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Le G20 : Il faut que tout change pour que rien ne change ! (*)

Le sommet international du G20 (Summit on Financial Markets and the World Economy) s’est réuni le 15 novembre 2008 à Washington dans l’objectif de tracer les pistes d’un « futur ordre économique international », que certains, un peu excités, n’ont pas hésité de qualifier de Bretton Woods II : tout un programme ! Plus sérieusement, de quoi s’agit-il et surtout, pourquoi ce sommet s’est-il réuni ?

Ce sommet intervient un mois après la quinzaine noire (deux premières semaines d’octobre) d’une crise bancaire sans précédent dans laquelle de prestigieux établissements financiers ont été liquidés (Lehmann Brothers, Integrity Bank) ou rachetés in extremis (Merril Lynch, Bear Stearns...) quand ils n’ont pas tout simplement été nationalisés en extrême urgence pour éviter une onde de choc qui aurait emporté l’ensemble du monde de la finance (AIG, Freedy Mac, Fannie Mae, Fortis, Northern Rock, Bradford & Bingley...). Cette double crise financière et bancaire a planté le spectre de la récession (recul du PIB), funeste dans un premier temps aux profits des entreprises, lesquelles ne manqueront pas ensuite de reporter ce fardeau sur les classes et couches populaires avec baisses de salaires et croissance du chômage et de la précarité.

Pourtant, depuis 2003-2004, quelques années après le krach de la bulle Internet, les marchés mondiaux semblaient sur une trajectoire vertueuse : hormis les douloureuses et non résolues questions du changement climatique et de l’autosuffisance alimentaire, les pays développés renouaient avec la croissance et de nombreuses économies, et non des moindres (Chine, Inde, Brésil, Russie...), émergeaient enfin réellement. Le seul problème était le moteur de croissance : il s’agissait de profits obtenus par un endettement excessif des ménages (tout particulièrement aux États-Unis), avec ce phénomène des créances « subprime » difficilement recouvrables qui ont été diffusées à l’ensemble de la planète financière. Faute de nouvelles technologies propres à réouvrir un autre cycle de croissance, le capital n’a alors guère d’autre moteur de profits que l’endettement toujours plus poussé de certains ménages par rapport à d’autres (qui encaissent des profits) et lorsque celui-ci devient insupportable, l’appel à la rescousse des États invités à se substituer aux ménages endettés. Pour faire simple, il suffit que les États pratiquent volontairement le déficit budgétaire en dépensant largement plus que ce qu’ils lèvent en impôts. Comble du ridicule, ce sont les bénéficiaires de ces profits qui peuvent ensuite financer ces mêmes États en déficit...

De nombreux évènements avant ce sommet du G20 nous ont montré ce nouveau cours. Commençons d’abord par l’annonce la plus saugrenue de la semaine passée qui nous vient des États-Unis : American Express a obtenu de la Federal Reserve le statut de banque commerciale qui lui permettra ainsi de bénéficier du fonds d’accès de 700 milliards de dollars dans le cadre du Trouble Assets Relief Program (TRAP) et de se refinancer facilement par émission de nouvelles obligations sur les marchés alors que le montant de ses impayés monte en flèche !

Le 12 novembre, en Allemagne, le « Comité des sages », groupe de cinq membres choisis tous les cinq ans par le Président chargé de conseiller le gouvernement estimait que le plan de relance allemand de 23 milliards d’euros sur quatre ans n’était pas assez ambitieux. Ce comité « ne plaide pas pour un programme conjoncturel de court terme, mais pour des mesures financières qui permettent une véritable politique de croissance », quitte à la financer par endettement, revirement étonnant pour un comité habituellement partisan de la rigueur budgétaire. Le même jour, la Banque d’Angleterre, suite à une baisse de 1,5% de son taux directeur (du jamais vu dans ce pays !), déclarait que sa politique de baisse des taux devait être relayée au plus vite par une relance budgétaire, relance budgétaire déjà largement promue par Gordon Brown dont on attend avec impatience son budget pour le 24 novembre. Toujours le même jour, la Chine, dont la croissance ne fait que se ralentir, y va de son plan de relance de 586 milliards de dollars faisant bondir la bourse de Shanghai de plus de 7%.

Nous assistions ensuite au bal des organisations internationales pour relayer ces annonces. Il s’ouvrait avec la Banque mondiale qui annonçait qu’elle allait tripler ses capacités de prêts pour 2009 en les portant à 35 milliards de dollars. Ne serait-on pas en train de rejouer le scénario de la dette du Tiers-Monde ? Jeudi 13 novembre, l’OCDE affichait ses recommandations. Face à la récession, le remède qu’elle appelle de ses voeux est la relance budgétaire, tout en indiquant que si le retour à la confiance passe nécessairement par la dépense publique, un recours excessif et non encadré à cette stratégie risque d’être dévastateur compte tenu du niveau actuel d’endettement des pays développés...

Le cadre est alors planté pour ce sommet du G20 qui s’est réuni samedi 15 novembre. Tout le monde est convaincu que l’endettement public est plus que jamais à l’ordre du jour pour alimenter les moteurs du profit mais qu’il faut une solidarité sans faille des principales puissances mondiales pour prévenir, autant que faire se peut, de nouvelles crises systémiques. La déclaration finale est un florilège d’exercice de style pour tenter de prouver que cette voie est viable.

Après avoir rappelé qu’ils sont guidés dans leurs travaux « par la conviction commune que les principes du marché, des économies ouvertes et des marchés financiers correctement réglementés favorisent le dynamisme, l’innovation et l’esprit d’entreprise qui sont indispensables à la croissance économique, à l’emploi et à la réduction de la pauvreté », la déclaration indique qu’au-delà des efforts « nécessaires pour stabiliser le système financier », il faut « reconnaitre l’importance du soutien que la politique monétaire peut apporter, dans les conditions appropriées à chaque pays » et « utiliser des mesures budgétaires pour stimuler la demande interne avec des résultats rapides, en tant que de besoin tout en maintenant un cadre de politique conduisant à la soutenabilité budgétaire. ». En deux mots, on se félicite des politiques monétaires et budgétaires, tout en reconnaissant implicitement leurs limites, ce qui résume la grande difficulté de l’exercice. D’office, le décor est planté : « Le FMI, en coopération avec le FSF élargi et d’autres organisations, doit mieux identifier les points de vulnérabilité, anticiper les tensions potentielles et agir rapidement afin de jouer un rôle clé dans le traitement des crises » avec une « révision du mandat, de la gouvernance et des besoins en ressources des institutions financières internationales ».

On pourrait alors s’attendre à une réforme en profondeur du système financier international, avec éventuellement une limitation de la circulation des capitaux pour endiguer d’éventuelles propagations. Que nenni : « Nous reconnaissons que ces réformes ne porteront leurs fruits que si elles s’appuient sur des économies fondées sur les principes du libre marché, notamment l’état de droit, le respect de la propriété privée, l’ouverture des échanges et des investissements, la concurrence entre les marchés et des systèmes financiers efficaces et régulés de manière adéquate ». Qu’est-ce qu’une régulation adéquate ? Quelques lignes plus loin, la réponse nous est donnée : « Reconnaissant la nécessité d’améliorer la régulation du secteur financier, nous devons éviter une régulation excessive qui entraverait la croissance et exacerberait la réduction des flux financiers, y compris vers les pays en développement ».

« A cet égard, dans les douze mois à venir, nous nous abstiendrons d’ériger de nouvelles barrières à l’investissement ou au commerce des biens et des services, d’imposer des nouvelles restrictions ou de mettre en oeuvre des mesures de stimulation des exportations contraires aux règles de l’OMC ». Une telle déclaration ne peut que prêter à sourire lorsque le vendredi précédent, José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, mettait en garde, sur la radio Europe 1, les États-Unis contre le soutien financier au secteur automobile que le Congrès américain est en train de discuter : « Bien sûr, si c’est une aide d’État illégale, on va agir sur le plan de l’OMC ». De belles foires d’empoigne en perspective...

Heureusement, la déclaration finale du G20, grâce à deux lignes salvatrices, n’oublie pas que « Nous restons engagés dans le traitement des autres défis majeurs comme la sécurité énergétique et le changement climatique, la sécurité alimentaire, l’état de droit, et la lutte contre le terrorisme, la pauvreté et les maladies ». Ouf, nous allions oublier que 800 millions de personnes dans le monde ne mangent pas à leur faim, que plus de 50% de la population mondiale vit avec moins de 2 dollars par jour, et que le changement climatique induit par nos modes de production et de consommation nous guette tous.

S’ensuit un « Plan d’action pour la mise en oeuvre des principes de réforme » décliné en cinq axes avec des objectifs à court terme (avant le 31 mars 2009) et d’autres à moyen terme :

- Renforcer la transparence et la responsabilité
- Promouvoir une régulation saine
- Promouvoir l’intégrité des marchés financiers
- Renforcer la coopération internationale
- Réformer les Institutions Financières Internationales

Le dernier axe clôture toute une série de mesures et comporte une intéressante prospective : « Nous devons passer en revue l’adéquation des ressources du FMI, du groupe de la Banque mondiale et des autres banques multilatérales de développement et nous tenir prêt à les accroitre là ou ce sera nécessaire. Les institutions financières internationales doivent aussi continuer à passer en revue et à adapter leurs instruments de prêts pour répondre de manière appropriée aux besoins de leurs membres et revoir leur rôle de préteurs à la lumière de la crise financière en cours ». En clair, il devient urgent, après l’endettement excessif des ménages, de préparer les outils pour contrer de futures crises de la dette publique. Préparons le terrain...

Voilà donc la réalité du capitalisme contemporain et mondialisé : il ne peut plus générer de profits et donc à la fois se reproduire et investir sans recourir à l’endettement massif des ménages et des États. Cet endettement des ménages a été le moteur de la reprise économique des années 2003-2004 et la crise des « subprime » nous a montré combien cet endettement ne peut s’étendre à l’infini. Il en sera de même de l’endettement des États et ce sommet n’a comme seul objectif que de chercher à prévenir de nouvelles crises de la dette publique. Face à cela, la grogne monte et seule, une autre économie, dont le moteur ne sera plus la valorisation du capital mais la satisfaction des besoins humains, sera en mesure de répondre de façon réelle et définitive à cette crise dont les origines remontent aux années 70 et 80.

Benoit Borrits

(*) Le Guépard, Guiseppe Tomasi Di Lampedusa

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Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

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