Dans la morosité actuelle, qui se souvient du Printemps érable ? Mouvement qui s’est battu jusqu’à ce qu’un décret du gouvernement péquiste abroge les dispositions de la Loi 78, le 20 septembre 2012, et annule la hausse des frais de scolarité. L’élément déclencheur avait été l’augmentation des frais de scolarité projetée pour la période 2012 à 2017 dans le budget provincial 2012-2013 du gouvernement libéral de Jean Charest. Du 13 février au 7 septembre 2012, largement appuyé par le peuple québécois, le mouvement étudiant n’a pas baissé la garde avant d’obtenir satisfaction.
À l’époque, j’avais commencé mon doctorat à l’Université du Québec à Montréal, où je travaillais également en tant qu’auxiliaire d’enseignement. J’ai pu constater l’intelligence et le savoir-faire des étudiants et des associations étudiantes de l’UQAM, reconnue comme l’université québécoise la plus militante. Malgré ce qu’on a pu lire et voir dans certains médias, tout se déroulait dans le plus grand respect. Les associations étudiantes ont des statuts et des règlements auxquels elles ne dérogent pas. J’ai assisté à de nombreuses réunions et assemblées générales, en tant qu’étudiante et déléguée syndicale, et je n’ai jamais vu d’échanges et de prises de décision plus démocratiques. Les levées de cours se faisaient dans le calme et le dialogue était de mise. Bien sûr, j’ai eu l’occasion d’entendre des étudiantes et des étudiants mécontents. Certains arguaient vouloir étudier en paix, terminer leurs études et obtenir rapidement leur diplôme afin de pouvoir travailler. Ce qui était en soit légitime. Mais ils représentaient une minorité et, devons-nous le rappeler, la grève étudiante était votée et reconduite démocratiquement, selon des règles transparentes et bien établies. Des professeurs, je dirais la majorité, comprenaient, voire soutenaient, les revendications étudiantes.
Qui se souvient des concerts de casseroles, de la solidarité du peuple québécois avec le mouvement étudiant ? En 2012, il était encore possible de rêver de justice sociale, que dis-je rêver ! D’œuvrer pour la justice sociale. Il restait encore un minimum de conscience collective. La conscience de l’autre. Les étudiants et les non-étudiants savaient qu’ils vivaient sur la même planète et que leur futur dépendait de leurs efforts communs. L’immense succès du Printemps érable est le fruit de la solidarité du peuple québécois.
Qu’en est-il cinq ans plus tard ?
La grève de 2015 et la violente répression qu’elle a subie de la part du gouvernement et des institutions ont marqué le début d’une nouvelle ère. N’oublions pas la répression policière, les décrets municipaux et l’intervention musclée de la SPVM à l’UQAM le 8 avril 2015, à la demande du recteur Robert Proulx. J’ai écrit à l’époque, dans un article pour Mondialisation :
Plus jamais de printemps érable. Plus jamais 2012. Telle est la position de notre gouvernement, malheureusement appuyée par le recteur. La direction de l’UQAM a frappé fort, et ce, d’emblée, en décidant d’expulser neuf étudiants et étudiantes, le 20 mars dernier. La raison invoquée : « Ils auraient commis du vandalisme et des actes illégaux » lors d’activités de perturbation à l’université, remontant à 2013. En prenant cette décision, la direction voulait créer un climat de peur au sein de la population étudiante. En ciblant des militants et des militantes, elle voulait museler les associations étudiantes et décourager toute activité militante. […] Ces expulsions politiques ont déclenché une réaction immédiate, professeurs, chargés de cours et étudiants se sont unis pour demander à la direction de revenir sur sa décision. Expulsion d’un an pour six étudiants et expulsion définitive pour trois étudiantes et étudiants, dont Justine Bélanger, déléguée étudiante qui siégeait, à ce moment-là, au conseil d’administration et au comité exécutif.
En 2012, le mot solidarité avait un sens. La conscience de l’autre et de son bien-être existait encore. La répression du mouvement étudiant de 2015 et le lavage de cerveau, savamment mis au point par nos dirigeants politiques et leurs serviteurs (parmi lesquels les médias de masse appartenant à des intérêts privés au service du pouvoir politique), ont balayé toute solidarité. La solidarité à petite échelle existe encore, quand elle ne dérange pas trop. Mais la solidarité sociale a disparu au profit du chacun pour soi. Il n’y a plus ou peu de vision collective, de vision de société à grande échelle. Certes, les mouvements militants existent toujours, fort heureusement, mais la répression les a fragilisés. Les lois et décrets de tout genre visant à encadrer et contrôler les mouvements sociaux ont fait leur œuvre. Dans une société, déjà très individualiste, où chacun est responsable de soi, mais pas des autres, il reste peu de place pour s’unir et définir une vision de société commune. La peur, savamment instillée par les gouvernements occidentaux après le 11 septembre 2001, a réussi à diviser au lieu d’unir. La différence devient immédiatement suspecte, l’autre dérange dès qu’il ne suit pas le courant de pensée dominant. Tout cela a abouti à une fossilisation de l’individu dans un contexte où austérité signifie chacun pour soi. L’économie de partage et la solidarité pourraient être un moyen d’échapper à cette psychose sociale, mais elles aussi sont souvent mal vues. Partage et solidarité impliquent l’inclusion de l’autre et non son exclusion. Tâche difficile dans un contexte où tout encourage à l’exclusion.
Cinq ans plus tard, Donald Trump a été élu président des États-Unis. En France le Front national fait partie des favoris des candidats à la présidentielle. L’extrême droite connaît une montée fulgurante à l’échelle planétaire avec tout ce que cela entraîne comme haine et divisions. Le mouvement étudiant a été muselé. Le droit de grève des étudiants et des étudiantes n’est pas reconnu, ce qui laisse un vide juridique inquiétant. Les injonctions, dont se sont prévalus les recteurs de certaines universités, sont faciles à obtenir.
La population étudiante est extrêmement articulée, politisée et consciente des enjeux qui se jouent actuellement dans notre société et partout dans le monde. Elle se compose majoritairement de jeunes qui étudient et travaillent fort pour protéger les droits de la communauté étudiante, faire respecter le droit pour tous d’accéder aux études. Elle lutte contre l’injustice sociale, sensibilise et crée des liens tant dans les murs des institutions d’enseignement qu’à l’extérieur.
Les étudiants et les étudiantes, loin d’être nombrilistes, ont une vision globale du monde dans lequel ils vivent et de l’avenir. Ils sont l’espoir d’un Québec et d’un monde plus juste. Les études doivent être accessibles à tous, car au-delà d’un diplôme et d’un métier, elles permettent d’acquérir des connaissances intellectuelles et humaines et de sortir de soi-même pour s’ouvrir à l’autre. C’est ce qui a rendu possible le Printemps érable. Comme me répétait mon père « Étudie et tu seras libre. ».
Claude Jacqueline Herdhuin
Auteure, réalisatrice
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
Copyright © Claude Jacqueline Herdhuin, Mondialisation.ca, 2017