Il est connu, malgré la doxa ambiante, que l’Occident donneur de leçons a toujours eu un langage ambivalent. Il se veut seul détenteur de sens et dicte cependant la norme de ce qui est licite et de ce qui est illicite. Je veux, dans cette contribution, encore une fois déconstruire ce double langage à la fois des Lumières et dans le même temps de la traite esclavagiste, le Code noir, le Code de l’indigénat, la colonisation dans toute son horreur. Ce 8 mai est toujours pour les Algériens un moment de grande solitude et de recueillement devant l’injustice des grands vis-à-vis des peuples faibles. Qu’on en juge ! Partout en Europe le 8 mai est fêté comme la fin de la guerre, l’avènement de la paix pour les peuples d’Europe, qui, à des degrés divers, ont souffert et au premier rang desquels le peuple russe qui laissa sur le champ de bataille 20 millions de ses enfants, La France perdit 200 000 combattants dont une grande partie venait des colonies et près de 300 000 civils.
Pas un mot des tirailleurs algériens, marocains qui ont été déterminants dans la victoire sur le nazisme. N’est-ce pas en effet le général de Lattre de Tassigny qui écrivait dans son ordre du jour numéro 9 du 9 mai 1945 adressé à ses soldats : « De toute mon âme, je vous dis ma gratitude. Vous avez droit à la fierté de vous-mêmes comme celles de vos exploits. » Le général de Montsabert ne fut pas en reste en s’adressant à ses soldats de la 3e DIA, il écrivit : « C’est grâce à l’Armée d’Afrique que la France a retrouvé non seulement le chemin de la victoire et la foi en son armée, mais aussi et surtout l’honneur et la Liberté. » Ce sont ces tirailleurs qui, revenant au pays, se feront raconter les massacres. Ce 8 mai qui devait marquer le début de l’horreur pendant plus de deux mois de terreur avec des dizaines de milliers de morts innocents dont le seul crime était d’avoir demandé à s’émanciper.
« Veuillez transmettre aux familles des victimes de l’agression de Rétif la sympathie du général De Gaulle et du gouvernement tout entier. Veuillez affirmer publiquement la volonté de la France victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté française sur l’Algérie. Veuillez prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer tout agissement anti-français d’une minorité d’agitateurs. Veuillez affirmer que la France garde sa confiance à la masse des Français, musulmans d’Algérie. » Voilà ce qu’écrivait Charles De Gaulle le 10 mai 1945. Je ne suis pas sûr qu’il s’adressait aux familles des Algériens et de fait, il ne s’adressait en fait qu’aux Français d’Algérie et donnait des instructions fermes au gouverneur de mater la rébellion. Il ne faut pas croire que dans cette croisade des criminels de guerre jamais jugés, tel André Achiary, il n’y eut que les autochtones, même les prisonniers italiens, allemands, les tirailleurs sénégalais, tous les planqués européens d’Algérie partisans de « Maréchal nous voilà », Vichy, se découvrent une âme de patriotes gaullistes et défendent la patrie en danger contre de pauvres hères. Le Parti communiste ne fut pas en reste, Le 12 mai L’Humanité appelle à châtier impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute.’ Bref, de la droite à la gauche il y eut un consensus pour tuer dans l’oœuf l’insurrection. Le ministre de la Guerre, un communiste, fut chargé, entre autres, de pilonner les villes de Kherrata et Béjaïa à partir de la mer avec ses navires qui ne servirent que contre les Algériens.
L’écrivain Kateb Yacine était lycéen à l’époque et a vécu les événements de Rétif ; il écrivit : « Je témoigne que la manifestation du 8 mai était pacifique. En organisant une manifestation qui se voulait pacifique, on a été pris par surprise. Cela s’est terminé par des dizaines de milliers de victimes. A Guelma, ma mère a perdu la mémoire (...) On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues. La répression était aveugle ; c’était un grand massacre. L’armée vide des villages entiers et regroupe tous les musulmans pour organiser des cérémonies de soumission où tous les hommes doivent se prosterner devant le drapeau français et répéter en chœur : Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien.’’ Après ces cérémonies, certains sont quand même embarqués puis assassinés. » (1)
Au total, le trop-plein de haine que les Français de France et d’Algérie n’ont pas pu extérioriser contre la Wehrmacht a trouvé un exutoire contre des êtres sans défense. 107 Français furent tués lors de ces émeutes contre au moins 20 000 Algériens (1 pour 200). Les Algériens avancent le chiffre de 45 000 morts. Le général Raymond Duval, surnommé à juste titre le boucher du Constantinois, savait ce qu’il disait en interpellant les pouvoirs politiques : « Je vous ai donné la paix pour 10 ans, si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable. »
La colonisation italienne
« A côté de la France, l’Italie a eu aussi ses colonies, notamment la Somalie. Le 2 octobre 1935, Mussolini annonce son intention d’envahir l’Éthiopie sur le fallacieux prétexte de l’agression d’inspecteurs italiens, quelques mois plus tôt, le 23 novembre 1934, aux confins de la colonie italienne de Somalia et de l’Éthiopie. Le Duce adresse un discours belliqueux aux Italiens et leur annonce sa décision d’envahir l’Éthiopie. En Italie, la condamnation de la SDN a l’effet paradoxal de souder la population autour du Duce. Le vieux pape Pie XI (78 ans) commet lui-même l’erreur de visiter une exposition consacrée à la conquête et de saluer l’expansion italienne (aux dépens de l’Éthiopie chrétienne !). Son secrétaire d’État, Eugenio Pacelli, futur Pie XII, tente de minimiser la portée de sa déclaration. » (2)
Même scénario concernant la Libye : « Le général Rhodolfo Graziani, fidèle du régime fasciste, devient quant à lui vice-gouverneur de Cyrénaïque. Entre 1930 et 1931, les Italiens occupent l’ensemble du Fezzan et l’oasis de Koufra, grâce aux opérations de Graziani. (...) Si la situation est maîtrisée dans le Fezzan, elle est nettement plus délicate en Cyrénaïque, où le cheikh Omar Al Mokhtar, soutenu par les Sanussi, dirige une guérilla de moudjahidines et fait régner une insécurité générale. Pour éradiquer la guérilla senoussite en Cyrénaïque, les forces italiennes recourent, sur l’ordre de Graziani, à des méthodes impitoyables de représailles contre la population locale quand elle était accusée d’appuyer la rébellion. Enfin, les Italiens déportent plus de la moitié de la population de la province dans treize camps de concentration préparés dans l’est et le sud du pays. Environ 100 000 personnes perdent la vie en raison des épidémies provoquées par les fatigues d’une marche longue ; Omar Al Mokhtar voit se disperser ses troupes blessé et capturé le 11 septembre 1931. Le 16 septembre, il est pendu. La disparition du chef de la guérilla libyenne met fin à vingt ans de guerre et achève la pacification totale de la Tripolitaine, de la Cyrénaïque et du Fezzan. La conquête italienne cause au pays de lourdes pertes humaines et matérielles : aux dizaines de milliers de morts s’ajoute le bouleversement de l’organisation sociale et de l’économie traditionnelle.
Les structures agro-pastorales sont anéanties et le pays est partiellement dépeuplé. » (3)
Bien plus tard, Silvio Berlusconi, en visite à Tripoli, s’excusera auprès du colonel Kadhafi pour l’occupation de la Libye entre 1911 et 1942. « Il est de mon devoir, en tant que chef du gouvernement, de vous exprimer au nom du peuple italien notre regret et nos excuses pour les blessures profondes que nous vous avons causées ». « Il s’agit d’un moment historique durant lequel des hommes courageux attestent la défaite du colonialisme », déclarera de son côté Mouammar Kadhafi. « Le peuple libyen a subi une injustice et a été agressé chez lui et il mérite excuses et compensations », en présence des fils et petits-fils des héros de la résistance. » (4)
Les massacres de Madagascar par le colonialisme français
Le plus grand massacre, beaucoup moins connu que celui de Sétif eut lieu à partir du 30 mars 1947 à Madagascar, donnant lieu aux pires atrocités. Le nombre de victimes de la répression atteignit le chiffre vertigineux de 89 000 morts en vingt et un mois, selon les comptes officiels de l’état-major français. (...) La répression avec tortures, exécutions sommaires, regroupements forcés, viols, pillage, villages incendiés avec femmes, vieillards, enfants brûlés vifs se prolonge pendant 21 mois. C’est d’ailleurs sur ordre du ministre « socialiste » des Colonies, Marius Moutet, que les troupes françaises agirent à Madagascar. (.. ;) A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Etat français couvrait ses crimes et la sordide réalité de la défense de son intérêt national sous le masque héroïque et le prestige de la France de la Libération, de la résistance à la barbarie nazie, tout en se faisant publiquement l’apôtre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à la tribune de l’ONU. » (3)
Le massacre des Héréros et des Namas
Les Allemands ne furent pas en reste comme lu sur Wikipédia, : « Le massacre des Héréros et des Namas perpétré sous les ordres de Lothar von Trotha dans le Sud-Ouest africain allemand (Deutsch-Südwestafrika, actuelle Namibie) à partir de 1904, est considéré comme le premier génocide du XXe siècle. C’est un programme d’extermination qui s’inscrivit au sein d’un processus de conquête d’un territoire par les troupes coloniales allemandes entre 1884 et 1911. Il entraîna la mort de 80% des autochtones insurgés et de leurs familles (65 000 Héréros et près de 20 000 Namas). Les faits furent consignés pour la première fois dans un rapport commandé en 1917 dans un but politique par le Gouvernement britannique au juge Thomas O’Reilly et connu sous le nom de « The Blue Book. »
Réévalué à partir des années 1990, ce crime de masse suscite depuis un important travail de mémoire, que ce soit en Namibie même, ou au sein de la communauté des historiens. (...) Trotta pratique une guerre d’usure durant quatre mois : il ne fait pratiquement rien, observe et s’amuse à effrayer l’ennemi à coups de fusils. Mais en octobre, il fait encercler les Héréros de trois côtés et les mitraille : c’est un véritable carnage qui n’épargne ni femmes ni enfants. Trotta ne leur laisse qu’une seule issue pour fuir : le désert du Kalahari. Alors que les Héréros survivants essayent d’y trouver refuge, Trotha fait empoisonner les points d’eau, dresse des postes de garde à intervalles réguliers avec ordre de tirer sans sommation à vue sur chaque Héréro, homme, femme ou enfant. L’ordre d’extermination (Vernichtungsbefehl) officiel du général von Trotta est libellé en ces mots : « Chaque Héréro trouvé à l’intérieur des frontières allemandes, armé ou non, en possession de bétail ou pas, sera abattu. » (5)
Quand Winston Churchill approuvait les gaz de combat
Winston Churchill fut un fervent défenseur de l’Empire britannique au point de préconiser le recours aux gaz qui avaient été la terreur des tranchées. Mais le recours à de telles armes suscite l’hostilité du gouvernement, au grand dam de Churchill, qui comptait également employer des engins toxiques contre les tribus rebelles du nord de l’Inde. ´´Je suis fermement en faveur de l’utilisation de gaz toxiques contre les tribus non civilisées´´, déclare-t-il dans un mémorandum secret. Reprochant à ses collègues leur ´´sensiblerie´´, il ajoute que ´´les objections du ministère de l’Inde face à l’emploi des gaz contre les indigènes sont déraisonnables. Le gaz est une arme plus miséricordieuse que les explosifs de forte puissance´´. En quoi serait-il injuste qu’un artilleur britannique tire un obus qui fera éternuer ledit indigène ? » (6)
Parmi les autres prouesses des empires coloniaux, la famine. Rabindranath Tagore qualifie ainsi la colonisation britannique qui fait de l’organisation de la famine une science exacte ainsi :
« 60 millions d’Indiens périrent de faim sous l’Empire britannique (...) Churchill, eugéniste et malthusien, expliquant pourquoi il défendait le stockage de biens alimentaires en Angleterre au moment où des millions de personnes mouraient de faim au Bengale (en 1943) disait à son secrétaire privé que : Les Hindous sont une race sotte, protégée par sa pullulation du destin qu’elle mérite’’. Et des Indiens, Churchill disait : Je déteste les Indiens, c’est un peuple bestial avec une religion bestiale. La famine c’est entièrement de leur faute car ils se reproduisaient comme des lapins’’. » Durant les 190 ans de pillage, le sous-continent indien a dû subir deux grandes famines qui fit périr des millions d’Indiens dans tout le pays. Bien qu’on ne connaisse toujours pas avec exactitude le chiffre total, le décompte de l’administration coloniale indique qu’il s’agit d’au moins 60 millions de morts ! Et la réalité pourrait être nettement pire. (...) Sur place, des individus réduits à des ombres squelettiques erraient dans le pays et mouraient comme des mouches. On ne saura exagérer le caractère abject et anti-humain de ces coloniaux. » (7)
Discours de Léopold II aux missionnaires se rendant en Afrique
Les meilleures illustrations du rôle de l’assimilation religieuse en vue de la réussite de la colonisation et de l’exploitation économique sont probablement les discours tenus par le ministère belge des Colonies, et surtout le discours tenu, en 1883, par Léopold II, roi des Belges, devant les missionnaires se rendant en Afrique : « Révérends Pères et mes Chers Compatriotes, vous allez certes pour l’évangélisation, mais cette évangélisation doit s’inspirer avant tout des intérêts de la Belgique.(...) Votre rôle essentiel est de faciliter leur tâche aux Administratifs et aux Industriels. C’est dire donc que vous interpréterez l’Évangile d’une façon qui serve à mieux protéger nos intérêts dans cette partie du monde. Pour ce faire, vous veillerez entre autre à désintéresser nos sauvages des richesses dont regorgent leurs sol et sous-sol, votre connaissance de l’Évangile vous permettra de trouver facilement des textes recommandant aux fidèles d’aimer la pauvreté, tel par exemple : ’Heureux les pauvres car le royaume des cieux est à eux. Il est difficile au riche d’entrer au ciel’’ ». Vous ferez tout pour que les Nègres aient peur de s’enrichir pour mériter le ciel. (...) Apprenez aux élèves à croire et non à raisonner. (...) Convertissez toujours des Noirs par tous les moyens, bastonnez par la chicotte par exemple. Chantez chaque jour qu’il est impossible au riche d’entrer au ciel. » (8)
Nous empruntons à Alain Corvez qui décrit la perpétuation d’une nouvelle forme de crimes coloniaux : « La sauvage agression du Yémen par l’Arabie saoudite se déroule depuis mars 2015 dans l’indifférence générale des pays occidentaux pourtant ardents à donner des leçons de morale au monde entier pour dénoncer les crimes des Etats auxquels ils sont hostiles, voire dont ils veulent changer les dirigeants, qui ne répondent pas à leurs critères, par la force des armes, en dehors de toute légalité internationale. (...) La Grande-Bretagne et la France, si promptes à donner des leçons de morale au monde, non seulement ne dénoncent pas ces crimes dont pâtit atrocement la malheureuse population du Yémen, mais participent au soutien en armement de la monarchie wahhabite » (9).Tout est dit.
1.http://www.oclibertaire.lautre.net/spip.php?article866
2.https://www.herodote.net/2_octobre_1935-evenement-19351002.php
3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Libye_italienne
4.http://www.lexpress.fr/actualite/monde/l-italie-s-excuse-et-paie-une-dette-a-la-libye-pour-la-colonisation-subie_556898.html
5.https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_des_H%C3%A9r%C3%A9ros_et_des_Namas
6.Quand Winston Churchill approuvait les gaz de combat The Guardian 13 09 2013
7.http://www.solidariteetprogres.org/grande-famine-bengale-genocide-britannique.html
8.http://afrikhepri.org/heureux-les-pauvres-car-le-royaume-des-cieux-est-a-eux-il-est-difficile-au-riche-dentrer-au-ciel/
9.http://reseauinternational.net/les-pays-occidentaux-complices-de-crimes-contre-lhumanite-au-yemen/#PKDFWIu5W3omjz0s.99
11 Mai 2017