Beaucoup de jeunes n’ont aucun espoir de trouver du travail parce que le Royaume Uni n’a pas su tirer les leçons de la crise économique précédente.
Si vous voulez faire savoir à la City de Londres que vous êtes désespéré, il n’y a pas de meilleur endroit que la terrasse jardin en toiture du " Coq d’Argent". Les décorateurs ont mis en évidence le rôle historique du "Square Mile" (= la "City", NDT), à savoir permettre à l’argent ancien et au nouveau de se rencontrer et de faire des petits, quand ils ont aménagé une pelouse sur laquelle sont réparties des haies taillées et des boules de pierre géantes qui rappellent la porte d’entrée d’un domaine de la noblesse terrienne.
Dimanche dernier, juste avant son 25° anniversaire, Anjool Malde, agent de change et organisateur d’"alpha parties" pour ses jeunes et riches collègues, passait devant la Banque d’Angleterre et empruntait l’ascenseur privé pour monter jusqu’à la cour de récréation des ploutocrates. Ignorant le caviar, il n’a pris qu’un verre de champagne, s’est dirigé vers le bord de la terrasse et a sauté. La dernière chose qu’il a vue, ce sont les bureaux des financiers et des régulateurs qui ont ruiné la Grande Bretagne.
Un journaliste ne peut pas vraiment éviter d’émettre des hypothèses sur les raisons d’un suicide. Une obscurité opaque sépare ceux qui se suicident et ceux qui, face aux mêmes difficultés, vont malgré tout continuer à se battre. Nous savons, toutefois, que la Deutsche Bank avait licencié trois des proches collaborateurs de Malde, et qu’il semblerait qu’on voulait le licencier pour avoir commis une infraction mineure au code de déontologie de la société. Il semble probable que, comme pour des centaines de milliers d’autres personnes, ce qui l’a fait courir à sa perdition a commencé par un e-mail envoyé par une ordure des ressources humaines. Plus saisissant encore, Malde était un enfant de la "longue bulle", et il ne pouvait pas se faire à l’idée qu’il fallait qu’il cesse de "vivre le rêve", comme il disait.
Son fatalisme se retrouve partout. Tout ce baratin sur les signes de reprise occulte le fait que nous sommes face à une catastrophe sociale que beaucoup parmi les élites en Grande-Bretagne n’ont pas le courage de combattre, voire d’admettre.
Il y a, depuis le mois de mai, 2,2 millions de chômeurs. Ces chiffres sont aussi trompeurs aujourd’hui qu’ils ne l’étaient du temps de Thatcher, car il faut ajouter les 3 millions de personnes en invalidité, ainsi que les parents isolés et les handicapés qui perçoivent des indemnités, pour arriver au nombre exact de personnes sans emploi.
Officiellement, le gouvernement ne fait pas de projections pour savoir quand surviendra la hausse attendue des chiffres du chômage - les ministres savent bien ce que feraient de ces chiffres la presse et l’opposition s’il y avait des fuites. Mais les plus vifs au gouvernement ne peuvent s’empêcher de laisser filtrer, dans des rapports qui, supposent-ils, ne seront lus par personne, qu’ils craignent fort que la Grande-Bretagne ne soit actuellement face à un remake de la crise des années 1930. Les rapports les plus alarmants indiquent que le parti travailliste veut rompre avec la doctrine de la fin du XX°s selon laquelle l’Etat ne peut pas offrir du travail, mais ne peut que donner aux sans-emploi une formation dont les patrons auront peut-être besoin.
Le gouvernement envisage d’intervenir directement pour créer un minimum de 100.000 emplois pour les jeunes qui sont au chômage depuis plus d’un an par le biais de la caisse "Future Jobs Fund". Mais si la rupture du gouvernement avec l’économie de l’offre est remarquable, les prévisions qui l’ont motivée sont ahurissantes.
Selon les derniers recensements publiés par le ministère de l’emploi et des retraites, 7100 jeunes entre 18 et 24 ans étaient sans emploi depuis un an ou plus. Or, aujourd’hui, on annonce tranquillement que le taux de chômage à long terme chez les jeunes va être 14 fois plus élevé.
Il est clair qu’on ne peut pas en déduire que le taux de chômage à long terme chez les adultes va augmenter de 1400%, les récessions frappant habituellement les jeunes de façon disproportionnée. Il est clair, également, que le pire de la crise n’est pas dernière nous, mais que nous n’en sommes qu’au début.
Des mesures sont, certes, prises dans certains ministères, mais pour d’autres, tout se passe comme s’il n’y avait pas eu de krach boursier.
Par exemple, il va de soi qu’en matière de chômage, tout le monde s’accorde à dire que les diplômés de 2009 doivent être protégés de la tourmente à partir de 16 ans dans les écoles et de 18 dans les universités, ou qu’il faut qu’ils puissent espérer trouver du travail à 21 ans. Et pourtant, le bilan du gouvernement pour empêcher les jeunes de se retrouver au chômage est effrayant. Dès le mois de mars, le Learning and Skills Council (qui a pour but de veiller à ce que la formation et l’éducation des plus de 16 ans répondent aux besoins des collectivités et des entreprises locales, NDT) disait qu’il n’avait pas l’argent pour subventionner des places supplémentaires à la rentrée pour les élèves des Sixth Form colleges (établissements qui préparent aux examens d’entrée à l’université, avec, depuis peu, des matières professionnelles, NDT).
A vrai dire, les ministres ont fait le ménage, mais n’ont rien fait pour mettre un terme à l’indécence qui fait que les universités gèlent le nombre d’inscriptions en pleine période de récession.
Dans une déclaration que je qualifierais de "vicieuse" si elle n’était le fait d’un pur technocrate, John Denham, quand il était secrétaire d’état aux universités, avait menacé les présidents d’université d’une amende de 10.000 livres par admission s’ils augmentaient le nombre d’étudiants à plein temps pour la rentrée prochaine. Denham imposait un statu quo parce que, Gordon Brown, "vivant encore le rêve" qu’il pouvait dépenser sans compter, avait augmenté les aides de l’état aux étudiants issus de familles relativement aisées.
En conséquence, le gouvernement n’ayant pas les moyens de réagir à la crise en augmentant les effectifs à l’université, les universités doivent refuser l’inscription d’environ 500.000 étudiants, jeunes et adultes.
Parallèlement, les responsables du *"New Deal of the Mind" (le "New Deal des idées", inspiré de celui de Roosevelt, NDT), qui veulent créer des emplois pour les diplômés de l’université, et la Fédération des PME-PMI clament aux membres du gouvernement qu’il faut ressusciter la meilleure idée des années Thatcher, à savoir encourager la création d’entreprise. A ce jour, tout ce que ces derniers ont reçu, c’est un maigre projet qui ne permet pas aux artistes ou entrepreneurs potentiels d’être mieux lotis que s’ils étaient restés au chômage.
Je ne veux pas m’acharner contre le gouvernement. Les médias sont bien pires, qui ne parlent que de réductions et non pas des moyens à envisager pour transférer des ressources limitées là où il y a des besoins. Les syndicats du secteur public sont pires encore, préférant défendre les augmentations de salaires plutôt que lutter contre les suppressions de postes.
Personne ne dit qu’il est incroyable de devoir parler à la génération qui occupe les postes de responsabilité au gouvernement, dans la fonction publique, dans les médias et les syndicats, de la désintégration de la société et des vies gâchées qu’engendre la récession économique quand cette génération est arrivée à l’âge adulte au cours des années 80 où le taux de chômage était très élevé.
A l’époque, comme aujourd’hui, la plupart des victimes n’avaient pas grand-chose en commun avec Anjool Malde. Ces victimes vivent dans la pauvreté, la dépendance aux drogues et la maladie mentale plutôt que dans le rêve.
Néanmoins, Anjool Malde n’est pas tout à fait l’exception remarquable qu’il y paraît. Les conseillers d’orientation perplexes d’Oxford et de Cambridge et d’autres universités renommées disent que si dans les périodes fastes les étudiants sont avides de s’assurer un bon avenir professionnel, aujourd’hui, alors qu’il faudrait qu’ils y mettent davantage de détermination, ils sont gagnés par le désespoir.
Leur résignation se comprend, dans la mesure où ils ont été frappés par une crise que personne n’avait vu venir.
Bien moins excusable est la paralysie de leurs aînés qui auraient dû prévoir ce qui allait se passer pour en avoir fait l’expérience.
Nick Cohen
Source : The Guardian
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2009/jul/12/young-people-lessons-recession
Traduction emcee Des Bassines et du Zèle pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info
Note
* New Deal of the Mind (en anglais)
http://www.newdealofthemind.com/