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Je condamne.

Puisque la dernière mode en vigueur à la cour semble être d’exiger la condamnation des fameuses « violences » lors des manifestations, puisque les dévoués procureurs que sont devenus les présentateurs requièrent lourdement la formule rituelle de condamnation lorsqu’ils ne l’obtiennent pas spontanément, puisque seule une capitulation sans conditions donne droit à l’onction suprême, puisqu’il s’agit là d’un incontournable rite de passage pour être admis dans le monde ravi des belles âmes responsables, plions-nous de bonne grâce à l’exercice et payons le tribut réclamé : condamnons !

Je condamne l’insupportable hypocrisie des indignations à sens unique et géométrie variable, parfait emblème de cette tartufferie morale chère à la mentalité courtisane.

Je condamne la violence symbolique qui consiste à harceler les rares voix du courant progressiste pour arracher le précieux sésame donnant accès à la bonne société de cour, le mystique « Je condamne ».

Je condamne le fait de sommer les petits et les opprimés de s’auto-humilier en incriminant leurs soeurs et frères de lutte, quand bien même seraient utilisées des méthodes contestables et contestées.

Je condamne le simplisme du récit médiatique dominant qui, à la remorque de la propagande du pouvoir, cherche à nous vendre la thèse ahurissante de hordes barbares, dépolitisées et organisées de façon quasi-paramilitaire pour s’adonner à la passion du chaos, là où la réalité dément sans peine cette fable à passer la nuit debout.

Je condamne la séparation artificielle et manichéenne entre manifestants et « casseurs », pure construction médiatico-policière qui ne tient pas l’épreuve des faits.

Je condamne le fait que demain, celui qui occupe un bâtiment, pose un piquet de grève, bloque un axe critique ou entend simplement défendre sa dignité sera lui aussi étiqueté « casseur ».

Je condamne les pleutres qui avancent masqués et refusent d’avouer qu’au fond, pour eux, le bon manifestant, c’est surtout celui qui n’existe pas.

Je condamne les violences policières, les gaz lacrymogènes utilisés massivement sans raison, les charges sauvages, les coups gratuits, les matraques cruelles, les arrestations arbitraires, les manifestants traînés sur plusieurs mètres avant d’être insultés, humiliés et tabassés au sol, les cortèges coupés, harcelés, interrompus, les nasses abusives, les provocations permanentes, les tirs de grenades et de LBD visant délibérément la tête, la surveillance aérienne, les dispositifs surdimensionnés et positionnés agressivement pour générer tensions et affrontements.

Je condamne l’usage des gaz lacrymogènes, armes chimiques interdites en cas de guerre mais curieusement autorisées pour réprimer les civils.

Je condamne les tirs offensifs de grenades visant directement les personnes (ce que la réglementation interdit pourtant expressément), et dont les éclats caoutchoutés déchirent les chairs, s’incrustant sous la peau.

Je condamne l’usage des armes cyniquement baptisées lanceurs de balle de défense (introduits sous Guéant, étendus par Sarkozy, confirmés sous Hollande), tirant à plusieurs centaines de km/h des projectiles responsables de blessures graves et irréversibles — dont au moins 25 éborgnements depuis une dizaine d’années, notamment sur des mineurs.

Je condamne les méthodes violentes au parfum colonial de la BAC, faisant régner la terreur dans les quartiers, infiltrant les cortèges (poussant parfois le zèle jusqu’à s’appliquer des autocollants syndicaux afin de parfaire leur apparence « manifestante »), provoquant et procédant à des interpellations d’une rare brutalité.

Je condamne l’abandon de la doctrine du maintien à distance afin de privilégier une stratégie casse-gueule de l’affrontement et du rentre-dedans.

Je condamne la militarisation croissante des techniques de maintien de l’ordre.

Je condamne la spirale inflationniste de la puissance de feu dont disposent les policiers.

Je condamne les mensonges éhontés des « dépositaires de l’autorité publique » au tribunal afin de charger la barque de manifestants raflés au hasard pour faire du chiffre.

Je condamne la justice de classe des comparutions immédiates, distribuant à la chaîne du ferme quand les voyous cravatés ont droit à tant d’égards, de longues années de procédure et, au final, une étrange mansuétude — quand ce n’est pas l’impunité pure et simple.

Je condamne la stratégie de la tension et de l’escalade choisie par le pouvoir afin d’apeurer, de délégitimer, de discréditer et de criminaliser la contestation.

Je condamne l’attitude lâche et cynique du gouvernement, qui utilise les corps policiers comme paravents commodes face aux colères populaires et n’hésite pas à sacrifier des pions en uniforme dans le cadre de son jeu du pourrissement.

Je condamne le chantage à l’état d’urgence, à la menace terroriste et à je ne sais quel « esprit du 11 janvier », pures instrumentalisations destinées à museler la révolte.

Je condamne les excuses sociologiques sur la fatigue des policiers, comme si la répression eût été moins féroce en d’autres circonstances, comme si celle-ci n’était pas avant tout décidée en haut lieu dans des bureaux cossus par des planqués en col blanc frais comme des gardons.

Je condamne la culture de l’impunité autour des violences policières — couvertes par la hiérarchie, la justice et le pouvoir, avec la complicité honteuse des grands médias.

Je condamne l’omertà quasi-absolue d’un « quatrième pouvoir » médiatique qui a depuis longtemps démissionné de sa mission sacrée de contre-pouvoir afin de se faire l’auxiliaire et le relais le plus féroce des pouvoirs établis.

Je condamne le fait que les médias dominants prennent pour argent comptant les communiqués de presse des préfectures et de l’Intérieur, aussitôt considérés comme parole d’évangile, comme si le pouvoir n’avait pas pour coutume d’enjoliver les choses, ne cherchait jamais à tourner les évènements à son avantage ou n’avait pas prouvé à maintes reprises son approche très libérale de la vérité ; comme si les leçons de base du journalisme — critiquer les sources — avaient été passées par pertes et profits.

Je condamne la reprise médiatique brute des bilans hallucinants établis par les préfectures, lesquelles osent sans rire affirmer que des policiers caparaçonnés, armurés, équipés, surarmés, entraînés, coordonnés et bénéficiant d’un soutien aérien essuient systématiquement plus de blessures que des manifestants dont l’écrasante majorité est désarmée, sans protections et dépourvue de la moindre culture des affrontements.

Je condamne l’absence d’effort des autorités et des grands médias pour comptabiliser les blessés côté manifestants alors que le ratio policiers/manifestants blessés dépasse parfois 1 à 20.

Je condamne l’entreprise de manipulation et d’instrumentalisation autour des affrontements, divertissement bien opportun pour esquiver les autres aspects du conflit.

Je condamne le mécanisme récurrent qui consiste à fabriquer et exposer sans relâche de prétendus « ennemis de l’intérieur », objets de tous les fantasmes et d’une focalisation complaisante, insistante et en vérité gourmande, afin de justifier la violation routinière des libertés fondamentales, générer une demande d’ordre et construire un consentement à la répression.

Je condamne la logique du spectacle.

Je condamne le parti-pris voyeuriste des médias télévisuels, qui ne leur fait appeler « violences » que les seules choses qui produisent des images spectaculaires.

Je condamne la volonté de faire de l’audimat facile avec des images choc, fruit d’une logique commerciale méprisable et radicalement incompatible avec la production d’une information de qualité.

Je condamne le fait que les médias télévisuels, si friands d’images d’affrontements, redécouvrent subitement les vertus de la pudeur lorsqu’il s’agit de montrer les crânes ouverts, le bleu délicat des ecchymoses, les contusions violacées, les brûlures, les impacts de tirs de LBD sur peaux manifestantes ou les traînées de sang sur bitume citadin.

Je condamne la servilité scandaleuse des présentateurs qui déroulent le tapis rouge aux représentants de l’État, ne daignent jamais contredire leurs éléments de langage robotiques et ne cherchent en rien à les bousculer dans leur discours préfabriqué.

Je condamne l’hostilité à peine déguisée des mêmes présentateurs envers le camp manifestant, aussitôt assigné au banc des accusés et sommé de s’expliquer sur le déroulement des évènements, comme s’il existait de fait je ne sais quel principe de responsabilité collective.

Je condamne cette différence flagrante dans le ton employé selon le camp questionné, les uns ayant droit aux sommations et à l’interrogatoire en règle, les autres à tous les égards et une déférence pour le moins suspecte.

Je condamne le glissement permanent de la figure du journaliste vers celle du publicitaire, du procureur ou du propagandiste.

Je condamne le fait que l’on ne demande jamais aux représentants du pouvoir ou des policiers s’ils condamnent les violences policières.

Je condamne le déni outrancier de violences policières pourtant avérées, documentées et récurrentes.

Je condamne ceux qui ont, par leur action ou par leur silence, permis la mort de Malik, Zyed, Bouna, Rémi — et tous les autres, et le prochain.

Je condamne le fait que pour une vidéo de violences policières montrée, vingt soient tues.

Je condamne le fait que les médias alignés, si prompts à se retrancher derrière leurs réflexes défensifs de caste lorsque leur atterrante partialité est mise en cause, n’aient pas la même solidarité lorsque leurs confrères indépendants, mouillant la chemise pour produire des images de ce qui se passe réellement au coeur de la mêlée, sont régulièrement ciblés et pris à partie par des policiers (mais pourquoi donc, d’ailleurs ?).

Je condamne l’usage de ces euphémismes détestables tels qu’ « évacuation musclée », « heurts », « échauffourées » ou « tensions » pour masquer la violence de la répression.

Je condamne le fait que les violences policières soient toujours mises au conditionnel, alors que les violences contestataires ont naturellement droit à l’indicatif de l’évidence.

Je condamne l’écoeurant deux poids, deux mesures dans les réactions lorsque les dégradations matérielles sont commises dans le cadre d’un mouvement social d’ampleur, ou par des agriculteurs soutenus par la toute-puissante FNSEA.

Je condamne la vacuité sensationnaliste du cirque médiatique qui braque à dessein ses projecteurs aveuglants sur le dernier maillon de la chaîne de la violence, occultant par là même toutes les violences qui ont eu lieu en amont et nourrissent une rage bien légitime.

Je condamne la vanité des commentateurs bourgeois qui distribuent leurs brevets de moralité depuis leur bulle douillette, jouissant eux-mêmes de droits que nos aïeux ont conquis alors que leurs ancêtres spirituels, la bave aux lèvres et la bouche pleine d’anathèmes, hurlaient déjà à la canaille et à la chienlit.

Je condamne la malveillance systématique dans le traitement médiatique des mouvements sociaux, dont les participants sont invariablement rapportés à des branleurs, des râleurs professionnels, d’aimables crétins n’ayant pas bien compris la pé-da-go-gie néolibérale, des ringards sclérosés ou — le cynisme n’ayant décidément aucune limite — des privilégiés animés par une mentalité de caste et défendant des avantages indus au détriment des autres.

Je condamne le mépris de classe et le racisme social derrière ces réactions consternantes de la noblesse d’épée médiatique, grassement payée pour aboyer et vomir sur les petits depuis son cocon doré.

Je condamne les ânes bâtés qui hurlent pour une chemise, mais n’ont pas un mot pour 2 900 suppressions d’emploi ou la souveraine lâcheté d’une direction méprisante.

Je condamne ceux qui se scandalisent davantage d’une vitrine cassée que d’une vie brisée.

Je condamne ce monde glacial où les images d’une Porsche brûlée suscitent plus d’écho qu’un intermittent s’immolant par le feu à Marseille devant une caisse de retraite.

Je condamne la violence sociale d’un système contraignant des millions de personnes à passer sous les fourches caudines du travail contraint et exploité afin d’assurer leur simple survie matérielle.

Je condamne la violence sociale d’un système forçant les gens ordinaires à se vendre même pour un boulot de merde, et où il faudrait de surcroît aimer cela, voire baiser les pieds de nos bons maîtres.

Je condamne la violence sociale d’un système où la sixième puissance économique du monde laisse crever 2 000 personnes dans la rue chaque année pendant que d’autres possèdent dix résidences secondaires.

Je condamne la violence sociale d’un système où certains sont contraints de voler des pâtes dans la honte pour manger, là où d’autres peuvent cramer 3 SMIC dans une seule bouteille.

Je condamne la violence sociale d’un système où des centaines de personnes meurent chaque année au travail — par exemple parce qu’un patron rapace refusait d’appliquer les consignes de sécurité ou rognait sur la qualité du matériel afin de maximiser son profit.

Je condamne la violence sociale d’un système qui fait du pauvre l’ennemi public n°1, toujours suspecté d’être un bon à rien, un fainéant, un parasite, un profiteur qu’il faut fliquer et éperonner comme une vulgaire bête de somme.

Je condamne le divertissement du spectacle médiatique au regard de cette violence quotidienne, structurelle mais rendue invisible.

Je condamne la gestion néolibérale du travail (pardon, des ressources humaines), laquelle entraîne suicides, dépressions, stress, blessures, arrêts maladie, syndromes d’épuisement professionnel, humiliations, frustrations, dépérissement du sens, ennui, prise d’anxiolytiques ou de dopants pour tenir, déshumanisation, flicage et mise en concurrence sauvage des opprimés entre eux.

Je condamne les cadences infernales, les horaires éclatés, les produits cancérigènes, les objectifs délirants de rentabilité, de vente ou de productivité, la surveillance disciplinaire, la compétition acharnée, les harcèlements divers, les moyens supprimés alors que les objectifs sont maintenus voire amplifiés, les surcharges de travail, les procédés déloyaux des directions, les mises au placard, les listes noires de syndicalistes, le contrôle social inquisiteur, l’inhumanité glaçante de l’utilitarisme marchand.

Je condamne le fait que les salariés soient la variable d’ajustement systématique de l’ordre capitaliste.

Je condamne la violence criminelle d’élites incestueuses, dont le seul projet est d’exposer les travailleurs aux rapports de force les plus inégaux et les plus sauvages, démantelant petit à petit tous les garde-fous qui permettaient aux salariés de ne pas être complètement nus face à la violence du capital.

Je condamne le fait que nos vies soient à la fois le terrain de jeu, les munitions et la matière première de la guerre féroce que se livrent les capitalistes entre eux.

Je condamne la hiérarchisation implicite des violences qui naturalise la violence institutionnelle, excuse les violences répressives mais s’offusque bruyamment des violences contestataires.

Je condamne les casseurs de manif’, les briseurs de contestation, les préposés à la destruction sociale, les conducteurs zélés du bulldozer néolibéral, les défenseurs de l’ordre établi, les escrocs en cravate qui voudraient nous vendre la riante chimère d’un « capitalisme à visage humain ».

Je condamne le mensonge ignoble selon lequel la loi Travail a été « vidée de sa substance ».

Je condamne la violence de la loi Travail.

Je condamne la violence de la loi du travail.

SILENCE

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