RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
12 

Grèves, blocages et cohérence

Le Premier-ministre, le gouvernement et la presse aux ordres se déchainent contre la CGT et qualifient les grèves qui touchent les raffineries de « terrorisme social ». Le discours tenu aujourd’hui par Manuel Valls est en contradiction complète avec celui qu’il tenait en 2010. Vérité dans l’opposition, erreur dans la majorité…Mais, l’inquiétant est que, par sa pratique, comme une gestion exclusivement policière du mouvement ou par l’usage abusif de l’article 49-3 pour faire passer la loi « El Khomri », tout comme par son langage, il installe un climat de guerre civile en France. Il le fait alors que nous vivons, du moins en théorie, dans l’état d‘urgence. Ce comportement parfaitement irresponsable constitue aujourd’hui une menace pour la paix civile.

La rançon de l’UE et de l’Euro

La vérité, niée par le gouvernement mais aujourd’hui largement révélée par de multiples déclarations de dirigeants de l’UE, est que cette loi El Khomri est la rançon qu’il nous faut payer à Bruxelles, à l’Union européenne et à l’Euro pour faire admettre un déficit dépassant les normes [1]. On sait que les diverses instances européennes reprochaient à la France son « manque » de réforme et la menaçaient de procédures disciplinaires. De fait, cette loi est la stricte application de la « stratégie de Lisbonne » et des « Grandes Orientations de Politique Économique » qui sont élaborées par la direction générale des affaires économiques de la Commission européenne [2]. C’est pour cela que le gouvernement y tient tant et qu’il ne veut, ni ne peut, revenir sur sa décision.

Nous sommes donc rançonnés, ce qui est logique car nous ne sommes plus souverains. Mais, cette loi ne constitue plus précisément une partie de la rançon. Déjà Emmanuel Macron, Ministre de l’économie annonce un politique de modération salariale, soit la diète pour les salariés, au moment même ou il s’oppose à une mesure similaire pour les patrons. Beau raisonnement d’un homme qui confond un gouvernement avec un conseil d‘administration. Car, dans l’esprit de Monsieur le ministre, est intégré le fait que la France ne pouvant plus dévaluer, elle ne peut rétablir sa compétitivité que dans une course au « moins disant/moins coûtant » salarial. La volonté de ramener toute négociation dans le strict cadre des « accords d’entreprise » au détriment des accords de branches ou des accords nationaux, affaiblissant de manière dramatique le rapport de force des salariés face aux patrons.

Rapport de force et légitime défense

Rapport de force, voilà bien le mot qui fâche, mais qui néanmoins s’impose. Il n’est de bonne négociation qu’avec un rapport de force construit et, bien souvent, pour qu’il en soit ainsi il faut faire intervenir des agents extérieurs à la négociation. Ce qui nous conduit directement à la question des grèves et des blocages actuels. Il y a conflit, cela est évident pour tout le monde.

Ce conflit oppose le gouvernement, et au-delà une large partie de la « classe politique » de « gauche » comme de droite, à une large majorité de la population, les sondages donnant de 70% à 74% d‘opposants à cette loi [3]. La montée des protestations ayant eu quelques échos au sein du parti dit « socialiste », le gouvernement se vit privé de majorité, et décida d’engager l’article 49-3, ce qui n’est – ni plus, ni moins – qu’un détournement éhonté de procédure[4]. De ce point de vue, le recours à des formes de luttes plus violentes s’apparente à une légitime défense. Une légitime défense sociale, assurément, contre des mesures contenues dans une loi qui ont été imposées de l’étranger et au mépris des règles de la démocratie, mais cette légitime défense sociale n’en est pas moins légitime.

Il est clair que ces formes de luttes créent un désordre, et touche des personnes qui ne sont pas directement impliquées. Mais, ce désordre ne fait que répondre à un désordre premier, qui résulte de l’usage du 49-3. Prétendre alors s’offusquer de la conséquence et non de la cause relève de la plus pure hypocrisie. On ne peut condamner les blocages que si, au préalable, on condamne l’usage du 49-3, et plus généralement la tactique du gouvernement qui n’apporte que des réponses policières à un mouvement social. De fait Manuel Valls se révèle un émule de Jules Moch.

Hypocrisies et cohérence

Cependant, ce ne sont pas les seules hypocrisies suscitées par ce mouvement de protestation. Comment qualifier ainsi l’attitude de dirigeants d’un parti qui proclame à qui veut l’entendre son opposition aux pratiques et aux politiques édictées par l’UE, mais qui n’a que « l’ordre » à la bouche quant il s’agit des blocages des raffineries et des dépôts de carburant. Pourtant, que l’on sache, ils ne condamnent pas la légitime défense de manière systématique. Qu’ils réfléchissent donc sur l’origine des désordres qu’ils prétendent condamner et ils verront toute l’incohérence de leurs positions.

Il y a aussi beaucoup d’hypocrisie dans les condamnations des blocages par ces députés d’opposition qui sont les premiers à s’indigner contre les mesures européennes et contre la perte de souveraineté qu’elles entraînent, mais qui ont un haut-le-cœur quand des travailleurs passent concrètement à l’action contre ces mesures.

Il y a, enfin, une hypocrisie immense dans le comportement de ces membres du P « S » qui condamnent sans la condamner la loi El Khomri, et qui refusent de dire les choses telles qu’elles sont parce qu’ils comprennent bien que l’origine première de ces dites choses, c’est l’Union européenne et l’Euro.

Ce qui menace aujourd’hui la France, c’est la combinaison de deux phénomènes. D’une part, l’entêtement de ce gouvernement qui n’est plus que le fondé de pouvoir d’une puissance étrangère et qui, pour ne pas déplaire à ses véritables maîtres est prêt à plonger le pays dans la guerre civile. D’autre part, c’est l’hypocrisie généralisée de beaucoup, et le manque de cohérence que révèle cette hypocrisie. Car, nos adversaires, ceux de Bruxelles et de Francfort, ceux qui cherchent à imposer en France ce qu’ils ont déjà imposé en Grèce, en Espagne et en Italie, eux, sont cohérents.

Jacques SAPIR

[1] Voir http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/17/31001-20160517ARTFIG00...

[2] Voir le « Rapport pour la France » établi en février 2016 par les services de la commission européenne, pp. 82 et ssq. http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/csr2016/cr2016_france_fr.pdf

[3] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1512903-les-francais-hostiles...

[4] Voir Sapir J., « Nous y voilà (49-3) » note publiée sur le carnet RussEurope le 11 mai 2016, https://russeurope.hypotheses.org/4941


URL de cet article 30414
  

Même Thème
« Les déchirures » de Maxime Vivas
Maxime VIVAS
Sous ce titre, Maxime Vivas nous propose un texte ramassé (72 pages) augmenté par une préface de Paul Ariès et une postface de Viktor Dedaj (site Le Grand Soir).. Pour nous parler des affaires publiques, de répression et d’impunité, de management, de violences et de suicides, l’auteur (éclectique) convoque Jean-Michel Aphatie, Patrick Balkany, Jean-Michel Baylet, Maïté Biraben, les Bonnets rouges, Xavier Broseta (DRH d’air France), Warren Buffet, Jérôme Cahuzac, Charlie Hebdo, Jean-François Copé, (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Informer n’est pas une liberté pour la presse, mais un devoir. La liberté de la presse a bien une limite : elle s’arrête exactement là où commence mon droit à une véritable information.

Viktor Dedaj

Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.