(25 avril 2017) Mike Pompeo, dans son premier discours en tant que directeur de la CIA, a choisi de déclarer la guerre à la liberté d’expression plutôt qu’aux véritables adversaires des États-Unis. Il s’en est pris à WikiLeaks, dont je suis le rédacteur en chef, en tant que "service de renseignement hostile non étatique". Dans la vision du monde de Pompeo, dire la vérité sur l’administration peut être un crime - comme l’a rapidement souligné le procureur général Jeff Sessions lorsqu’il a décrit mon arrestation comme une "priorité." Les organismes de presse ont rapporté que les procureurs fédéraux sont en train d’évaluer s’il faut porter des accusations contre les membres de WikiLeaks, incluant peut-être la conspiration, le vol de propriété gouvernementale et la violation de la loi sur l’espionnage.
Tout ce discours pour étouffer l’affaire vient en réaction à la première publication au début de la série "Vault 7" de WikiLeaks. Vault 7 a commencé la publication de preuves de l’incompétence remarquable de la CIA et d’autres lacunes. Cela inclut la création par l’agence, pour plusieurs milliards de dollars du contribuable, de tout un arsenal de cyber-virus et de programmes de piratage - sur lesquels elle a rapidement perdu le contrôle et a ensuite essayé de couvrir les pertes. Ces publications ont également révélé les efforts de la CIA pour infecter les produits de consommation et les automobiles omniprésents dans le public avec des virus informatiques. Lorsque le directeur de la CIA, un fonctionnaire non élu, diabolise publiquement un éditeur tel que WikiLeaks en le qualifiant de "fraude", de "lâche" et d’"ennemi", il met tous les journalistes en garde, ou devrait le faire. Le prochain point de discussion de Pompeo, non étayé par des faits, selon lequel WikiLeaks est un "service de renseignement hostile non étatique, est une dague visant le droit constitutionnel des Américains à recevoir des informations honnêtes sur leur gouvernement. Cette accusation reflète les tentatives, tout au long de l’histoire, des bureaucrates cherchant, et échouant, à criminaliser les discours qui révèlent leurs propres manquements.
Le Président Theodore Roosevelt a compris le danger de céder à ces "personnes stupides ou traîtresses qui s’efforcent de faire un crime du fait de dire la vérité sur l’Administration lorsque celle-ci est coupable d’incompétence ou d’autres manquements". Une telle "entreprise est elle-même un crime contre la nation", écrit Roosevelt. Le président Trump et ses fonctionnaires devraient tenir compte de ce conseil.
Les mots comptent, et je suppose que Pompeo voulait dire les siens quand il a dit : "Julian Assange n’a pas de libertés du Premier Amendement. Il est assis dans une ambassade à Londres. Il n’est pas citoyen américain." Sur le plan juridique, cette déclaration est tout simplement fausse. Elle souligne à quel point il est dangereux pour un fonctionnaire non élu dont le travail de l’agence est fondé sur le mensonge et la tromperie d’être le seul arbitre de la vérité et l’interprète de la Constitution.
Pompeo a fait preuve d’un remarquable absence d’ironie lorsqu’il a suggéré que WikiLeaks "se concentre plutôt sur les régimes autocratiques de ce monde qui suppriment réellement la liberté d’expression et la dissidence" - alors même qu’il a appelé à une répression de ce type de discours. En fait, Pompeo se retrouve en compagnie de Recep Tayyip Erdogan de Turquie (257 934 documents publiés par WikiLeaks), de Bachar al-Assad de Syrie (2,3 millions de documents) et de la dictature en Arabie Saoudite (122 609 documents), pour ne citer que ceux qui ont tenté de censurer WikiLeaks sans succès.
Pompeo était autrefois un fan de WikiLeaks. Le 24 juillet, Pompeo, alors un politicien engagé, a tweeté avec jubilation : "Vous avez besoin d’une preuve supplémentaire que le président Obama a mis le paquet ? 19 252 courriells du DNC [organe dirigeante du Parti Démocrate - NdT] divulgués par WikiLeaks". Pompeo a aimé WikiLeaks quand il a eu l’impression qu’elle publiait des documents révélant les défauts de ses rivaux politiques. Ce n’est que lorsque nos publications ont touché le bol de riz de Pompeo que WikiLeaks est devenu sa cible. Pompeo a ensuite supprimé le tweet, mais il apprend qu’à l’ère du numérique, la vérité est difficile à cacher. On ne peut pas aimer la vérité un jour et chercher à la supprimer et à faire incarcérer son éditeur le lendemain.
Lorsqu’il était candidat, Trump a tweeté : "Très peu de reprise par des médias malhonnêtes des informations incroyables fournies par WikiLeaks." Le président a mentionné WikiLeaks 164 fois au cours du dernier mois de l’élection et eut ce cri du coeur : "J’adore WikiLeaks."
Tous les gouvernements démocratiques sont gérés par des êtres humains imparfaits. Et les autocraties sont bien pires - le "dictateur bienveillant" est un mythe. Ces êtres humains, qu’ils soient démocratiques ou autocratiques, commettent des erreurs et des crimes, et se servent souvent eux-mêmes plutôt que de leur pays. Ils sont au centre des publications de WikiLeaks.
La "doctrine Pompeo" articulée dans son discours prend au piège toutes les informations sérieuses et les organisations d’enquête sur les droits de l’homme, de ProPublica à Amnesty International en passant par Human Rights Watch. La logique selon laquelle WikiLeaks, ou ces organisations, sont en quelque sorte des "agences de renseignement" serait aussi absurde que la suggestion selon laquelle la CIA est un média. Tant les journalistes que les agences de renseignement cultivent et protègent leurs sources, collectent des informations et rédigent des rapports, mais les similitudes s’arrêtent là. Le monde ne peut pas se permettre, et la Constitution ne le permet pas, de museler le travail que les organisations de transparence accomplissent pour informer le public américain et mondial.
Les questions fondamentales de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, et de l’interaction entre la liberté et la sécurité, datent de la fondation de la République. Ceux qui croient à la persécution et à la suppression de la vérité pour défendre leurs propres chapelles sont inévitablement oubliés par l’histoire. Dans un combat loyal, comme l’a fait observer John Milton, la vérité l’emporte toujours.
Julian Assange
Traduction "c’est pas comme si on n’avait pas été prévenus" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles