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ONU : Chavez me serre la main et me demande : « Comment ça se prononce, votre nom ? ».

Mon témoignage sur Hugo Chavez

Je n’avais guère prêté attention à Hugo Chavez. Pour moi, le Venezuela évoquait un pays pétrolier longtemps réduit à un statut de semi-colonie par les Etats-Unis, et qui par ailleurs avait subi des inondations catastrophiques en 1999. Chavez ? Hmm ?

Mais peu avant la conférence de Copenhague sur le climat, en 2009, la traduction en espagnol de mon livre, Comment les riches détruisent la planète, lui fut transmise.

Il faut savoir que Chavez participait tous les dimanches à un programme radiophonique de plusieurs heures, mélange de radio-crochet, chansons, jeux, informations sur l’activité du gouvernement et éducation politique populaire. Une part de la faconde intarissable de l’animateur Chavez venait de ses lectures de la semaine, que ce quasi-autodidacte dévorait pendant ses nuits.

Advint la conférence de Copenhague sur le climat en 2009. On l’a oublié aujourd’hui, mais cette conférence se produisit dans un état d’excitation impressionnant, dans un moment où la question du changement climatique n’avait jamais été aussi présente dans la conscience collective. Et tout ce que la planète comptait d’écologistes engagés et de chefs d’Etat étaient animés par l’irrépressible besoin… d’ETRE LA.

Permettez-moi de vous raconter comment j’ai croisé alors Hugo Chavez - il s’agit en fait des notes que j’avais prises alors, pour le récit de la conférence.

Ainsi donc, le 16 décembre 2009… me voici à côté de la salle plénière, qui normalement interdite d’accès aux journalistes. Soudain, des gardes de l’ONU courent derrière nous, rentrent tout agités dans la grande salle. On se faufile à leur suite.

Deux manifestants ont réussi à parvenir à la tribune et à crier des slogans. Ils sont emmenés par les gardes de l’ONU, et ils continuent à crier sous les applaudissements des délégués. Je file vers eux avec mon magnéto, voir ce qui se passe, quand je suis interpellé : "Eh Hervé !"

C’est Maximilien, un conseiller de Chavez. "Reste, il va parler dans un moment". Maximilien propose d’aller saluer le président. On y va. La salle contient mille personnes à l’aise, assises en rang derrière des tables, chacun avec un panonceau portant le nom de son pays ; les pays sont alignés par ordre alphabétique. C’est une salle, vous mettriez deux terrains de football. El presidente a, sur sa table, un exemplaire de Como los ricos destruyen el planeta. Maximilien me présente (tout ça, alors qu’un autre président est en train de parler à la tribune), "c’est l’auteur. - Ah, très bien". Chavez me serre la main, il serre ferme. "Et comment ça se prononce, votre nom, Kempé ? Et le prénom, Arve ?" Je lui dis. On retourne à notre place, ça va bientôt être son tour.

Ca y est. Il monte à la tribune, ses documents dans la main. Vingt minutes de festival. Tiens, Alain Juppé arrive, va s’assoir. Chavez : "A bas la dictature impériale... il n’y a pas de démocratie... Deux jeunes sont montés à la tribune, je salue tous ceux qui sont dehors [les manifestants], ce sont des jeunes, ils sont préoccupés de l’avenir... Un fantôme rôde parmi nous, dans les couloirs, dans cette salle, personne n’ose le nommer, c’est le capitalisme !... Les manifestants ont deux slogans que je reprends mon compte : ’Changer le système, pas le climat’, et ’Si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé". Applaudissements, comme souvent ensuite, et comme quand les deux jeunes criaient, tout à l’heure. La majorité des délégués viennent de pays du sud, et ils se défoulent.

Et puis Chavez dit : « Je recommande le livre de Hervé Kempf, vous pouvez l’avoir en espagnol et en français, en anglais probablement, Como los ricos destruyen el planeta, Hervé - Kempf,- il insiste bien sur les mots, c’est pour cela qu’il voulait vérifier la bonne prononciation, il y a un instant - Como los ricos destruyen el planeta. Le Christ a dit : il est plus facile à un chameau de passer dans le trou d’une aiguille qu’à un riche de rentrer au paradis. Les riches détruisent la planète. Peut-être pensent-ils qu’il y en aura une autre quand ils auront détruit celle-ci, mais je ne peux en voir aucune dans la galaxie pour l’instant. Ignacio Ramonet m’a donné ce livre, il est quelque part dans la salle. Je le regardais, et à la fin de l’introduction, il y a une phrase très importante : Kempf dit ceci : "Nous ne pourrons pas réduire la consommation matérielle si nous ne veillons pas à ce que les tout puissants descendent de plusieurs échelons, et si nous ne luttons pas contre les inégalités. … Moins consommer, mieux partager.’ Je crois que c’est un excellent conseil que nous donne cet écrivain français, Hervé Kempf. Ceci dit, Monsieur le président, le changement climatique… »

Ouah ! C’est fort, ça ! Le discours se poursuit, je continue à prendre des notes. "... 7 % de la population font 50 % des émissions mondiales, 50 % de la population font 7 % des émissions... le changement climatique n’est pas le seul problème dont souffre l’humanité..." Il cite Leonardo Boff, un théologien de la libération, Simon Bolivar, rappelle qu’en 1999, le Venezuela a connu "la tragédie la plus grave de notre histoire", évoque "le socialisme, autre fantôme qui hante nos salles. Voilà la voie à suivre pour sauver la planète", lève "le drapeau du Christ, de Mahomet, de la paix, de l’amour", cite Fidel Castro, Rosa Luxemburg, et conclut sur le Christ : "Bienheureux les pauvres".

Applaudissements. Une foule se rassemble autour de Chavez, revenu s’assoir. C’est une star, pas de doute.

Le lendemain, conférence de presse de l’ALBA (alliance bolivarienne pour les peuples d’Amérique) : Chavez, Morales, le vice-président cubain, une ministre équatorienne. Morales : "Le capitalisme fait de la Terre-mère une marchandise". Le Cubain : "L’Alliance bolivarienne n’est pas seulement pour les peuples d’Amérique, mais pour les peuples du monde". L’Equatorienne : "On ne peut accepter que les pays en première classe décident pour les autres".

Les présidents partent, mais leurs délégués restent. A la sortie, confusion, attroupement, sur la tribune, Amy Goodman, de Democracy Now, est montée avec son cadreur et espère l’interview. Avec quelques autres journalistes, qui vont vite former une petite troupe, on monte et se place derrière elle, débordant la sécurité. Chavez revient vers la caméra.

Chavez répond à Goodman, je suis juste derrière elle, je pourrais poser mon bras sur son épaule, bras au bout duquel il y a mon magnéto, qui espère capter Chavez en face, la traductrice à gauche, au milieu de la jungle des micros, caméras, perches de son, appareils photo. Chavez regarde intensément la journaliste, Amy Goodman, comme si c’était vraiment à elle qu’il parlait, et c’est vraiment à elle qu’il parle, visage carré, fort, un peu en sueur, énergique mais avenant.

Ces personnages - Chavez, Obama, Sarkozy, tous ces gens, quel que soit ce que l’on pense d’eux - sont des piles d’énergie, des miroirs fascinants, des charmeurs envoûtants. S’ils sont là où ils sont, c’est aussi grâce à ce don étrange de capter les regards et l’attention, comme la reine dans la ruche. Je pense à cette remarque lue il y a longtemps à propos de Mick Jagger : quand il parle à quelqu’un, il lui donne vraiment l’impression de lui accorder toute son attention. Leçon retenue : quand on parle à quelqu’un, lui être vraiment attentif. C’est ce que fait Chavez : il parle, et c’est vraiment à son interlocuteur qu’il parle, de ses mots, de son de son cerveau et de son âme. Et c’est par cette attention donnée que, anges ou démons, les types comme lui gagnent.

Je n’écoute pas vraiment, je m’imprègne de la situation, observe Chavez à un mètre de moi à peine, entend une question de Goodman : « Aux Etats-Unis, on dit que vous êtes un dictateur ». Il sourit en coin, et plutôt que de s’indigner, il renvoie la balle en parlant de « l’Empire » et de sa guerre en Afghanistan.

Décryptage de l’enregistrement, ce dimanche :

« Goodman : Quel niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre soutenez-vous ?
- Chavez : 100 % ! Il faut un nouveau modèle de vie, changer de système, sortir du capitalisme.
- Comment allez-vous vous débarrasser du capitalisme ?
- Comme ils ont fait à Cuba. Donner le pouvoir au peuple, l’enlever aux riches. On ne peut le faire que par la révolution.
- Comment réagissez-vous au discours d’Obama ?
- Obama est pour moi une grande frustration. Il pourrait s’inscrire dans l’histoire, mais il a créé une grande frustration pour ceux qui ont voté pour lui dans l’espoir du changement. Il ne fait que continuer la politique de Bush.
- Pouvez-vous donner des exemples ?
- La guerre. J’ai vu Obama quand il est venu nous saluer au Sommet des Amériques, on a parlé, je lui ai dit, "travaillons ensemble à la paix en Colombie’. Mais il ne s’est absolument rien passé, sinon qu’il a installé sept nouvelles bases militaires en Colombie. Ce n’est qu’un exemple. En Irak et en Afghanistan, la guerre continue. Je suis désolé pour vous, vous devriez avoir un meilleur gouvernement.
- Le gouvernement des Etats-Unis vous qualifie de dictateur. Que répondez-vous ?
- Merveilleux. Merveilleux. L’empire m’appelle un dictateur (rire). Je suis heureux. »

Je ne comprends pas la suite, je vous la dirai quand un ami me l’aura traduit.

« Merci, je dois partir, bonne chance ». L’entretien a duré moins de dix minutes, la forêt de micros se dissout, le président quitte la salle entouré d’un essaim d’humains, Goodman, isolée, se détend, ravie de son coup - ce n’est pas si facile que ça d’attraper quelqu’un comme Chavez -, se tourne vers son équipe en souriant : « On l’a eu ! » « C’est bien en boîte », assurent ses équipiers.

Retour en 2013.

D’avoir eu un lecteur aussi éminent que Chavez m’a bien sûr conduit à être beaucoup plus attentif à son action et à son parcours. Sans être du tout un bon connaisseur du Venezuela et de la politique de Chavez, voici deux remarques que m’inspire son parcours.

D’une part, Chavez était évidemment quelqu’un d’imparfait, il n’a pas réussi à débarrasser son pays de la corruption, sa politique à l’égard des médias semble très discutable, il aurait pu se passer de certains amis dans sa lutte d’indépendance face aux Etats-Unis, son bilan écologique est fort ambigu, et il risquait de devenir « presidente » à vie, ce qui est clairement trop long…

Ceci dit, le Venezuela était avant lui une oligarchie où une classe dirigeante, valet des Etats-Unis, maintenait dans la pauvreté le peuple d’un pays doté d’une énorme richesse pétrolière : Chavez a conquis l’indépendance par rapport au puissant voisin du nord, mené une réelle politique de redistribution de la richesse collective, encouragé l’éducation et le système de santé, fortement réduit l’inégalité dans son pays. Il a, de surcroît, ce qui n’est pas rien, rendu à son peuple sa dignité et sa fierté. Ce bilan est largement positif.

D’autre part, la haine des grands medias occidentaux à l’égard de Chavez m’a toujours stupéfié. Son motif est simple : ils avaient peur de l’alternative au capitalisme qu’il tentait d’incarner avec d’autres, peur qu’il puisse servir d’exemple et de modèle. Chavez n’était certes pas un saint, mais ce n’était pas un démon. Il a toujours été régulièrement élu, et les prisons de Caracas ne comptaient pas de prisonniers politiques. Et surtout, j’ai toujours été frappé de la différence de traitement des médias envers le Venezuela et d’autres pays d’Amérique centrale : a-t-on prêté la même attention au Guatemala, au Honduras, au Salvador, théâtres de violentes et barbares répressions, et dont les régimes politiques sont loin d’être des parangons de vertu démocratique. Mais ils sont dans la main des Etats-Unis, et c’est cela que les médias de l’oligarchie reprochaient à Chavez : il était libre.

Source : http://www.reporterre.net/spip.php?article3944

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