La crise des « subprime » n’en finit pas de faire des ravages. A l’origine de celle-ci, des courtiers cyniques ont négocié des crédits immobiliers pour des ménages à des conditions qu’ils savaient intenables. Cela n’avait pas d’importance pour les banques... tant que le marché immobilier montait : si le ménage ne paye pas, on l’expulse, on récupère la maison, on revend, on s’en met plein les fouilles. Oui, mais si le marché de l’immobilier baisse ? Personne n’y avait pensé ou tout au moins personne n’osait évoquer cette hypothèse tant elle faisait froid dans le dos : si la banque vend un bien immobilier saisi qui vaut moins que le montant du prêt, la banque perdra de l’argent et si les banques perdent trop d’argent, c’est alors la valeur de leurs dettes, c’est-à -dire de nos dépôts qui est en question.
Pendant longtemps, cette crise a été masquée par divers artifices. Le principal consistait à « titriser » ces prêts immobiliers. Les banques savent que ces créances sur des ménages financièrement fragiles sont douteuses, elles les regroupent en produits financiers qu’elles revendent sur les marchés financiers : on vient de transformer des créances « pourries » en produits financiers à « haut rendement » que tous les établissements financiers (banques, compagnies d’assurance, fonds commun de placement, fonds de pension) vont acheter. Au final, on ne sait plus très bien qui a quoi, les banques refusent de se prêter de l’argent entre elles, ce qui réduit le crédit accordé aux agents économiques. Devant cet assèchement du marché interbancaire, les banques centrales vont alors refinancer les établissements bancaires, y compris en acceptant de mauvaises créances... Mais cela ne suffit toujours pas. Les établissements financiers tombent un à un, certains étant rachetés in extremis par des concurrents (Bear Stearns, Wachovia...), d’autres étant nationalisés (AIG, Fannie Mae, Freddie Mac), un dernier, et non des moindres, étant tout simplement abandonné (Lehman Brothers).
Il devenait clair que le système bancaire américain se trouvait dans une spirale infernale qui le menaçait de façon globale. C’est dans ce contexte qu’a été annoncé le plan Paulson : 700 milliards de dollars pour racheter les créances pourries des banques et assainir définitivement le système bancaire. Les marchés semblaient rassurés : le Dow Jones prendra 7,3% en deux jours (18 et 19 septembre). Pour l’américain de la rue, celui qui vit de son travail, ce montant est outrageux. Notons qu’il dépasse ce qu’a déjà coûté la guerre en Irak (500 milliards de dollars, source : « National Priorities Projet »). Comment accepter que des banques qui se sont mises en péril pour offrir une rentabilité toujours plus forte à des actionnaires soient renflouées au dernier moment pour éviter que les déposants ne perdent leur mise ? C’est ce que l’on résume sous la formule « privatiser les gains pour socialiser les pertes » et on comprend que l’américain moyen soit révolté du procédé.
C’est cette vague de mécontentement que les représentants républicains ont surfé avec succès au point de réduire les ambitions du plan Paulson (250 milliards de dollars, puis une tranche complémentaire de 100 milliards) pour finalement le rejeter ce lundi 29 septembre. Le monde est frappé de stupeur face au rejet d’un plan présenté comme celui « de la dernière chance » ou encore « le seul possible ». Les bourses de valeurs plongent à nouveau pour se redresser légèrement le lendemain sur « trop horrible pour être vrai ». Si ce sont les républicains qui sont en tête de la contestation du plan Paulson au nom d’un intégrisme de marché éhonté (« pas d’intervention de l’État dans la sphère économique », « les marchés sont les mieux à même de réguler la crise ») et d’une qualification « socialiste » de ce plan, qualification acceptée par la quasi-totalité de la presse (y compris Le Monde diplomatique du mois d’octobre), il convient d’examiner en quoi ce plan serait « socialiste ».
La compréhension la plus commune et consensuelle du terme « socialisme » est un régime économique fondé sur la propriété collective du capital. Qu’est-ce que le capital ? Un ensemble de biens matériels (immeubles, machines de production...) ou immatériels (connaissance, procédé de fabrication...) qui se réaliseront dans le futur sous forme de biens ou de services de consommation, sous forme de valeurs d’usages. Or le futur est tout ce qu’il y a de plus incertain. L’entrepreneur qui achète une machine qu’il compte utiliser sur 20 ans n’a absolument aucune idée de la conjoncture économique dans laquelle nous serons dans 10 ans. Il est possible qu’il y ait de nouvelles technologies qui rendent sa machine obsolète et il aura alors fait un très mauvais choix. Les salariés que l’on pousse à cotiser à des plans de retraite par capitalisation n’ont aucune idée de la façon dont les marchés vont se comporter dans 15 ans : vont-ils devoir payer les frais d’une crise boursière et recevoir un revenu inférieur à ce qu’ils avaient anticipé ou, au contraire, bénéficier d’une hausse des marchés financiers qui va leur donner un niveau de vie inespéré (et ce, aux dépens des générations suivantes....). Lorsqu’un accédant à la propriété achète un bien immobilier, il s’endette sur de nombreuses années : qu’est-ce qui nous dit qu’il fait une bonne affaire ? N’aurait-il pas dû attendre pour acheter moins cher ? Ne risque-t-il pas d’être endetté au-delà du prix futur de son bien immobilier ? C’est ce qui explique qu’en contrepartie de cette incertitude, les détenteurs privés de capital cherchent à obtenir un profit, profit qui n’est jamais qu’une extorsion des fruits du travail.
Il y a donc bien deux visions de la société. Une vision « capitaliste » dans laquelle on estime que le capital, c’est-à -dire la promesse d’une consommation future, puisse être détenu de façon privée et donc, se négocier. Une vision « socialiste » dans laquelle on estime qu’il est préférable que le capital soit une propriété commune (au même titre que le capital naturel), dans laquelle le risque propre à l’investissement est assumé collectivement, ce qui évite à chacun des appauvrissements et enrichissements déconnectés de tout apport en travail et garantit à tous un droit d’accès à la consommation en fonction de critères démocratiquement prédéterminés. Dans la première vision, on cherche à s’approprier de façon privée un stock anticipant une consommation future et donc à lui donner un prix, dans la seconde, on s’intéresse essentiellement aux flux qui en découlent. Lorsque l’État américain rachète à un prix donné des créances douteuses, voire des établissements bancaires entiers, cet État pratique le capitalisme : il fixe un prix à des actifs existants. Rien ne nous dit que ces rachats seront des mauvaises ou des bonnes affaires : s’il les revend ultérieurement plus chers, ce sera une bonne affaire pour la population ; dans le cas contraire, une mauvaise et le contribuable devra payer la différence. La population américaine ne veut tout simplement pas courir ce risque, risque qu’on essaye aujourd’hui de lui refourguer au nom de l’indispensable sauvetage du système bancaire.
Quelle serait alors une alternative réellement socialiste à ce plan ? Comme nous sommes incapables de donner un prix à ces actifs, la solution consiste à procéder à une nationalisation sans aucune contrepartie immédiate de l’ensemble du secteur financier américain. La première tâche de ce secteur financier nationalisé sera de dénouer ces prêts immobiliers douteux. Lorsque l’acquéreur ne peut plus payer, la saisie du bien doit s’accompagner du maintien de l’occupant dans les lieux : le bien immobilier rentre ainsi dans le parc de logements sociaux et l’occupant se verra garantir le maintien de son toit contre paiement d’un loyer raisonnable. C’est ainsi que nous aurons alors une idée un peu plus précise de la valeur des flux de trésorerie que ce capital bancaire sera capable de générer et de garantir aux anciens propriétaires de celui-ci des revenus soumis à impôt progressif devant aller jusqu’à 100% à partir d’un certain seuil : on limitera ainsi les niveaux de vie excessif tout en protégeant les anciens épargnants des classes moyennes (notamment les plans de retraite par capitalisation) qui se verront ainsi dédommagés de leur effort d’épargne antérieur.
Il serait bien entendu présomptueux de définir en quelques lignes les modalités pratiques d’un plan de sauvetage « socialiste » du système financier et c’est la raison pour laquelle nous nous en tenons à l’esprit : collectiviser définitivement le capital et dédommager les épargnants en leur garantissant des revenus futurs et non le paiement d’une somme libératoire. C’est l’unique façon de favoriser une alliance sociale majoritaire dans laquelle les intérêts des accédants à la propriété comme des contribuables et épargnants seront préservés, solution largement moins suicidaire que le laissez-faire prôné par les Républicains ultra-libéraux. Ces nationalisations à répétition d’établissements financiers (Fortis, Dexia, Northern Rock, Bingley & Bradford, ...) sont aussi l’occasion de revisiter le programme commun appliqué en 1981, dans lequel les nationalisations ont été faites par rachats, ce qui avait largement contribué à fragiliser le pays et sa monnaie vis-à -vis de l’extérieur, rétrécissant ainsi ses marges de manoeuvre...