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Carte postale pour Michel Piccoli

Il fallait aussi un poète.
De notre ami Serge Pey, qui a bien connu Michel Piccoli, cette carte postale, cet adieu poétique saupoudré de souvenirs.
Lira-t-on plus bel hommage ?
LGS

Michel Piccoli est descendu de chez lui. Il a cassé son miroir, s’est mis un pansement sur ses doigts coupés. Puis il a dévalé l’escalier. En bas un fiacre peint en rose l’attend qui le porte directement sur la plage. Devant les pêcheurs, la bourgeoisie vomit sa grande bouffe et s’étouffe avec du sable glacé. Comme avant. Comme après. Une belle de jour.

Depuis deux jours, Michel fait la collection des étoiles dans le noir absolu de l’univers. Une par une elles, elles s’éteignent car elles parsèment le nouveau plafond de sa chambre infinie, mais il les colle encore dans un grand album sans couverture.

Que dire de son élégance de la vérité terrestre et de la lave des volcans, de ses cours d’eau qui envahissaient ses châteaux désaffectés, et encore de ses émeutes de langage choisi, mais surtout de ses barricades d’amour, de fleurs et de chants d’oiseaux. Poète de la vie et de la mort, de la sienne et des autres, il était le voisin des humbles et des bistrots, et en même temps un chevalier des hautes aristocraties de l’invisible.

Nous avions récité des poèmes ensemble quelques fois. On aimait cela, et l’on pensait que c’était la seule chose qu’on pouvait faire maintenant dans ce monde si bas et si haut devant le silence assourdissant de ses oreilles.

Je me souviens. Nous nous souvenons. Mais c’est le souvenir qui se souvient. C’était au Meeting poétique de la Mutualité avec Laurent Terzieff. Il y a plus de vingt ans. André Velter nous avait invités à nous emparer d’un avenir de la poésie et d’un présent qui pouvait retourner le monde. Nous avions alors réalisé cet accomplissement inouï.

Michel récitait ses poèmes à côté de moi. Je voyais ses mains, je voyais son dos.
Puis ce fut à mon tour de lire sur mon bâton en rythmant avec les pieds toute ma psalmodie. Derrière, il me faisait le tempo avec Laurent. Ensemble ils faisaient claquer leurs doigts comme des castagnettes sans bruit. Ce fut pour moi, un de ces moments infracassables que seule la poésie peut raconter quand elle en a le temps, et en pleurant. Dans les coulisses on but du champagne. Ou plutôt, on regarda les bulles de nos mots, comme Machado nous l’avait appris, monter dans nos flûtes en plastique.

C’était encore un temps, où l’on pouvait parler de changer le monde, car on savait que chaque poème avait des mains au bout de ses mots, et que surtout les mots n’avaient pas été fusillés par les technocrates de la mort.

Avec Laurent et Michel on évoqua Themroc dans des éclats de rire. Nous étions alors des inconditionnels de ce film oublié dans les salles de cinéma. On s’était alors enivré de gaz lacrymogène, en ayant préalablement détruit à la masse les murs de nos appartements donnant sur la rue. Nous avions aussi mangé ensemble un CRS-SS rôti sous les applaudissements des émeutiers qui n’étaient pas des spectateurs. C’était après 68, quand le monde avait encore de l’espérance dans sa marche et que nos chaussures marchaient pieds nus devant le mur des fusillés.

Ce soir-là, il y a donc plus de vingt ans, Michel avait désaltéré la « Mutu » d’un charme amoureux si immense qu’il se confondait avec toute la poésie du monde. On pouvait dire certainement que la poésie récitait Michel, en lui arrachant ses dents comme des mots. En lui crevant des yeux pour mieux voir.

Nous nous sommes écrit longtemps. Quand j’ouvrais son courrier, je reconnaissais son écriture serrée et noire fixant des poèmes que nous n’écririons plus jamais.
Mon ami Michel était un voisin, un ouvrier du bâtiment, un résistant, un acteur de ce grand acte qui pouvait changer le monde. Les personnages qu’il portait en lui parfois se réunifiaient pour faire un homme que personne ne connaissait. Il était l’amoureux absolu du grand jardin de l’amour, et l’on sait que le monde ne peut se changer qu’en l’aimant, alors timidement nous offrions des roses à nos amours retournés.
Michel avait la poésie de l’honneur.

Un jour, pour mon anniversaire, il s’est soudain mis à réciter quelques poèmes de mon livre Dieu est un chien dans les arbres. Oui ce matin-là, au téléphone, il me fit le cadeau de sa voix, et depuis je ne puis entendre ce poème que dans la sienne. Ce fut le début entre nous d’une longue lettre, ponctuée durant quelque temps par des cartes postales et des morceaux de papiers déchirés alimentent le grand feu d’une poésie qu’aujourd’hui plus personne ne lit. Oui, une histoire commencée au meeting poétique de la Mutualité à Paris.

Salut Michel. Sans point d’exclamation. Je ne vais pas aller au cinéma. Je n’irai jamais plus au cinéma. Les salles sont fermées. Seuls les paquets de corn flakes sont ouverts. De la glace sucrée coule de la bouche des caniches et les chewing- gums sont collés sous les fauteuils.

Ce soir je vais brûler une photo, la tienne, volée dans un magazine. J’ai invité quelques fantômes à venir boire un nouveau verre de champagne sur tes poèmes mouillés par le brouillard. Tu les reconnaîtras : Laurent est là et tous les autres aussi. La « Mutu » est au complet et les flics attendent que l’on sorte. La salle est pleine de poèmes jusqu’à la rue pour les coller sur les murs, uniquement, une seule fois. Sans recommencer, car nous n’avons pas le temps.

Serge PEY, 17 mai 2020.

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