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Chroniques du Chaos

Une fois de plus, le bourbier (Counterpunch)

Plus de 191 000 morts en Syrie pendant la guerre civile. Quatre à cinq millions de déplacés. Près de 3.800 massacrés en Irak pour le seul mois de Septembre. Le bilan s’alourdit. Mais l’Amérique est de retour. Le président Obama a monté une cabale de satrapes criminels internationaux d’élite pour lutter contre le fléau historique connu sous le nom d’ISIS, une bande de quelque 30.000 tueurs intégristes en maraude à travers l’Irak et la Syrie. Certes, ISIS est en train de dévaster l’armée irakienne et les un peu plus respectables peshmergas kurdes. Ces djihadistes fous par excellence sont censés être à moins d’une heure de Bagdad, une réalité qui recèle plus d’ironie que le sous-sol du Moyen-Orient ne recèle de pétrole. Bagdad tremble derrière le nouveau gouvernement inexpérimenté d’al-Abadi, qui n’a pas encore montré qu’il est plus « rassembleur » - le mot magique - que le précédent gouvernement d’al-Malaki installé par les US. Pourtant, ce n’est que lorsque les sunnites furieux en Syrie et en Irak se sont révoltés que la Maison Blanche s’est réveillée et déclarée favorable au rassemblement.

Le boomerang de l’histoire

Évidemment, le seul espoir de Bagdad de ne pas être brutalement écrasée sont les milices chiites qui contrôlent certaines parties de la ville. Celles-ci étaient autrefois qualifiées d’« insurgés » par les Etats-Unis, un terme étrange pour des milices en lutte contre une armée d’occupation. L’épine dorsale d’ISIS semble être devenue la véritable armée irakienne qui fut elle-même dissoute il y a quelques années par le vice-roi et cowboy Paul Bremer, peu après que nous ayons glorieusement écrasé le régime baasiste laïque de Saddam Hussein. Cette destruction de l’un des deux régimes laïques dans la région faisait partie d’une tentative élaborée pour contrecarrer un groupe terroriste décentralisée appelée Al-Qaïda, qui avant l’invasion n’avait jamais mis les pieds dans la République d’Irak. Avec une ironie trop grande pour être pleinement appréciée, le groupe qui n’existait pas lorsque Bush le pourchassait en Irak allait bientôt donner naissance à une souche qui allait conquérir une grande partie du pays qu’il avait ignoré jusqu’à présent, en utilisant des armes américaines saisies sans trop de difficultés sur les soldats irakiens en fuite.

Beaucoup de combattants ISIS ont appris leur métier sous Hussein. Beaucoup de soldats de l’armée irakienne ont appris leur métier sous la tutelle onéreuse de l’armée américaine - on pense à Aristote, tuteur du jeune Alexandre - qui a versé au moins 25 milliards de dollars dans une illusion de fierté nationale qui est devenue une force de combat composée de 56 brigades. Cette formation comprenait la fourniture de 400 chars, des milliers de véhicules d’assaut blindés, et plus de 400 avions et hélicoptères. De nombreux véhicules ont été abandonnés à Mossoul lorsque les commandants irakiens ont pris la fuite. Pas vraiment des modèles pour le soldat d’infanterie local, pourrait-on penser. Évidemment, la fausse armée irakienne avait environ 60.000 soldats, ainsi que la police, dans la région de Mossoul avant d’être écrasée par moins de 2.000 maraudeurs ISIS. Mais il y aurait eu seulement 30.000 soldats irakiens présents lors du massacre de Mossoul. Notamment parce que les bataillons de l’armée irakienne souffrent d’absentéisme chronique, car d’innombrables soldats graissent les pattes de leurs commandants pour le plaisir de rester à la maison pendant les périodes de crise nationale. Au temps pour le nationalisme irakien.

Mais que peut-on attendre d’une nation que l’Empire britannique a concocté sur les ruines fumantes de l’Empire ottoman ? Et ce malgré la résistance irakienne à un mandat des Nations Unies qui leur paraissait être une colonisation rebaptisée sous un autre nom. Mais les Britanniques ont eu gain de cause, installé leurs marionnettes Hachémites et pris le contrôle de la politique militaire et étrangère du pays. Les Sunnites étaient privilégiés et les Chiites réprimés. A présent l’Angleterre bombarde ses anciens alliés Sunnites dans un pays que les Britanniques ont créé en 1921.

Cette chronique du chaos n’a pas empêché les États-Unis, ni son adjoint britannique, de lorgner sur le Moyen-Orient et de continuer à invoquer des raisons pour intervenir.

Le Moyen-Orient a besoin de notre puissance militaire

Dans le brouhaha des justifications servies au grand public, on entend toutes sortes d’affirmations. Parmi elles, l’idée que le Moyen-Orient serait uni dans l’opposition à ISIS. Et il l’est, en effet, à condition de limiter votre sondage aux monarchies pourries du Golfe, dont l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats Arabes Unis et Bahreïn. Et l’ajout de la Jordanie à ce mélange indigeste de théocraties anti-démocratiques et largement puritaines est censé conférer une sorte de légitimité arabe et musulmane à la guerre de l’Amérique.

Ben voyons, une légitimité conférée par cinq des gouvernements les plus autoritaires du Moyen-Orient. Nous serions donc en train de défendre ostensiblement la cause de la liberté par le rassemblement d’une coalition de cinq violateurs de libertés. Un violateur des droits de l’homme est à la tête d’une coalition de violateurs des droits de l’homme contre un nouveau violateur des droits de l’homme dont les actions sont profondément choquantes. Nous sommes consternés par les décapitations et avons l’intention de détruire ceux qui se livrent à de telles pratiques et nous sommes soutenus par le décapiteur en chef de la péninsule arabique. Nous bombardons les dépôts pétroliers d’ISIS en affirmant qu’ils ont été saisis illégalement. Ceci dix ans à peine après avoir nous-mêmes saisi illégalement d’importants marchés pétroliers irakiens, lorsque nos troupes « protégeaient » le ministère du pétrole (des « insurgés »).

Il y a ensuite la petite note en bas de page, consciencieusement ignorée : un sondage réalisé par le Arab America Institute, qui constate que :

« Une forte majorité dans tous les pays favorisent les politiques américaines qui soutiennent une solution négociée au conflit, couplée avec plus de soutien aux réfugiés syriens. Dans tous les pays des majorités s’opposent à toute forme d’intervention militaire américaine (càd, les « zones d’exclusion aérienne », les frappes aériennes, ou la fourniture d’armes sophistiquées à l’opposition). »

Et la plupart des arabes ont trouvé que le président Obama a été plus efficace pour mettre fin à la présence américaine en Irak. Peut-être qu’un véritable patriote pourrait oublier tout ça s’il n’y avait pas ce petit détail supplémentaire : nos partenaires dans l’opération d’extermination sont les principaux bailleurs de fonds des extrémistes dans le monde arabe. L’Arabie Saoudite et le Qatar ne sont rien de moins que des marchés à ciel ouvert pour les marchands d’armes, le blanchiment d’argent, et les mollahs colériques bâtisseurs de mosquées. Vous seriez en droit de vous demander si la moitié de notre coalition ne serait pas en train d’attaquer ISIS pour ensuite immédiatement le ré-armer lorsqu’il émergera des décombres, comme il ne manquera pas de le faire. C’est ce qu’on appelle dans les hauts cercles capitalistes une « destruction créatrice ».

Nous sommes moralement et légalement tenus d’intervenir

Le sommes-nous ? Rien moins que le président iranien Hassan Rouhani a eu raison quand il a dit récemment que le conflit était un problème régional et devrait être principalement réglé par les alliés régionaux. C’est al-Maliki qui a invité les États-Unis en Irak lorsqu’il a aperçu le drapeau noir d’ISIS flotter dans le tourbillon de poussière autour de Mossoul. Mais Maliki était une marionnette américaine et il a été chassé du pouvoir. Comme Rouhani l’a demandé plus tard sur CNN en référence au plan américain pour réarmer les rebelles syriens, « Avec quelle autorisation ? Avec quel mandat ? Selon quelles lois et normes internationales font-ils cela ? »

Autant de bonnes questions, restées sans réponse. Obama a-t-il démontré que ISIS représente une menace imminente pour les États-Unis, que la Charte des Nations Unies - à laquelle nous sommes légalement tenues par la loi américaine en tant que signataires – exige comme premier critère pour une action agressive ? Pas du tout. A-t-il convaincu le Conseil de Sécurité d’approuver les attaques ? Pas vraiment. A-t-il demandé au Congrès d’autoriser cette guerre ? Merci de vous référer à la loi Authorization of Military Force Act (AUMF) pour trouver une réponse à cette question. A-t-il au moins obtenu la permission syrienne pour violer sa souveraineté et bombarder ses silos ? Pas le moins du monde. Nous sommes toutefois réconfortés par les grands médias qui saluent le fait que l’administration a « informé » la Syrie qu’il était sur le point de violer son espace aérien. Certes, un acte de magnanimité inconnu depuis le plan Marshall.

Howard Friel a soigneusement démoli l’argument pathétique des néo-conservateurs quant à la légalité des attaques :

« Bien que Samantha Power, l’ambassadrice américaine à l’ONU, ait rappelé, je cite « un principe fondamental de la Charte des Nations Unies donne à un pays le droit de se défendre, y compris en utilisant la force sur le territoire d’un autre pays lorsque ce dernier est réticent ou incapable de le faire », il n’y a aucune règle dans la Charte qui permettrait un pays (l’Irak, en l’occurrence) d’inviter un autre pays (les États-Unis) à bombarder un pays tiers (la Syrie) à la discrétion du premier et du deuxième pays et sans l’autorisation du Conseil de sécurité. »

A présence, la perspective douteuse d’une zone d’exclusion aérienne est apparue dans les grands médias. Présentée comme un geste humanitaire, de nature défensive, une zone d’exclusion aérienne peut se révéler être tout sauf ça. Rappelons le rôle de la zone d’exclusion aérienne dans la destruction de la Libye en 2011, où elle a servi comme la première étape d’une guerre contre le régime de Mouammar Kadhafi.

Nous devons défendre la patrie – pardon – le pays !

Evidemment, battre ISIS est une question de sécurité nationale. Nous devons les tuer là-bas avant qu’ils ne nous tuent ici. En tant qu’unique nation éclairée au monde, il y a, osons le dire, une certaine noblesse oblige [en français dans le texte – NDT] à tout cela. Bien sûr, aucune agence de renseignement américain n’a dit que ISIS représente une menace imminente pour les États-Unis. Compte tenu de cette absence embarrassante de consensus chez les spécialistes en communication du gouvernement, l’administration a rédigé à la hâte un conte fictif sur un groupe bouillonnant de fanatiques sectaires appelé le « groupe de Khorasan. » Comme prévu, les caniches médiatiques à Los Angeles, New York et Washington ont immédiatement répercuté cette nouvelle salace sur un nouveau signe avant-coureur de l’apocalypse. Le New York Times a ouvert la voie, en claironnant la possibilité d’une nouvelle attaque sur le sol américain. Parmi les titres de presse de la semaine, on trouve « Une cellule terroriste inconnue jusqu’à présent », « Frappes aériennes contre une cellule qui préparait des attaques contre l’Occident », et « Les Etats-Unis s’attendent à des menaces directes au-delà de ISIS » Mais finalement, ils ont commencé à admettre l’évidence, qu’il y avait peu de fondement pour cette campagne de peur :

« Plusieurs assistants de M. Obama ont déclaré mardi que les frappes aériennes contre les agents Khorasan ont été lancés pour contrecarrer une attaque terroriste « imminente », peut-être en utilisant des explosifs cachés pour faire sauter des avions. Mais d’autres responsables américains ont déclaré que le complot était loin d’être mûr, et qu’il n’y avait aucune indication que Khorasan avait choisi l’heure et le lieu d’une attaque - ni même la méthode exacte de l’exécution du complot. »

Aucune preuve de complot. Mais le mal était fait. La menace avait été distillée dans d’innombrables esprits. Peut-être était-ce George Creel ou Walter Lippmann que a dit que la moitié du travail pour convaincre le public de quelque chose consiste tout simplement à affirmer ce quelque chose. (Les gens ont tendance à accepter une déclaration tant qu’ils n’ont aucune raison d’en douter.)

Les faits - ou leur absence - sont rapidement apparus. Personne au Moyen-Orient n’avait entendu parler d’un tel groupe. Aucun bidon sinistre de produit chimique n’a été découvert. Aucun plan griffonné dans un appartement sordide n’a été découvert par des forces spéciales équipées de visions nocturnes. Le groupe, selon les « responsables militaires » des États-Unis, serait composé d’une stupéfiante vingtaine d’hommes, et serait dirigé par un ancien confident maléfique d’Oussama ben Laden, et s’appellerait ou pas Khorasan, et ne serait peut-être même pas réellement un groupe, mais peut-être simplement un « groupe informel de chefs », selon Vox. On ne peut s’empêcher de rappeler avec des frissons trépidantes tous les contes passés sur l’uranium nigérian et un mystérieux rendez-vous entre Mohammed Atta [chef des terroristes du 11/9 - NdT] et certains responsables irakiens. Ces histoires, aussi, ont produit leur effet magique.

Vue sur un massacre

N’importe quel prétexte fera l’affaire, pourvu qu’il maintienne le public dans un état de peur ou au moins d’acquiescement pour une guerre menée sur des bases éthiques. Mais derrière tout cela se trouvent les ressources naturelles. Est-ce une simple coïncidence que nous diabolisons le Venezuela, où on trouve la majeure partie des réserves de pétrole et de gaz en Amérique du Sud ? Ou que nous avons renversé Mouammar Kadhafi en Libye, où se trouve la majorité des réserves de pétrole en Afrique ? Ou que nous soyons incapables de nous débarrasser de notre obsession indécente envers le Moyen-Orient, qui possède 56% des réserves de pétrole dans le monde et 40% des réserves de gaz de la planète ? Ce n’est pas seulement l’économie américaine qui fonctionne grâce au pétrole et au gaz naturel, mais aussi l’armée américaine, qui est le plus gros acheteur de pétrole au monde. Pourtant, ce n’est pas tellement que nous ayons besoin de toutes ces ressources naturelles, mais les contrôler nous donne un pouvoir sur les pays qui en ont besoin. À savoir la Chine.

Il n’est donc pas surprenant qu’un autre de nos grands projets est notre volonté évidente de démanteler la Fédération de Russie, tout en l’isolant de l’Europe. Il se trouve que la Russie est le deuxième exportateur de pétrole au monde et un allié de plus en plus proche de la Chine. C’est là que réside le moteur de tous ces propos alarmistes. De toute cette conjuration de démons. De toutes ces menaces sans fin des forces américaines, qui déploient actuellement des forces d’opérations spéciales (FOS) dans plus de 100 pays. Le plan est de constituer un « un réseau mondial de FOS avec des alliés et partenaires qui partagent nos idées. » Depuis les attentats du 11 Septembre, le nombre de forces a doublé et est estimé à environ 72.000 aujourd’hui. Ce qui à lui seul est le signe que le gouvernement américain utilisera n’importe quel prétexte - d’autant plus s’il est réel – pour étendre sa mainmise et contrôle partout où il y a un intérêt géostratégique.

L’ironie est que, après huit années de « changement auquel nous pouvons croire » et « d’audace de l’espoir », nous sommes revenus à la case départ - enlisés dans un bourbier d’inimitiés arabes et persanes. Oui, il y a moins de troupes sur le terrain - pour le moment - et c’est une bonne chose. Pourtant, le président Obama a pris ses fonctions dans une période de désescalade, et partira probablement en laissant une période d’escalade. Il laissera l’Amérique comme il l’a trouvée : en guerre. Mais est-ce vraiment une surprise ?

Jason Hirthler

Traduction "Non" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» http://www.counterpunch.org/2014/10/03/once-more-into-the-quagmire/
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