A 15h30, Athènes s’est arrêtée. Une pause dans les heurts qui avaient éclaté durant la matinée devant le Parlement en marge de la manifestation des enseignants, après la nuit la plus violente depuis le début de la révolte, il y a quatre jours. Silence absolu dans l’église de Paleo Faliro, dans la périphérie de la ville, où allaient commencer les funérailles d’Alexis Grigoropoulos, l’adolescent de 15 ans assassiné samedi dernier d’une balle tirée par un policier dans le quartier d’Exarchia, à quelques pas du Politecnico, dans le coeur d’Athènes. Sept mille personnes, en majorité des jeunes, ont adressé un dernier adieu à Alexis, reposant dans un cercueil blanc recouvert de fleurs. A la sortie, un long applaudissement et un seul slogan : "Athanatos" , immortel. Ce n’est qu’en arrivant au cimetière que la colère a de nouveau explosé, déclenchée par la présence de la police. Bien peu de choses comparé à ce que l’on avait vu au cours des jours précédents, mais les mêmes images : pierres contre lacrymogènes.
Une journée de trêve relative, somme toute, en vue de la grève générale d’aujourd’hui qui pourrait porter le coup fatal au gouvernement titubant de Karamanlis, bien que la température reste bouillante dans la capitale, mais également à Salonique, alors que des heurts très violents ont également éclaté à Larissa dans la journée d’hier.
Après trois jours de combats sans pause, le centre d’Athènes faisait penser hier à une ville bombardée. Seuls les chiffres peuvent permettre d’appréhender ce qui s’est passé dans la troisième nuit de guérilla urbaine, de lundi à mardi : 130 locaux commerciaux détruits (en majorité des sièges de multinationales, des boutiques de luxe et des symboles du capitalisme comme McDonald’s), des banques dévastées, des voitures en flammes, des bâtiments incendiés et les locaux des ministères de l’Economie et des Affaires étrangères endommagés. [... ]
Bref, une véritable catastrophe que la ville essaie à présent d’évaluer avec précision. Et qui provoque une tempête sur le gouvernement, avec le premier ministre Karamanlis qui promet aux commerçants le "remboursement" des dégâts et les médias qui soulignent, au contraire, l’incapacité des forces de l’ordre dans la gestion des protestations. [... ]
Mais, plus que l’énumération des dégâts, ce qui compte réellement c’est le pourquoi de cette révolte. Une révolte qui, bien qu’initiée par les anarchistes, s’est propagée en un rien de temps aux lycéens et aux étudiants universitaires, à la gauche radicale, ainsi qu’aux enseignants, en grève depuis lundi contre les coupes dans le budget de l’éducation et la réforme proposée dans ce cadre. La manifestation de ces derniers, à laquelle participaient de nombreux étudiants, à représenté l’enième étincelle qui a relancé la révolte, à l’image de ce qui s’était passé la veille avec les cortèges des communistes du KKE et de la coalition des gauches radicales (rigoureusement séparés). Ainsi pendant des heures, la Place de la Constitution s’est transformée en scène de heurts. Au même moment, à Salonique, plusieurs milliers d’étudiants s’opposaient à la police et brisaient des vitrines, tandis qu’à Patras, des manifestants attaquaient un commissariat de police.
Le gouvernement en difficulté
Pendant ce temps, le gouvernement en difficulté ne sait pas quel chat fouetter. Pressé par la gauche, à partir des socialistes du PASOK qui demandent sa démission, Karamanlis a tenté hier d’obtenir carte blanche de toutes les forces politiques pour pouvoir adopter la manière forte avec les manifestants. Seule possibilité pour sortir de l’impasse : "Justice sera faite, mais isolez les insurgés" a dit le premier ministre, qui s’est entretenu de manière séparée avec le Président de la République Karolos Papoulias et tous les dirigeants de l’opposition, communistes y compris. Sa tentative est claire. Le premier ministre veut avoir le consentement de tous les partis politiques pour l’application de la manière forte. Lundi soir déjà , la rumeur indiquait l’état d’urgence allait être déclaré. Hypothèse démentie ensuite par le porte-parole du gouvernement.
Mais l’opposition a toutefois continué à le presser de trouver une solution, en mettant au second plan les protestations des jeunes. Le socialiste Giorgos Papandreou a demandé l’organisation d’élections anticipées. La Coalition de Gauche et le parti d’extrême-droite Laos demandent également la démission du gouvernement. Tandis que l’appel de Karamanlis aux syndicats de repousser la grève générale n’a pas été entendu. Sa requête a été ignorée et le pays sera bloqué en réponse à la crise économique et aux événements de samedi dernier.
Christos Kittas, recteur du Politecnico, a déposé hier sa démission pour protester contre l’incapacité du gouvernement à protéger un bâtiment fraîchement restauré de l’université qui a été gravement endommagé. Mais il n’y a pas que cela. Le recteur a également souligné que lui-même et de nombreux autres - claire allusion aux membres du gouvernement - ont désormais perdu tout contact avec les étudiants. Une déclaration qui est passée inaperçue et n’a été commentée par aucun de ses collègues, ni par le ministre de l’Education, Evripidis Stylianidis, qui quelques heures après l’assassinat d’Alexis, a regardé un match de football avec le sourire aux lèvres. Une espèce d’affront, surtout en raison du fait que l’origine des protestations estudiantines réside dans la réforme universitaire qui ouvrira les portes aux investissements privés. Une lutte qui dure depuis des mois et a déjà donné lieu à de nombreuses manifestations. Une fois encore, les étudiants italiens de l’Onda [le mouvement d’opposition au projet de coupe budgétaire dans l’enseignement voulu par la ministre italienne de l’Education, ndt.]. Lesquels se trouvent également à la veille d’une grève générale [la journée de grève générale est prévue pour ce vendredi 12 décembre en Italie, ndt.].
Pavlos Nerantzis, il manifesto, 10 décembre 2008.
Traduction d’Alexandre Govaerts