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Le PCF (re) découvre Cuba et l’Amérique latine avec seulement 30 ans de retard (Alléluia et Gloria in excelsis Deo)

Je me souviens d’un dessin qui représentait un groupe d’indiens d’Amérique du Sud qui faisaient face à un Christophe Colomb endimanché et perruqué avec sa petite troupe qui venaient de débarquer sur la plage. Un des indiens se retourne vers les autres et leur dit « Il dit qu’il s’appelle Cristobal Colon et qu’il vient nous découvrir ». Pliés de rire, les indiens.

500 ans plus tard, changement de décor. J’imagine une photo représentant Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, attablé face à quelques dirigeants d’un parti de gauche latino-américain. Un des traducteurs se retourne vers ses camarades et leur dit « Il dit qu’il s’appelle Pierre Laurent, du Parti Communiste Français, et qu’il vient nous découvrir ». Quelques rires sont étouffés car nos camarades latino-américains savent être polis et réservés.

A Cuba, Pierre Laurent a déclaré que "Les liens entre le PCF et l’Amérique latine sont historiques". Ouais, comme quoi il est plus facile de réécrire l’histoire que de rattraper un train en marche.

Mais nous voici au milieu des années 80 et je suis assis dans le bureau du secrétaire d’une fédération du PCF. En tant que secrétaire d’un comité départemental de l’association France-Amérique Latine, et aussi membre du PCF, j’étais venu pour annoncer la tournée de Fernando Cardenal, ministre de l’Education du Nicaragua. Fernando avait la particularité d’être marxiste, prêtre et ministre d’un gouvernement révolutionnaire assiégé de tous parts par les Etats-Unis et leurs mercenaires, les « contras ». La réaction du responsable irresponsable fut aussi cinglante que hors-sujet : « on n’est pas là pour défendre des pseudo-révolutionnaires chrétiens ». Sic. Il n’avait rien compris, ou faisait semblant de ne rien comprendre de manière très convaincante. Au final, le PCF local a finit par rejoindre le collectif chargé d’organiser la tournée, mais uniquement après s’être vu asséner l’argument massif suivant : « le PS local, lui, a accepté d’en faire partie » (ce qui était curieusement vrai).

Nous sommes maintenant au début des années 90 et je suis assis (genre obstiné, tu vois, genre « allez, allez, on y croit ») dans le bureau du secrétaire d’une fédération du PCF. En tant que secrétaire du comité départemental de l’association France-Amérique Latine, et aussi membre du PCF, j’étais venu pour annoncer la tournée d’un économiste cubain, Carlos Tablada, auteur du livre « La pensée économique du Che ». A vrai dire, je n’avais présenté son livre que pour donner « du poids » au bonhomme, histoire de dire « il écrit aussi des livres ». C’était le début de la « période spéciale » à Cuba, et Carlos venait expliquer la situation de son pays et exposer les mesures décidées pour y répondre. La réaction du responsable irresponsable fut aussi cinglante que hors-sujet : « on n’est pas là pour diffuser les idées du Che ». Sic. Comme d’habitude, il n’avait rien compris, ou faisait semblant de ne rien comprendre de manière toujours aussi convaincante.

Nous voilà projetés à la fin des années 90, et les tentatives des Etats-Unis pour « renverser le régime cubain » vont bon train. Les autorités cubaines, comme toujours, ne s’en laissent pas conter. On découvre des Cubains "journalistes" (tant qu’à faire) munis de laisser-passer pour les locaux diplomatiques d’un pays ayant déclaré la guerre politique, économique et sociale contre l’île. Les "journalistes" (pourquoi se gêner ?) se retrouvent là où ils se seraient retrouvés dans n’importe quel autre pays au monde : en prison. Ce qui n’empêchera pas les communiqués critiques et indécentes du PCF - hors contexte, hors-sujet, opportunistiquement « politiquement corrects » - de pleuvoir comme un printemps 2013 sur la France. Ce qui n’empêchera encore moins les organisations de solidarité d’y répondre comme il se doit.

Avance rapide vers le début des années 2000, au siège du PCF, place Colonel Fabien. Une réunion a lieu pour marquer la création de l’ALBA, la nouvelle alliance économique instaurée par quelques pays d’Amérique latine pour contrer l’ALENA, d’inspiration libérale et nord-américaine. Les ambassadeurs des pays concernés sont présents et font des interventions. Vient le tour de Jacques Fath, chargé des relations internationales du PCF, dont l’intervention dure une quarantaine de minutes. Intervention à mon sens parfaite, que j’aurais contre-signée des deux mains. Mais il y avait un problème : elle était fausse de pratiquement le début à la fin.

Jacques Fath a passé trois quarts d’heure environ à décrire un univers parallèle, un monde imaginaire, où un PCF méconnu de tous ceux qui militaient dans la solidarité avec l’Amérique latine en particulier, auraient été ravis de connaître, un PCF qui aurait marqué son époque par des positions intelligentes et sans équivoque, claires et déterminées, qui aurait refusé de plier devant les vents réactionnaires dominants. Une intervention taillée « sur mesures » pour un public ignorant des réalités sur le terrain.

La réalité est que la dernière campagne de solidarité internationale d’envergure du PCF - si ma mémoire ne fait pas défaut - date du combat pour la libération de Nelson Mandela, c’est-à-dire il y a 30 ans. Pas terrible pour un parti internationaliste.

Tiens, je pourrais aussi vous parler de la visite de Sergio Corrieri, président de l’ICAP (Institut Cubain d’Amitié entre les Peuples), organisme chargé des relations avec la "solidarité". Je pourrais vous décrire l’attitude d’un responsable du PCF qui est venu à la réunion et qui s’est ostensiblement levé au bout de cinq minutes et qui a quitté la salle sans un mot avec ce qui devait être pour lui un semblant de dignité. Mais je ne me sens pas le courage de vous infliger en détail cette pénible histoire d’une grenouille politique qui se croyait à la hauteur d’un boeuf révolutionnaire.

Je pourrais écrire un livre sur tout ce mépris distillé, ce je-m’en-foutisme rampant, cette ignorance assumée et cet opportunisme qui n’ose dire son nom et qui sont devenus - probablement à trop fréquenter cette usine à cons qu’on appelle le PS - la marque de fabrique d’une bonne partie de "la gauche" française.

Mais voilà que le vent semble tourner. Alléluia et Gloria in excelsis Deo !

Ce qui provoque chez moi deux interrogations. La première est « pourquoi maintenant ? ». Je suppose que la vaillante résistance d’une partie de la base (simples militants ou élus) contre une direction qui a souvent démontré qu’elle était totalement larguée sur les questions internationales, une base qui refusait de céder à la « ligne réaliste et pragmatique » de la direction (comprenez : « une ligne qui nous réconcilie avec les médias dominants et qui nous facilite grandement la vie, tout en nous évitant d’avoir à réfléchir... »), a contribué à ce réajustement tant attendu. Comme ont contribué la mobilisation, la ténacité et l’efficacité des organisations et associations de solidarité qui n’ont rien lâché, rien cédé, rien abandonné pendant toute cette période. Et peut-être l’influence de Mélenchon...

Sans sous-estimer le fait que certains responsables du PCF doivent commencer en avoir marre de recevoir des claques chaque fois qu’ils s’aventurent hors de l’hexagone et de se faire rembarrer régulièrement que ce soit par les « partis frères » ou par la gauche latino-américaine elle-même.

L’autre interrogation, plus sérieuse, est celle-ci : quelles étaient les causes de toutes ces divagations, pendant tant d’années ? Tenter d’y répondre m’emmène à des conclusions qui dérangement profondément mais que je ne saurais esquiver, car elles touchent au fondement même de la notion de solidarité.

Pendant toutes ces années, donc, la réaction standard au sein de certaines instances du PCF à une interpellation sur Cuba (par exemple) était celle-ci : "Non merci, on a déjà donné pour l’URSS, pas question de recommencer". Une telle réponse, pour "cohérente" qu’elle puisse paraître au premier abord, révèle une profonde perversion - et je pèse mes mots. Elle dit en substance ceci : que Cuba mérite ou non ma solidarité n’est pas la question car ce qui m’importe ici c’est de parier sur le bon cheval... La solidarité perçue donc comme une course de chevaux, où on parierait sur le "bon cheval", en espérant probablement en retirer une certaine gloire personnelle faute d’être soi-même capable d’exploits... Les premiers mots qui me viennent à l’esprit sont "pathétique" et "vulgaire".

L’autre sous-entendu est celui-ci : "Je vais me racheter de mes "erreurs passées" sur l’Union Soviétique en faisant payer à Cuba le prix de ma rédemption". Encore une fois, peu importe que j’aie raison ou tort, que les contextes soient comparables ou non, ni même que je sois conscient ou informé de la réalité. L’objectif ici est de se "racheter" sur le dos d’un innocent. Bref, l’art de faire payer aux uns les crimes commis par d’autres (tiens, un raisonnement qui a un air de déjà-vu...). Nous étions déjà dans le pathétique et vulgaire, nous voilà un cran au-dessus.

Mais qui aime bien châtie bien et il n’est jamais trop tard pour bien faire. Et tant mieux, car :

- c’est le PCF qui m’a appris pourquoi être en colère ;
- c’est la révolution sandiniste au Nicaragua qui m’a appris jusqu’où être en colère ;
- c’est Cuba qui m’a appris comment être en colère.

Alors, en guise de conclusion, je cède la parole à mon ami Ibrahim (tiré d’une conversation mémorable, une nuit à la Havane) :

« Que ce soit bien clair : nous avons commis des erreurs, évidemment. Et nous en commettrons d’autres. Mais je peux te dire une chose : jamais nous n’abandonnerons le combat pour un monde meilleur, jamais nous ne baisserons la garde devant l’Empire, jamais nous ne sacrifierons le peuple au profit d’une minorité. Tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait non seulement pour nous, mais aussi pour l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie, les générations futures. Nous avons fait tout ce que nous avons pu, et parfois plus, sans rien demander en échange. Rien. Jamais. Alors tu peux dire à tes amis "de gauche" en Europe que leurs critiques ne nous concernent pas, ne nous touchent pas, ne nous impressionnent pas. Nous, nous avons fait une révolution. C’est quoi leur légitimité à ces gens-là, tu peux me le dire ? Qu’ils fassent une révolution chez eux pour commencer. Oh, pas forcément une grande, tout le monde n’a pas les mêmes capacités. Disons une petite, juste assez pour pouvoir prétendre qu’ils savent de quoi ils parlent. Et là, lorsque l’ennemi se déchaînera, lorsque le toit leur tombera sur la tête, ils viendront me voir. Je les attendrai avec une bouteille de rhum. »

Alors, Pierre, un petit verre pour fêter ça ?

Viktor Dedaj
« finalement, on a bien fait de ne pas bouger »

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