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Vol d’hypocrites au-dessus du Nicaragua

« Au Nicaragua, la spirale répressive “décapite” l’opposition », titre Le Monde (17 juin 2021) en évoquant l’arrestation de treize dirigeants « à quatre mois de la présidentielle ». Le nom du support est purement anecdotique : qu’ils soient de droite, de gauche, du centre ou même qu’ils professent le « tout en même temps », la quasi totalité des médias, à la manière d’un « parti unique », publient quasiment la même chose pour dénoncer la « criminelle dérive du régime de Daniel Ortega ». Une telle unanimité devrait mettre la puce à l’oreille. Soit le Nicaragua est effectivement devenu « le Goulag centraméricain » du quotidien espagnol El País (27 juin), soit ce surprenant consensus relève d’une abstraction perversement (ou paresseusement) plaquée sur la réalité.

Héritier de la lutte de libération contre la dictature d’Anastasio Somoza (1979) puis de la résistance à la guerre de basse intensité qui lui fut imposée par Ronald Reagan (1981-1989) et George H.W. Bush (1989-1993), le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) est revenu au pouvoir, par les urnes, depuis 2007, en la personne d’Ortega. Sans faire de miracles, et dans le cadre d’une politique pragmatique, avec ses bons et ses moins bons côtés, celui-ci a sorti les Nicaraguayens les plus modestes du long cauchemar dans lequel la droite néolibérale les avait plongés depuis l’arrivée à la présidence, en 1990, de la carte de Washington, Violeta Chamorro. Raison pour laquelle, à deux reprises, Ortega a été réélu avec, de plus, une majorité sandiniste confortable à l’Assemblée.

Même s’il ne l’a pas encore officiellement annoncé, tout un chacun présume qu’il se présentera en novembre prochain à sa propre succession (à l’image d’un Helmut Kohl ou d’une Angela Merkel demeurés durant seize années au pouvoir outre-Rhin). Toutefois, pour ne pas déroger à ce qui devient une sale manie au sein de la droite continentale, l’opposition « nica » dénonce par avance une « farce électorale ». Ce bien que tous les sondages donnent l’actuel chef de l’Etat vainqueur (quelle que soit l’orientation politique de l’institut, parmi lesquels CID Gallup, qui les a menés à bien). D’où la poursuite d’une obsession : comment, et par quels moyens, se débarrasser du sandinisme et d’Ortega ?

L’opposition a tenté de le faire en 2018 par la violence. Sans résultat concret, sauf un très lourd bilan : 220 morts, dont 22 policiers et 48 sandinistes, d’après la Commission de la vérité gouvernementale. Contrairement à ce que prétend le pouvoir sandiniste, il ne s’est pas agi d’une tentative de « coup d’Etat ». Pour qu’il y ait « golpe », il faut qu’une ou plusieurs institutions de l’Etat – Forces armées, Police, Justice, Parlement – participent au renversement du président – comme au Venezuela d’Hugo Chávez en 2002 (factions militaires), au Honduras de Manuel Zelaya en 2009 (Parlement, Cour suprême de justice, Armée), au Paraguay de Fernando Lugo en 2012 et au Brésil de Dilma Rousseff en 2016 (Parlements), dans la Bolivie d’Evo Morales en 2019 (Police, Armée) – avec une contribution plus ou moins discrète de l’USG (US Government)...

Pour en revenir à 2018, toutes les institutions sont demeurées loyales au pouvoir légitime, preuve, s’il en était besoin, de la solidité du système démocratique au Nicaragua. En revanche, il y a bien eu tentative de renversement extraconstitutionnelle du président élu. Ce que l’on a généralement dépeint sous le vocable de « manifestations pacifiques » avait toutes les caractéristiques d’une rébellion anti-démocratique menée par le biais d’une violence de caractère insurrectionnel. A laquelle se sont opposés, de façon tout aussi rugueuse, le pouvoir et sa base sociale sandiniste – mouvement de masse organisé, endurci par une longue habitude des agressions, et largement sous-estimé tant par l’opposition que par le cartel d’« observateurs » qui lui sont inféodés [1].

Depuis (et même auparavant), si elle peine à affronter « à la loyale » le couple Ortega-Murillo » (Daniel, président ; Rosario Murillo, son épouse et vice-présidente), la droite ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Nostalgique de l’époque au cours de laquelle les « gueux » ont été laminés par ses politiques, elle n’a pas cru devoir élaborer et proposer un quelconque programme ou projet de pays susceptible de faire oublier à ses compatriotes le désastre social qu’elle leur a imposé dans le passé. Rien – à part la haine d’Ortega ! Et les ambitions personnelles. Voire familiales, s’agissant du clan Chamorro – Cristiana, Carlos Fernando, Juan Sebastián, Pedro Joaquín –, lesquels, héritiers d’une dynastie de présidents conservateurs [2], se considèrent légitimes propriétaires du Nicaragua. De sorte que, au-delà des grands discours essentiellement destinés à l’étranger, la confrérie des personnalités censées combattre ensemble le sandinisme passe son temps à se déchirer.

De la crise de 2018, ont surgi et survécu deux courants. L’un, l’Alliance civique pour la justice et la démocratie (ACJD), a été créé de toutes pièces par les évêques conservateurs pour un supposé « dialogue national » tenu en mai et juin 2018. Dès l’origine, l’ACJD a pu compter sur une présence importante en son sein du secteur des affaires et du patronat. De son côté, l’Union nationale bleu et blanc (UNAB) [3] représente plus ou moins la « société civile », une nébuleuse d’ « autoconvoqués », d’organisations non gouvernementales (ONG) allant du « féminisme » à la supposée « défense des droits humains » en passant par une poignée de partis politiques non représentés au Parlement – dont le Mouvement de la rénovation sandiniste (MRS). Les « dissidents » du FSLN qui y cohabitent sont devenus les plus féroces ennemis de leur ancien « compañero » Ortega depuis qu’ils ont été mis en minorité, en 1994, lors d’un Congrès extraordinaire du parti.

Censé représenter l’opposition « de gauche », le MRS n’a pas hésité à appuyer la droite la plus droitière lors des scrutins tenus en 2008, 2011, 2012 et 2016. Mettant fin à une ambiguïté entretenue depuis 1995 autour de l’adjectif « sandiniste », le parti a finalement renié son origine en devenant l’Union démocratique rénovatrice (Unamos) en janvier 2021. Le 3 mars suivant, sa présidente Suyen Barahona ainsi que Tamara Dávila, membre de sa commission exécutive, mais aussi du Conseil politique de l’UNAB, confirmeront clairement la couleur en participant à une réunion virtuelle avec le président autoproclamé Juan Guaido pour évoquer « la lutte pour la démocratie » tant au Nicaragua qu’au Venezuela.

En octobre 2018, l’ACJD et l’UNAB ont annoncé en grandes pompes leur mariage. Sans être d’accord sur rien. L’UNAB souhaitait une paralysie générale du pays (« paro nacional ») [4] pour « faire tomber Daniel ». L’ACJD – directeur exécutif : Juan Sebastián Chamorro – n’y tenait pas, lui préférant une pression diplomatique internationale destinée, avec le moins de casse possible pour les secteurs économiques, à imposer des réformes au chef de l’Etat. Commence alors un interminable (et parfois ubuesque) feuilleton. C’est ainsi que, début janvier 2020, l’ACJD annonce qu’elle se sépare « amicalement » de l’UNAB pour former… « une grande coalition nationale ». D’après José Pallais, son directeur exécutif (ex-ministre des Affaires étrangères de Violeta Chamorro), l’ACJD « dépasse une étape d’unité » pour passer à « un stade supérieur d’intégration »  ! Pour sa part, Medardo Mairena, dirigeant d’une faction de paysans antisandinistes, revendique son autonomie. Devant tant de cohérence, même le très conservateur britannique The Economist pronostique que, compte tenu du retour au calme et de la récupération graduelle de l’économie, Ortega remportera le scrutin de 2021.

Le 25 février 2020, avec les mêmes et quelques autres, nait, sans vraiment naître, tout en naissant, une Coalition nationale. Ses statuts comportent un « article transitoire » qui établit que les « désaccords et les doutes en suspens » pourront être discutés ultérieurement et que les divergences fondamentales devront être résolues par consensus. Scission du vieux Parti libéral constitutionnaliste (PLC) des ex-présidents conservateurs Arnoldo Alemán (1997-2002) et Enrique Bolaños (2002-2007), Citoyens pour la liberté (CxL), peu ou prou sous la coupe du patronat, refuse d’intégrer le bloc et invite tous les opposants à se regrouper dans un… « mouvement unitaire » – qu’il dirigera ! La Coalition nationale n’en prend pas moins son envol définitif le 25 juin, forte de l’UNAB, de l’ACJD, du Mouvement paysan, d’une faction du Front démocratique nicaraguayen (FDN ; ex-« contras » [5])et de trois partis politiques, le PLC, Restauration démocratique (PRD ; évangélique) et Yátama (Indigènes de la côte atlantique). Le projet politique hautement démocratique de cet attelage saute immédiatement aux yeux : « La fin ultime de la Coalition, déclare la membre du conseil politique de l’UNAB Alexa Zamora, n’est pas les élections [de 2021], notre objectif est de sortir Ortega, notre ennemi commun. » Pour qui n’aurait pas tout à fait saisi, Medardo Mairena précise, au nom de son Mouvement paysan : « Ceci est une nouvelle étape pour nous unir et renverser ce régime dictatorial qui a provoqué tant de souffrance [6]. »

Parmi tout ce beau monde, on devine déjà une dizaine d’aspirants à la présidence pour l’« après Ortega ». Coups et crocs en jambe se multiplient. Le 26 octobre 2020, l’ACJD formalise sa sortie de la Coalition pour (comme il se doit) « promouvoir une plateforme politique et électorale unie et inclusive ». « Ce n’est pas une rupture, clarifie le plus sérieusement du monde Juan Sebastián Chamorro, nous voulons avoir une relation respectueuse avec tous les opposants, mais notre option est de revenir à la question de l’unité, et l’unité ce n’est pas seulement la Coalition nationale. » En désaccord avec cette conception assez particulière de l’unité, des dirigeants des villes de León, Estelí, Madriz, Chontales et autres abandonnent l’ACJD et demeurent au sein de la Coalition. Dont, en juillet, le dirigeant paysan Medardo Mairena avait fait sécession : lors d’une réunion virtuelle avec le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA), expliquera-t-il, « ils [les dirigeants de la Coalition] se sont connectés sur Zoom avec Luis Almagro, mais ils n’ont même pas pris la peine de nous demander “si vous étiez en face d’Almagro, que lui diriez-vous ?” et encore moins de nous inviter à participer [7]. » Pour ne pas être en reste, la dite Coalition expulse le PLC le 30 novembre en l’accusant d’être « sous le contrôle et l’influence » de l’ « orteguisme »… Sachant qu’au sein de ce même PLC, un président de facto, Miguel Rosales, s’oppose à María Fernanda Flores de Alemán (épouse de l’ex-président), qui a aussi des ambitions.

Première étape de toute réflexion un tant soit peu raisonnable sur le Nicaragua : tous les stratèges le savent, il ne faut pas lutter en ordre dispersé. Face à un tel bazar, un bloc soudé, discipliné, porteur d’une forte identité et dirigé par un « leader » reconnu a toutes les chances de l’emporter. Pour sortir éventuellement vainqueurs d’élections démocratiques en novembre 2021, Ortega et le FSLN n’ont nullement besoin de « décapiter » l’opposition. Elle coupe parfaitement, et toute seule, ses propres têtes. A l’étranger (sauf peut-être aux Etats-Unis), on l’ignore. Au Nicaragua, même les dirigeants de la droite le savent parfaitement. En octobre 2020 encore, lorsque le Mouvement vers le socialisme (MAS) bolivien mit en échec le coup d’Etat et porta à la présidence Luis Arce, le dauphin d’Evo Morales [8], l’ex-député Eliseo Núñez Morales, membre de l’ACJD, s’alarma publiquement : « L’opposition nicaraguayenne doit en tirer une leçon, nous devons arrêter les guerres intestines, arrêter ces attaques permanentes qui existent entre tous les groupes d’opposition et générer une alternative à Ortega. »

En 2001 et 2006, pendant les campagnes électorales, Washington, à travers ses ambassadeurs, avait clairement averti les Nicaraguayens qu’il fallait à tout prix barrer la route à un retour des Sandinistes. Qu’une victoire d’Ortega entraînerait une suspension des aides et de la coopération. La menace fut d’autant plus entendue que, en 2001 par exemple, sur 6,5 millions de Nicaraguayens, 10 % vivaient aux Etats-Unis d’où ils envoyaient des dizaines de millions de dollars en « remesas » (transferts d’argent). Puis l’exaspération finit par faire son œuvre, le chantage n’opéra plus. En novembre 2006, en la personne de l’ancien banquier millionnaire Eduardo Montealegre, la droite est battue. Dès lors, Washington remet en ordre de marche sa « diplomatie parallèle » (et musclée).

L’univers médiatique français – Le Monde, Médiapart, Radio France, etc. – se gargarise à n’en plus finir de sa supposée pratique du « journalisme d’investigation ». S’agissant de la couverture de l’Amérique latine, ces supposées « Forces spéciales » de l’information se caractérisent surtout par un usage particulièrement paresseux du conformisme et du « copier-coller ». Sans se croire obligés de jouer les matamores de rédaction, ce sont un certain nombre de professionnels… américains – Max Blumenthal, Ben Norton, etc. –, dans des médias alternatifs – The GrayZone [9], Behind Back Doors [10], The Intercept –, qui sauvent l’honneur de la profession. En se livrant à un travail d’enquête rigoureux. Donc… ignoré de leurs chers confrères des médias dits « dominants ». A qui cela arracherait la plume, le clavier, le micro ou la caméra de relayer (ou simplement mentionner) l’information, quand bien même ils n’en seraient pas la source, sur les méthodes employées par Washington et son « soft power » pour déstabiliser le Nicaragua (comme bien d’autres pays de la région, à commencer par Cuba et le Venezuela).

Principaux acteurs de cette guerre non conventionnelle « made in USA »  : l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) ; la Nouvelle fondation pour la démocratie (NED), créée en 1983 par Reagan pour se substituer à la CIA dans l’organisation des actions « non armées » [11] ; l’Institut national démocrate (NDI) et l’Institut républicain international (IRI), dépendants du Congrès américain ; Freedom House, l’Open Society de George Soros ; quelques comparses de moindre rang. Objectif recherché : infiltrer (si nécessaire), créer, financer, former, contrôler et instrumentaliser les institutions de la mythique « société civile » – syndicats, partis politiques, institutions académiques ou professionnelles et surtout presse et ONG.

Entre 2010 et 2020, l’USAID avait prévu de transférer à la droite nicaraguayenne la somme faramineuse de 68,4 millions de dollars pour l’aider à discréditer le gouvernement (en interne et à l’étranger) tout en formant de nouveaux « leaders » et en créant une masse critique d’opposants. Deux ans avant le soulèvement « spontané » de 2018, elle y rajouta 8 millions de dollars, portant le total de sa contribution à 76,4 millions.

Au cœur du dispositif, la Fondation Violeta Barrios de Chamorro pour la réconciliation et la démocratie (FVBCH ou, en abrégé, Fondation Chamorro) a servi de plaque tournante pour la redistribution d’une partie consistante du pactole (14,6 millions de dollars). Fille du très respectable Pedro Joaquín Chamorro, assassiné par la dictature de Somoza quelques mois avant le triomphe de la révolution sandiniste, et de son épouse Violeta, ultérieurement présidente (1990-1997), Cristiana Chamorro (67 ans) se trouve à la tête de la Fondation. Durant la présidence de sa mère, elle a dirigé la communication et les relations publiques de l’Exécutif, de même que le quotidien « de la famille » depuis 1926, La Prensa.

Du cœur de cette FVBCH « promouvant la liberté de la presse », des flux de dollars fournis par l’USAID, la NED et l’IRI ont d’abord été injectés, charité bien ordonnée commençant par soi-même, dans les comptes des membres de la famille : Carlos Fernando Chamorro, son frère, propriétaire de l’hebdomadaire Confidencial et du Centre de recherche et de communication (CINCO), proche de l’ex-MRS ; Jaime Chamorro Cardenal, son oncle, rédacteur en chef de La Prensa (dont Cristiana est la vice-présidente), à la ligne éditoriale clairement assumée : « Les grandes victoires de la Contra sur l’Armée populaire sandiniste », claironne ainsi le quotidien, le 16 décembre 2020, glorifiant les sombres heures de l’agression étatsunienne [12].

Parallèlement, la Fondation arrose les chaînes télévisées 10,11 et 12, Vos TV, Radio Corporación, Radio Show Café con Voz, ainsi que les plateformes digitales 100 % Noticias, Artículo 66, Nicaragua Investiga, Nicaragua Actual, BacanalNica y Despacho 505... On omettra de mentionner (sauf en note) [13], pour ne pas lasser le lecteur, la foultitude de journalistes « indépendants » royalement rétribués pour diffuser ouvertement ou de façon subliminale un message qui a le mérite de la simplicité : « Ortega doit tomber ! » Avec, en point d’orgue, la campagne portée à incandescence en 2018 pour exacerber les esprits en instrumentalisant (au nom de l’écologie) un grave incendie survenu dans la Réserve de biosphère Indio Maíz, puis (en défense de la justice sociale) une réforme de la Sécurité sociale (très rapidement retirée devant la contestation). Ce qui, dans un premier temps, fit descendre dans la rue des foules de jeunes, sincères, certains de combattre pour la liberté, sans savoir quels intérêts ils servaient en réalité. L’affrontement changea d’âme et de nature quand cette même « Camorra médiatique » encouragea, appuya et couvrit, sans distance aucune, les actions irresponsables de criminels hyper-violents et meurtriers.

USAID - Fondation Chamorro – La Prensa
USAID - Fondation Chamorro – 100 % Noticias

Depuis 2009, l’USAID a spécifiquement destiné (de l’ordre de) 10 millions de dollars aux médias d’opposition – dont plus de 7 millions ont transité par la Fondation Chamorro de 2014 à 2021. Sachant que, par ailleurs, cette dernière a bénéficié d’un cadeau de 831 527 euros (plus d’un million de dollars) de l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement (AECID) [14]. Ce flot d’innocentes contributions étant sans doute par trop limité, un programme « Médias du Nicaragua » de Family Health International (FHI), une organisation basée en Caroline du Nord et partiellement financée par le gouvernement des Etats-Unis, a octroyé 45 subventions allant de 10 000 à 15 000 dollars à des organes de presse antisandinistes pour un total de 2,8 millions de dollars.

Pendant dix années, 100 % Noticias a ainsi reçu une subvention (se montant à 43 100 dollars en 2015) de l’USAID, par le biais de la Fondation Chamorro. En diffusant des « fake news », en incitant à la violence et en encourageant à prendre les armes contre les sandinistes, ce média a joué un rôle clé dans les événements de 2018. Son directeur, Miguel Mora, a appelé et appelle encore à une intervention militaire des Etats-Unis au Nicaragua, similaire à celle menée en 1989 au Panamá.

Miguel Mora : « Ce que je vois c’est que les Etats-Unis fassent une opération de type Noriega, au Panama (…) ils viennent, ils attrapent cette famille (Ortega-Murillo) et ils l’emmènent »

Le nombre et la diversité des connexions établies pour mener cette guerre non conventionnelle donnent le tournis. Outre les médias, celle-ci s’appuie sur l’armée des ONG de toutes sortes qui, depuis la fin des conflits armés des années 1980, se sont abattues sur l’Amérique centrale.
Une véritable toile d’araignée – attention, accrochez-vous !

Présidente de la Fondation qui porte le nom de sa mère, Cristiana Chamorro est également vice-présidente de Voces Vitales Nicaragua (Voix vitales Nicaragua), à qui son organisme fournit des fonds de l’USAID. Directrice de Voces Vitales Nicaragua, Berta Valle est par ailleurs propriétaire de Voces en Libertad (Voix en liberté)que dirigeson époux Félix Maradiaga, lui-même partenaire de Javier Meléndez au sein de l’Institut d’études stratégiques et de politiques publiques (IEEPP, qu’a créé Maradiaga).

Le 25 juin 2020, interrogé en direct par CNN en espagnol sur la provenance de l’argent finançant sa revue « d’investigation » Expediente Público (Dossier public), Javier Meléndez, bafouilla plus qu’il ne répondit : « Eehhh. Je vous assure qu’il ne provient pas du Venezuela ou de trafiquants de drogue... ce que je vous assure, c’est que ce sont des sources... comme je l’explique... ce sont des sources qui répondent à une ligne de transparence absolue, mais à cause de la crise au Nicaragua, les coopérants nous ont demandé de ne pas nommer l’origine des fonds que nous recevons... » On peut comprendre sa réticence à révéler l’origine et la destination des sommes reçues. Sa femme, Deborah Ullmmer, occupe la fonction de directrice de programme pour l’Amérique latine et les Caraïbes du NDI (Congrès des Etats-Unis).

On rajoutera que de nombreux employés de Meléndez, qui travaille désormais depuis Washington, collaborent également avec CINCO, plateforme dirigée par Carlos Fernando Chamorro (par ailleurs propriétaire de l’hebdomadaire Confidencial) ; et que Voces vitales Nicaragua siège à la même adresse que la Fondation Chamorro – Km 8, Carretera Sur, Plaza San José. Tant de proximités allant de pair avec autant d’opacité amène certains mauvais esprits à se poser des questions. Par exemple : une telle opacité ne permettrait-elle pas le détournement de centaines de milliers de dollars au profit d’individus ? Ou encore : pourquoi au lieu de subventionner directement Voces vitales Nicaragua (et une multitude d’autres ONG), l’USAID et la NDI le font-ils à travers la Fondation [15] ?

USAID : 80 000 $ pour le Centre d’investigations de la communication (CINCO)

On mentionnera ici une poignée d’exemples glanés, sauf quelques exceptions, pendant les années cruciales 2017-2018 (et dans les documents officiels non encore expurgés – tant l’USAID que la NED évitant désormais de mentionner nommément certains des destinataires de leurs dons) [16]...
USAID : 4 740 000 dollars le 23 février 2017 au projet Voces para Todos ; 2 071 639 dollars le 2 mai 2017 à Voces Vitales Nicaragua ; 1 750 000 dollars le 17 juillet 2017 à Mujer, Voz Vital para el País (Femmes, voix vitales pour le pays) ; 100 000 dollars, le 4 mai 2018 au Movimiento Puente (Mouvement Pont) ; 643 214 dollars le 23 mai 2018 pour un projet Création de plateformes ; etc. Mis en œuvre de 2010 à 2020, destiné à favoriser la contestation des projets d’infrastructure du gouvernement, le Programme de gouvernance municipale a lui reçu la coquette somme de 29,99 millions d’euros.

NED : 525 000 dollars à Hagamos Democracia (Faisons démocratie) depuis 2014. En 2017, 111 000 dollars à la Commission permanente des droits humains du Nicaragua (CPDH) ; 79 000 dollars à la Fondation ibéro-américaine de cultures (FIBRAS) ; 40 000 dollars à la Fondation pour le développement économique et social (FUNIDES), lié au Conseil supérieur de l’entreprise privée (COSEP) ; 260 000 dollars à l’IEEPP) dirigé en 2018 par Madariaga, l’un des pousse-au-crime (au sens propre du terme) les plus affirmés de l’opposition ; 564 134 dollars à la Fondation Chamorro ; somme indéterminée à Popol Nah, ONG dirigée par Mónica Baltodano, députée MRS de 2007 à 2011 ; 305 000 dollars à un groupe non détaillé d’organisations ; etc…
Fondation George Soros : 6 148 325 dollars à la Fondation Chamorro, le 9 mars 2018 ; 574 000 dollars de l’Open Society, du même Soros, à la même Fondation Chamorro.

Financements USAID

S’agissant des récepteurs, les termes ONG ou fondations prêtent à confusion. Il faudrait parler d’organisations paragouvernementales (OPG), avec en référence Washington et son Département d’Etat. Toutes ont participé activement, à divers degrés, à la préparation et à la planification du soulèvement de 2018, aux campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux. Des circuits dérivés, occultes, ont directement financé la logistique des manifestants connectés en réseau et coordonnés par des dirigeants d’opposition tels que Medardo Mairena, Pedro Joaquín Mena ou Francisca Ramírez, ainsi que les violences, parfois barbares, des « tranqueros  » [17]. D’autres ont eu pour objet (et ont toujours) l’enfumage de ce qu’on appelle souvent à tort la « communauté internationale ».

L’exemple le plus emblématique s’appelle Association nationale pro-droits de l’Homme (ANPDH). Financée par la NED, le NDI et l’Open Society du banquier Soros, elle a annoncé des chiffres extravagants de morts (560 en fin de conflit), d’« enlevés » et « disparus » (1 300). Au-delà des frontières du Nicaragua, ses estimations ont été reprises par des titres aussi divers que Le Point (29 juillet et 9 août 2018), La Croix (11 septembre), CNN en espagnol, le Diario Las Américas (Miami), El País (Madrid). On a même vu circuler sur Médiapart une pétition dans laquelle des universitaires et intellectuels dits « de gauche », dont une poignée de Français passés des Brigades internationales à la Doctrine de Monroe, dénonçaient les « méthodes dictatoriales du gouvernement Ortega-Murillo » et réclamaient « la constitution d’un gouvernement de transition » en prenant comme référence les chiffres « effrayants », mais surtout complètement « bidons », de l’ANPDH [18].

Le 23 juillet 2019, à Managua, en conférence de presse, trois cadres de cette ANPDH – Gustavo Bermúdez, Francisco Lanzas et German Herrera – ont dénoncé leur directeur Álvaro Leiva en l’accusant d’avoir « embarqué » au Costa Rica, où il s’est exilé, 500 000 dollars, dont plus de 100 000 dollars alloués par la NED en 2017 et 2018. Ils ont y compris révélé qu’en 2018, l’ANPDH a artificiellement gonflé le chiffre des morts et des blessés pour recevoir davantage de subventions des Etats-Unis.

Dans le même ordre d’idée, certains masques sont tombés. Entre autres celui de l’Immaculée Sainte Amaya Coppens du Cetri (Centre Tricontinental, basé à Louvain-la-Neuve, en Belgique, devenu porte-parole quasi officiel de l’opposition antisandiniste dans le monde francophone). Bénéficiant d’une double nationalité nicaraguayenne et belge (ce qui aide beaucoup pour sensibiliser les « bobos » européens, beaucoup moins passionnés par les déclarations des syndicats ouvriers et paysans « nicas »), figure de proue du Mouvement universitaire du 19 avril (fondé lors de l’insurrection), arrêtée à deux reprises, Coppens a été présentée en Europe, où elle a mené campagne après ses libérations, comme appartenant à la gauche nicaraguayenne. Ce qui a contribué à isoler davantage encore Managua.

Toute peine mérite récompense. Le 3 mars 2020, Coppens a fait le déplacement à Washington pour y recevoir le prix « Women of Courage », décerné chaque année par le Département d’Etat américain à douze femmes ayant démontré « un courage et un leadership extraordinaires ». Quelque peu ennuyés sans doute, ses amis progressistes européens ont soigneusement évité de diffuser les photos où on la voit, souriante, épanouie, recevoir cette haute distinction des mains de Melania Trump et du très humaniste secrétaire d’Etat Mike Pompeo. Peut-être pensent-ils comme nous que la conscience politique n’est plus vraiment ce qu’elle était… Il semblerait hélas que, en ce qui les concerne, la réflexion n’a pas été poussée plus loin.

Melania Trump, Amaya Coppens, Mike Pompeo

Tous ces faits sont largement connus et documentés, depuis longtemps, au Nicaragua. Ils ont eu un rôle capital dans la déstabilisation interne, la tentative de « révolution de couleur » et la mise au ban du gouvernement sandiniste par les puissances impérialiste (Etats-Unis) et sous-impérialiste (Union européenne). Ils permettent de justifier les menaces et sanctions coercitives de Washington.

En 2019, tandis que se déroulait un dialogue heurté entre le pouvoir et l’ACJD, des groupes successifs de détenus arrêtés pendant les événements de l’année précédente sont sortis de prison, sous le régime d’assignation à résidence. Le 8 juin, une loi d’amnistie (# 996) en faveur « de toutes les personnes qui ont participé aux événements intervenus à partir du 18 avril 2018 » fut approuvée par le Parlement. Amnistiant autant les délits instruits et jugés que les délits n’ayant pas encore fait l’objet d’enquête – c’est-à-dire concernant la direction du MRS (aujourd’hui UNAMOS), Félix Maradiaga, Cristiana et Juan Sebastián Chamorro, Violeta Granera –, elle fut contestée par l’opposition car amnistiant également les forces de police et les sandinistes ayant commis des exactions. Elle n’en permit pas moins l’élargissement total de la majorité des prisonniers « politiques », dont certains leaders de la subversion – Miguel Mora, Medardo Mairena, etc.

On peut dès lors et à juste titre, trouver curieuses les poursuites lancées par la justice nicaraguayenne depuis le 2 juin dernier contre un certain nombre d’opposants, dont des dirigeants amnistiés en 2019. Sauf si l’on rappelle un détail : l’article 3 de la loi 996 établit que les personnes en bénéficiant « doivent s’abstenir de commettre de nouveaux actes qui entraînent des conduites générant les crimes envisagés ici. Le non-respect du principe de non-répétition entraînera la révocation de l’avantage établi par la présente loi. » Ce qui n’interdit en rien de s’opposer légalement et démocratiquement au pouvoir. Mais censure la possibilité de chercher à le déstabiliser en utilisant les mêmes méthodes que précédemment.

On l’a vu, de nombreux augures prédisent une victoire du Front sandiniste aux élections générales du 7 novembre prochain. Devant cet échec probable et surtout cuisant de leur politique, les Etats-Unis ont pris leurs dispositions. On peut d’ores et déjà prévoir que Washington ne reconnaîtra pas le résultat électoral – comme au Venezuela (2018 et 2020) et en Bolivie (2019), respectivement dotés d’un président fantoche, Juan Guaido, et du gouvernement de « facto » de Janine Añez. La nouvelle mouture de la déstabilisation à venir, avant, pendant ou après le scrutin, s’intitule « Responsive Assistance in Nicaragua » (RAIN). Ce programme prévoit, du 11 août 2020 au 10 février 2022, l’assignation de 2 millions de dollars pour réaliser « une transition ordonnée » du gouvernement d’Ortega vers « un gouvernement qui s’engage à respecter l’Etat de droit, les libertés civiles et une société civile libre ». Sans même chercher à dissimuler sa stratégie, le document utilise cent deux fois l’expression « régime de transition » et prévoit par avance une purge au sein de l’armée et de la police sandinistes. Dans le cadre du programme annuel YouthPower pour l’année fiscale 2020, l’USAID comptait également allouer 17 millions de dollars au programme Youth and Communities of Safe, Empowered and Resilient Nicaragua (NYCSER), pour financer des groupes « de jeunes et de féministes » [19]. Les mêmes que ceux qui, en 2018, concernant les jeunes, sont descendus dans la rue ?

« Responsive Assistance in Nicaragua » (RAIN)
« Responsive Assistance in Nicaragua » (RAIN)

Daniel Ortega n’a rien d’un agneau disposé à tendre son cou au couteau du boucher. Pour tout sandiniste digne de ce nom, la souveraineté du Nicaragua ne se discute pas, elle se défend. Le 15 octobre 2020, le Parlement a approuvé la Loi 1040 dite « Loi de régulation des agents étrangers ». S’il ne les interdit pas, ce texte exige des ONG qu’elles rendent compte de tout financement étranger, en précisant l’identité de leurs donateurs, le montant des fonds reçus, l’objet des dons et une description de la manière dont l’argent a été dépensé – informations qui doivent correspondre à leurs états comptables et financiers.

Le 30 octobre, apparaît la loi (# 1042) sur les Cyber-délits. Celle-ci permet de poursuivre et de sanctionner la diffamation, les menaces, les atteintes à l’intégrité physique des enfants ou des femmes, le vol d’identité, le piratage ou l’espionnage informatique, et aussi ceux qui diffusent de « fausses informations ».

Enfin, le 21 décembre, le Parlement approuve (70 voix pour, 15 contre, 4 abstentions) la loi 1055 « Défense des droits du peuple à l’indépendance, la souveraineté et l’autodétermination pour la paix ». Celle-ci établit que « toute personne qui demande, soutient et salue l’imposition de sanctions à l’Etat du Nicaragua » ne pourra pas se présenter aux élections générales. Est également exclue toute personne qui fomente ou finance un coup d’Etat, porte atteinte à l’ordre constitutionnel, incite à l’ingérence étrangère ou participe, avec des financements extérieurs, à des actes de terrorisme et de déstabilisation. L’opposition hurle au scandale contre cette « loi guillotine ». Elle ne se rend même pas compte que celle-ci s’inspire d’une loi (# 192) du 1er février 1995, signée par son icone Violeta Chamorro : « Ne peuvent être candidats à la présidence ou à la vice-présidence de la République ceux qui dirigent ou financent un coup d’Etat, ceux qui altèrent l’ordre constitutionnel et qui, à la suite de ces actes, assument la fonction de chef du gouvernement et des ministères ou vice-ministères ou des fonctions de juge dans d’autres branches du gouvernement ».

« On m’a demandé si je vais lancer ma candidature à la présidence de la République, communique par écrit, le 12 janvier 2021, Cristiana Chamorro. Ma réponse est que je ne crois pas que ce soit le moment, je pense que la première chose que nous devons faire est de parvenir à une grande unité autour d’une vision consensuelle du pays (…)  » Comme d’habitude, la guerre fait alors rage entre la Coalition nationale, l’UNAB et le Parti Citoyens pour la liberté (CxL) dont la présidente Kitty Monterrey vient de déclarer que les deux organisations précitées « n’existent pas ».

Une semaine auparavant, en application de la loi 1040, le ministère de l’Intérieur avait annoncé que les personnes et organisations concernées devraient s’enregistrer comme « agents étrangers » avant le 5 février, sous peine d’être sanctionnées par la perte de leur personnalité juridique. Le 6 février, pour échapper à l’application de cette loi et à la nécessité de rendre des comptes, Cristiana Chamorro annonce la fermeture « volontaire » et la suspension des opérations de sa Fondation.

Au-delà des grandes déclarations de principe, apparaître pour ce qu’elle est, c’est-à-dire admettre publiquement qu’elle est financée par Washington, lui ôterait toute crédibilité face à ses compatriotes. Toutefois, l’ombre de la législation planant chaque jour un peu plus au-dessus de sa tête, Chamorro commence à évoquer plus fréquemment sa probable candidature à la magistrature suprême. Autour d’elle, et en partie pour les mêmes raisons, émanant de l’UNAB, de l’ACJD et de CxL, les prétendants à une ou des possibles primaires poussent comme des champignons : Félix Maradiaga, Medardo Mairena, Miguel Mora, Juan Sebastián Chamorro, Arturo Cruz...

Le Justice suit son cours. L’analyse des états financiers de la Fondation pour la période 2015-2019, estime le Ministère public, laisse percevoir de clairs indices de « blanchiment d’argent ». Entre autres incongruités : alors que 7 millions de dollars figuraient au solde créditeur de la Fondation lorsqu’elle a été fermée, cette somme est apparue peu après sur trois des comptes bancaires personnels de Cristiana Chamorro. Convoquée le 27 mai, celle-ci refuse de répondre aux questions des enquêteurs sur l’usage des fonds reçus d’une puissance étrangère et les mouvements financiers suspects. Elle se contente de proclamer : « Le Département d’Etat américain a rejeté les prétendues accusations de blanchiment d’argent contre la Fondation Violeta Barrios de Chamorro en se basant sur les audits qu’ils ont effectués sans trouver aucune preuve de blanchiment ou de détournement de fonds [20] » On ne saurait être plus clair : pour elle, les juridictions étatsuniennes seraient les seules en vigueur dans un Nicaragua réduit au rang de colonie !

Quand on sait qu’on a le dos au mur, on choisit la meilleure option : quatre jours plus tard, le 1er juin, Cristiana Chamorro annonce son intention de participer via CxL aux primaires de la droite organisées par l’ACJD, pour aspirer à la présidence de la République. Quand, le 3, elle est détenue et assignée à résidence, elle devient « l’étoile montante de l’opposition [21]  », « la plus sérieuse concurrente du chef de l’Etat Daniel Ortega [22] » et une martyre de la démocratie.

Une vingtaine d’arrestations ont eu lieu depuis, d’activistes connus assignés à résidence ou placés en détention préventive pour trois mois : Arturo Cruz, le 5 juin, à l’aéroport de Managua, de retour des Etats-Unis, en possession d’une grosse somme en devises non déclarée ; Maradiaga ; Juan Sebastián Chamorro ; Miguel Mora ; les dirigeants d’UNAMOS (ex-sandinistes, dont certains au passé glorieux) Dora María Téllez, Víctor Hugo Tinoco, Hugo Torres Jiménez, Ana Margarita Vigil, Suyen Barahona, Tamara Dávila...

Sont recherchés Antonio Belli et Gerardo Baltodano, pour s’être soustraits à une convocation de la Justice enquêtant sur FUNIDES. Directeur, entre autres, de Confidencial, Carlos Fernando Chamorro a quitté le pays avec sa femme après une descente de police à son domicile le 21 juin.

Tous ne sont pas candidats à la Présidence de la République ! Mais certains le sont devenue précipitamment, tel Pedro Joaquín Chamorro, arrêté le 25 juin. Interrogé la veille par CNN et Univisión sur sa possible aspiration à la fonction, celui-ci, se sachant dans l’œil du collimateur, a immédiatement enfilé le gilet de sauvetage lui accordant le statut de « persécuté » en répondant affirmativement.

Terreur sur le Nicaragua ! La grande Internationale de l’Ordre global se déchaîne – Etats-Unis, Organisation des Etats américains (OEA), Union européenne (UE), médias et leurs « justes causes », belles âmes de la « gauche » européenne, bureaucraties de la défense des droits humains (de la bourgeoisie)… Il n’y a pas lieu de s’en étonner. Le même tintamarre s’est abattu sur le gouvernement bolivien de Luis Arce quand, fin mars 2021, ont été arrêtés ou inculpés l’ex-présidente de facto Janine Añez, plusieurs de ses ministres et anciens membres de haut rang de la police et des Forces armées impliqués dans le coup d’Etat de 2019. « Les Etats-Unis sont profondément préoccupés par les signes croissants de comportement antidémocratique et de politisation du système juridique en Bolivie, à la lumière de la récente arrestation et de l’emprisonnement préventif d’anciens responsables du gouvernement intérimaire », a osé communiquer l’administration de Joe Biden, suivie par ses « toutous » de l’UE, la Conférence des évêques catholiques et les groupes d’extrême droite boliviens, les organisations locales dites de défense des droits de l’Homme et les inévitables Tartufes Amnesty International et Human Right Watch (HRW)...

L’une des porte-paroles de cette dernière organisation, Tamara Taraciuk, demande désormais que la situation du Nicaragua soit portée devant le Conseil de sécurité de l’ONU.

« Ces personnes [inculpées par la justice nicaraguayenne] font l’objet d’une enquête parce qu’elles ont appelé publiquement à des mesures coercitives contre l’économie du Nicaragua, qu’elles ont conspiré pour commettre des actes terroristes et qu’elles ont créé une structure frauduleuse d’ONG à but non lucratif pour le blanchiment de fonds de plusieurs millions de dollars provenant de l’étranger, ce qui constitue une intervention politique dans le pays pour y provoquer une déstabilisation catastrophique », résument les journalistes Jorge Capelán et Stephen Sefton [23]. Intervenant depuis Managua dans le cadre du Sommet de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), qui le soutient, comme le fait globalement la gauche latina, du Groupe de Puebla au Forum de São Paulo [24], Daniel Ortega a ironisé : « Les Etats-Unis font pression sur nous, pour ces vingt personnes, alors je leur dis : « libérez immédiatement les quatre cents personnes que vous avez arrêtées et maintenez en prison pour avoir pris d’assaut le Capitole [25] ! »

L’Amérique latine ne s’y trompe pas, qui dénonce régulièrement – Cuba, Venezuela, Bolivie, Equateur (sous Rafael Correa) – les outils de déstabilisation mis en place par les Etats-Unis contre les gouvernements progressistes. Bien avant l’agression totale déclenchée contre Caracas après la mort de Chávez, l’USAID, entre 2004 et 2006, avait déjà transféré quelque 15 millions de dollars à plus de 300 ONG présentes au Venezuela, leur offrant un « soutien technique et de formation » par le biais de son Bureau des initiatives de transition (OTI) [26].

Plus récemment, et dans un pays a priori moins « sulfureux », Jesús Ramírez, porte-parole de la présidence du Mexique, a révélé que l’agence de presse Artículo 19, opposée au gouvernement du président Andrés Manuel López Obrador (AMLO), est financée par Washington (et par les Fondations Ford et Heinrich Böll, Google, l’UE ansi que les ambassades du Royaume uni, des Pays-Bas, d’Allemagne et d’Irlande).

Jeu de piste : à la tête d’Artículo 19 pendant dix années, Dario Ramírez est devenu le directeur de la communication de l’ONG Mexicains contre la corruption (MCCI). Parmi les bienfaiteurs de MCCI figurent l’USAID (2,3 millions de dollars sur trois ans, octroyés en 2018) la NED et le Conseil mexicain des affaires (CMN en espagnol), où nichent les patrons les plus riches et les plus puissants du pays. En vue du méga-scrutin législatif, régional et municipal du 6 juin 2021, trois partis notoirement corrompus mais fermement opposés au projet réformateur d’AMLO – Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), Parti d’action nationale (PAN) et Parti de la révolution démocratique (PRD) – se sont coalisés dans le cadre du projet « Oui pour le Mexique » dirigé par l’homme d’affaires Claudio González Guajardo, président de MCCI de 2016 à juillet 2020 [27]. Ce dernier a depuis été remplacé à la tête de l’ONG par María Amparo Casar Pérez, coordinatrice des conseillers du ministère de l’Intérieur du gouvernement du néolibéral Vicente Fox (2000-2006) [28].

Les accusations de longue date d’AMLO selon lesquelles diverses agences étrangères tentent de saper son gouvernement ont abouti à une note diplomatique envoyée en mai à l’ambassade des Etats-Unis au Mexique. S’exprimant lors d’une conférence de presse, López Obrador a accusé le gouvernement américain d’ « un acte d’interventionnisme qui viole notre souveraineté ».

Ainsi donc, le Nicaragua serait une dictature, si l’on en croit l’appareil de propagande « yankee ». Pourtant, à y bien regarder, Ortega n’a pas tort lorsqu’il interpelle Washington et la légion des hypocrites qui s’acharnent sur son pays.

Répression illégitime en 2018 ? « Le FBI a une très bonne mémoire et le bras long », assénait le 13 janvier 2021 le porte-parole du Bureau fédéral d’Investigation, Steven D’Antuono, lors d’une conférence de presse tenue conjointement avec le procureur de Washington. Le message s’adressait aux participants pro-Trump de l’invasion du Capitole, que les autorités commençaient à identifier un par un grâce aux photos et aux vidéos. Quelque 465 personnes seront inculpées ultérieurement par le Tribunal fédéral de district de Washington ; plus de 200 l’ont été pour infractions mineures (« trouble à l’ordre public », « soutien passif ») et ont été pour l’heure libérées sous caution ; plus de 130 autres, sous le coup de chefs d’accusation plus graves – « agression », « extrême violence », « possession illégale d’arme à feu » – sont passibles de 20 ans de prison. La quarantaine de manifestants entrés au Capitole en portant une arme mortelle ou dangereuse encourent, selon le ministère de la Justice, jusqu’à 10 ans d’incarcération [29].

D’ailleurs… La doctrine méritant de s’appliquer outre-frontières, le porte-parole adjoint du Département d’Etat a très récemment publié un communiqué explicite sur le sujet : « La violence et le vandalisme sont un abus [du] droit de manifester pacifiquement. » Il est vrai qu’il évoquait la Colombie et son mouvement social violemment réprimé (plus de 70 morts) par l’ « ami » de droite radicale Iván Duque.

Dès le vote de la Loi 1040 dite « Loi de régulation des agents étrangers » au Nicaragua, le Département d’Etat américain a émis un communiqué assurant que cette « loi autoritaire » menaçait la démocratie. Curieux… Les Etats-Unis abritent certes de nombreuses ONG nationales et étrangères, parfois financées sans limite ni restriction par des gouvernements ou partis politiques étrangers, mais à une condition : qu’elles s’enregistrent en tant… qu’ « agent étranger » auprès du ministère de la Justice, remplissent des déclarations fiscales et se conforment à la législation prévue par le Foreign Agents Registration Act (FARA). Celui-ci exige que les personnes agissant en tant qu’agents de mandants étrangers « divulguent périodiquement au public leur relation avec le mandant étranger, ainsi que les activités, les recettes et les déboursements à l’appui de ces activités. » L’objectif principal de la loi est de promouvoir « la transparence en ce qui concerne l’influence étrangère aux Etats-Unis » et de permettre « que le public américain et ses législateurs connaissent la source de certaines informations destinées à influencer l’opinion publique, la politique et les lois des Etats-Unis, facilitant ainsi une évaluation éclairée de ces informations par le gouvernement et le peuple américain [30] ». Bien entendu, rajoute le texte officiel, « les lois qui sont généralement applicables à tous les Américains peuvent s’appliquer aux ONG, telles que les restrictions sur la réception de contributions d’une organisation terroriste. Il existe également des restrictions sur le soutien financier direct des candidats politiques par des personnes étrangères. »
Somme toute, la seule différence entre le Nicaragua et les Etats-Unis, est qu’ici on évoque la « Loi 1040 » et là le « FARA »…

Au sein de la Division de la Sécurité nationale du Département de la Justice, une Unité FARA est responsable de l’administration et de l’application de la législation. Pour ce faire, elle identifie les violations, examine les dossiers pour détecter les lacunes et inspecte les livres et registres des déclarants. Un non respect délibéré du FARA entraîne une peine de prison pouvant atteindre cinq ans, une amende pouvant allant jusqu’à 250 000 dollars, ou les deux [31].

Treize pays de l’Union européenne disposent de lois concernant le financement politique étranger. En Suède, recevoir de l’argent d’une puissance extérieure ou d’une personne agissant en son nom est une infraction pénale si l’objectif est d’influencer l’opinion publique sur des questions relatives au gouvernement du pays ou à la sécurité nationale [32]. En Italie, le fait de recevoir de tels fonds pour mener des activités politiques nationales est passible de sanctions ne pouvant être inférieures à 10 ans d’emprisonnement (articles 243 et 246 du code pénal).

Juste pour rire : un citoyen américain pourrait-il, comme au Nicaragua (et au Venezuela), sans désagrément aucun, demander à une puissance étrangère d’imposer des sanctions à son pays, ou même réclamer et militer activement pour une invasion militaire ? Les articles 2381 à 2390 de l’United States Federal Sentencing Guidelines (USGG ; directives de condamnation des Etats-Unis), contiennent les définitions et les sanctions relatives aux crimes de trahison, d’incitation à la trahison, de rébellion ou d’insurrection, de conspiration séditieuse, d’incitation au renversement du gouvernement, d’enregistrement d’organisations étrangères, etc. Tous ces crimes font l’objet de poursuites au niveau fédéral et, en fonction de leur gravité, peuvent entraîner des peines d’amendes, d’interdiction de se présenter à des élections, d’emprisonnement ou de mort. Qu’on se rassure… On ne réclame ici la chambre à gaz pour personne ! A Managua non plus. La Constitution de la République entrée en vigueur le 9 janvier1987, sous le gouvernement sandiniste de Daniel Ortega, précise dans son article 23 : « La peine de mort n’existe pas au Nicaragua. » Les barbares ne sont pas ceux qu’on croit.

Coopération espagnole

Après avoir reçu les directeurs du Centre nicaraguayen des droits de l’Homme (Cenidh) et de l’IEEPP, qui venaient de se voir ôter leur personnalité juridique, le Quai d’Orsay, le 13 décembre 2018, réitérait sa « vive préoccupation face à la dégradation de la situation des droits de l’Homme au Nicaragua ». Le 16 juillet précédent, il avait appelé les autorités de Managua à « cesser leur répression ». Le gouvernement français aime bien donner des leçons. Quitte à perdre la mémoire. Si prompt à condamner le gouvernement sandiniste, il semblait avoir oublié l’épisode des Gilets jaunes : 12 107 interpellations, 10 718 gardes à vue, 3 100 condamnations dont 400 peines de quelques mois à trois ans de prison, avec mandat de dépôt (incarcération immédiate) [33].

En demandant « la libération immédiate de Mme Cristiana Chamorro  », en mêlant sa voix à celle de l’Espagne en particulier et de l’UE en général pour condamner, entre autres, les lois « liberticides » sur la cyber-sécurité – « Loi Poutine », d’après le Financial Time – et sur « les agents étrangers », Paris persiste et signe. Amusant ! Dans une « Tribune pour l’Europe » publiée le 5 mars 2019 dans plusieurs quotidiens européens, le président Emmanuel Macron proposait « que soit créée une Agence européenne de protection des démocraties qui fournira des experts européens à chaque Etat membre pour protéger son processus électoral contre les cyber-attaques et les manipulations. Dans cet esprit d’indépendance, nous devons aussi interdire le financement des partis politiques européens par des puissances étrangères ».

Dans le même esprit, à la tête du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), Stéphane Bouillon a annoncé, le 2 juin 2021, qu’il a l’intention de mettre sur pied, dès la rentrée de septembre, un service à compétence nationale chargé de traquer les ingérences étrangères dans le domaine de l’information. « Il ne s’agit pas de faire du renseignement, a-t-il précisé, mais d’identifier ce qui est en train de devenir pandémique sur le plan informationnel et si cela émane d’un pays étranger ou d’une organisation étrangère, qui visent à déstabiliser l’Etat sur le plan politique [34] ».

Quelques temps auparavant (septembre 2020), Raphaël Glucksmann, l’homme qui, modestement, à la tête de son groupuscule Place publique (proche du Parti socialiste), veut « refonder la gauche » française sur une base « européiste » et « otanesque », a pris la tête d’une Commission spéciale de l’Euro-parlement sur « l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation ». Avec pour objectif d’« évaluer le niveau des menaces, qu’il s’agisse des campagnes de désinformation, du financement des partis ou campagnes politiques, ou des attaques hybrides », celle-ci devra « examiner la transparence du financement des partis et des campagnes, vérifier les actions et les règles nationales ainsi que les influences extérieures à travers des entreprises, des ONG ou des technologies ». Commentant sa désignation, Glucksmann a souligné  : « L’ère de la naïveté européenne est terminée. »

Qu’on ne s’en étonne pas : celle du Nicaragua aussi.

Maurice LEMOINE

Illustration : Cristiana Chamorro – La Voix des Amériques (capture d’écran)

»» https://www.medelu.org/Vol-d-hypocrites-au-dessus-du-Nicaragua

[2Fruto Chamorro Pérez (1854-1855), Pedro Joaquín Chamorro Alfaro (1875-1879), Emiliano Chamorro Vargas (1917-1921), Diego Manuel Chamorro Bolaños (1921-1923) et enfin Violeta Barrios de Chamorro (1990-1996).

[3Bleu et blanc : couleurs du drapeau nicaraguayen.

[4En espagnol, « paro » signifie « grève ». Mais, comme en Colombie ces dernières semaines, le concept dépasse très largement une interruption de l’activité salariale (d’autant que le secteur informel regroupe la majorité des travailleurs). Il s’agit d’une paralysie du pays par les secteurs contestataires les plus divers de la société.

[5Contre-révolutionnaires qui, entraînés, équipés et financés par Washington ont affronté militairement la révolution sandiniste pendant toutes les années 1980.

[11Dans le New York Times du 1er juin 1986, le premier président de la NED, Carl Gershman, a expliqué sans détour : « Il serait terrible pour les groupes démocratiques du monde entier d’être vus comme subventionnés par la CIA. C’est parce que nous n’avons pas pu continuer à le faire que la Fondation a été créée. »

[13Luis Galeano, María Lily Delgado, Miguel Mora Barberena, Dino Andino, Gerald Chávez, Roberto Mora, Lucía Pineda y Wendy Quintero, Jenifer Ortiz, Héctor Rosales, Álvaro Navarro, Uriel Hernández, Uriel Pineda, Carlos Salinas, Jackson Orozco, Leticia Gaitán, Fidelina Suárez, Patricia Orozco, Anibal Toruño.

[17Manifestants opérant sur et depuis les barricades (« tranques »).

[21La Presse, Montréal, 4 juin 2021.

[22Le Monde, Paris, 3 juin 2021.

[23Resumen Latinoamericano, Buenos Aires, 27 juin 2021

[27Malgré cette alliance, AMLO a conservé une majorité à la Chambre des députés.

[29Les accusés qui coopèrent et plaident coupables de certains des crimes les plus graves peuvent voir leur peine ramenée à trois ou quatre ans derrière les barreaux 

[34Le Monde, 6-7 juin 2021.


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