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Israël : Les profits générés par l’occupation et pourquoi on n’en parle jamais (972mag.com)

Photo : des travailleurs palestiniens attendent au point de contrôle de Bethlehem, 30 juin 2011 (Porter Speakman, Jr.)

Si nous savions ce que l’occupation rapporte -infiniment plus que ce que nous croyons- notre approche politique toute entière serait à revoir.

Ami Kaufman (sur son blog +972) et Emily Hauser (Open Zion) se sont intéressées au débat sur le poids de l’occupation dans l’économie israélienne. Comme Amy le note, cela va de pair avec le débat sur J14 (le mouvement de protestation pour la "justice sociale"). Il est généralement admis en Israël que mettre fin à l’occupation et au coûteux projet de colonisation soulagerait l’économie israélienne plus que toutes les mesures préconisées par les opposants à l’occupation.

Comme Ami et Emily le disent, il y a quelque chose de cynique dans cet argument : on devrait s’opposer à l’occupation avant tout pour des raisons morales sans rapport avec ce que cela coûte ou ne coûte pas à Israël. Je suis tout a fait d’accord avec leur position et c’est la réponse que je donne d’habitude quand on se sert de l’argument économique contre l’occupation. Mais je veux aussi examiner ici l’assomption présente dans le texte d’Emily (et à un moindre degré dans celui d’Ami) selon laquelle l’occupation est un fardeau pour l’économie israélienne car je pense qu’elle repose sur une vision erronée du statu quo actuel global.

* * *

D’abord il faut dire qu’il est extrêmement difficile de calculer le coût réel de l’occupation parce que le budget israélien traite les deux côtés de la Ligne Verte comme une seule entité. De plus, les ministres partisans de la colonisation (y compris ceux du Labour et de Kadima) ont trouvé moyen au fil des années d’intégrer des subventions pour la colonisation de la Cisjordanie dans "d’innocentes" lignes budgétaires. Le ministre du transport, par exemple, subventionne les trajets en bus des colons ce qui fait qu’un trajet plus long que Jérusalem-Tel Aviv leur revient le même prix qu’un trajet dans Tel-Aviv même. Le ministre de l’éducation autorise l’ouverture de classes plus petites dans les colonies. Les colons bénéficient du plus grand taux de fonctionnaires à leur service -et tout cela ne figure pas dans les investissements directs de l’occupation du département du logement ou du ministère de la défense.

Il y a eu plusieurs tentatives d’évaluer le coût de l’occupation. En 2011, Shir Hever a estimé le coût annuel à 9 milliards de dollars étasuniens -ce qui fait 1,175 dollar en moyenne par Israélien. En 2007 plusieurs économistes ont évalué le coût des 40 années précédentes de contrôle et d’occupation de la Cisjordanie et de Gaza à 50 milliards de dollars. C’est le centre Adva d’études socio-économiques qui fait les recherches les plus exhaustives sur la question. Ils ne donnent pas de chiffre "définitif" mais leur rapport de 2012 fournit des données intéressantes notamment sur le "budget spécial" dont l’armée israélienne a bénéficié pour les opérations en Cisjordanie de 1989 à 2011 -environ 13 milliards de dollars (le budget annuel israélien est environ de 100 milliards de dollars).

Ces données même partielles sont riches d’enseignement quand on les compare à l’autre face du budget : l’estimation des profits directs et indirects qu’Israël tire de l’occupation.

Personne ne peut raisonnablement nier l’existence de ces profits : qu’ils soient réalisés par les entreprises israéliennes qui exploitent les ressources naturelles des territoires occupés -parmi les exemples les plus emblématiques, il y a les produits de beauté Ahava et le récent décret de la Cour Suprême qui autorise l’exploitation des carrières de Palestine pour satisfaire aux besoins du marché israélien de l’immobilier- ou qu’ils proviennent du marché captif que les Palestiniens représentent pour Israël (les produits usuels de marques israéliennes inondent la Cisjordanie et Gaza). L’eau est une des ressources les plus précieuses su Moyen-Orient : Au moins 80% de la nappe phréatique de la Montagne -située sous la Cisjordanie- est réservé à l’usage d’Israël et de ses colonies et seulement 20% est concédé aux Palestiniens. (Les Israéliens consomment en moyenne 3,5 fois plus d’eau que les Palestiniens.)

Mais le principal bénéfice économique qu’Israël tire de son contrôle sur la Cisjordanie est aussi invisible que le nez au milieu de la figure -je veux parler de la ressource la plus convoitée et la plus chère ici : la terre.

Avec la hausse des prix de la terre en Israël des dernières décennies, la Cisjordanie est devenue une source commode de terrains pour construire des logements au service des deux métropoles israéliennes Jérusalem et Tel Aviv. De nouvelles villes pour les Juifs les moins riches -notamment mais pas seulement les Orthodoxes- ont été construites à l’est de la Ligne Verte. Dans les années 1980 la plupart de ces logements étaient construits au nord-est de Tel Aviv, près de Qalqilia ("à 5mn de Kfar Saba" ; comme disait la réclame) ; Les deux dernières décennies ont vu les constructions envahir le sud-est près de Modi’in et de l’autoroute 443. Des pans entiers de Cisjordanie sont devenus littéralement de nouveaux faubourgs de Tel Aviv.

Le dernier plan d’urbanisme qui prévoyait l’extension de Jérusalem vers l’ouest a été abandonné (en partie pour protéger l’environnement -les arbres sont apparemment plus importants que les Palestiniens) ; sauf en de rares endroits, Jérusalem est en train de s’étendre aussi au nord, à l’est et au sud, presque exclusivement derrière la Ligne Verte. Dans la région de Jérusalem, un demi million de Juifs vivent en Cisjordanie occupée, et beaucoup d’entre eux dans des zones urbanisées grâce à des subventions gouvernementales. Imaginez le coût de construction de ces logements s’ils étaient en Israël même, surtout à proximité des métropoles.

Le contrôle de la terre palestinienne engendre bien d’autres profits économiques que je ne détaillerai pas ici de manière exhaustive. Mais songez, par exemple, aux autoroutes qui traversent la Cisjordanie pour desservir Israël : l’autoroute nord-sud 90, qui longe le Jourdain ; l’autoroute n° 1 (est) qui va de Jérusalem à la mer morte, et la 443 qui sert d’alternative bien nécessaire à l’autoroute constamment embouteillé qui relie Jérusalem à tel Aviv. Imaginez ce que ça coûterait si toutes les voitures israéliennes à plaque d’immatriculation jaune (les Palestiniens en ont des blanches, ndt) devaient contourner la ligne verte par l’ouest au lieu de traverser les territoires occupés ou si les Palestiniens avaient le droit d’instaurer un péage sur ces autoroutes ? Et ce n’est qu’un aspect du contrôle de la terre. La vérité est que le contrôle de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et dans une moindre mesure de Gaza, est pour Israël une source de profits indéniables et qui pourraient même bien être supérieurs au fardeau économique de l’occupation.

* * *

L’absence de débat sur les bénéfices de l’occupation nuit, à mon sens, à une bonne compréhension des forces en présence dans le conflit. On comprendrait mieux, par exemple, l’expansion des colonies qui a accompagné les accords d’Oslo. Au début des années 1990, la terre et les prix de l’immobilier en Israël se sont envolés à cause de l’immigration en provenance de l’ancienne URSS. La solution pour les gouvernements, y compris les gouvernements modérés, a été de se tourner vers la Cisjordanie bien que, ce faisant, ils court-circuitassent leurs propres efforts pour séparer la Cisjordanie d’Israël. Ce n’est pas non plus une coïncidence si la résistance palestinienne a éclaté à Bil’in ou à Ni’lin dont les terres ont été confisquées pour y construire des logements pour les Juifs, ni si la population ultra-orthodoxe qui a été envoyée dans ces logements se droitise de plus en plus jusqu’à s’identifier quasiment au mouvement des colons. Un autre exemple important est le blocus de Gaza : comme cela a été démontré dans le journal Haaretz, la logique qui préside au choix des denrées autorisées est économique et en lien avec les intérêts des fermiers et des fabricants israéliens. Et pourtant on n’entend jamais dire que le blocus de Gaza est au service des intérêts économiques israéliens, on ne nous parle que de sécurité.

En fait, il y a une raison plus profonde au déni des profits que procure l’occupation ; elle touche à la manière dont les Israéliens -même ceux de gauche- se représentent le conflit : ignorer les bénéfices qu’Israël tire de l’occupation permet de brouiller sa nature coloniale.

Considérer l’occupation comme un fardeau permet de présenter la situation actuelle comme "une tragédie" que deux peuples subissent et de dissimuler le lien entre la persécution politique des Palestiniens et leur exploitation économique (la main d’oeuvre bon marché est une autre source de profit de l’occupation dont je n’ai pas parlé ici). On nous répète que la théorie coloniale ne peut s’appliquer même en partie au contrôle israélien de la Cisjordanie et on en donne comme preuve le coût des infrastructures qu’Israël a construit en Cisjordanie. Mais le colonialisme a toujours eu besoin d’infrastructures coûteuses, et cela ne l’a jamais empêché de très bien servir les intérêts d’autres secteurs du pays occupant.

La troisième raison pour ignorer le côté profitable de l’occupation c’est l’implication que cela aurait sur la légitimité de sanctions contre toute la société israélienne -une perspective que même les gauchistes (dont moi-même) ont du mal à accepter.

Ce n’est pas assez de s’opposer à l’occupation, il faut aussi comprendre sa puissance de séduction. J’ai déjà dit autrefois qu’Israël était attaché au statu quo, particulièrement en ce qui concerne la question palestinienne, comme un drogué à sa drogue. Je pense qu’une analyse honnête des coûts et des profits du contrôle israélien de la Cisjordanie permettrait d’affirmer que l’occupation profite à Israël et que par conséquent un processus qui ne serait qu’interne à Israël n’y mettra jamais fin.

Noam Sheizaf

Pour consulter l’original : http://972mag.com/the-profitable-occupation-and-why-it-is-never-discussed/49497/

Traduction : Dominique Muselet

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