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Triple D

Au commencement était le triple D. Pendant que le « triple A » occupe tant d’esprits conformistes et de discours convenus l’on oublie coupablement que ce « machin » si outrancier est la conséquence directe et fatale d’un autre triptyque conçu par les pouvoirs politiques du « monde développé » voilà trente ans déjà . Le triple A n’est rien d’autre qu’une note - au pouvoir certes démesuré - sanctionnant la capacité des instances politiques et économiques à bien faire vivre la croyance dans les bienfaits miraculeux du dieu Marché. Afin que le règne sans partage de ce dernier advint, des hommes à la fois suffisants et insuffisants inventèrent les trois D : déréglementation, décloisonnement, désintermédiation. Les trois verrous qui contenaient la finance dans des limites raisonnables sautèrent et l’on salua cet épisode, largement méconnu ou oublié par les peuples en souffrance, comme une libération trop longtemps attendue. Aujourd’hui, de trop nombreux témoins et acteurs de l’époque feignent l’étonnement. Le temps est donc venu de rafraîchir les mémoires afin de nourrir l’espoir de retrouver un jour la raison.

C’est au tournant des années 1980 que les chantres du néolibéralisme rongeant leur frein depuis quinze ans eurent gain de cause. On écouta leurs recettes prometteuses d’avenir radieux. Des assemblées démocratiquement élues mirent à bas les réglementations régissant la circulation de l’argent, firent tomber les cloisons séparant les divers marchés financiers, supprimèrent le recours obligatoire aux intermédiaires spécialisés en matière de transactions financières. On suscita ainsi un colossal appel d’air qui se concrétisa tout au long de la décennie 1980 par la création de « nouveaux produits financiers » toujours plus alléchants car toujours plus risqués. Des acteurs de plus en plus nombreux prirent l’habitude jouissive d’acheter à terme sans disposer, au moment de leur engagement, de l’argent nécessaire à la transaction et spéculant jusqu’au terme pour se procurer de quoi honorer leur promesse. Puis l’on se mit à spéculer sur les matières premières. Et même sur les denrées alimentaires. Une spirale délirante et incontrôlable était lancée. Bernard Liétard, l’un des anciens responsables de la Banque centrale de Belgique, désormais reconverti dans la réflexion sur les monnaies non spéculatives, a estimé que 97% des mouvements de capitaux ne concernent pas l’économie réelle au sens strict c’est-à -dire celle de la production et des échanges commerciaux. Le capitalisme monstrueusement spéculatif est une machine autonome fabriquant des bulles financières ou immobilières sans cesse plus volumineuses. Comme chacun le sait : le propre d’une bulle est d’éclater un jour ou l’autre. Alors, l’économie réelle, où vivent et travaillent la plupart des individus aux revenus captifs, paie une addition toujours plus lourde.

Le capitalisme tel qu’il est devenu est absurde à de nombreux égards et l’on a peine à croire qu’il ait encore des défenseurs au-delà de la minorité de nantis qui en profitent vraiment. Comment accepter comme une fatalité presque naturelle la « guerre économique » dans laquelle chaque salarié est désormais placé par les froids séides de la finance globalisée en compétition avec son semblable du bout du monde qu’il ne connaît pas et ne rencontrera évidemment jamais ? Quand 70% des ordres d’achat et de vente de la finance américaine sont déclenchés par des automates aux algorithmes « infaillibles » - 50% en Europe - comment ne pas être saisi d’effroi ? Est-il encore compréhensible que les hommes remettent ainsi le sort de l’Humanité aux décisions mécaniques de vulgaires robots ? L’intelligence est ici en faillite. Ce ne sont pas les brillants mathématiciens s’étant prêtés à ce jeu fatidique qui nous persuaderons du contraire. La finance ne connaît que deux états : l’euphorie et la dépression. Elle étend dramatiquement, par son emprise exorbitante, ces pathologies contradictoires à l’économie toute entière.

Les agences de notation financière et l’importance que les acteurs du « capitalisme de casino » leur accordent sont donc l’avatar on ne peut plus logique du monstre engendré conjointement par les pouvoirs politiques et économiques au cours du dernier quart de siècle. On ne peut pas tout à la fois défendre le système de l’économie « totalitaire » dans laquelle la finance est devenue une fin en soi et s’effrayer de la stratégie dangereuse de Standard and Poors. Le système et ses arbitres sont les deux faces de la même créature dévorante. Certes, ces arbitres ne sont pas même fiables : ils validèrent en leurs temps les comptes d’Enron, de Lehmann Brothers et la pratique des subprimes. Les agences de notation n’en sont pas moins les garantes obligées d’une économie pathogène. On ne peut dénoncer leur existence sans dénoncer dans le même mouvement le système qui les justifie pleinement. « A mal nommer les choses, on ne fait qu’aggraver les malheurs du Monde », disait Camus. Deux mots de notre vocabulaire on la même origine : crédit et crédulité. La gigantesque crise du crédit que nous vivons doit maintenant être rejointe par une crise massive de la crédulité des hommes. Le système tombera lorsque nous n’y croirons plus.

Faisons un rêve. Si les hommes inventaient demain une nouvelle notation dans laquelle ils maintiendraient, en guise de pied de nez à leurs défaillants prédécesseurs, le « triple A ». Un A pour l’efficacité de l’économie enfin au service des hommes quand elle les asservit aujourd’hui, un A pour la qualité du lien social quand celui-ci est aujourd’hui sacrifié sur l’autel du Marché, un A pour l’attention soutenue aux écosystèmes aujourd’hui saccagés par la démesure. Ils sont bien là les vrais défis : la crise financière, en partie artificielle, nous détourne des trois crises véritables : crise du partage des richesses, crise du vivre ensemble, crise écologique. Le tocsin devrait sonner enfin.

Yann Fiévet

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