A Santiago du Chili, au lendemain d’un autre 11 septembre

«  Un avion décolle dans trois heures pour Buenos Aires. Un conseil, prenez-le, votre sécurité en dépend. » Je venais à peine de rentrer dans ma chambre d’hôtel à Santiago du Chili. Au téléphone, un interlocuteur inconnu (un militaire, un ami ?) m’invitait à quitter rapidement le pays. Il fallait faire vite, sauter dans un taxi et prendre rapidement la route de l’aéroport en observant les consignes reçues quelques jours plus tôt. Peu m’importait ce départ précipité, même s’il provoquait une forte montée d’adrénaline, une trouille difficilement contenue. La mission que l’on m’avait confiée quelques semaines après le coup d’État de Pinochet en plein coeur de la capitale chilienne avait été remplie : rencontre avec les rescapés des tueries, transmission d’informations mémorisées à Paris, à Rome et à Buenos Aires avec en retour l’enregistrement d’indications précises, remise d’une forte somme d’argent, fruit de la solidarité. Je sais aujourd’hui que la plupart des personnes rencontrées ce soir-là ont disparu. Leurs corps n’ont jamais été retrouvés.
Le jeune homme installé au Sheraton, roulant en Lincoln noire avec chauffeur et menant grand train de vie ne présentait pas le profil d’un révolutionnaire échevelé. Dans le restaurant de l’hôtel vide, les regards des personnels chargés de servir l’unique client entouré de chandelles exprimaient plus le mépris que l’envie.

La première partie de la mission achevée et les contacts rompus, la seconde ne pouvait échapper aux flics de Pinochet. Visites aux familles réprimées et à leurs courageux avocats, rencontres avec les candidats à l’exil réfugiés dans les représentations diplomatiques. «  Vous êtes repéré », m’avait averti l’ambassadeur du Mexique qui dû, lui aussi, quelques jours plus tard, faire ses valises.

Il régnait un étrange silence à Santiago. Cette ville vivante, bruyante, joyeuse était plongée dans la peur. Dès le soir tombé, malgré la chaleur du début de l’été, les rues étaient désertes. Les patrouilles de l’armée quadrillaient la capitale. L’accès au palais présidentiel, la Moneda ravagé par les flammes le 11 septembre 1973, était interdit, les cadavres ne dérivaient plus sur le fleuve Mapucho, le stade qui avait servi de centre de torture avait été nettoyé. Les prisons étaient pleines, on torturait dans les casernes et dans des villas réquisitionnées par la police secrète, on incitait à la délation dans les familles, les dirigeants démocrates-chrétiens, si violents contre Salvador Allende, se terraient sans exprimer la moindre protestation, tandis qu’une poignée de militants communistes, socialistes et du MIR tentaient de reconstruire une structure de résistance. Seuls quelques ecclésiastiques osaient affronter publiquement la junte en protégeant des prisonniers et en venant en aide aux familles. En province, loin de tout, l’armée torturait et fusillait à tour de bras.

Il y avait au cours de ces heures tragiques des moments de fierté. Celui, par exemple, d’assister à l’accueil dans les locaux de la représentation diplomatique française des Chiliens de toutes tendances politiques promis à la mort. Ou encore de voir la femme de l’ambassadeur de France participer à l’installation de matelas et à la distribution de nourriture. Qu’il fait bon à ce moment-là de revendiquer sa nationalité.

Il était 18 heures. A l’aéroport de Santiago, le vol pour Buenos Aires était annoncé. J’achetais des cerises. Dans le paquet, je ne sais qui avait glissé un petit morceau de papier sur lequel était écrit : «  Bon voyage et fais attention à toi. »

José Fort

COMMENTAIRES  

12/09/2009 00:27 par pompon

Bonsoir,

l’histoire se répète et il n’y a vraiment qu’un Rhénan du 19ème siècle pour trouver ça drôle ! ...

Au Honduras, la "farce" poursuit son cours. Quelqu’un saurait-il ce qu’il se passe avec la radio Radioglobohonduras (rien à voir avec TVglobo, je sais que vous savez sur le GrandSoir ... mais tout le monde n’est pas au courant)

http://www.radioglobohonduras.com/ ?

12/09/2009 11:09 par rosa

je ne comprends rien au message de "pompom" et d’ailleurs " lhistoire se répète" est une contrevérité car l’histoire se fait dans des contextes et des situations économiques et politiques particulières propres à la situation du pays à un moment donné. Il n’y a aucun déterminisme particulier dans cette situation .La seule chose qui puisse nous faire croire à une ressemblance sont les méthodes employées (dictature) et les raisons.Penser que l’histoire est déjà écrite et de manière définitive est "une vue de l’esprit" et un raccourci plus que douteux.L’histoire s’écrit avec des faits et souvent sur les cadavres de nos martyrs.Concernant le Chili cette histoire n’est pas encore totalement écrite. Que savons-nous en europe de cette terrible répression et de sa dictature sanglante ?

(Commentaires désactivés)