RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Le choix de la défaite - Les élites françaises dans les années 1930

Comment, pour préserver leur domination sociale, les élites économiques et politiques françaises firent le choix de la défaite.

Un grand livre d’histoire se définit premièrement par la découverte et l’exploitation méthodique de documents assez nombreux pour permettre des recoupements, deuxièmement, par un point de vue qui structure l’enquête sur le passé (Annie Lacroix-Riz répond à Marc Bloch qui, avant d’être fusillé en 1944, s’interrogeait sur les intrigues menées entre 1933 et 1939 qui conduisirent à cette « étrange défaite »), troisièmement, par une théorie qui permet de penser l’histoire. Pour l’auteure, la lutte des classes est une affaire de longue durée et peut susciter des alliances et l’usage de toutes les techniques sociales de domination. Ce livre montre bien que les dirigeants du capitalisme n’ont eu de cesse, depuis la révolution bolchevique en Russie, l’organisation du Parti communiste français et la montée en puissance d’une classe ouvrière qui menaçait le partage des profits, non seulement de reprendre le terrain perdu mais aussi d’empêcher toutes menées contestataires. Il montre que les dirigeants des différents secteurs savent faire front commun quand ils estiment leurs intérêts menacés.

L’alliance entre le grand patronat, ses organisations, la banque, la presse et le monde politique soutiendra d’abord le rêve d’une union des impérialismes dont le nazisme serait en quelque sorte le bras armé pour défaire le bolchevisme et retrouver, en Russie, les marchés perdus. Cette orientation générale, qui, bien sûr, connaît des variations en fonction des fluctuations politiques, conduira à abandonner la Tchécoslovaquie, les pays d’Europe centrale et orientale et l’Espagne, aux menées de l’axe Rome-Berlin.

Cette alliance rêvait aussi de réduire à merci la classe ouvrière. Très tôt « l’admiration pour la ferme gestion des rapports sociaux avait fasciné le patronat », écrit l’auteure. La politique de Hitler qui supprimait les syndicats, réussissait à obtenir une « classe ouvrière désintégrée », vantait les rapports confiants entre employeurs et salariés, célébrait le travail et affirmait que l’effort et le risque devaient être récompensés, enchantait le patronat. Pour réussir à imposer la même politique en France, l’alliance des dominants emploie bien sûr les techniques classiques mais a aussi recours aux moyens illégaux en préparant des complots pour abattre la République. Cette alliance repose sur un mouvement la synarchie capable bientôt de se doter d’un appareil secret la Cagoule et même d’une organisation armée : le CSAR. Elle cherche à imposer un « gouvernement fort », comme le dira plusieurs fois l’ambassadeur de France François Poncet à Hitler. Les divers moyens utilisés ne réussissant pas (échec de la marche sur l’Assemblée nationale de 1934, tentative déjouée de coup d’État armé en 1937), il reste à s’allier de plus en plus avec le nazisme qui, seul, devrait permettre à cette stratégie de victoire définitive sur la classe ouvrière de réussir. Les compromissions, le renforcement de la présence nazie en France, les accords entre les entreprises qui précèdent la « collaboration » fructueuse des milieux d’affaires conduisent progressivement à l’« étrange défaite » de 1940. Dès lors, Pétain et Laval dirigent un gouvernement d’hommes d’affaires et prennent toutes les mesures régressives et répressives.

On l’a compris, voilà un livre appuyé sur une documentation irréfutable qui dérangera tous ceux pour qui la « lutte des classes » est une fadaise : il montre comment les dominants savent s’allier pour imposer la vision du monde qui, croient-ils, sert au mieux leurs intérêts, leur position et leur identité.

Christian de Montlibert, sociologue

(paru dans L’Humanité, 9 mars 2007)

Le choix de la défaite. Les élites françaises dans les années 1930,
par Annie Lacroix-Riz. Éditions Armand-Colin, 2006, 35,50 euros.

URL de cet article 7316
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
Pourquoi les riches sont-ils de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ?
Monique Pinçon-Charlot - Michel Pinçon - Étienne Lécroart
Un ouvrage documentaire jeunesse engagé de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, illustré par Étienne Lécroart Parce qu’il n’est jamais trop tôt pour questionner la société et ses inégalités, les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, passés maîtres dans l’art de décortiquer les mécanismes de la domination sociale, s’adressent pour la première fois aux enfants à partir de 10 ans. Avec clarté et pédagogie, ils leur expliquent les mécanismes et les enjeux du monde social dans lequel ils vont grandir et (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Personnellement, je n’ai jamais très bien compris ce qu’est le féminisme. Je sais par contre que les gens me qualifient de féministe chaque fois que j’exprime une idée qui me différencie d’un paillasson ou d’une prostituée.

Rebecca West

Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.