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« Nous avons perdu la peur comme citoyens, mais comme travailleurs c’est la résignation qui prédomine encore »

L’année 2011 restera dans les mémoires comme l’année des révoltes. Les soulèvements du printemps arabe ont allumé la mèche du Mouvement du 15-M dans l’Etat espagnol. La vague des mobilisations a déferlé de Madrid à Barcelone et d’Athènes à New York à partir d’un sentiment commun : l’indignation. Mais dans quelle mesure peut-on comparer les révoltes arabes avec les mouvements indignés ? Répondent-ils à des causes communes ? Ces nouvelles formes de mobilisation ont-elles remplacé déjà remplacé les protestations syndicales traditionnelles ? Jusqu’où va la crise de la démocratie ? Ce sont ces questions, et d’autres encore, qu’abordent Esther Vivas et Josep Maria Antentas, experts en mouvements sociaux, dans leur livre « Planeta Indignado. Ocupando el futuro », publié au début de l’année 2012 et récemment réédité. Ils nous expliquent pourquoi la société doit avancer vers un changement de système. Entretien réalisé par Brais Benitez.

* * *

Qu’à représenté le Mouvement du 15-M ?

Vivas : Le 15-M a été le début d’un nouveau cycle de mobilisations dans lequel nous nous trouvons encore. Ce qui a émergé avec le 15-M, c’est tout un malaise social, une indignation accumulée, fruit d’une situation de crise et des politiques appliquées pour en sortir. Les causes qui ont provoqué l’émergence du mouvement n’ont fait qu’augmenter. Les racines de la crise sont toujours là et donc l’espace pour que cette indignation continue à croître.

La crise a fait éclore le mouvement mais ses causes étaient déjà latentes…

Antentas : La crise qui a commencé en 2008 accentue toute une dynamique que nous avions déjà ces 30 dernières années : usure de l’Etat Providence, politiques néolibérales qui réduisent les droits et précarisent le marché du travail… Le capital financier profite de la crise pour changer le modèle social. Derrière les coupes, les postes d’enseignants supprimés, les centres de santé qui ferment, il y a une tentative de changer le modèle social pour aller vers un modèle de société dans lequel le capital financier gouverne sans aucune sorte de restriction.

Pendant deux ou trois ans, le débat qui nous avions était : « comment se fait-il qu’avec tout ce qui est en train de se passer les gens ne bougent pas ? » Les gens étaient un peu paralysés par le choc initial. Ce qui a provoqué le changement de contexte ce furent les révolutions dans le monde arabe qui, d’une certaine manière, ont transmis le message qu’il est possible de lutter et de gagner.

Les révoltes arabes jouent le rôle d’un levier…

Vivas : Le printemps arabe nous rend la confiance dans le fait que l’action collective peut changer les choses. Que si nous nous organisons, si nous sortons dans la rue, si nous luttons, on peut obtenir des choses. Avant l’éclatement du mouvement, la peur, la résignation, le scepticisme pesaient beaucoup et les révoltes du monde arabes nous ont redonné la confiance. Cela semble peu, mais il c’est extrêmement important parce que la capacité de penser que nous pouvons changer les choses est le premier pas à faire pour mener à bien ces changements. Selon moi, l’élément important de ces révoltes est qu’elles nous redonnent confiance dans le « nous ».

Les mouvements indignés se sont développés dans plusieurs pays. Ses causes sont-elles donc globales ?

Antentas : La crise est internationale et les politiques qui sont appliquées dans toute l’Union européenne sont les mêmes. Tous les mouvements de lutte qui ont surgi contre la crise naissent dans un contexte national et étatique concret et réagissent par conséquent à des causes concrètes et sont différents les uns des autres (ce qui se passe dans le cas espagnol n’est pas la même chose que ce qui se passe en Grèce ou au Portugal, ou encore aux Etats-Unis), mais ils s’insèrent de manière simultanée dans un contexte général. Ce sont des mouvements spécifiques qui font partie de la même dynamique générale. En même temps, ces mouvements s’influencent les uns les autres.

Il y a des influences réciproques : on copie des slogans, des concepts, des pratiques, comme celle de l’occupation des places. D’autre part, il s’agit d’un trait typique des mouvements sociaux : l’effet d’imitations, d’émulation, de diffusion…

Dans votre livre vous parlez de « démocratie oligarchique ». Jusqu’où va la « crise de la politique » ?

Vivas : Il s’agit précisément d’un des éléments communs de tous ces mouvements : l’exigence de plus de démocratie. Il est clair qu’on ne peut pas comparer la situation dans le monde arabe avec celle d’ici, mais la soif de plus de démocratie et d’avoir la capacité de décider sur les politiques publique est un élément unificateur.

Dans l’Etat espagnol, il y a une crise du régime issu de la transition, une crise de la monarchie, du système démocratique actuel. Ses limites sont claires désormais : c’est une démocratie soumise aux intérêts du marché, du capital, et qui ne tient pas compte des besoins collectifs de la plus grande partie de la population. La crise a fait tomber le masque du système et à son tour l’émergence du mouvement a encore accentué les contradictions propres du système.

Nous avons vu ces derniers temps comment la Troïka désignait du doigt un nouveau président en Grèce et en Italie…

Antentas : Ces coups d’Etat financiers constituent le summum d’une séquestration de la politique par le pouvoir financier et montrent comment, dans le cadre actuel, les institutions démocratiques parlementaires traditionnelles se vident de leur contenu. Il se produit une certaine implosion des mécanismes démocratiques traditionnels, qui étaient d’ailleurs déjà assez limités.

Nous observons aussi comment s’accentue la logique néocoloniale du projet européen. Il apparaît très clairement qu’il existe dans l’UE un centre et une périphérie, et la logique qui s’impose dans l’un et l’autre est celle d’un empire et de ses colonies. Avec la crise disparaissent tous les rideaux de fumée et le monde apparaît brutalement tel qu’il est.

De telles choses peuvent aussi se passer en Espagne ?

Antentas : C’est une hypothèse qu’on ne doit pas écarter. Le gouvernement de Rajoy est en train de s’user très rapidement et lorsqu’il le sera entièrement, il est certain que le système va recourir à un gouvernement d’union nationale PP-PSOE avec un quelconque « technicien » à sa tête. C’est le mécanisme qui permettrait d’éviter des élections parce que le système ne peut pas se permettre plus d’instabilité.

Vivas : Nous n’avons pas encore connu la même situation, mais le ministre de l’Economie, Luis de Guindos, avant d’occuper ce poste, était président de la banque Lehman Brothers en Espagne et au Portugal. Nous voyons aussi l’influence du pouvoir financier dans les politiques économiques qui sont appliquées actuellement. Et les liens étroits qui unissent la caste politique actuelle et les élites économiques et financières du pays ont été clairement mis en évidence. La dynamique des vases communicants est permanente : bon nombre de ceux qui sont au pouvoir ont fait partie des conseils d’administration ou furent conseillers des principales entreprises du pays, et vice versa.

Après une année de protestations massives en 2011, il y a eu des élections législatives et c’est la droite qui a clairement gagné…

Vivas : Il faut tenir compte du fait que les élections ne constituent pas un reflet fidèle du malaise social et de l’indignation qui s’expriment dans les rues. Elles sont grandement déterminées par la capacité des partis politiques majoritaires à dominer les médias, en partie grâce au financement des banques. Les élections ne sont pas neutres, elles constituent l’un des terrains les plus défavorables pour les mouvements sociaux. Il faut plus de temps pour pouvoir constater un transfert de cette indignation dans les urnes.

Dans ce sens, je crois que la Grèce constitue un grand exemple. Après une crise économique extrêmement profonde, qui a débouché sur une crise sociale dramatique, les deux grands partis majoritaires se sont effondrés et des alternatives politiques comme Syriza ont émergé. Nous avons également vu comment l’extrême droite a capitalisé ce malaise avec son populisme xénophobe et raciste. Dans une certaine mesure, la Grèce est un miroir de ce qui peut se passer ailleurs. Beaucoup de choses qui se sont passé là bas ces dernières années commencent à se produire ici.

Antentas : Quand c’est la droite qui gagne, il faut toujours se rappeler qu’elle peut remporter des élections mais que son vote n’est jamais majoritaire. Le PSOE s’est disqualifié et c’est le PP qui a gagné, mais maintenant c’est le PP qui est en train de se disqualifier. Nous ne sommes plus dans la logique de l’alternance. Il est intéressant de voir comment la profondeur de la crise frappe le système de partis, comment il use les partis traditionnels qui entrent en contradiction avec leur base sociale.

Cela s’est surtout produit dans une plus grande mesure avec les partis sociaux-démocrates…

Antentas : La social-démocratie entre directement en contradiction avec sa base sociale et au-delà , parce qu’elle doit mener une politique néolibérale extrême. Cela provoque sa décomposition. C’est un élément central, parce que la social-démocratie a toujours été un courant politique central dans le maintien des régimes dans l’Europe méditerranéenne qui se sont établis après les dictatures militaires des années 1970. L’édifice qui s’est construit en Grèce, en Espagne et au Portugal commence à se fissurer de partout.

Quel rôle joue la dette dans tout cela ?

Vivas : La dette est utilisée comme un prétexte pour mener à bien les coupes dans les droits sociaux, les droits du travail et même les droits démocratiques. Nous pouvons voir comment l’establishment nous dit qu’il faut appliquer ces mesures d’austérité parce que la dette augmente. La majeure partie de cette dernière est privée, principalement des banques et des entreprises, et dans une moindre mesure des familles.

Le problème c’est que, sans cesse plus, cette dette privée est en train de se transformer en dette publique. Surtout parce que dans la mesure où l’on sauve des banques avec des fonds publics comme la Catalunya Caixa, le Banco de Valencia, Nova Caixa Galicia ou Bankia, la dette privée devient une dette publique : on socialise les pertes des banques tandis que les bénéfices sont toujours privés. Le problème de la dette souveraine est une question centrale dans l’agenda des mouvements sociaux indignés dans l’ensemble de l’UE. Ils remettent en question la légitimité de cette dette et promeuvent la nécessité d’un audit de cette dernière.

Quelles sont les possibilités existantes pour réaliser un audit de la dette ?

Vivas : Cela dépend de la capacité de ceux d’en bas à imposer cette pratique. Les revendications d’un audit de la dette reposent sur les expériences qui se sont déroulées dans des pays d’Amérique latine. A une époque, le gouvernement de Correa en Equateur a impulsé un processus d’audit et il fut finalement décidé qu’une partie de la dette ne devait pas être remboursée parce qu’elle était illégitime.

L’audit de la dette se comprend également comme un élément pédagogique, ce n’est pas tant l’audit en lui-même qui est important que le processus qui permet de l’obtenir. Cela implique une pédagogie sur la signification de la dette, savoir qui en tire profit, si elle vient des banques pourquoi faut-il la payer, si elle est légitime ou non.

Quelle est l’influence d’Internet dans les protestations ?

Vivas : Les réseaux sociaux ont servi à donner plus d’écho et de projection aux mobilisations. Ils ont permit de porter ces protestations dans de nombreux secteurs, tout en transformant les activistes eux-mêmes en journalistes qui peuvent expliquer leur propre version de l’histoire. C’est ce qu’on appelle dans le monde arabe le « citizen journalist ».

On ne peut comprendre aujourd’hui la mobilisation sociale actuelle sans tenir compte du rôle des réseaux, mais il faut autant prendre en compte le fait que pour qu’il y ait un impact social et politique il est nécessaire d’aller beaucoup loin qu’Internet. Nous avons clairement vu cela dans les protestations en Egypte : les blogueurs et les réseaux sociaux ont joué un rôle très important, mais l’élément clé ce fut quand les travailleurs des secteurs stratégiques comme le Canal de Suez sont entré en grève. Ces alliances entre mouvements sociaux urbains, réseaux sociaux et syndicalistes est ce qui constitue un tournant dans la nouvelle manière de comprendre la mobilisation sociale aujourd’hui.

Quelles sont difficultés pour canaliser la protestation vers les lieux de travail ?

Antentas : C’est là l’une des grandes faiblesses de la période. La montée du chômage de masse, la précarisation du marché du travail et les changements dans la forme où sont coordonnées les entreprises (processus d’externalisation, de sous-traitance, etc.) ont provoqué, ces dernières années, un affaiblissement important du pouvoir des travailleurs et des syndicats et que les travailleurs ont sans cesse moins de capacité de négociation et de mobilisation.

La grande contradiction actuelle est qu’en tant que citoyens, il existe une grande capacité de lutte dans la rue, mais en tant que travailleurs, c’est très faible. Nous avons peut être perdu la peur comme citoyens, mais comme travailleurs c’est la peur et la résignation qui prédominent encore.

Or, pour provoquer une crise politique capable d’ébranler tout l’édifice, il est vital que le capital perde le contrôle dans les lieux de travail. Et nous en sommes encore loin.

Vous consacrez un chapitre à l’importance de lier le mouvement indigné à lutter contre le changement climatique…

Vivas : La crise climatique, environnementale et écologique est une autre face de cette crise multiforme qui nous affecte. Selon moi, le défi est de relier la lutte du mouvement social indigné, qui en Europe est très centré sur les politiques économiques et sociales - parce qu’elles nous frappent de plein fouet - avec la lutte du mouvement pour la justice climatique. Les deux questions sont intimement liées, elles sont le fruit de la logique du système capitaliste qui place les intérêts particuliers et privés au dessus des besoins sociaux collectifs.

L’anticapitalisme est-il la solution ?

Antentas : C’est la réponse la plus conséquente aujourd’hui. La crise nous montre le visage le plus brutal du capitalisme. C’est un système incapable de satisfaire les besoins élémentaires de la majorité de la population et qui menace la survie elle-même de l’humanité et de l’écosystème. En outre, il s’agit d’un système qui connaît périodiquement des crises comme celle d’aujourd’hui qui, malgré le fait qu’elle est l’une des plus importantes de l’histoire, fait partie du fonctionnement habituel du capitalisme. Les problèmes que nous avons aujourd’hui ne peuvent se résoudre avec des changements superficiels, cosmétiques, un changement en profondeur est nécessaire.

C’est là le projet de l’anticapitalisme ?

Antentas : Ce qu’il exprime c’est cette volonté que le monde doit changer de base. A d’autres moments de l’histoire, il s’est exprimé par d’autres concepts, comme socialisme, communisme, etc, qui, à l’échelle des masses, représentaient l’espoir de construire un autre monde. Ces concepts, avec tout ce qui s’est passé au XXe siècle, sont souvent associés avec des choses qui n’ont rien à voir avec l’idée originale. Il est certain que le mouvement et les luttes elles-mêmes vont récupérer les anciens concepts ou bien inventerons d’autres nouveaux afin d’exprimer cet horizon d’alternative de société.

Le système actuel n’a pas de solution, un changement complet est nécessaire pour passer d’un système qui repose sur la propriété privée et la richesse vers un autre qui repose sur les biens communs ; pour passer d’un système qui se base sur la concurrence et l’égoïsme à un autre qui se base sur la défense du collectif et sur la solidarité. Le système actuel va dans un sens et l’anticapitalisme dit : allons vers l’autre sens.

Source : http://maspublico.com/2012/11/10/hemos-perdido-el-miedo-como-ciudadano...

Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera http://www.avanti4.be/analyses/article/nous-avons-perdu-la

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