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Sous le feu de l’Ukraine, les habitants de la République populaire de Donetsk racontent leur histoire (MintPressNews)

Eva Bartlett s’est rendue [en 2019] dans la République populaire de Donetsk assiégée pour voir de visu comment les habitants se débrouillent au milieu d’une incursion ukrainienne soutenue par l’Occident.

[16 octobre 2019] - Le 2 septembre, j’ai quitté la ville de Rostov-sur-le-Don, dans le sud de la Russie, en minibus, en direction du nord-ouest, vers la frontière de la République populaire de Donetsk (RPD), puis vers Donetsk. Pour mes premiers jours sur place, j’ai loué un appartement bon marché au cœur de la ville. En marchant sur une longue allée piétonne bordée d’arbres et remplie de cafés, la vie semblait normale. Mais je me suis vite rendue compte que pour les habitants de Donetsk, c’était tout sauf normal.

Je suis passée devant un café où un ancien dirigeant et commandant militaire de la RPD, Alexandre Zakharchenko, a été assassiné par une bombe déclenchée à distance en août 2018. Il était bien-aimé, et alors que je me tenais là, deux femmes se sont arrêtées pour lui rendre hommage et prier.

Quelques jours plus tard, dans un centre de transit de Donetsk, j’ai rencontré Alexey Karpushev, un habitant de la ville septentrionale de Gorlovka, une zone durement touchée par les bombardements ukrainiens et dont la périphérie continue d’être bombardée presque quotidiennement.

Une longue file d’attente, composée principalement d’étudiants, s’étendait au coin de la rue, attendant le prochain minibus disponible pour Gorlovka. Après une heure d’attente, le minibus est arrivé et nous avons embarqué pour le trajet cahoteux vers le nord.

Alexey m’a déposé à l’hôtel, une structure délabrée de l’ère soviétique, juste à côté d’une zone piétonne qui, le soir, devient bondée de familles, d’amoureux et d’amis qui se promènent, et d’enfants qui font du vélo.

Le matin, il m’a emmené dans un parc central où se déroulait un tournoi d’échecs. Pendant les cinq heures suivantes, quatorze adultes et huit enfants ont joué aux échecs. À une centaine de mètres de là, un parc pour enfants, défraîchi mais qui fonctionne bien, avec de petits manèges, attire de plus en plus d’enfants à mesure que la journée avance.

Dans cette tranquillité et cette normalité, il était difficile de croire que les quartiers centraux de Gorvloka avaient été terrorisés par des bombes ukrainiennes quelques années auparavant. "L’été 2016 était la dernière fois que le centre ville a été bombardé", me dira Alexey plus tard. "Nous entendons toujours les tirs d’obus, mais c’est à la périphérie. Les gens là-bas sont visés aussi par des snipers."

Gorlovka a été le plus durement touché en 2014, notamment le 27 juillet, lorsque le centre a été secoué par des missiles Grad et Uragan tirés par les Ukrainiens du matin au soir. Une fois la poussière retombée et les blessés graves ayant succombé à leurs blessures, on a compté au moins 30 morts, dont cinq enfants, me dit Alexey. Cette journée a été surnommée le "dimanche sanglant".

Alexsey et moi nous sommes promenés dans la ville, où il m’a montré les sites du Dimanche Sanglant. Nous sommes passés devant un arrêt de bus dans une rue très fréquentée où les habitants étaient amassés pour attendre leur bus. Cet arrêt de bus était l’un des sites du Dimanche Sanglant. Selon Alexey :

Le plus grand nombre de victimes s’est produit près de cet arrêt de bus. Il y avait principalement des babouchkas (grands-mères) ici, qui vendaient des fleurs et des légumes. Elles ont subi les frappes de Grad et elles sont mortes".

La place des Héros, non loin de là, a également été la cible de tirs : "Il y avait surtout des jeunes là-bas, des étudiants. Plusieurs personnes sont mortes dans les explosions, dont la ’Madone de Gorlovka’, Kristina Zhuk, avec sa petite fille Kira". Une peinture murale située près de la place principale de la ville représente Kristina et Kira lors du dimanche sanglant, s’élevant au-dessus des panaches de fumée et du bain de sang.

Une peinture murale près de la place de la ville représente la Madone de Gorlovka. Photo | Eva Bartlett

Non loin de l’arrêt de bus, un monument commémore les victimes de Gorlovka des bombardements et des tirs isolés ukrainiens de 2014 à 2017. Près d’une sculpture d’un ange, plus de 230 noms couvrent les plaques de marbre, la première dédiée uniquement aux enfants, au nombre de 20.

Nous nous sommes dirigés vers la place des Héros, le parc arboré où Kristina et Kira ont été tuées. En son centre se trouve un monument à la mémoire de ceux qui sont morts au combat pendant la Seconde Guerre mondiale.

Alors que nous nous trouvons près d’un char installé "en l’honneur des miliciens morts en défendant Gorlovka contre les troupes ukrainiennes de 2014 à ce jour", nous remarquons tous deux l’ironie du sort : le parc contient un monument à la mémoire de ceux qui sont morts en combattant les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, et un mémorial à la mémoire de ceux qui ont été tués par les néonazis ukrainiens à partir de 2014.

Le lendemain, nous nous sommes rendus sur la place de l’armée soviétique, dans le centre de Gorlovka, où se déroulait une cérémonie marquant le 76e anniversaire de la libération du Donbass des nazis, le 8 septembre 1943. Bien qu’ils commémorent la victoire d’il y a plusieurs décennies, ils gardent le souvenir des bombardements des forces ukrainiennes au cours des dernières années. La périphérie de Gorlovka et les zones environnantes continuent d’être bombardées par les forces ukrainiennes.

Le maire de Gorlovka a accepté de me rencontrer. Il m’a dit qu’il faisait de son mieux pour tenir les gens informés, via son canal Telegram, des mises à jour quotidiennes (en russe) sur les bombardements ukrainiens et les violations de l’accord de cessez-le-feu (le dernier étant entré en vigueur le 21 juillet). Après notre rencontre, il a ouvert un deuxième canal Telegram en anglais.

Les crimes de guerre ukrainiens censurés

J’ai reçu la permission d’entrer dans certaines des zones visées par l’Ukraine et je l’ai fait le 12 septembre.

Quelques jours auparavant, l’agence de presse de Donetsk, citant un rapport du bureau de la RPD au Centre conjoint de contrôle et de coordination, a rapporté :

Au cours de la période du 2 au 8 septembre, 86 violations du cessez-le-feu par des formations armées ukrainiennes ont été enregistrées. Au total, 918 munitions ont été tirées (8,5 tonnes ou 99 caisses)...

[L’ennemi a tiré sur la RPD 40 obus d’artillerie de 152 mm et plus de 260 mortiers de 120 et 82 mm. Deux civils ont été blessés et 23 maisons et infrastructures ont été endommagées lors de ces tirs."

J’ai été accueilli à Gorlovka par Dmitry Astrakhan, un attaché de presse de la milice populaire de la RPD, qui parle couramment l’anglais. Il me dit que nous allons nous rendre dans une ancienne zone minière située juste au nord-ouest de la ville, un village connu sous le nom de Mine 6-7, et aussi à Zaitsevo, un village de la ligne de front au nord de Gorlovka qui a été durement touché par les bombardements ukrainiens.

Pendant que nous conduisons, il me conseille :

Lorsque vous entendez le sifflement d’un mortier, couchez-vous immédiatement - pour éviter les éclats d’obus. Ne quittez pas non plus la route : la plupart des zones n’ont pas été contrôlées pour détecter les munitions non explosées.

L’Ukraine utilise des drones pour larguer des engins explosifs : il est impossible de savoir quels drones effectuent une reconnaissance et lesquels sont armés de bombes. Si quelqu’un crie "attaque aérienne", vous devez courir pour trouver un abri avec un toit. Lorsque vous entendez le cri d’alerte, vous avez 10 à 15 secondes pour courir vers un abri."

Il a expliqué la portée de certaines pièces d’artillerie lourde utilisées par l’Ukraine :

Le 152 mm a une portée de 25 km. Le lanceur de roquettes multiples Uragan a une portée de 30-40 km. Le missile/roquette lourd Tochka a une portée de 100 km. Ils ont cessé d’utiliser l’artillerie lourde 152mm pendant un certain temps, mais il y a une semaine, ils ont détruit de nombreuses maisons dans trois villages du sud de la RPD. Ils étaient à 12 km de la ligne de front. C’était vers 5 heures du matin ; il y a eu quelques blessés mais aucun mort. Mais beaucoup de maisons ont été détruites".

J’ai demandé à Dmitry comment il avait été impliqué dans le bureau de presse de la RPD, car il m’avait dit qu’il n’était pas journaliste avant la guerre.

J’avais un travail et une vie normale. Je n’étais pas très politisé. Au début, les gens se battaient surtout pour nos droits : le droit de parler notre langue, le russe, le droit à l’éducation dans notre langue, le droit de conserver la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, car l’Ukraine a commencé à réécrire l’histoire. Ils considèrent maintenant les nationalistes ukrainiens qui ont collaboré avec les nazis allemands comme des héros, et l’Armée rouge comme un occupant. Nous ne pouvons pas accepter cela.

Je n’ai jamais cru qu’il y aurait une guerre, je ne pensais pas que le monde occidental le permettrait. Je pensais qu’il y aurait juste des protestations, des compromis, mais pas de guerre. Au début, je pensais que les gens étaient paranoïaques, lorsqu’ils disaient que nous serions tués. Mais ils avaient raison, et quand la guerre a commencé, j’ai su qu’il y avait des choses pour lesquelles il valait la peine de se battre."

Il a expliqué comment l’Ukraine dissimule ses tirs d’artillerie aux observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en effectuant la plupart de ces tirs la nuit (dans l’obscurité, lorsqu’il est difficile de filmer) – prétendant ensuite que les dommages causés étaient auto-infligés, ou que les forces ukrainiennes ne faisaient que se défendre en répondant aux attaques de la RPD :

L’OSCE a été attaquée il y a une semaine environ par un lance-roquettes anti-char lourd. L’Ukraine commet de nombreux crimes de guerre, mais parvient à les masquer. Ce sont des nazis, mais ils le cachent à l’Occident. Peu de gens comprennent en Occident à quel point l’Ukraine est proche de devenir un véritable État nazi.

Ils disent qu’ils font partie du Front Bandera, des nationalistes ukrainiens d’extrême droite. Quand une personne d’un pays occidental entend parler de Bandera, elle ne peut pas comprendre ce que les autorités ukrainiennes veulent dire. Mais moi si, je comprends ce qu’elles veulent dire, je comprends qui était Bandera et ce qu’elles veulent vraiment dire."

Stepan Bandera était une personnalité politique ukrainienne, un collaborateur des nazis et l’un des principaux idéologues/théoriciens du mouvement nationaliste ukrainien du XXe siècle. Dmitry poursuit :

Il existe un État nazi au coeur de l’Europe du XXIe siècle. Ils sont dangereux à la fois pour nous et pour le monde occidental. S’ils en finissent avec nous, ils feront de même dans le monde occidental.

L’Ukraine a une grosse machine de propagande, et la censure des médias occidentaux y contribue.

J’ai été élevé en croyant aux idéaux occidentaux des droits de l’homme et de la démocratie. Et qu’est-ce que j’ai ? Je n’ai aucun droit de l’homme.
Les nazis ukrainiens peuvent me tuer et ils peuvent aller au Parlement européen et ils seront considérés comme des héros. Ils peuvent tuer sans tribunal, sans justice, sans rien.

Les pays occidentaux soutiennent les crimes de guerre, soutiennent le meurtre de notre peuple juste parce que nous parlons notre langue maternelle, le russe. C’est la seule raison de nous tuer, juste parce que nous aimons la Russie et parlons russe.

Ils peuvent vous tuer. Ils considèrent tous les journalistes comme des propagandistes russes. Leurs militaires peuvent vous tirer dessus et ne jamais avoir affaire à la justice. Cela va à l’encontre de ma conception des droits de l’homme."

Mine 6-7 Les habitants de la région sont terrorisés chaque nuit

"Ne filmez pas les soldats qui nous accompagnent", me dit Dmitry pendant que nous roulons. "Ils ont peur pour leurs familles car les Ukrainiens prennent parfois en otage les familles des militaires".

La route était envahie par les mauvaises herbes et les branches d’arbres non taillées. L’entretien est impossible en temps de guerre. Le côté positif est que dans les zones proches des lignes de front, cette végétation empêche les tireurs d’élite de voir les gens sur la route.

"Nous sommes très proches de la ligne de front," annonce Dmitry.

Nous sommes sortis de la voiture et avons descendu la ruelle jusqu’à la première des quelques maisons du quartier. Certains habitants ont accepté que leur témoignage soit enregistré sur vidéo ; d’autres ont refusé, pensant que si les Ukrainiens voyaient leur maison publiée sur vidéo, ils seraient pris pour cible. D’autres encore s’inquiètent des répercussions lorsqu’ils font le voyage mensuel et fastidieux vers l’Ukraine pour recevoir leur pension (voyage en bus lent, longues files d’attente et peur d’être montrés du doigt pour avoir parlé à des journalistes de leur vie pendant la guerre en Ukraine).

Une femme courageuse de 74 ans, dont la maison a été bombardée plus d’une fois, a accepté d’être filmée et m’a emmené à l’arrière de sa maison pour me montrer les derniers dégâts. Il y a eu deux frappes à cet endroit ; son sous-sol est détruit. Le mur extérieur de sa maison est endommagé et penche. Elle craint que le mur ne s’effondre, tout comme le mur de devant qui a subi des dommages similaires, et s’inquiète de savoir comment elle pourra réparer les dégâts avant l’arrivée de l’hiver. Elle vit seule.

"J’ai peur la nuit, c’est là qu’ils commencent à pilonner lourdement", me dit-elle. Les nuits sont terrifiantes, l’enfer pour elle. Je lui demande si elle a jamais envisagé de partir. "Pour aller où ? Je n’ai nulle part où aller. Mon mari est mort."

Je lui ai demandé qui tirait ces obus. Elle a fait un geste en direction d’un village sous contrôle ukrainien. J’ai demandé si les choses avaient changé depuis que Zelensky est devenu président de l’Ukraine.

"C’est devenu pire. Avant, il y avait des pauses. Maintenant, ils bombardent constamment, surtout le soir et tôt le matin".

Je lui ai demandé si elle pense que l’OSCE est efficace. "Non, ils ne changent rien, surtout pas ici".

Elle dit qu’il n’y a pas de signal pour les téléphones portables là-bas. Je lui demande comment elle ferait pour appeler une ambulance en cas de besoin. Elle répond que quelqu’un de l’armée appellerait les secours, mais que les ambulances ne peuvent pas venir si près, c’est trop dangereux.

Quand j’ai demandé quelle était sa langue maternelle, elle a répondu immédiatement : « Le russe ! Mais, » ajouta-t-elle, « ici, on parle les deux langues ; ça ne pose pas de problème. »

Dmitry explique que les forces ukrainiennes sont à quelques 600 mètres de là, et qu’elles encerclent à moitié sa zone. Un trou rond dans le mur fut produit par un ricochet de tirs de mitrailleuses lourdes ukrainiennes, explique-t-il.

Les forces ukrainiennes utilisent des obus de mortier de 82 mm en violation des accords de Minsk, dit-il : "Ils relient l’obus de mortier au moteur d’un lance-grenades. C’est comme ça qu’ils trompent l’OSCE : ils n’utilisent pas le mortier lui-même mais les obus de mortier avec le moteur du RPG [un type de lance-grenades pour petites armes conçu pour détruire les cibles blindées et autres]."

Cela fonctionne, car les RPG eux-mêmes ne sont pas interdits par les accords de Minsk.

Nous avons marché avec les deux officiers le long du chemin jusqu’à la dernière maison, qui était apparemment encore habitée malgré le fait qu’elle se trouvait à seulement quelques 500 mètres des forces ukrainiennes. L’un des murs de la maison présentait un trou important dû à un mortier de 82 mm tiré par un RPG.

Un des officiers a dit : "L’homme qui vit ici était dans la salle de bain au moment où le mortier a frappé." La fenêtre de la salle de bain est proche de l’impact du mortier. "Heureusement, les murs épais l’ont empêché d’être directement blessé, même s’il a été renversé par l’onde de choc."

L’officier m’a montré un seau rempli d’éclats d’obus qu’il a collecté des différents mortiers et autres munitions tirés par les forces ukrainiennes vers ces maisons. Il est assez plein.

Alors que je photographiais le mur endommagé, Dmitry m’a averti de reculer, car nous ne portions pas encore de gilets pare-balles ou de casques. "Nous sommes très proches. Ils ne peuvent pas nous voir à cause des arbres, donc leurs snipers ne savent pas qu’ils doivent tirer. Mais quand même, nous devons être prudents."

Nous nous sommes ensuite rendus dans une école dont le sous-sol est maintenant utilisé comme abri de fortune. J’y ai rencontré un couple de personnes âgées qui vivait dans ce sous-sol humide depuis six ans, depuis la destruction de leur maison.

A l’extérieur de l’école endommagée, Dmitry a commenté : "Vous voyez, chaque point sur le mur provient d’éclats d’obus. Bien sûr, il y a aussi eu des coups directs." Un trou dans le toit du bâtiment montre l’endroit où s’est produit l’un des impacts directs.

Nous sommes entrés dans le sous-sol, où une odeur de moisi nous a envahis.

Assis dans un coin de la pièce dénudée - les quelques possessions qu’ils ont pu sauver sont empilées près d’eux et ils me demandent de ne pas filmer leurs visages - un couple âgé m’explique que leur maison a été détruite par l’Ukraine : deux tirs directs d’artillerie lourde.

Je demande qui ils blâment pour la guerre. Ils accusent Yanukovych ; ils veulent qu’il soit pendu. Beaucoup de gens sont coupables mais c’est lui le principal responsable.

Je leur ai demandé leur avis sur le travail de l’OSCE :

Rien de bon. Ils viennent faire un tour, mais rien ne change. Avant le cessez-le-feu, lorsque l’Ukraine tirait des obus, l’armée de la RPD répondait et la partie ukrainienne arrêtait de tirer pendant deux semaines parce qu’elle avait peur. Maintenant, nous sommes dans un cessez-le-feu ; la partie ukrainienne tire quand elle veut et personne ne lui demande des comptes."

Nous laissons le couple dans leur maison temporaire en sous-sol, qui a duré six ans, et retournons dans la banlieue de Gorlovka, pour nous préparer à nous rendre à Zaitsevo, une autre zone fortement ciblée.

Certains des défenseurs de Zaitsevo terminaient leur pause déjeuner, alors nous nous sommes assis et avons discuté pendant qu’ils fumaient des cigarettes et buvaient du thé. Tous étaient originaires de la région de Gorlovka et mariés avec des enfants. Ils défendent cette position depuis 2015. Certains travaillaient dans une mine, un autre était chauffeur de poids-lourds, et un autre travaillait à la restauration de vieux bâtiments.

Je leur ai demandé pourquoi ils avaient choisi de se battre.

"À cause des meurtres à Odessa. C’est ce qui nous a poussés à rejoindre l’armée, pour défendre notre région", a déclaré un soldat.

J’ai poursuivi avec : "Êtes-vous conscient de la façon dont les médias occidentaux dépeignent la guerre ? Quelle est votre opinion ?"

"Je ne sais pas exactement mais je suppose qu’ils nous dépeignent comme les méchants. Personne ne se soucie de ce que nous voulons", a-t-il dit.

"Que voulez-vous ?" J’ai demandé. Il a répondu :

Nous voulons la paix. Nous voulons rentrer chez nous. Six ans de guerre, c’est trop pour une personne. Nous sommes des gens amicaux et pacifiques, nous sommes heureux de rencontrer n’importe qui, mais sans armes. Nous nous souvenons des bombardements du 27 juillet 2014, et d’autres bombardements de 2014, des familles entières tuées. Nous nous souvenons de tout cela."

L’un des soldats a commencé à me poser des question, en demandant : "Comment la société occidentale a-t-elle réagi à l’utilisation de symboles nazis à Kiev et à Maidan ? Qu’en a pensé la société occidentale ?"

J’ai répondu : "La plupart des gens ne le savent pas, grâce à nos médias."

Ils ont ensuite parlé des armes et équipements étrangers qu’ils ont trouvés sur des soldats ukrainiens capturés. Mortiers polonais, RPG bulgares, mitrailleuses occidentales et équipement de reconnaissance :

On les a trouvés à Zaitsevo. C’est difficile de trouver des fusils de sniper, on ne capture généralement pas de sniper. Mais beaucoup de photos ont été publiées par des soldats stupides de ce camp. Ils utilisent des fusils de sniper occidentaux."

"Ils utilisent la quatrième génération de dispositifs de vision nocturne de l’OTAN", m’a dit un autre soldat. "De nombreux mercenaires polonais ont combattu dans l’autre camp. On les entend parler à la radio en polonais. Beaucoup de Géorgiens aussi ; nous avons vu les drapeaux géorgiens."

Alors que la pause déjeuner touchait à sa fin, Dmitry et moi nous sommes dirigés vers Zaitsevo, avec Gyurza, un officier de la milice populaire de la RPD.

Nous nous sommes arrêtés dans le centre ville de Zaitsevo, à quelques 800 mètres d’une ligne de front nord-ouest, et à quelques 1,5km de la ligne de front nord.

Là-bas, nous avons parlé à Irina Dikun, chef de l’administration de Zaitsevo et, en fin de compte, une femme remarquablement courageuse. Elle m’a dit :

Ici, on ne vit pas, on survit. Ceux qui pouvaient partir sont partis. Ceux qui restent sont pour la plupart des personnes âgées. Les bombardements ont commencé en 2014 et n’ont pas cessé jusqu’à aujourd’hui. Six ans de bombardements constants. Ce matin, à 6h, il y a eu une grosse explosion [un mortier de 120mm (interdit par Minsk) dans une rue où vivent encore des civils, j’apprendrai plus tard].

Aucun des accords de cessez-le-feu (24 ou 25) n’a été d’effet ici. Nous n’avons pas eu plus de 1 ou 2 jours de cessez-le-feu.

La ville comptait environ 3500 personnes avant. Maintenant c’est environ la moitié, 1600, dont 200 enfants. Il y avait une école, et un jardin d’enfants avant, mais ils ont tous deux été détruits par l’artillerie ukrainienne. Alors maintenant les enfants vont dans un quartier de Gorlovka. Ils détruisent la ville rue par rue. Ils prennent une rue et la détruisent maison par maison. Puis ils passent à une autre rue."

J’ai posé une question sur l’accès aux soins d’urgence :

Les ambulanciers ne vont pas plus loin que ce bâtiment ; c’est trop dangereux d’aller plus loin. Si quelqu’un a besoin de soins médicaux près des lignes de front, quelqu’un doit aller dans sa propre voiture et l’emmener à un point où les ambulanciers peuvent ensuite l’emmener à Gorlovka. Les soldats aident également les civils qui sont blessés."

Dmitry a ajouté que les forces ukrainiennes ont tiré sur des véhicules médicaux et de pompiers. J’ai demandé si quelqu’un était mort parce qu’il n’avait pas reçu de soins médicaux à temps. Irina a répondu : "Une femme est morte suite à une énorme perte de sang parce que personne n’a pu atteindre sa maison pour l’emmener à temps. Elle a été blessée par les bombardements et s’est vidée de son sang."

Irina dit qu’elle n’avait pas de voiture à l’époque, mais que depuis - en temps de guerre - elle a obtenu son permis de conduire, et a également suivi des cours de secourisme, pour aider les gens en cas d’urgence, tant sur le plan médical qu’en tant que conductrice : "Chaque responsable local a mon numéro. Si quelque chose arrive, ils m’appellent".

Irina est souvent parmi les premiers à arriver sur les lieux d’un bombardement et à documenter les dommages qui en résultent. Je mentionne une vidéo que j’ai vue récemment d’une maison en feu dans la région. Elle m’a répondu c’est elle qui l’avait prise. Lorsque je me suis rendu plus tard dans cette zone, j’ai constaté que la maison se trouvait à quelques 500 mètres seulement de la ligne de front.

Je lui ai demandé de décrire une journée habituelle à Zaitsevo :

A 7 heurs du matin, la plupart des gens vont au travail, à l’école, au jardin d’enfants. L’après-midi est relativement calme. Vers 17h/18h les bombardements commencent et s’intensifient tout au long de la nuit. La terreur continue jusqu’à environ 6 heures du matin.

Mais parfois, ils tirent sur le bus scolaire. Ils savent quand il passe et ils essaient de le toucher. Un soldat de la DPR est mort en protégeant un enfant devant le bus. Il y a eu une frappe d’artillerie ; il a entendu le sifflement et a protégé l’enfant avec son corps."

Elle a ajouté que près de vingt personnes avaient été tuées dans la ville, et plus de soixante blessées. Tous des civils.

Je lui ai demandé si elle ou d’autres fonctionnaires avaient déposé des plaintes auprès de l’OSCE ou de tout autre organisme international concernant les actions des forces ukrainiennes :

Oui, constamment. Mais rien ne change. Il semble que les organisations internationales n’ont pas le pouvoir de faire quoi que ce soit concernant les Ukrainiens, car ils tirent toujours. Il y a eu beaucoup de cessez-le-feu signés à Minsk, mais rien ne change ici."

Je lui ai demandé si elle avait un message pour les gouvernements occidentaux qui soutiennent la guerre de l’Ukraine dans le Donbass :

Je veux qu’ils ouvrent les yeux et voient qu’il n’y a pas d’invasion russe ici. Juste des gens locaux, normaux, pacifiques, qui voulaient vivre d’une autre manière. Et nous n’avions pas peur de dire à tout le monde comment nous voulions vivre. Au début, nous ne voulions pas faire une République, nous voulions juste être autonomes. Mais on ne nous a pas écoutés. L’Ukraine a déplacé ses forces armées contre le peuple et a utilisé son artillerie contre nous.

Porochenko a dit un jour que nos enfants passeraient leur enfance dans les sous-sols, et c’est ce qui s’est passé. Beaucoup d’enfants ont perdu leur enfance normale, allant à l’école sous un bombardement constant. Mon plus jeune fils a déjà des cheveux gris. Il a subi des bombardements lourds dix fois.

Je veux que les dirigeants occidentaux ouvrent les yeux et voient cela. Les armes occidentales sont utilisées pour nous tuer. Nous ne souhaitons à personne de vivre ce que nous vivons ici maintenant. Ce qui se passe ici est quelque chose que vous ne souhaitez à personne, même pas à votre ennemi."

Nous avons ensuite avancé, en empruntant des routes plus accidentées, endommagées par la guerre.

Nous nous sommes arrêtés et sommes sortis de la voiture. Dmitry a dit : "Nous sommes près du poste de contrôle, mais Gyurza ne veut pas qu’ils nous voient." Nous avons continué à pied.

Selon Gyurza, les forces ukrainiennes étaient à quelques 500 mètres dans une direction et à quelques 600 mètres devant nous. Nous sommes passés devant une maison avec un trou béant dans son toit, mais toujours habitée. "Ils doivent remplacer le toit avant l’hiver, sinon ils ne peuvent pas y vivre".

Nous sommes passés devant une maison incendiée et Dmitry a dit : "Vous voyez la fumée ? La maison est encore fumante. Elle a été touchée il y a deux jours par une frappe d’artillerie." C’était la maison de la vidéo tournée par Irina.

En continuant à marcher, nous passons devant un mortier 82mm non explosé enterré dans le sol. C’est récent, note Dmitry ; l’obus est encore jaunâtre, donc il n’est pas là depuis longtemps.

Nous sommes entrés dans les ruines de la maison incendiée. Il restait des murs en briques, la tôle du toit était en cendres sur le sol et une branche d’arbre fumait encore au-dessus de nos têtes.

Lorsque j’ai filmé l’arrière, on m’a averti de ne pas marcher dans l’herbe car il pourrait y avoir des obus non explosés.

Passant devant une autre maison, Dmitry pointe du doigt et commente : "Ils ont dessiné une croix orthodoxe sur le portail. Ils espèrent qu’elle les protégera des tirs."

De retour dans la voiture, alors que nous roulions, de part et d’autre de la voie, les maisons étaient soit incendiées, soit gravement endommagées par des tirs de mitrailleuses lourdes ou des bombardements, soit condamnées et évacuées.

Nous avons à nouveau garé la voiture et nous nous sommes dirigés vers une école qui avait été malmenée. Dmitry a expliqué qu’elle avait été presque détruite par des frappes d’artillerie lourde. Avec l’école derrière lui, Gyurza prend la parole.

Depuis 2014, les défenseurs de Zaitsevo ont défendu cet endroit. L’école est un point stratégique très important : elle est entourée par les Ukrainiens de deux côtés.

En octobre 2014, lorsque l’école fonctionnait encore, nous avons apporté des ordinateurs, du papier, des stylos et d’autres choses pour les élèves. Ensuite, nous nous sommes retirés à 1,5 km de là, pour ne pas être une présence militaire près d’une école.

Trois ou quatre jours plus tard, des soldats ukrainiens sont venus à l’école et ont pris toutes les fournitures que la milice du peuple avait apportées aux élèves et ont tout détruit devant les enfants. Après être revenus et avoir vu que tout ce que nous avions apporté aux élèves était cassé, nous avons décidé de protéger l’école et les enfants.

Le 28 octobre 2014, soixante-dix soldats ukrainiens, avec deux véhicules blindés lourds (BNP) et un char, ont tenté de se rendre au centre du village pour capturer le bâtiment administratif.

À cause des arbres et des routes étroites, ils n’ont pas pu utiliser le char. Mais ils ont avancé avec les deux BNP. Bien qu’ils soient beaucoup plus nombreux que nous, ils n’ont pas pu prendre Zaitsevo, nous l’avons défendu. Ils ont été obligés de battre en retraite, mais pas complètement.

C’était au moment du premier accord de Minsk, et d’un cessez-le-feu, mais les Ukrainiens essayaient toujours de prendre Zaitsevo. Nous avons réalisé qu’ils ne partiraient pas, et qu’ils ne respecteraient pas l’accord, alors nous avons commencé à faire des tranchées et une ligne de défense pour protéger le village.

Après le deuxième accord de Minsk [en février 2015], il a été décidé qu’il devait y avoir une zone tampon de trois kilomètres. Donc, nous sommes restés sur nos positions et avons maintenu la zone tampon de notre côté.

En octobre 2015, nous avons vu que les Ukrainiens commençaient à faire avancer leurs tranchées. Ils ont creusé à travers la zone tampon et ont continué à creuser en avant vers notre position.

En novembre 2015, ils ont commencé à bombarder Zaitsevo. À cette époque, ils ne tiraient pas pendant la journée, mais chaque nuit, ils ont commencé à bombarder. Chaque soir, après le départ du bus scolaire, les Ukrainiens ont commencé à tirer avec des armes légères, puis des mortiers de 82 mm, et la nuit, c’était l’enfer ici, vraiment l’enfer."

Gyurza a été interrompu par un autre officier qui nous a dit de nous déplacer dans la voie la plus éloignée de l’école. L’endroit où nous nous tenions était trop risqué. Gyurza a alors poursuivi :

Un jour, au début de 2016, les Ukrainiens ont commencé à bombarder l’école alors que les enfants étaient à l’intérieur. Les enfants ont été évacués immédiatement : on les a fait passer par une fenêtre et dans un bus, puis sur cette route, qui était à ce moment-là sûre. Aucun enfant n’a été blessé ; ils ont été protégés par la milice populaire pendant leur évacuation.

Nous avons pris des positions pour protéger la ville contre les Ukrainiens qui tentaient d’avancer. Après avoir établi notre ligne de défense, nous n’avons pas avancé d’un mètre : nous faisons tout selon les accords (de Minsk). Mais les Ukrainiens ont avancé en passant par la zone grise, qui est une ligne militaire.

Maintenant, dans certaines zones, la distance entre les positions frontales est de 300 mètres, et dans d’autres zones à peine 120 mètres à peine.

En mai 2018, ils ont utilisé des chars pour tirer des coups directs sur l’école, détruisant le gymnase de l’école. C’était leur tentative de briser la ligne de front et d’entrer dans la ville, mais ils n’y sont pas parvenus.

Nous tenons toujours notre position, pas un mètre en avant ou en arrière. Les Ukrainiens essaient toujours de mener une offensive vers avant, mais ils n’y arrivent pas. Le gouvernement ukrainien n’obéit pas aux accords qu’ils ont signés.

S’ils faisaient tout selon les accords, les gens pourraient vivre ici et les enfants pourraient jouer dans la cour de l’école. Maintenant, on ne peut même plus s’en approcher, c’est trop dangereux.

Les gens ont éloigné leurs enfants de la ville à cause des bombardements constants, et parce que certains des obus n’ont pas explosé, il est donc très dangereux de se promener dans cette zone. De plus, les parents ne veulent pas que leurs enfants soient dans les rues sous le feu des mitrailleuses.

J’ai vu des enfants mourir sous les attaques ukrainiennes. J’ai vu mes amis mourir sous les bombardements ukrainiens. J’ai vu trop de civils morts. Je ne me rendrai jamais, il n’y a aucun moyen de faire la paix avec la partie ukrainienne sans notre armée.

Leur plus grande erreur a été de venir ici et d’utiliser des armes contre des civils. Dites à votre gouvernement de ne pas former et armer les soldats ukrainiens."

Au fur et à mesure que nous nous éloignions, les maisons que nous croisions avaient leurs murs explosés, certaines étaient recouvertes de plastique, d’autres de bois, l’une d’elles était tapissée de rondins. Dmitry a commenté : "Il n’y a plus personne sur la route maintenant. Vers 17h, ils commencent à se cacher dans leurs maisons, parce que les bombardements peuvent commencer à tout moment."

Nous nous sommes à nouveau arrêtés sur la place principale de Zaitsevo et avons pris une photo de groupe, vêtus de gilets pare-balles. Dmitry a expliqué que la coutume voulait que l’on prenne des photos après être revenu sain et sauf de la ligne de front.

Malgré tous les endroits où j’ai vécu et fait des reportages, y compris la proximité de terroristes en Syrie et les tirs à balles réelles répétés de l’armée israélienne, c’était la première fois que je portais un gilet pare-balles. Aussi encombrant que cela puisse être, je me dis que ces habitants, soumis chaque jour aux bombardements, aux tirs isolés et aux mitrailleuses lourdes de l’Ukraine, n’ont pas ce luxe salvateur. Ni, pour beaucoup, le luxe de fuir vers une zone moins exposée aux bombardements. Ils restent donc sur place, rafistolent leurs maisons s’ils le peuvent, et supportent la terreur qui s’abat sur eux presque chaque jour et chaque nuit.

Le village de première ligne de quinze habitants

Au nord de Donetsk, j’ai visité Krutaya Balka, un village situé à la périphérie de Yasinovataya, une autre zone fortement touchée.

Dmitry a expliqué que le Krutaya Balka était divisé en deux parties : l’une exposée à la ligne de front (nous ne pouvions pas y aller car la route qui y mène était sous le feu des snipers) ; l’autre, un peu plus éloignée, abritait 15 personnes, pour la plupart âgées, qui y vivaient encore.

Nous nous sommes arrêtés à Yasinovataya, dans un centre militaire de la RPD, et nous avons rencontré le commandant des troupes territoriales, un ancien soldat russe qui s’était rendu de son plein gré en RPD pour se porter volontaire et qui a fini par se marier et s’installer ici. Evgeniy, que l’on surnomme "The Bullet" (la balle), a accepté de me parler. Il a fait du café et nous nous sommes assis dans son bureau à une grande table abritant un échiquier, où il a décrit la région en général et sa propre histoire.

Il a estimé qu’avant la guerre, il y avait plus de 17000 personnes vivant à Yasinovataya et que maintenant le nombre était d’environ 13000. Il a continué :

Le district de Yasinovataya était un centre ferroviaire avant la guerre. Ce n’était pas une grande ville, mais c’était l’un des plus importants échangeurs ferroviaires. Il y avait aussi une grande usine qui produisait des équipements et des machines pour les mines.

Il y avait beaucoup de champs agricoles, ainsi que deux stations de filtration d’eau de Donetsk et la station de pompage Vasilyevsky, qui est située directement sur la ligne de démarcation. La ligne de démarcation passe le long de la frontière de la ville.

Yasinovataya est une zone d’action militaire. Les habitants ont brusquement changé leur neutralité pendant la phase active de l’impasse entre la république autoproclamée et l’Ukraine. Ils sont passés de la vie civile à la vie militaire. Les forces ukrainiennes sont entrées dans Yasinovataya. Les civils ont vu directement comment cela s’est passé, et ils se sont retrouvés directement impliqués dans le conflit et les actions militaires, pas les personnes déplacées à l’intérieur du pays, ni les personnes encerclées.

Il y avait un couloir vers l’autre côté [vers le territoire ukrainien] ; ceux qui voulaient partir pouvaient le faire.

Ici, la ligne de front coupe des domaines privés. La ville, bien sûr, est construite, mais il passe aussi dans les champs, des dachas [maisons de campagne], la banlieue. Et les banlieues sont constamment bombardées".

J’ai posé une question sur les allégations selon lesquelles les forces ukrainiennes auraient visé des écoles ou d’autres infrastructures.

Evgeniy a répondu que, bien qu’il soit dans la République depuis longtemps, il n’occupait son poste actuel que depuis un peu plus d’un an, et qu’il n’avait pas connaissance de tels cas au cours de l’année écoulée.

Dmitry a commenté : "Eh bien, il y a eu le bombardement d’une maison de retraite." Evgeniy a poursuivi : "Et avant que je sois là, ils ont bombardé un immeuble de neuf étages, un quartier résidentiel. Mais, l’administration de la ville fonctionne, la destruction a été réparée."

Je lui ai demandé pourquoi, en tant que Russe ayant terminé son service militaire et vivant une vie civile, il avait choisi de venir ici. Evgeniy a répondu : "Je suis venu dans le Donbass pour que ce qui se passe ici ne se passe pas en Russie. De plus, j’ai un sens aiguisé de la justice".

Je lui ai demandé s’il pense que la Russie a l’obligation de mettre fin à la guerre, ce à quoi il a répondu :

La Russie, en tant qu’État indépendant, ne doit rien à personne. La seule culpabilité de la Russie, à mon avis, c’est le nationalisme - qui, dans la période de séparation de l’Ukraine de la Russie a commencé à se développer activement ici. Je veux dire le fascisme, il n’a pas été écrasé dans le passé.

Le nationalisme ukrainien est devenu si impudent qu’on a laissé se produire le massacre d’Odessa. Tout le monde parle de Donetsk et de Lougansk, alors qu’un tel mouvement anti-Maidan a également émergé à Kharkiv [dans le nord-est de l’Ukraine], qui a été fortement réprimé, comme à Odessa.

Les habitants n’avaient pas d’autre choix : soit ils entraient dans un ghetto, soit les civils prenaient les armes pour défendre leur liberté.

Les premiers dirigeants des républiques et ceux qui les ont suivies étaient une chose spontanée. Ils ne se sont pas auto-désignés, ils ont bien été désignés par le peuple, et ils ont exprimé la volonté du peuple. C’était au tout début, en 2014.

L’Ukraine a choisi l’option violente et a tenté d’écraser la volonté du peuple, d’imposer son nationalisme.

Pour la Russie, en tant que grand frère [terme d’affection], il n’y avait pas d’autre choix. Elle a commencé à aider dès le début du conflit [dans le Donbass]. La Russie a été la première à apporter une aide humanitaire ici. La Russie a été la première à parler de négociations.

De 2014 à 2019, la Russie a affirmé que ce conflit [dans le Donbass] est un conflit interne, que nous [la Russie] n’intervenons pas - nous sommes des spectateurs - et que nous ne permettons pas que les accords de Minsk soient perturbés. Les Ukrainiens doivent le résoudre avec la RPD/RPL.

La Russie fait tout son possible pour ramener à la raison et désengager les parties. La Russie ne devrait rien faire [en termes d’intervention]. Ce n’est pas la guerre de la Russie".

Le journaliste de Donetsk avec qui je voyageais a ajouté :

Je ne comprends pas les gens qui attendent de la Russie qu’elle prenne en charge notre combat. Les habitants du Donbass sont indépendants et suffisamment intelligents pour décider par eux-mêmes. Même si en 2014 nous n’avions pas assez de ressources pour nous battre seuls, il n’est pas bon d’attendre de la Russie qu’elle fasse quelque chose.

Dans le Donbass, nous devrions être très reconnaissants envers la Russie pour tout type de soutien, mais en même temps ne pas essayer de forcer la Russie à faire quelque chose, ne pas dire ce que la Russie "doit" faire."

Avant notre départ pour Krutaya Balka, Evgeniy nous a invités à déjeuner dans la cantine à l’étage. En observant la camaraderie qui régnait pendant le repas, il était clair que "The Bullet" avait le respect et l’affection des soldats qui partageaient son repas.

À Krutaya Balka, dans une maison située à quelques 800 mètres de la ligne de front, j’ai discuté avec un couple âgé et sympathique. L’homme m’a fait signe et m’a demandé en souriant ce qui se passait au Canada. Quelques jours auparavant, leur quartier avait été bombardé pendant une heure, 26 obus tirés par les forces ukrainiennes.

J’ai commencé par la question la plus élémentaire : comment avaient-ils été affectés par la guerre ? L’homme a répondu :

Dire en un seul mot que cela nous a affectés, c’est comme ne rien dire. En 2014, mon beau-père, qui avait 90 ans, était allongé - il ne pouvait pas marcher, il était invalide. Un obus de mortier est tombé sur la route, et l’onde de choc a brisé la vitre vers l’intérieur de sa maison. Il n’a pas compris ce qui s’est passé, il m’a dit : "Qui est ce hooligan qui a cassé ma fenêtre ?

Il avait été gravement blessé à 19 ans, en 1944, et était invalide. Il est mort pendant la guerre actuelle."

La femme a ajouté : "En 2014, notre maison a été gravement endommagée. En 2016/17, nous nous sommes retrouvés sans verres aux fenêtres, alors nous avons recouvert nos fenêtres de plastique." Ces derniers mois, disent-ils tous deux, "il est rare que le calme règne ici. Il y a constamment des bombardements ou des tirs de mitrailleuses lourdes."

Je demande pourquoi ils restent, connaissant la réponse. "Où pouvons-nous aller ?" L’homme ajoute : "Si on quitte notre maison, elle ne sera plus là quand on reviendra."

Le 7 septembre, des tirs de mitrailleuses lourdes ont frappé la zone, ils ont commencé dans la soirée et ont duré toute la nuit. "Un incendie s’est déclaré dans le grenier. C’est une bonne chose que nous ayons été à la maison ; si nous n’y étions pas..." Leur maison aurait pu partir en flammes comme tant d’autres dans la région.

J’ai demandé quelles étaient les améliorations après Zelensky. L’homme s’est mis à rire : "Ne parlez pas de Zelensky, c’est un clown. Le cirque est parti mais le clown est resté. Non, la situation ne s’est pas améliorée ; en fait, elle a empiré."

J’ai demandé pourquoi ils pensent que l’Ukraine les bombarde. La femme a répondu :

Une fois, j’ai répondu à un journaliste en disant que nous sommes bombardés parce que les États-Unis se battent contre la Russie. Le journaliste a répondu en disant que cette vision était trop globale. Mais j’ai dit : "Qu’est-ce qui ne va pas ? ! Ils ont besoin de notre territoire. C’est les États-Unis contre la Russie".

Lorsque je leur ai demandé s’ils soutenaient la volonté du peuple de rejoindre éventuellement la Russie, le couple a répondu : "Oui. Il n’y a pas de retour en arrière possible." L’homme a ajouté : "Je veux vivre aussi longtemps que Dieu me le permet, et faire partie de la Russie est un moyen pour moi de survivre."

Plus loin sur la route, j’ai rencontré un homme qui s’apprêtait à emprunter la voie que l’on m’avait conseillé d’éviter en raison du risque de se faire tirer dessus par les snipers ukrainiens. Je portais, pour la deuxième fois, le gilet pare-balles que Dmitry m’avait fourni. L’homme que j’ai rencontré ne portait qu’une chemise à boutons.

Il ne voulait pas être filmé et me l’a dit :

Après la dernière enterview, les Ukrainiens ont directement bombardé ma maison, en en ont brûlé une partie. Je suis seul là-bas, depuis quatre ans. Pour me rendre chez moi, je dois marcher jusqu’à une zone exposée aux tirs de snipers. On m’a tiré dans la jambe. Et plusieurs fois, j’ai dû me jeter à terre lorsque les tirs de sniper ont commencé."

Je lui ai demandé pourquoi il ne part pas face à un tel danger : "Je ne veux pas. C’est ma maison. Je pensais que la guerre se terminerait rapidement, mais elle a continué." Puis il s’est dirigé vers le centre de la voie, dans le champ de tir potentiel des snipers, et avec un peu de chance, il est retourné chez lui.

Un peu plus loin, j’ai rencontré un homme debout devant la maison qu’il partage avec sa femme.

Je lui demande si sa maison a été endommagée et il rit : "Plusieurs fois. Quelle maison ne l’a pas été ? Le toit, le mur... par les tirs de mortier et de mitrailleuses lourdes."

Ses réponses sont conformes à celles des autres personnes auxquelles j’ai parlé : les choses ont empiré après que Zelensky est devenu président ; les attaques sont quotidiennes ; où irait-il ? Il se dit favorable à l’adhésion à la Russie.

Il a poursuivi en posant une question rhétorique :

"Il faudrait que je retourne en Ukraine, qui a endommagé ma maison ? Je suis russe, c’est une terre russe. Tous ceux qui connaissent l’histoire savent cela. Bien sûr, je veux rejoindre la Russie ! Auparavant, avant la guerre, je ne me souciais pas de l’un ou l’autre. Mais après tout, l’Ukraine a fait ce qu’elle a fait ; je veux absolument faire partie de la Russie. Je ne peux pas imaginer retourner en Ukraine. De toute façon, la plupart des gens ici seraient tués en tant que "séparatistes". Un politicien ukrainien connu [Boris Filatov] a dit : "Au début, donnez-leur ce qu’ils veulent, plus tard pendez-les".

Je lui ai demandé s’il avait quelque chose à dire à un public occidental. Au début, il a dit que ça ne servait à rien, les gens le savent déjà, l’Occident donne de l’argent à l’Ukraine... "Les snipers utilisent des fusils américains, s’ils donnaient moins d’argent, ce serait mieux."

Mais plus tard dans notre conversation, il a ajouté :

Pour en revenir à la question du message à l’Occident... Vous vous souvenez de la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi soutenez-vous les nazis si vous vous souvenez de la Seconde Guerre mondiale ? Pourquoi soutenez-vous maintenant les nazis ? Ils sont ouvertement nazis. Ils portent des croix gammées. Pourquoi l’Europe est-elle silencieuse ? Tout le monde vient ici et est d’accord avec moi, mais rien ne change. L’OSCE crie, mais quand ils sont sous le feu, ils sont silencieux, ils ne disent pas que l’Ukraine les attaque."

Plus tard, j’ai interrogé Ryka, un jeune commandant de peloton de la RPD qui m’a accompagné dans la région. Il m’a dit : "Quand ça a commencé, c’était des rassemblements pacifiques, il les soutenait... puis ça a tourné à la guerre. J’étais contre le coup d’État à Kiev, je ne soutenais pas le régime nazi. C’est pourquoi j’ai rejoint les manifestations pacifiques."

Ryka s’est marié pendant la guerre et a deux enfants et le soutien total de sa famille concernant son rôle dans la défense de la RPD. Il dit : "Mon père a servi et est mort dans la bataille pour l’aéroport de Donetsk, en janvier 2015." Sa maison est sous occupation ukrainienne, dit-il. Il a combattu depuis le début, lors de la plupart des grandes batailles en RPD, et finalement ici.

Je lui ai demandé s’il était conscient de la façon dont les médias occidentaux dépeignent ceux qui défendent la RPD :

Bien sûr, la représentation est négative. Ils ne le voient pas de leurs propres yeux. Vous êtes venu ici, mais très peu de gens viennent ici pour comprendre personnellement et parler avec moi. La plupart ne voient la situation que du point de vue de l’Ukraine. Les personnes qui soutiennent l’Ukraine et l’armée ukrainienne devraient venir ici et parler avec les civils, pour comprendre ce que les civils pensent vraiment du gouvernement ukrainien et du gouvernement local - qui soutiennent-ils vraiment, et combien ont-ils souffert. Peut-être que s’ils voient, ils changeront d’avis."

Il s’est étendu sur le comportement sous-estimé des forces ukrainiennes :

Je connais des gens qui, lorsque l’armée ukrainienne est arrivée dans la ville, ont été emmenés de chez eux vers des prisons secrètes à Mariupol ou Kramatorsk, et ont été gravement torturés.

J’ai parlé avec ces personnes après leur échange ou leur libération. C’étaient des civils, mais juste parce qu’ils soutenaient les protestations, au début, ils ont été emmenés.

Je connais un type qui a été emprisonné à Кurakhovo. Les Ukrainiens l’ont crucifié sur une croix avec des cordes, et l’ont mis tête en bas, le noyant dans une piscine, le torturant."

Il ne s’agit pas d’incidents isolés, comme le montrent clairement les témoignages d’autres Ukrainiens victimes de torture.

Une dernière observation

Un peu moins de trois semaines après mon arrivée, j’ai quitté la RPD. Mais lors de mes derniers jours à Donetsk, en me promenant, je suis tombée sur une statue de Taras Shevchenko, un célèbre poète et écrivain qui a écrit en ukrainien dans les années 1800. À Gorlovka, j’ai également vu une telle statue. Alexey Karpushev m’a fait remarquer :

Nous, en RPD, n’avons pas détruit de telles statues. Nous ne détestons pas le peuple ukrainien. Mais en Ukraine, ils ont détruit les statues et les mémoriaux des chefs militaires soviétiques qui ont libéré Kiev des nazis allemands."

En effet, même dans les zones de la ligne de front, lorsque j’ai parlé avec des habitants de la RPD qui souffraient, les sentiments dominants que j’ai ressentis étaient des désirs de fin de la guerre, de paix, et aussi d’indépendance, mais - à l’exception de l’homme âgé vivant dans le sous-sol de l’école qui disait que Yanukovych devrait être pendu - aucune hostilité ouverte envers les Ukrainiens eux-mêmes.

Pourtant, en Ukraine, des bataillons néonazis ont opprimé, assassiné et commis des crimes innommables contre des citoyens ukrainiens, et continuent de faire la guerre aux civils dans le Donbass.

C’est l’Ukraine dont les médias ne vous parlent pas, un État qui peut massacrer et mutiler des civils en RPD et détruire leurs maisons à volonté sans répercussion.

Les nations occidentales ne soutiennent pas seulement l’Ukraine sur le plan politique, mais certaines d’entre elles, le Canada par exemple, disposent de militaires d’élite et de services de renseignement sur le terrain pour former les forces ukrainiennes, qui vont ensuite non seulement combattre les soldats de la RPD, mais aussi terroriser et assassiner des civils.

En octobre, l’agence de presse de 14,Donetsk a rapporté :

Les forces ukrainiennes ont violé le cessez-le-feu à 150 reprises cette semaine, tirant neuf tonnes de munitions, a déclaré la mission de la milice populaire de la RPD à la JCCC.

Entre le 7 et le 14 octobre, 150 violations du cessez-le-feu ont été enregistrées. Les villes de la RPD ont été visées par 1429 projectiles d’un poids total de 9,2 tonnes, soit 162 caisses de munitions.

Les forces de Kiev ont utilisé de l’artillerie de 152 mm, des mortiers, des canons de chars.

Un civil a été grièvement blessé, 33 maisons d’habitation et des installations d’infrastructure ont été endommagées."

Eva Bartlett

Eva Bartlett est une journaliste indépendante et une militante canadienne. Elle a passé des années sur le terrain à couvrir les zones de conflit au Moyen-Orient, notamment en Syrie et en Palestine occupée, où elle a vécu pendant près de quatre ans. Elle est lauréate 2017 du Prix du journalisme pour le reportage international, décerné par le Club de la presse des journalistes mexicains (fondé en 1951), a été la première lauréate du Prix Serena Shim pour l’intégrité sans compromis dans le journalisme, et a été présélectionnée en 2017 pour le Prix Martha Gellhorn pour le journalisme. Consultez sa biographie détaillée sur son blog In Gaza.

Traduction "toujours au service de notre droit de savoir" par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

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