Quelques heures avant de franchir la Manche, la dirigeante allemande discourait devant l’hémicycle bruxellois. « Ensemble, nous pouvons créer une Europe de la stabilité et de la puissance », a-t-elle martelé, usant d’une rhétorique qui n’est peut-être pas anodine. La chancelière fédérale a plaidé pour que l’UE se dote d’un « véritable pouvoir d’intervention sur les budgets nationaux » des pays jugés dispendieux.
L’oeil sur l’échéance du Conseil européen prévu mi-décembre où elle compte lancer le projet de transformer la zone euro en un quasi Etat fédéral intégré, elle a invité à être « courageux, en ne reculant pas devant un changement de traité ». Puis elle a délivré un message doux aux oreilles des eurodéputés : « bien sûr, la Commission européenne deviendra un jour un véritable gouvernement, le Conseil européen sera une seconde chambre, et le parlement européen aura plus de pouvoirs ». Quelques jours plus tôt, son ministre des finances, Wolfgang Schäuble, réitérait sa proposition de faire élire un « président de l’Europe » au suffrage universel.
Mario Monti, lui, possède une incomparable supériorité sur ses pairs : devenu, il y a un an, chef de l’exécutif dans son pays grâce à un scénario conçu à Bruxelles, il n’a jamais pris le soin de se présenter devant le suffrage universel. Nommé sénateur à vie, il pourrait bien caresser le projet de se succéder à lui-même en février prochain - après son annonce-surprise de démission - sans avoir à s’embêter avec le moindre électeur. Il tire sa légitimité des deux instances entre lesquelles il a notamment partagé sa carrière : la Commission européenne et la banque américaine Goldmann Sachs.
Le président du Conseil italien exhortait récemment ses collègues de l’UE à ne pas « se laisser prendre en otage par leur parlement », ce qui confirme une très haute opinion de la représentation nationale. Dans une interview aux Echos (02/11/12), il décrit l’Europe comme un « rempart contre des dérives nationales imprévisibles », et se réjouit que « les pays européens (soient) encadrés par des structures des directives, des critères. Cela donne des garde-fous ». Il va de soi que, pour M. Monti, les « fous » potentiels, ce sont les peuples.
Cette conception ne relève nullement d’un « dérapage » proféré par une personnalité atypique. Au contraire : elle est historiquement à la racine de l’« idéologie européenne » qui, depuis des décennies, si ce n’est des siècles, postule que seuls les « élites » et les experts - c’est-à -dire ici les oligarchies - sont seuls capables de prendre les décisions nécessaires. Évacuer le peuple en tant qu’acteur politique constitue l’essence même de l’intégration européenne.
Pour viser cet effacement du peuple, on peut aussi diluer ce dernier dans la mise en avant de ladite « société civile ». Un remarquable exemple - français - en est fourni par la mise en place de la « Commission nationale pour la transition énergétique » (lire p. 2). Sur la base d’un objectif chapeauté par Bruxelles sont donc réunis des parlementaires, en principe détenteurs de la légitimité conférée par une élection ; des représentants de centrales syndicales, dont on peut s’étonner qu’elles acceptent de voir élargir à l’infini leurs compétences « sociétales », là où la défense du monde du travail ne devrait pas leur laisser présentement trop de répit ; ainsi que des inévitables ONG, véritables groupes de pression dont l’existence repose essentiellement sur leur entregent médiatique.
Saper la souveraineté du peuple, voilà la condition pour que les véritables décideurs puissent oeuvrer en paix. Du moins l’espèrent-ils. Car M. Monti devrait se méfier. En quelques mois, le mouvement de Beppe Grillo, une sorte de Coluche italien, a connu une ascension impressionnante - encore dernièrement en Sicile. Parmi ses mots d’ordre : des référendums sur la sortie de l’euro et de l’UE.
La prochaine période pourrait constituer un rude test pour la solidité du garde-fou. En Italie et ailleurs.
Vanessa IKONOMOFF
Commentaire paru dans l’édition du mensuel Bastille République Nations (BRN) du 28/11/12
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