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Le Louvre d’Abu Dhabi ou une complicité coupable avec le “soft power ” des Émirats

Le président Macron est parti inaugurer le Louvre Abu Dhabi dans un grand fracas médiatique. Hélas, si le soft power émirati drape le pays des oripeaux de la respectabilité, il n'occulte pas les exactions d'un Etat policier, voire militaire.

Depuis le début des années 90, on a assisté à une volonté d’émancipation de certains membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) face à leur grand voisin saoudien. Cela a été particulièrement le cas du Qatar et des Emirats Arabes Unis, qui ont cherché dans le soft power un moyen d’obtenir une existence politique. Tout le monde connait l’anecdote de l’ancien émir du Qatar racontant qu’il avait été choqué lorsqu’un douanier à l’aéroport de Londres lui avait demandé si le Qatar était un vrai nom de pays. Il s’était alors juré de faire connaître son pays dans le monde entier, et on peut dire qu’il a réussi.

C’est avant tout Dubaï qui a permis aux Emirats Arabes Unis de se faire connaître. Nouvelle métropole ultralibérale du Golfe, la ville est aussi devenue un symbole de toutes la démesure des dirigeants de ce pays avec une tolérance pour tous les excès des expatriés occidentaux. Abu Dhabi, plus discret que Dubaï mais aussi plus riche en hydrocarbures, a tenté tant bien que mal d’exister sur un autre plan que celui de son sulfureux voisin. Usant de sa force de frappe financière, Abu Dhabi a investi le champ culturel et éducatif en acquérant, certainement moyennant finances, la marque du Louvre et de La Sorbonne. Un développement politique forgé au name-dropping manquant d’authenticité et d’efficacité, illustrant plutôt le manque de vision d’un pays en quête de débouchés pour ses pétrodollars.

À l’image de Masdar City, mirage urbain qui devait pourtant être le modèle de la ville durable, Abu Dhabi n’a jamais réussi à mener à bien les projets qui devaient faire rayonner l’émirat dans le monde entier.

Le hard power comme marque de fabrique

À défaut d’avoir réussi à acquérir les éléments de réussite du soft power, les Emirats Arabes Unis se révèlent donc être des tenants de plus en plus adeptes du hard power, à l’intérieur des Emirats comme dans leur politique extérieure. Le coup de comm autour de la nomination d’une femme ministre du bonheur ne doit tromper personne : les Emirats Arabes Unies restent la cible des critiques régulières des ONGs. Human Rights Watch parle de « répression sur tous les fronts » et de poursuite active de « toute personne qui ne rentre pas dans le rang ». La prospérité des Emirats ne saurait donc longtemps cacher les carences gouvernementales concernant les droits de l’homme et la liberté de la presse.

Surtout, les Emirats Arabes Unis sont devenus de plus en plus des partisans de la force plus que du dialogue dans leur diplomatie. Le prince héritier d’Abu Dhabi, Mohamed Ben Zayed (dit « MBZ »), a toujours eu une attirance pour le monde militaire, comme en témoigne son passage par l’académie militaire britannique de Sandhurst. Vice-commandant en chef des forces armées et général depuis 2005, MBZ a constitué progressivement une impressionnante armée avec les appuis des occidentaux toujours ravis de trouver des débouchés pour l’industrie de défense. On retrouve parmi ses conseilleurs militaires le sulfureux Erick Prince, ancien fondateur de Blackwater, à qui les Emirats sous-traitent leurs opérations en Libye.

Au-delà de la Libye où les Emirats Arabes Unis soutiennent le seigneur de guerre Khalifa Haftar, Abu Dhabi déploie également ses troupes au Yémen, souffle sur les braises en Syrie et s’installe dans la Corne de l’Afrique. Le dernier coup de force de MBZ est d’avoir mis sous sa coupe le jeune prince hériter du royaume des Saoud, Mohamed Ben Salman, qui prend désormais pour modèle ses voisins émiratis : « Vision 2030 », guerre au Yémen, isolement du Qatar, purge intérieure... Afin de se protéger des critiques de l’Oncle Sam, MBZ a nommé son éminence grise, Yousef Al Otaiba, en tant qu’ambassadeur à Washington pour rallier à Abu Dhabi l’administration américaine. Personnage de roman à la croisée de Machiavel et de Cesare Borgia, les enquêtes de The Intercept ont révélé les méthodes troubles de l’ambassadeur pour influencer les think-tanks et les décideurs américains.

Le drôle de jeu du Président Macron

Le président Macron, homme de culture, semble feindre de ne pas voir la nature de cette opération, lancée sous Chirac : le Louvre Abu Dhabi est avant tout une réussite technique et diplomatique plutôt qu’un réel partenariat culturel. Toutefois, la tournure que prend la politique émiratie depuis quelques années doit inciter Paris à la prudence avec Abu Dhabi. Retranchés derrière le paravent confortable de la lutte anti-terroriste, les Emirats Arabes Unis jouent en réalité le rôle de pyromane dans un Moyen-Orient déjà embrasé.

Emmanuel Macron, comme il l’a fait avec le président al Sissi, refuse de s’ériger en donneur de leçons. Dont acte. Mais il serait illusoire de croire que la politique répressive et guerrière des Emirats Arabes Unis sème des espoirs de paix et de stabilisation dans la région. Le quotidien des Yéménites reste hanté par les bombes de la coalition, le blocus du Qatar nuit à l’intégration régionale tandis que le général Haftar prend de plus en plus les traits d’un futur dictateur. Au nom de la morale, le président aurait dû essayer, “en même temps” qu’il accepte la venue à Abu Dahbi, de convaincre MBZ de « réapprendre la complexité du dialogue mais aussi sa fécondité ».

Car c’est là tout le paradoxe : alors qu’Emmanuel Macron scandait, en septembre 2017 à l’ONU, que les Droits de l’Homme étaient au cœur de la légitimité internationale, les discours peinent à succéder aux actes. Loin d’encourager le dialogue avec les cultures, l’ouverture du Louvre Abu Dhabi n’occulte pas le fait que les Emirats sont incapables de dialoguer avec leur propre voisin, pourtant un « pays frère ». La diversité politique et religieuse qu’ils proclament chez eux semblent craquer au moindre examen critique des réalités du pays. Les opposants politiques se font toujours arrêter à la moindre opinion dissonante. L’uniforme des militaires émiratis devient plus familier que celui des pilotes d’Emirates.

Joseph N

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