Le lundi 18 mai, Judicial Watch, le groupe de vigilance du gouvernement conservateur, a publié une sélection de documents autrefois classifiés obtenus du Département américain de la Défense et du Département d’Etat grâce à un procès fédéral.
Alors que les grands médias se concentraient sur le traitement par la Maison Blanche de l’attaque du consulat de Benghazi, un bien plus « grand tableau » se dégage de la lecture d’un document de la Defense Intelligence Agency rédigé en 2012 : à savoir que l’avènement d’un « État islamique » dans l’est de la Syrie est souhaitable pour que l’Occident puisse arriver à ses fins dans la région.
De manière surprenante, le rapport récemment déclassifié stipule que pour « l’Occident, les pays du Golfe et la Turquie [qui] soutiennent l’opposition [syrienne]... il y a la possibilité d’établir une principauté salafiste officielle ou pas, dans l’est de la Syrie (Hasaka et der Zor), et c’est exactement ce que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition, afin d’isoler le régime syrien ... ».
Le rapport de la DIA, anciennement classé « SECRET // NOFORN* » et daté du 12 août 2012, a été largement diffusé dans les divers organes gouvernementaux, y compris CENTCOM, la CIA, le FBI, le DHS, NGA, le Département d’État et beaucoup d’autres.
Le document montre que, dès 2012, le renseignement américain avait prédit la montée de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (ISIL ou ISIS), mais au lieu de désigner clairement le groupe comme un ennemi, le rapport considère le groupe terroriste comme un atout stratégique américain.
Bien qu’un certain nombre d’analystes et de journalistes documentent depuis longtemps le rôle des agences de renseignement occidentales dans la formation et l’entrainement de l’opposition armée en Syrie, ce document constitue la confirmation par les plus hautes sphères du Renseignement étasunien de l’idée que les gouvernements occidentaux voient essentiellement ISIS comme le meilleur moyen de parvenir à un changement de régime en Syrie. Non seulement ce document le dit clairement mais il le dit comme si c’était la chose la plus naturelle qui soit.
Des preuves matérielles, des vidéos, ainsi que les récents aveux de hauts fonctionnaires impliqués (voir l’aveu de l’ancien ambassadeur de la Syrie, Robert Ford, ici et ici), ont, depuis, prouvé que le soutien matériel des terroristes d’ISIS sur le champ de bataille syrien par le Département d’État et la CIA remonte à au moins 2012 et 2013 (pour un exemple clair de « preuves matérielles » : voir le rapport de l’organisation anglaise, Conflict Armement Research, qui, en remontant la trace des roquettes anti-chars croates récupérées auprès de combattants ISIS, est arrivée à un programme conjoint CIA /Arabie Saoudite via des numéros de série identifiables).
On peut résumer ainsi les points clés du rapport de la DIA, concernant « ISI » (en 2012 : « Etat Islamique en Irak ») et son futur compère ISIS, qui vient d’être déclassifié :
• Al-Qaïda conduit l’opposition en Syrie
• L’Occident s’identifie avec l’opposition
• L’établissement d’un Etat Islamique naissant n’est devenu réalité qu’avec la montée de l’insurrection syrienne (il n’y a aucune raison de penser que le retrait des troupes américaines d’Irak ait joué le rôle de catalyseur dans l’essor de l’Etat Islamique, comme l’affirment d’innombrables politiciens et experts ; voir la section 4 .D. ci-dessous)
• La mise en place d’une « principauté salafiste » en Syrie orientale est « exactement » ce que veulent les puissances extérieures qui soutiennent l’opposition (identifiées comme « l’Occident, les pays du Golfe, et la Turquie ») pour affaiblir le gouvernement d’Assad
• Il est suggéré de créer des « lieux de refuge sûrs » dans les zones conquises par les insurgés islamistes comme cela a été fait en Libye (ce qui dans les faits, se traduit par une soi-disant zone d’exclusion aérienne comme premier acte d’une « guerre humanitaire » ; voir 7.B.)
• L’Irak est identifié à « l’expansion chiite » (de 8.C)
• Un « « état islamique » sunnite pourrait empêcher « l’unification de l’Irak » et pourrait « faciliter à nouveau l’entrée d’éléments terroristes de tout le monde arabe dans l’arène irakienne. » (Voir la dernière ligne du PDF.)
Ce qui suit est extrait du rapport de sept pages déclassifié de la DIA (C’est moi qui ai mis en gras certaines phrases) :
R 050839Z 12 août
...
La situation générale :
A. A l’intérieur, les événements prennent une tournure clairement sectaire.
B. Les Salafistes [sic], Les Frères musulmans et Al-Qaïda – Irak, sont les forces principales de l’insurrection en Syrie.
C. L’Occident, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent l’opposition, tandis que la Russie, la Chine et l’Iran soutiennent le régime.
...
3. (C) Al-Qaïda – Irak (IQA) : ... B. IQA soutient l’opposition syrienne depuis le début, à la fois idéologiquement et dans les médias ...
...
4.D. IQA a perdu du terrain dans les provinces de l’ouest de l’Irak en 2009 et 2010 ; Cependant, après la montée de l’insurrection en Syrie, les pouvoirs religieux et tribaux régionaux ont sympathisé avec le soulèvement sectaire. Cette (sympathie) s’est concrétisée par l’appel à bénévoles pour soutenir les sunnites [sic] en Syrie, dans les sermons du vendredi.
...
7. (C) Hypothèses sur le développement futur de la crise :
A. le régime va survivre et garder le contrôle du territoire syrien.
B. Evolution de la situation actuelle en guerre par procuration : ... les forces d’opposition tentent de contrôler les zones orientales (Hasaka et Der Zor), qui touchent les provinces irakiennes orientales (Mossoul et Anbar), en plus des frontières turques voisines. Les pays occidentaux, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent ces efforts. Cette hypothèse, qui est le plus probable étant donné ce que nous savons des événements récents, permettra de préparer des lieux de refuges sûrs sous contrôle international comme cela a été fait en Libye quand Benghazi a été choisi comme centre de commande du gouvernement provisoire.
...
8.C. Si la situation se détériore, on pourra établir une principauté salafiste officielle ou pas, dans l’est de la Syrie (Hasaka et Der Zor), Et c’est exactement ce que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition, afin d’isoler le régime syrien qui est considéré comme l’extrémité stratégique de l’expansion shiite (Irak et l’Iran)
8.D.1. ... ISI pourrait aussi constituer un Etat islamique en s’unissant avec d’autres organisations terroristes en Irak et en Syrie, ce qui mettrait gravement en danger l’unification de l’Irak et la défense de son territoire.
Note :
* no foreign nationals : ne pas communiquer aux étrangers
Traduction : Dominique Muselet