Le problème n’est pas en soi la démocratie mais certainement un type de démocratie, une gouvernance des élites qui finit toujours par favoriser les puissants et les riches.
Par ailleurs, il semble falloir admettre que l’Etat social, soit ce « capitalisme social » post Deuxième Guerre mondiale de 1946 (jusqu’au néolibéralisme de privatisation 40 ans plus tard) relève de « l’institution d’un imaginaire » (Castoriadis) social et national. Il s’agit d’un socle plus que d’une construction théorique cohérente. Ce socle imaginaire « fait tenir une société » et ici la société française. Ce socle, quoique assez flou pour un grand nombre de personnes de ce pays, est plus puissant comme fondation que « l’économique-concurrentiel » du néolibéralisme qui n’a sûrement pas cette fonction de cohésion et de fondation, bien au contraire puisque le « concurrentialisme » ne cesse d’opérer des clivages et de créer des exclusions, des inégalités économiques et sociales de plus en plus grandes.
I - Le mouvement d’en-bas de 2018 à 2020 face à Macron
A - La rue en plus des urnes .
De novembre 2018 avec les Gilets jaunes jusqu’à décembre 2019 et janvier 2020 mobilisé par un syndicalisme de classe et de masse il apparait un long refus d’une nouvelle dérive du « capitalisme social » (1945-75 ) en France ; une dérive poursuivie vers un capitalisme néolibéral ou ultra-libéral ou financiarisé, avec refus de la capitalisation pour la retraite.
Ce refus s’exerce ainsi dans la rue – ici comme dans d’autres pays – car la démocratie libérale dite représentative avec ses « moments fondamentaux » (Pierre-Henri Tavoillot) n’a pas su ou n’a pas permis de conserver le principe de l’Etat social (avec ses services publics gratuits et son Etat fiscal redistribuait).
En effet, tous les partis politiques et tous les syndicats de salariés ne se sont pas employés à jouer leur rôle de contre-pouvoirs syndical face au MEDEF et aux fonds de pension. Mais une intersyndicale a pu mobiliser en décembre 2019 et janvier 2020 pour empêcher une nouvelle atteinte au modèle social national.
B - Pouvoir et contre-pouvoir intra-bloc dominant ou hors bloc dominant .
CFDT : Côté des contre-pouvoirs de la société civile, la CFDT, telle qu’elle a évolué depuis les années 70, apparait nettement comme un organe syndical ayant trop permis le passage d’un capitalisme social à un capitalisme de privatisations et de financiarisations porteurs de trop d’inégalités sociales en faveur du 1% et de la haute finance. On a pu dire qu’elle agissait au sein du bloc social dominant .
PS : De leur côté les mécanismes de la démocratie représentative n’ont pas permis de freiner cette évolution pernicieuse en laissant les droites naturellement du côté du bloc des riches et pro-marchandisation de tout aux commandes. Dans le champ politique à gauche on a eu un PS dominant qui n’a pas su garder les bases de l’Etat social, quitte à les améliorer vers plus de garanties et non vers moins. CFDT et PS sont pareillement ciblés, chacun dans son champ, comme responsable de cette évolution.
Besoin de gauche : On voit dès lors qu’il y a besoin d’une vraie gauche dans ce pays, bien en capacité de défendre le peuple-classe contre la finance et le 1%. Il y a besoin aussi d’un syndicalisme de classe et de masse mais il existe et il a fait preuve de son activité fin 2019, début 2020. On peut toujours critiquer telle ou telle pratique il n’empêche qu’il a su mobiliser contre la retraite à points de Macron.
II - Retour sur la démocratie, son « démos » (peuple qui débat et vote) et son « kratos » (gouvernement qui décide)
Reprenons Pierre-Henri Tavoillot déjà cité. Voici ce qu’il écrivait en 2013 (2) : « A la question « Qui est le peuple qui doit gouverner le peuple en démocratie libérale ? », on peut penser qu’il ne faut pas espérer trouver une figure mystique et substantielle à incarner mais, d’abord et avant tout, une méthode à mettre en œuvre. Pris en ce sens « procédural », le peuple se définit assez aisément selon quatre moments fondamentaux. Il faut pour qu’il y ait « peuple démocratique » : 1) des élections libres ; 2) une délibération publique et ouverte ; 3) une décision politique ; 4) une reddition de compte. Ces quatre moments sont nécessaires pour parler de démocratie (même s’ils peuvent prendre des formes très diverses dans l’histoire et dans le temps) ; et quand l’un d’entre eux fait défaut, le système ne fonctionne plus. » Pour l’auteur, le problème démocratique ne se pose pas au niveau du « Demos » – ce que j’aurais tendance à penser avec d’autres – mais au niveau du « Kratos » (démocratie) car il ajoute : « Or, parmi ces quatre moments, c’est aujourd’hui celui de la décision qui semble le plus atrophié. Les libéraux, que nous sommes tous devenus, adorent les élections, idolâtrent la délibération, vénèrent les redditions de compte ... mais détestent le moment de la décision. »
En fait, une décision (« karts » ) , et même une série de décisions (lois ou autres), assez nettement favorable au monde du travail et au peuple-classe – bien que divers et hétérogène – ne saurait être contestée sérieusement par une large fraction de peuple. Le problème est qu’elle apparait rare au regard d’un examen de ces 40 dernières années (2). Par contre, au niveau du « demos », il y a problème à dégager et faire élire des candidats de gauche, en capacité à changer l’ordre des choses. Nous disons sommairement de gauche dans la mesure ou la droite défends ordinairement surtout les patrons et les riches et la gauche les travailleurs et le peuple-classe 99%, du moins en principe car le réel montre une trahison ou un éloignement problématique.
III - Changement de référence sur la définition : De la procédure à la démocratisation
A propos de démocratie, nous devons sans doute, changer de références et de paradigme. A Pierre-Henri Tavillon et à sa réduction de la démocratie à une procédure en quatre moments (ou l’on reconnait le Demos et le Kratos) on peut mettre en avant la thèse de Catherine Colliot-Thélène avec cette citation :
« La démocratie, dans son histoire, est avant tout un processus de démocratisation reposant sur l’invention de droits et sur leur extension. » Catherine Colliot-Thélène montre alors que la constitution de ce processus crée une tension entre deux sujets politiques : le peuple comme sujet national et l’individu comme sujet de droit, compris comme pouvoir d’arrachement à toute appartenance. » cf :https://laviedesidees.fr/Peuple-et-democratie.html Les 12 thèses d’ATTAC sur démocratie et transformation de jadis (4) sont dans cette veine théorique.
A - La circulation des élites néolibérales favorise un entre soi des ploutocrates, des patrons et cadres pervers « façon suicide chez Orange » : Vouloir rompre avec cette barbarie de la finance et de Macron est un pas dans la résistance et l’alternative.
Remarquons alors que l’oligarchisation ou si l’on préfère la ploutocratisation de la démocratie réellement existante liée au néolibéralisme constitue une inversion de ce processus de démocratisation constitutif de droits pour tous et toutes, y compris pour les plus modestes ou les plus faibles. Le peuple-classe de France refuse pour parler comme Wilfredo Pareto le processus de gouvernance des élites (ploutocratisation pour des fonds de pension) et de soumission des masses (le peuple-classe) dans la dégénérescence des droits et de leur effectivité. Il y a besoin de services publics pour la mise en oeuvre des droits : droits au logement, droit à lassant, à l’enseignement, etc.
Citation de Denis Collin : « La fin de la menace soviétique et la chute symbolique du mur de Berlin ont permis à l’oligarchie financière de se débarrasser des contraintes du compromis de 1945 et d’engager un mouvement d’expropriation des biens collectifs qui n’est pas sans rappeler les “ enclosures ” britanniques, avec la volonté à peine déguisée de réduire toute une partie de la population à l’état de clochards à qui l’on pourrait ensuite appliquer les lois sur les pauvres et l’enfermement dans les maisons de travail. » (3)
J’ajoute ici mon propre texte : « La thatchérisation du monde et l’extrême-droite économique : un trajet vers la ploutocratisation du monde. » http://amitie-entre-les-peuples.org/La-thatcherisation-du-monde-et-l-extreme-droite-economique
B - Des Gillets jaunes à François Shalchli : La politique pour tous, y compris ceux et celles en-bas, et même en-dessous d’en-bas.
Un enjeu, évoqué en 2012, par François Shalchli dans « Constituer la politique en bien commun » (Ed. La Brochure) consiste à s’approprier la politique, car pour celles et ceux d’en-bas, « cela ne va pas de soi ». Cela demande à bon nombre de citoyens du peuple-classe de casser la « clôture » (du champs de la représentation - Bourdieu) . Rien d’évident.
Avant de penser « prendre le pouvoir » (d’Etat avec une gauche de gauche) il faut commencer à « se donner du pouvoir » (empowerment ) dans la société civile (clivée par de multiples rapports sociaux), tant individuellement que collectivement, si possible hors « entre soi » communautaire, tant pour les hommes que pour les femmes, tant pour les jeunes que pour les vieux.
Christian Delarue
1) Le long déclin du capitalisme social. Christian DELARUE -
http://amitie-entre-les-peuples.org/Le-long-declin-du-capitalisme-social-Christian-DELARUE
2) Blog de Pierre-Henri Tavoillot : « Qui doit gouverner ? » : une question dépassée ?
https://pagepersodephtavoillot.blog...
« Le gouvernement des principes,ou la fin de la démocratie délibérative »
https://www.lefigaro.fr/vox/societe...
3) in Du républicanisme au socialisme : la question de la propriété. Denis Collin-
http://amitie-entre-les-peuples.org/Du-republicanisme-au-socialisme-la
Néolibéralisme : Un bloc social des gagnants et des forts. Christian Delarue
http://amitie-entre-les-peuples.org/Defense-des-consommateurs-du-peuple-classe-I
4) Démocratie et transformation sociale : Douze thèses pour la réflexion d’Attac -
http://amitie-entre-les-peuples.org/Democratie-et-transformation