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Syrie : le vent de révolte souffle sur le régime de Bachar Al Assad

La Syrie est confrontée à son tour à la vague de révolution qui déferle sur le monde arabe. La République syrienne est dirigée d’une main de fer par la dynastie Al Assad depuis plus de quarante ans. Hafez Al Assad a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État en 1970 et son fils Bachar lui a succédé après son décès en 2000. Le pouvoir se transmet ainsi de père en fils comme dans une monarchie ! Hafez et Bachar Al Assad ont toujours servi les intérêts des riches marchands et des classes moyennes syriennes au détriment des classes populaires.

La rhétorique anti-impérialiste et anti-sioniste ne doit pas masquer la nature policière du régime. L’impérialisme américain et son caniche israélien ont-ils réellement intérêt à déstabiliser le régime de Bachar Al Assad ? Pour Washington la Syrie est l’un des maillons clef de sa politique proche orientale. Pour Israël, la stabilité du régime syrien permet le statu quo garant de l’hégémonie de l’État sioniste dans la région et la négation des droits du peuple palestinien.

« Une Syrie sans tyrannie, sans loi d’urgence ni tribunaux d’exception, sans corruption ni vols ni monopole des richesses » disait une des pancartes brandie par des manifestants le 15 mars 2011 à Damas. La manifestation n’a réuni que quelques dizaines de syriens et de syriennes dont de nombreuses familles de détenus politiques. Le 20 mars à Deraa, les manifestants, plus nombreux cette fois, scandaient « Non à l’état d’urgence. Nous sommes un peuple épris de liberté ! ». La contestation s’est répandue dans tout le pays malgré une répression féroce qui a fait déjà plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés.

Le 28 mars, Bachar Al Assad limoge son premier ministre Mohammad Naji Al Otari , à la tête du gouvernement depuis 2003, dans l’espoir de calmer les manifestants. Le 30 mars, Al Assad s’est adressé à son peuple à travers le parlement. Ce qui frappe d’abord l’observateur, même superficiel, c’est la forme : un Bachar sûr de lui, décontracté, souriant et plaisantant avec les parlementaires alors que la répression avait déjà fait des dizaines de morts parmi les manifestants. Les députés l’interrompent pour l’applaudir et pour déclamer des slogans à sa gloire : « Dieu, la Syrie, Bachar et c’est tout » ou encore « Avec nos âmes, notre sang, nous nous sacrifions pour toi Bachar ». A l’entrée du parlement, une foule en liesse scandait à peu près les mêmes slogans. Ce culte de la personnalité qui opprime en fait davantage les contestataires du régime que les autres, se retrouve également un peu partout dans le pays à travers notamment les médias et l’omniprésence des portraits du président . Dans tout le monde arabe, les émirs, les présidents et les rois ont élevé les masses dans l’adulation et l’admiration de leur personne. Leurs effigies est partout : sur les grands boulevards, sur les billets de banque, sur les timbres postes, dans les magasins, dans l’administration et surtout sur le petit écran. Ils sont omniprésents et omnipotents. Mais les peuples ne sont pas dupes. Dès les premières heures de chaque soulèvement, ils se précipitent sur ces portraits surannés pour les arracher, les détruire et les brûler. C’était le cas en Tunisie et en Égypte. Mais c’est le cas également aujourd’hui au Yémen, en Libye et en Syrie. Demain, d’autres effigies, peut-être, seront arrachées, détruites...

Les révoltes populaires sont toujours considérées par les régimes arabes comme « des conspirations venues d’ailleurs ». Leur mépris ici du peuple est total. Ce ne sont jamais, selon eux, des peuples qui se soulèvent contre l’injustice et la tyrannie. Ce ne sont jamais les conditions économiques, sociales et politiques internes qui poussent les populations à la révolte. Mais ce sont toujours, pour ces régimes, les mains de l’étranger qui complotent contre eux :« Je m’adresse à vous à un moment exceptionnel où notre unité est mise à l’épreuve. Une épreuve que les complots ininterrompus contre la patrie l’avaient imposée et que notre volonté, notre cohésion et la volonté de Dieu nous avaient fait à chaque fois réussir à affronter » affirmait Bachar Al Assad devant les députés le 30 mars. Cela ne signifie nullement que l’impérialisme américain et européen ne s’immiscent pas dans les affaires intérieures des pays souverains. Mais l’impérialisme complote non pas contre ces régimes d’un autre âge, mais bel et bien contre les peuples qui veulent justement se débarrasser de la tutelle américaine et européenne et de leurs serviteurs locaux. L’impérialisme est toujours et partout l’ennemi des peuples. Le cas de la Tunisie, de l’Égypte, de la Libye, du Yémen et de Bahreïn etc. sont des exemples édifiants à cet égard.

Les révoltes qui secouent le monde arabe aujourd’hui sont les conséquences non pas de complots extérieurs, mais de décennies d’injustices, de marginalisation, d’humiliations, de souffrances, de répression et d’oppression. Les dirigeants arabes ont toujours tourné le dos au peuple. Aujourd’hui ce peuple tant méprisé non seulement se réveille après un long, très long cauchemar, mais il veut renverser tous ces despotes. C’est le rêve de millions et de millions d’opprimés de cette région du monde. Ce rêve fou s’est réalisé contre toute attente en Tunisie et en Égypte. Il se réalisera peut-être demain dans d’autres pays arabes. En tout cas, les peuples offrent généreusement des martyrs par centaines, des blessés par milliers et offriront encore tous les sacrifices nécessaires pour révolutionner leurs conditions d’existence. Face à eux, des régimes qui, pour se maintenir, ne peuvent offrir qu’un semblant de « réformes » et surtout une vraie et féroce répression.

Le régime syrien ne fait malheureusement pas exception à cette règle. Toute l’histoire du clan Al assad est marquée par ce rapport très violent avec ses opposants.

En novembre 1970, un groupe de militaires syriens dirigé par Hafez Al Assad, le père de Bachar, renverse le président Noureddine Al Atassi, le gouvernement du premier ministre Youssef Zouyyain et s’empare du pouvoir après avoir éliminé en même temps les éléments progressistes du parti Baas (Renaissance en arabe). Youssef Zouyyain voulait faire de la Syrie « le Cuba du Moyen Orient » ; mais le nouveau président ne lui a pas laissé le temps (1). Hafez Al Assad va jusqu’à condamner à mort les fondateurs et idéologues du parti Baas, Michel Aflak et Salah Bitar. En 1980, ce dernier est assassiné en plein Paris. A Hama, en 1982, il est venu à bout de l’opposition islamiste et laïque au prix de milliers de morts. Le régime ne supporte et ne tolère aucune contestation, aucune opposition.

Hafez Al Assad installe ainsi en Syrie un pouvoir personnel et absolu dont les deux piliers sont l’armée et les redoutables services de renseignements, les fameuses « Moukhabarat », qui ont éliminé, emprisonné et torturé un nombre considérable de militants notamment communistes.

Hafez Al Assad livre à son fils Bachar une Syrie « purgée » de toute opposition. Seuls les courtisans applaudissant et déclamant des slogans à la gloire du jeune président sont admis à jouer le rôle de ministres, députés, gouverneurs etc. Le pouvoir, lui, est concentré entre les mains de Bachar, de sa famille, de l’armée et des Moukhabarat qu’il contrôle.

Cette remarquable stabilité du régime syrien, plus de quarante ans, n’est pas pour déplaire à Washington et à Israël (2). « Israël préfère garder un ennemi stable » disait récemment Ygal Palmor, porte-parole du ministère Israélien des Affaires étrangères sur France Inter (3). Mais ce que craignent surtout les américains et les israéliens c’est l’avènement de sociétés démocratiques non seulement en Syrie mais dans tout le monde arabe. Car ils savent pertinemment que de telles sociétés, contrairement aux dictatures, seront anti-impérialistes et anti-sionistes.

Aujourd’hui, le peuple syrien partage les aspirations au changement des autres peuples arabes. Il continue à descendre dans la rue malgré la répression féroce pour réclamer et obtenir ce changement. La Syrie, qui a vu naître sur son sol de grandes civilisations, sera-t-elle capable aujourd’hui d’enfanter une nouvelle société débarrassée de l’arbitraire et résolument tournée vers le progrès économique, social et politique ?

Mohamed Belaali

http://belaali.over-blog.com/

(1) Voir Tariq Ali « Bush à Babylone ». La fabrique éditions, page140

(2) Cité par Alain Gresh in Révoltes en Syrie http://blog.mondediplo.net/2011-03-28-Revoltes-en-Syrie. Voir également « Aux origines du régime syrien » Eric Rouleau http://www.monde-diplomatique.fr/2006/05/ROULEAU/13486

(3) http://sites.radiofrance.fr/franceinter/chro/reporter/

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COMMENTAIRES  

11/04/2011 22:00 par m-a p.

Pour d’autres informations, factuelles, et analyses, voir :

Washington veut détruire la Syrie pour compenser la perte de l’Égypte

http://www.voltairenet.org/article169267.html

m-a p.

12/04/2011 13:04 par bagatelles pour un M....

Car il va de soi qu’une Syrie découpée en bantoustans ethnico-religieux serait une garantie contre l’expansionnisme israélien. Que n’y avait-on pas pensé plus tôt ? !!!
Et de 2 pour LGS dans la Hasbara antisyrienne donc pro impérialisme israélien. Dire que certains les croient antisionistes alors qu’ils ne sont qu’antisémites, surtout envers les sémites non-juifs, particulièrement le arabo-sunnites. Il convient de prévenir de toute urgence les braves gens d’Article XI sur le sujet afin de les rassurer.
On ne voudrait pas qu’ils crèvent idiots.

13/04/2011 18:33 par Piotr Przyjalkowski

Une analyse fort valeureuse quoique je ne me depecherais pas de montrer du doigt Washington et Tel- Aviv ( surtout que ce propos est tout a fait contradictoire par rapport a la premiere note du lecteur ! ) or il est toujours normal qu’un statu quo peut s’averer plus commode, plus securitaire de par un oportunisme pur et dur qu’un changement portant sur l’imprevu !

13/04/2011 20:36 par Mk

Le parti Baas dont sont issus Bachar Al Assad et son père avait depuis sa création en 1943 une aversion profonde pour le communisme et les communistes. Il s’agit d’un parti laïque et nationaliste plutôt proche des classes moyennes. Les massacres des communistes syriens et surtout irakiens (car le Bass a pris le pouvoir aussi en Irak) sont des faits peu connus.
L’union avec l’Egypte en 1958 avait aussi comme objectif pour les dirigeants syriens de marginaliser le parti communiste très influent à l’époque. Car son programme économique et social était beaucoup plus proche des couches populaires que celui de Bass.
Progressivement Bass abandonne les uns après les autres ses idéaux d’Unité arabe, de démocratie, de laïcité etc. pour devenir un parti dirigé par des officiers assoiffés du pouvoir appliquant une politique dont le seul objectif est de les maintenir à la tête de l’Etat. En Syrie comme en Irak, ces militaires ont éliminé tous les membres progressistes du parti comme l’a écrit l’auteur.
Les américains et les israéliens scrutent comme des vautours la situation en Syrie et tenteront d’infiltrer et de récupérer l’opposition et détourner les revendications légitimes du peuple syrien à plus de liberté et de démocratie.

14/04/2011 16:36 par Piotr Przyjalkowski

Merci de cette poignee de chronologie prise dans l’histoire moderne de la Syrie. Un resume valereux, constructif et concis.

15/04/2011 21:58 par bagatelle pour un m...

Non, non il n’y a pas pas d’ingérences des laquais de Tel Aviv, les Etatsuniens dans la déstabilisation de la Syrie confère ceci :

L’Orient-Le Jour > Dernières Infos > La Syrie dément que l’Iran l’aide dans la répression des manifestations
Dernières Infos

14/04/2011 | 23h21

La Syrie dément que l’Iran l’aide dans la répression des manifestations qui ont débuté il y a près d’un mois dans le pays, comme l’en ont accusé les Etats-Unis, a indiqué jeudi à l’AFP un responsable du ministère des Affaires étrangères.
"Les déclarations du porte-parole du département d’Etat sont sans fondement", a déclaré à l’AFP ce responsable sous couvert de l’anonymat.

"Si le département d’Etat a des preuves, qu’il les donne", a-t-il ajouté.
La diplomatie américaine a accusé jeudi l’Iran d’aider le régime syrien à réprimer les manifestations en Syrie, jugeant crédibles les informations en ce sens rapportées par le Wall Street Journal.
"Nous pensons qu’il y a des informations crédibles sur le fait que l’Iran aide la Syrie à réprimer les manifestants" et "c’est vraiment inquiétant", a déclaré Mark Toner, le porte-parole du département d’Etat.
"Si la Syrie se tourne vers l’Iran pour demander de l’aide, elle ne peut pas parler sérieusement de réformes", a-t-il ajouté.
Le Wall Street Journal, citant des responsables américains, rapportait jeudi que l’Iran a commencé à livrer de l’équipement anti-émeutes, et que d’autres livraisons doivent intervenir.
La Maison Blanche a condamné mardi la répression "révoltante" des manifestations en Syrie et réitéré son appel au président Bachar al-Assad pour qu’il respecte "les droits universels des Syriens".

Comme on retrouve les mêmes accents pathétiques de la clique avant l’intervention en Libye.... Évidemment... une coïncidence... un pur hasard ? Autant de hasards Tunisie, Egypte, Libye, Bahreïn, Yémen, Syrie... s’appellent un programme.

Bien à vous,
Bagatelle pour un M...

18/04/2011 12:16 par Piotr Przyjalkowski

Je pense, camarade Bagatelle, qu’en ayant lu votre hyperanalyse Karol Marks et Fryderyk Engels se tourneraient quelques fois dans leurs tombeaux respectifs, K. Marx a Highbury Cemetery a Londres- non loin d’une tombe a Sasha Litvinienko ; et meme El Che, pourtant un ennemi jure de l’imperialisme yankee, s’essuie des gouttes de sueur de son front fatigue.

A bas la dictature !

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