisme andin, bolivien, démocratique...

Le chemin parcouru s’avère déjà considérable, mais désormais, « défendre les acquis ne suffit plus », nous lance la députée Bartolina ; elle arbore sa multicolore « pollera » (grande robe traditionnelle) et son chapeau rond. « La nouvelle Bolivie se trouve à un point d’inflexion ; elle doit approfondir les changements ». L’appropriation sociale en cours, la « communautarisation » (au bon sens du terme) de l’économie, la lutte concrète pour un nouveau sens commun, ouvrent un horizon socialiste, conçu, comme le prônait le marxiste péruvien J.C Mariategui dans les années 1920 : « une création héroïque », autochtone, unissant les problématiques sociales et indigènes.

Jean Ortiz

»» http://www.humanite.fr/blogs/un-socialisme-communautaire-567493
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