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Tunisie : L’Idéologie du "Choc des Civilisations" en échec…

« Ils ont les montres, nous avons le Temps. »

Devise de la Résistance Afghane

L’Inquisition au XXI° siècle

« Il fallait bien empêcher les barbus d’arriver au pouvoir. La "realpoltik" , que
voulez-vous… »

Je regardais François Baroin à la TV, ministre du Budget et porte-parole du gouvernement français. Déversant, à propos de la Tunisie et des Droits de l’Homme, sa brouette de clichés comme autant de galets polis par l’usure du temps, justifiant le soutien inconditionnel de la France, et des pays occidentaux, à ce qui était une des dictatures parmi les plus féroces et corrompues de la planète.

"Homme politique" de l’année paraît-il, dans je ne sais plus quel magazine "pipole" ou "pipelette" . Bernadette Chirac, présente à l’émission, lui voit même un destin de président de la république. Oui, bien sous tous rapports, très représentatif de la caste au pouvoir. Parfaitement à l’aise, sous couvert du réalisme politique, admettant l’ignoble, l’abjection : l’arbitraire, la torture, la négation de la dignité humaine…

Pathétique contraste entre cet homme bien repassé, brushing savamment architecturé, propre sur lui, style Harry Potter, pour reprendre les termes de l’animateur de cette émission de divertissement, et la photo d’une des victimes de la dictature que j’avais sous les yeux, Adem Boukadida, sortant du terrible centre de tortures de Mornghouia, dans la banlieue de Tunis. (1)

Hébété, tétanisé encore, par l’horreur vécue. Marchant, respirant difficilement. Il a eu les jambes brisées, le sternum défoncé, les mains écrasées, entre autres violences et tortures subies. Il ne peut plus écrire. Il a 30 ans.

Il vivait avec une distribution de pain, 2 fois par jour dans une cellule où étaient entassées 60 personnes. Comme toilettes : un trou au milieu du local. Du fait de ses jambes brisées, il ne pouvait pas s’accroupir et demandait, en vain, qu’on soigne ses blessures et qu’on lui accorde des toilettes décentes.

Le sadisme, l’humiliation, dans leur rayonnement mortifère.

Bouazizi-Tombstone-Tunisia-Jan-2011.jpg

Hommage à Mohamed Bouazizi

Son crime ?...

Il avait fait des études à l’université d’Al-Azhar au Caire. Un homme tranquille, croyant et pratiquant, ne militant dans aucun parti, ni mouvement. N’ayant pas trouvé d’emploi malgré ses diplômes, il tenait une modeste boutique de tissus. Partageant son temps entre sa famille, son commerce et la mosquée pour y prier. Pour le régime, c’était un faisceau de preuves suffisant pour cataloguer Adem Boukadida comme "terroriste islamiste" . Si ce n’était de fait, dans tous les cas : en puissance.

Il faut "faire du chiffre" et montrer aux occidentaux qu’on est superactif, hyperactif, proactif, dans "la chasse aux barbus" , pour justifier son label de « rempart démocratique contre l’islamisme ». Ouvrant le boulevard aux adulations des nomenklaturas de l’Empire et de ses vassaux, pour service rendu à la Civilisation. Et, en retour, un soutien inconditionnel à tous les agissements tyranniques.

Arrêté au mois de novembre dernier, le jour même de la grande fête religieuse musulmane de l’Aïd el Kébir, Il a donc subi la torture pour lui faire avouer ses crimes. Non seulement on lui cassait les os mais, pour le relaxer probablement, il avait droit à de longues séances de « waterboarding », ou supplice de la baignoire comme l’appelaient hygiéniquement les spécialistes es-tortures de la Gestapo, reprenant un grand classique de l’Inquisition.

Comme il n’en avait pas commis, qu’il n’y avait aucun commencement de preuve, ses tortionnaires s’acharnaient à lui faire reconnaître qu’il en avait "l’intention" . Jusqu’à lui briser les mains, se saisir de son pouce de force, pour lui faire signer un acte d’aveux qu’il n’a jamais prononcés.

Car le "crime d’intention" est la norme de tout régime de terreur, et donc de la soi-disant lutte anti-islamiste imposée par les occidentaux dans les pays musulmans. Le "délit de piété" étant assimilé, au nom de la laïcité démocratisante, à "l’intention terroriste" , à la tentative de subversion. Pire ! Au "blasphème" à l’égard de l’Occident, et de ses fondés de pouvoir : les dictatures imposées.

Justifiant, ainsi, la bénédiction de tous les arbitraires. Le vocable d’islamiste servant de fourre-tout dans lequel sont jetés tous opposants, ou suspects d’opposition. Car, si vous êtes un opposant à une dictature installée par l’Occident dans un pays musulman vous ne pouvez être qu’un islamiste. Et un islamiste, dans une logique imparable, ne peut être qu’un terroriste.

L’équivalent de la chasse aux hérétiques, ou aux sorcières, de l’Inquisition. Paradoxe, au XXI° siècle : si vous êtes "pieux" , vous êtes un "hérétique" par rapport aux canons de la modernité. Nous voilà revenus au Moyen-Age, dans la chasse paranoïaque à l’Hérésie ! La Grande Régression, ce naufrage de la Civilisation des Lumières si bien analysé, décortiqué, par Jacques Généreux dans son livre sur cette pathologie. (2)

Jusqu’aux derniers jours, raconte Adem Boukadida, malgré bruits des fusillades et odeurs de lacrymogène franchissant l’enceinte de ce centre de torture, pour bien faire comprendre que les dictateurs passent mais que les tortionnaires restent, tous les "terroristes" , en herbe ou en barbe, étaient réunis dans la cour, dans un rituel quotidien, pour être battus à coups de matraques et de nerfs de boeuf.

L’Inquisition, dans l’arrogance de son impunité.

Barbe à longueur de poil variable

A ce jour, beaucoup des victimes de l’arbitraire et du sadisme, en Tunisie, n’ont pas encore été libérées de ces goulags. Et, sont loin d’en sortir. Les hommes du régime, qui savaient, qui ont cautionné, soutenu ces horreurs, ces crimes contre l’humanité, ne veulent pas que cela se diffuse trop. Les protecteurs occidentaux du régime, prescripteurs et complices de ces crimes, n’y tiennent pas non plus. (3)

Ces innocents seront relâchés au compte-gouttes, en catimini. Comme 90 % des détenus de Guantanamo, et autres centres de tortures de l’Empire et de la Coalition, sauvagement torturés pour être finalement relâchés faute de preuves. Souvent restitués à leurs pays d’origine et sommés de se taire. S’ils ne meurent pas avant, sous la torture ou dans une exécution sommaire. Pas de vagues !...

Certains meurent après leur libération. Réduits à l’état de loque humaine. Comme Zouheir Yahaoui, autre héros de la Révolution Tunisienne, jeune créateur du site Tunezine où il brocardait le régime et son gouvernement de malfrats. Arrêté, placé en centre de tortures pendant plus d’un an, il n’a pu survivre aux traitements subis.

Adem Boukadida a eu de la chance dans son malheur, grâce à un avocat, des soutiens, tenaces et courageux. Souhaitons lui, ainsi qu’à ses frères d’infortune, de trouver rapidement la santé et la joie de vivre…

En fait, les gouvernements occidentaux, à commencer par celui de la France, ne se sentent nullement gênés. Ils mentent avec autant d’assurance maintenant, quant à leur "soutien au valeureux peuple Tunisien" , que lors de leurs éclatantes démonstrations d’amitié à l’égard du dictateur en place…

Leur argumentaire sur l’impérieuse nécessité d’organiser en permanence "la chasse aux barbus" censés s’en prendre aux libertés, et à La Femme, même usé jusqu’à la corde, aussi grotesque soit-il, est et sera martelé en permanence. Ayant de la conception de la barbe une appréciation de la géométrie et de la dimension du poil aussi variable que pour la Justice, les Droits de l’Homme, ou les Conventions de Genève sur la protection des populations civiles.

La femme musulmane ? La protection des libertés ? Une société civile laïque ? De tout cela : ils s’en contrefichent. La preuve ?

La femme musulmane ?...

Avant de prétendre libérer La Femme, quel que soit son pays, on commence par ne pas le bombarder, l’occuper militairement, le piller, y installer des centres de tortures, créer des milices de "collabos" , entretenir la terreur. On s’assure que La Femme qui y vit ne soit pas massacrée, affamée, humiliée, avec ses enfants, sans médicaments pour les soigner, ni écoles pour les éduquer, sa maison détruite.

Les abominations et atrocités à l’encontre des populations commises en permanence par les forces d’occupation occidentales, en Palestine, en Irak, ou en Afghanistan, n’embarrassent pas une demi-seconde ces "féministes" folkloriques. Chez ces gens-là , Gaza et son blocus inhumain : on ne connait pas.

La protection des libertés, à commencer par celle du droit de vote ?...

L’Empire et ses vassaux soutiennent toutes les dictatures qui leur conviennent, dans un simulacre d’élections, la France en premier. Même les dictatures qui se succèdent de père en fils, comme au Togo ou au Gabon, récemment. Comme il était prévu en Egypte, où le fils Moubarak devait prendre le relais du père.

Ben Ali était un dictateur à vie, derrière une parodie de consultation électorale dont il ressortait vainqueur, à chaque fois, avec plus de 90 % des votes. Tout le monde le savait, mais faisait semblant de ne pas le savoir. Et, c’était un des rejetons de la famille qui était programmé comme héritier du pouvoir. Parmi les schémas de succession à l’étude figurait celui de son épouse comme présidente…

La défense d’une société civile laïque ?...

Comment ne pas rire devant cette cynique affirmation ? Quand on voit la déférence des gouvernements occidentaux, leur soutien inconditionnel, à l’égard d’un régime théocratique, corrompu, rétrograde, méprisé par l’ensemble de la communauté musulmane, sunnite ou chiite : L’Arabie Saoudite.

Détesté même par son propre peuple. Nos médias n’en parlent pas, mais il existe un peuple en Arabie Saoudite qui subit ce clan mafieux. Il ne peut jamais s’exprimer sur la gestion de son pays et de ses ressources, car les bureaux de vote y sont inconnus. Comme dans toutes les "pétromonarchies" du Golfe, considérées comme des propriétés familiales gérées par l’Empire.

Régime fondé sur une secte aussi hypocrite que déjantée : le Wahhabisme
Soutenu par Roosevelt dans les fameux accords signés avec le clan Saoud, sur le croiseur USS Quincy le 14 février 1945… Livrant la région et ses immenses ressources à l’Empire.

Secte allant jusqu’à interdire aux femmes de conduire un véhicule. Seul pays au monde. Il est vrai que cela alimente les fourneaux de la propagande islamophobe faisant croire que toute femme est interdite de conduire un véhicule dans les pays musulmans... (4) Défigurant, actuellement, dans un urbanisme sauvage les villes de pèlerinage de la Mecque et de Médine, détruisant quartiers, bâtiments, vestiges historiques, inestimables patrimoines de l’Humanité, pour y construire tours et gratte-ciel surplombant les lieux saints, dans un délire d’inculture et de spéculation indécente d’avidité.

Où se trouve la défense de la laïcité dans l’instauration par l’Occident, depuis les accords Sykes-Picot de 1917, de l’apartheid religieux en Palestine ? Où la spoliation de la terre de vos ancêtres a pour fondement l’appartenance religieuse, certains fanatiques de cette théocratie coloniale ayant pour projet d’assimiler la religion à une race... (5)

Que dire de la mosaïque religieuse imposée de force au Liban par les puissances occidentales, depuis le 19 ° siècle, où la représentation politique au parlement et la répartition des responsabilités gouvernementales ont pour fondement l’appartenance religieuse ?

En fait, loin de les pourchasser, les gouvernements occidentaux adorent les "barbus" . Aucun problème s’ils s’en mettent un maximum dans les poches pour eux et leurs familles. A deux conditions : laisser piller leur pays et souscrire à toutes les volontés de l’Occident au Moyen-Orient. Ceux qui ne l’acceptent pas seront diabolisés et traités en terroristes !

Prétendre soutenir une dictature au motif qu’elle représenterait un « rempart contre l’islamisme » est, en conséquence, une "faribole" . Symptôme fondamental dans la compréhension de la situation : l’Empire est nu. Confirmant ce que tout le monde sait, en imposant le tout et son contraire dans le cynisme, il n’applique non pas des Valeurs, mais La Loi du Plus Fort.

Au-delà des mensonges de la propagande occidentale, l’écroulement de la dictature en Tunisie présente une dimension géopolitique qui est occultée par la plupart des analystes. Ce n’est pas simplement une revendication sociale, se doublant d’un appel à l’octroi des libertés publiques élémentaires, qui vient de surgir. C’est un système politique, économique, et géostratégique, imposé par l’Occident qui vient d’imploser.

Conséquence d’une idéologie générant un système de prédation néocoloniale longuement mûri, peaufiné, structuré, au fil des décennies, depuis la chute de l’empire Ottoman et les accords de Sèvres de 1922 répartissant ses dépouilles entre puissances occidentales. Bientôt, un siècle. Les immenses richesses de cette région, que les anglo-saxons désignent par MENA (Middle East - North Africa), étant pillées avec la complicité d’autocraties soigneusement sélectionnées et contrôlées.

Idéologie renforcée et théorisée depuis la chute du Mur de Berlin, en direction des opinions publiques occidentales analphabètes de désinformation et anesthésiée de propagande sur cette aire géographique. Avec le célèbre "Choc des Civilisations" sorti en 1996  : l’islamiste remplaçant le communiste dans l’argumentaire impérial. Du MENA, la prédation-oppression sera systématisée à l’ensemble des pays musulmans suivant les mêmes concepts et méthodes : Pakistan - Indonésie, évidemment, mais aussi pays musulmans d’Asie centrale, minorités musulmanes en Inde, aux Philippines et en Thaïlande.

Grattons le vernis académique de la thèse du Choc des Civilisations et nous trouvons, tout simplement, une idéologie parmi les
plus sanguinaires que notre imaginaire d’Homo Politicus ait pu inventer et appliquer sur cette planète. Avec ses trois broyeurs :

=> Prédation coloniale, avec trois axes majeurs : ressources naturelles spoliées ou bradées, marchés locaux rendus captifs pour l’importation des produits et services de l’Empire, privatisation des services publics gérés comme des rentes de situation pour les groupes occidentaux.

=> Barrage de l’accès aux hautes technologies : les pays musulmans en sont bannis pour maintenir un « gap » technologique avec l’Occident. Seul est toléré un minimum de connaissances techniques permettant d’assurer le fonctionnement des activités de sous-traitance confiées par l’Empire.

Expliquant l’absence d’instituts de recherche de haut niveau dans ces pays. Donnant le pourquoi de la traque aux chercheurs de ceux qui avaient réussi à former un pôle de recherches scientifiques, devenus les cibles privilégiés de ses escadrons de la mort. Rien qu’en Irak : plus de 350 spécialistes de haut niveau, dans toutes les disciplines (y compris en informatique ou neurochirurgie…), ont été assassinés suite à l’invasion et la destruction du pays.

=> Racisme d’Etat : décliné, articulé, sur une propagande islamophobe de haute intensité pour justifier auprès des opinons publiques internationales, occidentales et non musulmanes, l’hyperviolence et le pillage de l’Empire dans les pays musulmans. En entretenant, en permanence, un esprit des Croisades…

Le peuple Tunisien vient, toutefois, de perturber la marche de ce rouleau compresseur…

Tunisia-Heart-od-Revolution-jan-2011-AJ.jpg

Le commencement de la fin ?

L’idéologie du Choc des Civilisations est en "échec" , en Tunisie. Peut-être, mais elle est loin d’être "mat" …

La Bande des Quatre (France, Israël, Italie, USA) qui administre ce condominium qu’est la Tunisie pour l’Empire, chacun dans son domaine de compétences et d’intérêts, s’active pour enrayer le mouvement. Il n’y aura pas d’effet domino.

Gardant les mêmes piliers et seconds couteaux de Ben Ali, ils vont lâcher un peu de lest sur le social et la liberté d’expression. Cela ne dérange pas l’Occident. Pour reprendre la métaphore de Reinaldo Arenas : dans tous les pays, le Peuple est mené à coups de pied au derrière par l’oligarchie qui le "gouverne" ; la différence entre une dictature et une démocratie, c’est que dans la première, il doit « la fermer », et dans la seconde on le laisse « gueuler ».

Appliquer la tactique de l’édredon : laisser la colère s’apaiser, les manifestations s’essouffler, sans trop de casse. En canalisant le discours par les médias de la propagande. En isolant les plus obstinés, pour les museler ensuite. En emballant le tout dans "du pain et des jeux" , suivant la recette mise au point dans l’Antiquité, par les Romains. Sur fond de simulacre électoral à venir…

En Europe, en France, des millions de gens sont descendus dans la rue pendant des semaines pour manifester leur colère devant l’injustice économique et sociale. Les lois et décisions des nomenklaturas, contre lesquelles ils protestaient, ont toutes été votées et sont appliquées.

La ploutocratie se fiche éperdument de la volonté populaire. Elle détient la force et l’appareil de propagande. Les propos aussi imbéciles que cyniques d’une Alliot-Marie, ex-ministre de l’Intérieur de la France, sur l’expertise des forces de répression sont l’illustration de ce complet mépris.

Le seul point qui gêne les occidentaux dans ces mouvements de révolte populaire, notamment en Egypte et Jordanie, c’est qu’ils arrivent à un mauvais moment, avec un mauvais exemple.

Le mauvais exemple : c’est celui de l’armée Tunisienne. Refusant de se comporter en milice au service d’une caste au pouvoir, de tirer sur le peuple. Se comportant en armée au service de la nation, de sa souveraineté, de la protection du peuple et de ses institutions. Si toutes les armées des pays musulmans se mettent à éprouver des états d’âme et respecter des principes, où va-t-on ? La situation risque de devenir intenable. Là , réside le véritable danger pour les intérêts de l’Empire.

Le mauvais moment : à l’instant même où tous les gouvernements occidentaux préparent activement une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Objectif : invasion du Liban, destruction de la Syrie, écrasement de l’Iran. Les conclusions en préparation, évidemment truquées, du Tribunal Spécial du Liban enquêtant sur l’assassinat de l’ex-premier ministre Hariri, devant servir de prétexte. Cette pantalonnade ayant pour finalité l’obtention de l’autorisation de l’ONU pour justifier la guerre.

Si l’armée rejoint le peuple comme en Tunisie, une guerre au Moyen-Orient aura pour effet secondaire un balayage immédiat de toutes les dictatures patiemment mises en place par l’Occident. Cela donne à réfléchir. C’est pour cela qu’en Egypte, ils ne vont pas faiblir et faire tirer sur la foule. Quitte à employer des snipers mercenaires étrangers. L’Irak en est bourré…

Il y a eu déjà des précédents surprenants de fraternisation entre l’armée et le peuple au Moyen-Orient. Au cours de ces évènements, j’ai pensé à l’écroulement de la dictature qui, si elle n’opprimait pas un pays arabe, présentait des similitudes avec celle qui étouffait la Tunisie : celle du Shah d’Iran.

Il avait constitué une des premières armées du monde, ne cessant de s’en vanter, par des achats d’armements massifs. Les pétroliers, à qui il bradait les ressources du pays, et l’ensemble du monde occidental le soutenaient. Prêt en en faire une puissance nucléaire (cf. les faramineux contrats Eurodif avec la France qui devait livrer 10% de son uranium enrichi). Une des polices secrètes parmi les plus sadiques et les plus ignobles qu’un peuple ait pu subir : la SAVAK.

Son régime s’est écroulé par la révolte populaire, l’armée refusant de tirer sur le peuple. Mais, ayant tellement décapité les élites au nom de la "lutte anticommuniste" (à l’époque l’épouvantail, pour justifier la répression des peuples, n’était pas "l’islamisme" mais le "communisme") ce sont les cadres religieux survivants qui ont encadré le mouvement.

Le contexte Tunisien est différent de celui de la chute du Shah, sociologiquement et politiquement, mais on retrouve dans les deux cas les mécanismes sanguinaires et prédateurs de ce type de régime policier :

i) La sauvagerie exponentielle de la répression

Derrière un décor de stations balnéaires et de circuits touristiques, la répression était perceptible. Circulaient des informations précises et recoupées, malgré la censure en Tunisie et dans les médias internationaux, sur ce qui se passait notamment dans la région de Gafsa, Gabès, en révolte depuis plus de deux ans, et dans d’autres parties isolées du pays.

Les villes étant moins touchées par cette barbarie où, par exemple, des milices cagoulées se livraient à des viols collectifs hommes et femmes, et autres violences, devant les familles, y compris devant les enfants.

ii) La féroce persécution de l’Islam

Sous la pression des occidentaux, le Shah d’Iran encouragea la persécution de l’Islam. C’est sous son régime que furent organisées, dans un pays musulman, les premières campagnes antimusulmanes au nom de la laïcité. Symboliquement dans un accès mégalomaniaque il s’était même fait couronner à Persépolis, "Empereur successeur de Darius" , pour célébrer l’effacement de l’Islam en Perse…

La Tunisie était considérée comme un champ de bataille essentiel dans cette stratégie, et citée en exemple comme modèle. En fait, sous couvert de "laïcité" et de lutte contre "l’islamisme" , avec des services encadrés par des "spécialistes étrangers" véhiculant l’idéologie du "Choc des Civilisations" , ce n’était que travail de basse police : fichage des fidèles fréquentant régulièrement les mosquées, pratiquant le Ramadan, portant des tenues "traditionnelles" , etc. Jusqu’à profaner, avant de la fermer, la mosquée de l’université de Tunis, jonchée de bouteilles d’alcool et d’excréments. C’est dans cet état qu’elle a été trouvée, lors de sa récente réouverture…

Evidemment, dans les pays où les responsables politiques sont des musulmans pratiquants ce seront des méthodes plus "soft" qui seront appliquées. Une des plus pourvues en moyen financiers est l’envoi d’évangélistes avec une couverture d’ONG. Proposant, tout spécialement auprès de la jeunesse, visas, bourses et autres incitations pour provoquer des « conversions ».

iii) L’acculturation d’un Peuple

L’inconscient collectif d’un peuple à coloniser est une des cibles prioritaires d’un Empire. Livres scolaires, littérature, produits de divertissement, jeux vidéo, documentaires, films. Tout ce qui peut formater un imaginaire et conditionner un esprit critique. Un peuple a de multiples racines. Le travail de propagande consiste à les arracher progressivement, méthodiquement.

Si pour le Shah d’Iran l’Histoire s’arrêtait à Darius, dans les pétromonarchies elle commence avec les chaînes US consacrées au sport. Les enfants du Koweït ou des Emirats connaissent par coeur le nom des joueurs de base-ball du championnat américain, mais rien sur l’histoire de la région dans laquelle ils sont nés. En Egypte, l’Historie s’arrête aux pharaons. C’est le fond de commerce du tourisme local, mais aussi de ce qu’on veut imprimer dans l’inconscient collectif.

Je force le trait, bien sûr. Mais, à peine.

En Tunisie, le régime allait très loin, sous la pression occidentale. Jusqu’à éradiquer ses racines "arabes" . Les exemples sont multiples. Sur des sites ou brochures touristiques était mentionné que la Tunisie n’était pas un peuple « arabe ». Pour ne pas effrayer le touriste, invoquait-on comme prétexte…

Se dire ou se croire « arabe », et donc solidaire des autres peuples arabes (manière ou "ardente obligation" d’oublier la Palestine...), devenait plus que suspect. Arracher ainsi une des composantes d’un peuple ne peut provoquer que résistance et rejet.

iv) Le pillage occidental

Toutes les principales industries, le système financier, les meilleures terres agricoles, les meilleurs terrains constructibles, et services publics, sont contrôlés par des intérêts étrangers (avec ou sans hommes de paille). Jusqu’à la production de yaourts qui doit payer des royalties par pot distribué et consommé.

Tout est fait, planifié, pour qu’il n’y ait aucun transfert de technologie en faveur du pays, pour le maintenir dans la dépendance. Contrairement, par exemple, à Taïwan ou la Corée du sud qui ont bénéficié de l’appui massif des occidentaux. Ou le Vietnam, en ce moment. La Tunisie, comme tous les pays musulmans coopératifs, ne sera considérée, au maximum, que comme un gentil et compréhensif sous-traitant.

Ne générer que des emplois sous-payés et sous-qualifiés (tare de l’hôtellerie, de l’industrie touristique en général, et de la sous-traitance), n’est pas l’avenir d’un pays. Les activités des secteurs du tourisme et de la sous-traitance sont extrêmement volatils. Les contrats pouvant disparaître massivement d’une année sur l’autre. Les "intermédiaires" jouant la concurrence internationale.

Sans compter les effets secondaires ravageurs qu’exerce une industrie du tourisme dans une économie insuffisamment diversifiée et prospère sur des populations locales appauvries, vivant dans une totale précarité : prostitution, alcoolisme, drogues.

Nous retrouvons, là encore, la stricte application de la stratégie du "Choc des Civilisations".

Même en fuite le dictateur se révèle d’une grande utilité, servant de bouc émissaire pour exonérer les occidentaux de toute responsabilité économique. Signe évident : si Ben Ali et sa famille détenaient 50% de toutes les affaires en Tunisie, comme on peut le lire dans des médias, qu’attend-on pour nationaliser ces participations en les domiciliant dans un fonds public ?...

Cela ne se fera pas.

Car ces boucs émissaires, aussi crapuleux soient-ils, étaient aussi des "porteurs" d’actions pour le compte de personnalités étrangères. Souvent dans le cadre d’arrangements mafieux : 1/3 pour toi, 2/3 pour nous… C’est pour cela qu’il a été soigneusement « exfiltré » avec ses proches. Les bénéficiaires de ces arrangements ne voudront jamais se voir spoliés dans une nationalisation brutale des biens du tyran. Il va falloir au préalable trouver les montages financiers adéquats, pour rendre à César ce qui est à Jules…

L’Empire a été secoué, il va résister. Il reste encore au Peuple de la Tunisie un long chemin à parcourir pour parvenir à l’indépendance économique. Qui est la véritable indépendance. Cela ne pourra s’atteindre qu’en intégrant un marché intérieur de vaste dimension, aux richesses, talents et besoins complémentaires : celui du Grand Maghreb. Qui deviendra, avec ses immenses potentialités, un Brésil de l’Afrique. Capable de produire, à l’exemple de ce grand pays, des bateaux, des avions, des trains, et d’envoyer ses satellites dans l’espace.

Ceci est un autre débat. Tout d’abord, célébrons la révolte, ou la révolution, de la Tunisie. Car elle n’est pas qu’une affaire de niveau de vie ou de chômage mais, à l’encontre d’une dictature et de ses sponsors étrangers, le magnifique exemple d’une réappropriation de sa liberté.

Et, tout aussi important, de sa dignité.

George STANECHY

(1) Peter Beaumont, Victim tells of ordeal in Tunis, The Observer, 23rd january 2011, http://www.guardian.co.uk/world/2011/jan/23/tunisia-long-task-of-healing

(2) Jacques Généreux, La Grande Régression, éditions du Seuil, octobre 2010.

(3) Lire, relire, faire circuler (car censuré par les médias en France) sur ces comportements, notamment des anciennes puissances coloniales, l’ouvrage d’investigation exceptionnel de qualité de Lounis Aggoun : La Colonie française en Algérie - 200 ans d’inavouable - Rapines & Péculats, éditions Demi Lune, 2010.

(4) Combien de fois ai-je surpris des interlocuteurs, ne connaissant pas les pays musulmans, en leur disant que dans ces pays des femmes se rendaient à leur travail, accompagnaient leurs enfants à l’école, en conduisant le véhicule familial.

Et, leur stupéfaction devant mon affirmation que des femmes y conduisaient des bus, des trains, et même des avions, certaines avec le grade de commandant de bord !

Il est vrai que la « désinformation », en Occident, évite soigneusement de montrer cet aspect, se focalisant sur le misérabilisme nécessaire à la propagande islamophobe.

(5) Lire les analyses du philosophe Manuel de Diéguez sur ce phénomène, notamment : Le réveil démocratique des peuples arabes et la chute d’Israël dans la bio-génétique

N.B. Une grande partie de ce billet est une reprise du commentaire que j’avais posté à la suite de l’article sur le blog de mon ami Chahid : La leçon Tunisienne : le Colibri peut vaincre la vipère.

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