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Coloniser le cerveau occidental (Counterpunch)

Photo by Marco | CC BY 2.0

Dans Inception, le film captivant et visuellement éblouissant de Christopher Nolan, un professionnel de l’espionnage industriel psychique doit implanter une idée dans la tête d’un PDG. Le processus s’appelle « inception », il représente les frontières de l’influence corporative, où les espions de l’esprit ne se contentent plus « d’extraire » les idées des rêves d’autrui, mais implantent aussi des idées utiles dans le subconscient d’une cible.

Inception est un drame de science-fiction bien élaboré mais quelques unes des idées qu’il transmet sont déjà profondément ancrées dans le subconscient américain. La notion de « l’inception », ou comment créer une idée dans l’esprit d’un homme ou d’une femme sans qu’ils en soient conscients, est au cœur de la propagande, un art sombre pratiqué aux États-Unis depuis la première guerre mondiale.

Aujourd’hui, nous vivons sous une hégémonie culturelle imperceptible, un ensemble d’idées implanté dans l’esprit de la masse par l’état U.S. et ses médias institutionnels depuis des décennies. L’imperceptibilité semble se produire lorsqu’une chose est soit obscure soit omniprésente.

Dans un système de propagande, un objectif primordial est de rendre le message invisible, en l’universalisant au sein de la culture. C’est le contraste qui fait la différence. S’il n’y a pas de vues contrastées dans votre champ de vision, il sera facile d’accepter l’explication prédominante.

La bonne nouvelle est que l’idéologie est bien connue pour ceux qui pour une raison ou une autre, se sont retrouvés en dehors de ce champ hégémonique et sont ainsi capables d’opposer des opinions alternatives à la vision dominante du monde.

A gauche, l’idéologie dominante pourrait être qualifiée de néolibéralisme, une forme particulièrement vicieuse du capitalisme impérialiste, camouflé, comme on pouvait s’y attendre, dans les linéaments de l’aide et du secours humanitaires.

Inception 1971

En peu de temps, dans les années 70, des dizaines de groupes de réflexion ont été établis à travers le monde occidental et des milliards de dollars ont été dépensés pour répandre les préceptes du Memo Powell de 1971, qui a galvanisé la contre-révolution de la reprise libérale des années soixante.

Le modèle économique néolibéral de dérégulation, des plans sociaux et de privatisation a été prêché par la junte Reagan-Thatcher, libéralisé par le régime Clinton, temporairement terni par l’insensée administration Bush et sauvé par la restauration télégénique des années Obama. Une idéologie qui sous-tend le modèle académique saturé, notamment à l’université de Chicago et dans les médias conventionnels, principalement au New York Times. Depuis, elle a contaminé la population générale, pour qui cela semble être une nouvelle nature. Aujourd’hui des Think Tanks tels que The Heritage Foundation, the Brookings Institute, Stratfor, Cato Institute, American Enterprise Institute, Council on Foreign Relations, Carnegie Endowment, the Open Society Foundation, et the Atlantic Council, parmi tant d’autres, injectent des millions de dollars sous forme de donations pour consolider le comportement néolibéral dans l’esprit américain.

Les positions idéologiques qui servent à justifier ce qu’on pourrait appeler des tactiques néocoloniales sont relativement claires : droits des individus de se libérer des institutions monolithiques telles que l’État.

Les activistes gouvernementaux sont fondamentalement improductifs, ils mènent directement au totalitarisme. Les marchés doivent être libres et les individus doivent avoir la liberté d’agir sur ces marchés. Les gens doivent être libres de choisir, aussi bien sur le plan politique que commercial, dans l’isoloir et à la caisse. Cette conception des marchés et des individus est le plus souvent formulée comme la « démocratie de libre marché », un concept trompeur qui confond la liberté individuelle avec la liberté économique du capital pour exploiter le travail. Ainsi, en matière de relations étrangères, les aides américaines et occidentales ne sont apportées que sous la condition que les emprunteurs acceptent les principes d’un système électoral (fortement manipulable) et s’engagent à établir les institutions et les structures juridiques nécessaires pour réaliser pleinement une économie de marché occidentale. Ces exigences sont agrémentées de notions du droit de l’individu de se libérer de l’oppression et de quelques jolies rhétoriques sur les femmes et sur les minorités, et plus discrètement, d’une entente sur le plan juridique considérant les sociétés comme étant aussi des personnes. Ensemble, une économie débridée et une population libérée, récemment pourvue de droits individuels, produirait le même modèle florissant et nourricier de l’Amérique du milieu du siècle convoitée par les Hommes.

Une fausse promesse

Le «  consensus de Washington  » est la fausse promesse lancée par l’Occident. La réalité est plutôt différente. Le nerf de la guerre du néolibéralisme est l’élimination du gouvernement démocratique en restructurant, privatisant et dérégulant. Les adeptes du néolibéralisme reconnaissent que l’État est le dernier rempart protégeant le commun du peuple contre les prédations du capital. Supprimez l’État et il sera sans défense. Pensez-y. La déréglementation abolit les lois. La restructuration supprime des services et leur financement. La privatisation anéantit le but même de l’État en faisant assumer par le secteur privé ses responsabilités traditionnelles. Finalement, les États-nations se dissoudraient, à l’exception, peut-être, des armées et des systèmes fiscaux. Il subsisterait un grand marché mondial, libre et ouvert, non soumis au contrôle populaire, mais géré par le 1% transnational dispersé à l’échelle mondiale. Et tout le processus menant à cela serait camouflé sous le bienveillant altruisme humanitaire.

Les mondialistes, comme sont souvent appelés les capitalistes néolibéraux, ont également compris que la démocratie définie par quelques droits individuels et un isoloir, était le moyen idéal pour introduire le néolibéralisme dans les pays émergents. Notamment parce que la démocratie, telle qu’elle est communément pratiquée, n’a pas d’exigence dans la sphère économique contrairement au socialisme et au communisme. Ces modèles s’adressent directement aux propriétaires des moyens de production. Le capitalisme n’est pas si démocratique. Il permet aux mondialistes de continuer de posséder les moyens de production tout en claironnant que les droits de l’homme triomphent dans les pays où les interventions sont organisées. Ils persistent dans leur mensonge en prétendant qu’il n’y a pas de démocratie sans démocratie économique

Ce qui compte pour le un pour cent et pour les conglomérats médiatiques, qui disséminent leur vision du monde, est que les définitions officielles soient acceptées par les masses. Les vrais effets n’ont jamais besoin d’être connus. L’idéologie néolibérale (théorie) cache ainsi la réalité néolibérale (la pratique). Et pour que les masses l’accepte, il faut qu’elle soit produite en série. Elle devient alors plus ou moins invisible en vertu de son universalité.

Un prétexte au pillage

Grâce à cet astucieux déguisement, l’Occident peut organiser des interventions dans les nations répugnant à adopter sa plate-forme d’exploitation, en sachant qu’au delà la déprédation par un modèle économique d’exploitation, on leur demandera de parler de progrès et de le célébrer.

Washington, le cœur métropolitain de l’hégémonie néolibérale, a de nombreuses méthodes pour convaincre les nation en voie de développement qui répugnent à accepter ces conseils de voisinage. Il est certain que le but du colonialisme moderne est de trouver un prétexte pour intervenir dans un pays, afin de restaurer par d’autres moyens les relations d’extraction qui ont enrichi le Nord colonial. Les prétextes les plus courants pour intervenir dépeignent la nation ciblée de 3 façons distinctes.

Tout d’abord, en tant que cause économique désespérée, une condition souvent orchestrée par l’Occident sous ce qu’il appelle parfois « créer des éléments sur le terrain. »

En sanctionnant l’économie ciblée, Washington peut « faire hurler [leur] économie » pour reprendre l’élégante formulation du criminel de guerre Henry Kissinger. L’Iran, la Syrie et le Venezuela sont des exemples appropriés dans ce cas. Dans un second temps, l’Occident finance une violente opposition au gouvernement, produisant des troubles, souvent de violentes émeutes comme celles observées à Dara, Kiev et Caracas. Le but étant soit de renverser une administration chancelante ou de provoquer de violentes mesures répressives, à ce moment,les ambassades et les institutions occidentales crieront simultanément à la tyrannie et à la brutalité et insisteront pour que le dirigeant soit effacé.

La Libye, la Syrie et le Venezuela sont édifiant sur ce plan. Dans un troisième temps, le pays sera contraint d’accepter les chaînes militaires sous une fausse bannière ou grâce à une hystérie fabriquée contre quelque programme national, comme les restrictions sur les ADM (Armes de Destruction Massives) en Irak, sur les armes chimiques en Syrie ou sur l’énergie nucléaire civile en Iran.

Les USA commercialisent les ADM, les armes biologiques et l’énergie nucléaire et insistent pour que les autres y renoncent ; ceci est peut-être un peu plus qu’un despotisme à motivation raciste. Une campagne alarmiste par l’intermédiaire des médias internationaux créera un élan moraliste assez grand pour imposer des sanctions, des résolutions et des régimes d’inspection sans tambour ni trompette.

Éduquer les sauvages

Une fois le prétexte établi, l’intervention appropriée est effectuée. Le racisme latent est ancré dans chaque intervention. Quelque chose de l’orientalisme selon Edward Saïd est sûrement en jeu, ici ; l’Occident réagit souvent à une caricature grossière plutôt qu’à un peuple vivant. L’écrivain, Robert Dale Parker, a décrit les visions occidentales de l’Asie comme « un cloaque de despotisme en marge du monde. »

L’Iran est sans cesse observé sous la loupe de la craintive méfiance envers « l’autre », les perses abyssaux. De même, la Corée du Nord est mythifié comme un royaume de fous miniatures, possédés par une curieuse psychose, sûrement, sans relation avec le nettoyage génocidaire de 20 % de sa population dans les années 50, qui est l’aboutissement impérialiste de la folie de Hiroshima.

Les interventions ne sont, alors, guère différentes de l’œuvre missionnaire des premiers colonisateurs qui cherchaient à attraper les esprits des hommes pour prendre leurs âmes. Le salut est à l’ordre du jour. Le missionnaire a ressenti le même sentiment de supériorité et d’exceptionnalisme qui habite l’esprit du néolibéral. Deux fanatismes à des époques colportant différentes éditions d’un même livre. Il faut porter l’évangile de la main invisible aux inférieurs. Mais les cadeaux de l’usurpateur éclairé sont toujours douteux.

Ce pourrait être le pack des prêts qui transfère effectivement le contrôle économique des mains des officiels politiques vers les agents de prêt, ces créanciers hypocrites mentionnés plus haut. Ou peut-être les sanctions qui empêchent le pays de s’engager dans des transactions en dollars et de commercer avec d’innombrables nations dont il dépend pour les biens et les services. Ou encore, la résolution controversée du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a donné lieu à un accord global, interdisant certaines armes d’un pays. Les stipulations de l’accord comprennent souvent un régime d’inspections byzantines semé d’embûches dont le but est de piéger le pays dans la non-conformité et d’exploiter cette erreur pour intensifier la rhétorique de la confrontation et instaurer des inspections de plus grande portée.

Enlever le vernis

Les ajustements structurels de l’Occident, qui semblent inoffensifs, conduisent à des résultats assez prévisibles : le chaos culturel et économique, un appauvrissement rapide ; l’extraction des ressources avec la ruine écologique qui en découle, le transfert de la propriété des mains locales vers celles d’entités étrangères et la mort pour mille raisons.

Nous sanctionnons actuellement quelques 30 nations d’une manière ou d’une autre ; des dizaines de pays sont soumis aux «  arriérés prolongés  » avec les créanciers occidentaux ; et des continents entiers sont témoin d’énormes sorties de capitaux - de l’ordre de 100 milliards de dollars par an - vers le Nord mondial en tant que service de la dette. Les spéculateurs colonialistes occidentaux se comportent comme des bandits. Les suspects habituels incluent Washington et ses loyales marionnettes, le FMI, la Banque mondiale, l’UE, l’OTAN et d’autres institutions internationales ainsi que les multinationales de l’énergie et de la défense dont les actionnaires et la classe dirigeante dirigent mènent efficacement le spectacle.

Alors pourquoi les américains ne sont-ils pas plus conscients de ce complexe réseau de domination néocoloniale ? Le communiste italien Antonio Gramsci, qui fut le pionnier du concept de l’hégémonie culturelle, a suggéré que les idéologies dominantes de la bourgeoisie étaient si profondément ancrées dans l’inconscient populaire que les classes laborieuses ont souvent soutenu des dirigeants et des idées contraires à leurs propres intérêts.

Aujourd’hui, cette hégémonie culturelle est le néolibéralisme. Rares sont ceux qui peuvent échapper à son emprise assez longtemps pour voir le monde sans fard. Vous ne trouverez que très rarement des arguments tels que ceux-ci en feuilletant le Times ou d’autres journaux de la même famille. Ils ne correspondant pas au dogme dominant, la Weltanschauung (conception du monde) qui maintient l’opinion publique dans un reposant sommeil.

Cependant, le philosophe franco-algérien Louis Althusser, pensait, après Gramsci, que contrairement à l’État militarisé, les idéologies de la classe dirigeante sont pénétrables.

Il estimait que les zones relativement fluides des appareils idéologiques d’État (AIE) étaient des contextes de lutte de classes.

En leur sein, les groupes pourraient atteindre une sorte « d’autonomie relative », par laquelle ils pourraient sortir de l’idéologie culturelle monolithique. Les écailles leur tomberaient des yeux. Alors, doté de nouvelles connaissances, le peuple pourrait mettre en scène sa propre « inception », briser l’hégémonie culturelle et remodeler son mythe selon un angle plus humain. Cela semble un impératif pour la culture américaine moderne, enfouie sous le poids hégémonique du credo néolibéral. Ces articles de fausse foi, cette idéologie de la tromperie, devraient être remplacés par une nouvelle déclaration de l’indépendance de l’esprit si ce n’est celle du courant dominant.

Jason Hirthler

Jason Hirthler est un vétéran de l’industrie de la communication. Il est l’auteur de The Sins of Empire : Unmasking American Imperialism. Il vit à New York City et peut être contacté @ jasonhirthler@gmail.com.

Traduit par Vagabond pour Legrandsoir.

»» https://www.counterpunch.org/2018/03/02/colonizing-the-western-mind/
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