10 

Offensive israélienne contre Gaza : les partis pris du traitement médiatique

Depuis le 8 juillet 2014, une offensive militaire israélienne est en cours contre la bande de Gaza. Au moment où nous écrivons, plus de 240 Palestiniens sont morts sous les bombes israéliennes, tandis qu’un Israélien a été tué par un tir de roquette. Ces événements donnent lieu à une large couverture médiatique, et nous ne prétendons pas fournir ici un article traitant de manière exhaustive de cette couverture. Dans la presse écrite comme à la radio et à la télévision, certains journalistes font au mieux leur travail et produisent, comme nous le rappellerons parfois, exemples à l’appui, une information de qualité.

Force est toutefois de constater que le traitement médiatique dominant de cette nouvelle séquence du conflit opposant Israël aux Palestiniens demeure prisonnier de bien des travers que nous avons déjà eu l’occasion d’identifier. Il existe ainsi un « bruit médiatique » largement critiquable, qui ne résume pas l’ensemble du travail journalistique mais qui malheureusement l’étouffe ou le fait quasiment disparaître. C’est à ce bruit médiatique et à la tonalité générale qu’il donne à la couverture des événements que nous nous intéresserons ici, en nous concentrant notamment sur les titres de presse écrite et leurs sites internet, tout en allant également parfois chercher des exemples du côté des télévisions.

Nous l’avions déjà souligné dans un précédent article traitant de l’information concernant le Proche-Orient : l’un des principaux biais du traitement médiatique du conflit opposant Israël aux Palestiniens est l’injonction permanente à un traitement « équilibré ». Or cette recherche d’un improbable « équilibre » entre Israël et les Palestiniens, quelles que soient les intentions des uns ou des autres, conduit nécessairement à la production d’une information biaisée, incomplète, dépolitisée et, volontairement ou non, orientée.

Une information biaisée

Le biais principal, qui en conditionne bien d’autres, consiste à traiter sur un pied d’égalité, d’une part, un État doté d’institutions stables, d’une économie moderne et comparable à celle des pays occidentaux, d’une armée parmi les plus puissantes et les plus équipées au monde et, d’autre part, un peuple qui ne possède ni État, ni économie viable, ni armée régulière. Ce pseudo-équilibre entretient l’illusion d’un « conflit » entre deux entités qui seraient quasi-équivalentes, alors que ce n’est évidemment pas le cas.

Information biaisée car traiter sur un pied d’égalité un État qui, au regard du droit international, est une puissance occupante – et est régulièrement condamnée comme telle – et un peuple en lutte depuis des décennies pour la satisfaction de ses droits nationaux – consacrés par les résolutions de l’ONU – entretient l’illusion d’un « conflit » entre deux « parties » dont la légitimité, du point de vue du droit, serait quasi-équivalente, alors que ce n’est évidemment pas le cas.

On en arrive ainsi à placer sur un pied d’égalité « Israël » et « Palestine » (parfois « Gaza », ou « le Hamas », nous y reviendrons »), et à oublier totalement le déséquilibre des forces et des légitimités :

Ou encore, dans cet éditorial du directeur délégué de la rédaction de L’Express, Christian Makarian, sobrement titré : « Israël-Palestine : l’enracinement de la haine » : « On mesure à quel point le naufrage des négociations israélo-palestiniennes aboutit à une absence dramatique de perspective : cela donne toute latitude aux énervés du "contre", tandis que les tenants du "pour" n’ont plus de parole. Lorsque la rhétorique du dialogue disparaît, les ultras de chaque bord transgressent toute logique de vie commune et renvoient les dirigeants respectifs à leur impuissance ».

Plus grave encore, l’information est biaisée car, à vouloir à tout prix maintenir un traitement « équilibré », on se concentre quasi-exclusivement sur les éléments et événements dont on peut trouver, ou construire, un équivalent dans chacun des deux « camps ». On se focalise donc sur les « tirs » des uns et des autres, sur les « dommages » provoqués par les tirs, sur la « panique » ou la « terreur » des populations civiles, en essayant d’entretenir l’illusion d’une équivalence de situation qui passe parfois par des constructions rhétoriques absurdes, voire révoltantes. En témoignent ces différents titres, qui ont tous été publiés alors que, à l’exception des trois jeunes Israéliens assassinés en Cisjordanie, seuls des Palestiniens de Gaza avaient été tués depuis le déclenchement de l’offensive israélienne [1] :

Et il est quasiment impossible de compter les reportages télévisés, notamment dans les JT, qui tentent de démontrer que « les deux populations » vivraient dans des situations équivalentes, à l’instar de celui proposé par le 20h de France 2 du 16 juillet, dont le lancement par le présentateur Julian Bugier est un modèle du genre : « Les bombes continuent de pleuvoir des deux côtés et au milieu, les populations civiles, familles, enfants, ce sont eux les premières victimes. Alors comment vivent-elles le conflit, à quoi ressemble leur quotidien ? Nos équipes sont allées sur le terrain, à leur rencontre, à Shuja’Iyya dans la bande de Gaza et à Nir Am, côté israélien. Seulement 8 kilomètres entre les deux villes mais la même peur et la même angoisse ».

On vous le dit : « les mêmes ».

Une information incomplète

Le deuxième biais du traitement du conflit opposant Israël aux Palestiniens est lui aussi le produit de l’injonction permanente à l’équilibre : à vouloir traiter de manière symétrique les situations respectives des Palestiniens et d’Israël, on est conduit à oublier, ou à occulter des informations essentielles, sous prétexte qu’elles n’ont pas d’équivalent dans « l’autre camp ». Comme nous l’écrivions il y a deux ans, « un tel traitement médiatique occulte presque totalement ce qui est pourtant l’essentiel de la vie quotidienne des Palestiniens et l’un des nœuds du conflit : l’occupation civile (colonies) et militaire (armée) des territoires palestiniens. Les camps militaires israéliens et les colonies n’ont pas d’équivalent en Israël, pas plus que les centaines de checkpoints qui morcellent les territoires palestiniens, le mur érigé par Israël, les réquisitions de terres et les expulsions, les campagnes d’arrestations, les attaques menées par les colons, les périodes de couvre-feu, les routes interdites sur critère national, etc. »

Dans le cas présent, on relèvera notamment le silence assourdissant concernant le blocus de Gaza, officiellement en cours depuis 2007, et sur la perpétuation de l’occupation et de la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem. Divers titres de presses et « experts » s’entêtent ainsi à vouloir identifier le « moment déclencheur » d’une « nouvelle crise » et, à de rares exceptions près, chacun semble considérer que c’est la disparition et la mort de trois jeunes Israéliens à proximité d’une colonie de Cisjordanie qui permettraient à elles seules de comprendre les ressorts de « l’affrontement » actuel. Comme si, soudain, un coup de tonnerre avait éclaté dans un ciel serein…

Premier exemple, les « infographies » qui prétendent expliquer en « quelques dates » ou « quelques faits », la tragédie actuelle, à l’instar de celle publiée le 8 juillet sur le site de Métro :

« Six dates », donc… Arrêtons-nous sur les trois premières :

Tout aurait donc commencé, le 12 juin, avec la disparition des trois jeunes Israéliens. Ne s’était-il donc rien passé avant ? La situation était-elle « calme » ? C’est ce que cette « chronologie » laisse entendre. Alors qu’évidemment, non. De la grève de la faim des prisonniers palestiniens (avril-juin 2014) à la mort de deux jeunes Palestiniens, tués par l’armée israélienne devant des caméras le 15 mai dernier, lors d’un rassemblement commémorant, comme chaque année, l’expulsion des Palestiniens en 1948, en passant parl’appel d’offre d’Israël, le 5 juin, pour la construction de 1500 logements dans les colonies, les « dates » sont nombreuses. Mais il était sans doute compliqué de les intégrer à la « chronologie », car ces trois événements auraient rappelé que le conflit entre Israël et les Palestiniens a des racines profondes, mais aussi et surtout de tels rappels auraient peut-être imposé de parler des colonies israéliennes, des réfugiés palestiniens et des prisonniers politiques. Or ceux-ci n’ont pas d’équivalent du côté israélien. Il aurait donc fallu rompre avec la logique de l’« équilibre » qui caractérise ces chronologies mutilées.

La deuxième date proposée (le 30 juin, date de la découverte des corps des trois jeunes Israéliens en Cisjordanie) est elle aussi parlante, non pour ce qu’elle dit mais pour ce qu’elle ne dit pas. Si l’on en croit la chronologie, il ne se serait en effet rien passé de significatif entre le 12 et le 30 juin. Et pourtant, durant cette période, ce sont quatre jeunes Palestiniens qui sont morts sous les balles israéliennes, et plus de 600 Palestiniens, dont 11 députés (parmi lesquels le président du Parlement), qui ont été arrêtés lors d’une vaste opération de l’armée israélienne en Cisjordanie. Pourquoi ne pas le mentionner ? Un simple oubli ou une occultation destinée à éviter de parler d’un sujet sans équivalent possible dans l’autre camp (une campagne massive d’arrestations), qui aurait risqué de rompre le schéma préconçu (mort-représailles-mort-représailles) qui guide cette chronologie sélective ? La réponse est dans la question…

Un exemple exemplaire de l’occultation d’une partie significative, pour ne pas dire essentielle, de la réalité, qui décontextualise totalement les événements en cours et sous-entend que ces derniers se seraient produits dans une période sans « violence » et sans « tension », comme on pourrait également le déduire de la présentation de la « chronologie » proposée par le site francetvinfo : « Va-t-on vers un nouveau conflit ouvert entre Israël et la Palestine, et une occupation de la bande de Gaza ? C’est la crainte des observateurs de la région après la vague de violences et de tensions qui a débuté le 12 juin avec le meurtre de 3 jeunes Israéliens. Mardi 8 juillet, de nouvelles frappes israéliennes ont fait un mort palestinien dans la bande de Gaza. L’armée israélienne se dit prête à toutes les options, y compris une offensive terrestre ».

Ni l’occupation et la colonisation de la Cisjordanie, ni la répression permanente que subissent les Palestiniens, ni le blocus de Gaza ne semblent retenir l’attention des « observateurs ». Et pourtant, les informations sont ou devraient être connues de tous puisqu’elles sont largement disponibles. Qui plus est, de longues pages ou de longues minutes ne sont pas nécessaires pour les mentionner. En témoigne, exemple malheureusement trop rare, un article publié par Benjamin Barthe dans Le Monde, qui rappelle, en quelques lignes, que « l’occupation de la bande de Gaza, contrairement à ce qu’affirme Israël, n’a pas pris fin avec le départ du dernier de ses soldats, le 11 septembre 2005. Comme le rappelle opportunément l’ONG israélienne Gisha sur son site Internet, l’État hébreu continue de contrôler des pans entiers de la vie des Gazaouis : le registre d’état civil, les eaux territoriales, l’espace aérien et l’unique terminal commercial. (…) De cet état de fait, la plupart des experts en droit international ont conclu que la bande de Gaza est toujours sous occupation. C’est la position officielle des Nations unies. Un tel statut requiert de l’occupant qu’il assure le « bien-être » de la population occupée. Mais à ces obligations, Israël s’est constamment soustrait. Grâce au renfort de l’Égypte du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, farouchement hostile au Hamas, et à l’apathie de la communauté internationale, le bouclage de Gaza s’est même aggravé. Selon le bureau des statistiques palestinien, le taux de chômage pour les jeunes de 15 à 29 ans y a atteint 58 % durant le premier semestre de cette année. 70 % de la population dépend des distributions d’aide humanitaire pour sa survie ».

Ce contexte, chacun en conviendra, éclaire sous un autre jour les récents « événements » (entre autres les discussions autour des conditions d’une « trêve », nous y reviendrons) et permet d’éviter les fâcheuses conséquences, en ce qui concerne la qualité de l’information, de l’improbable équilibrisme. Un moyen aussi d’éviter le troisième écueil de l’injonction à la symétrie : la dépolitisation du conflit opposant Israël aux Palestiniens, que nous avions caractérisée dans l’article déjà cité plus haut comme le « syndrome de Tom et Jerry ».

Une information dépolitisée

Nous écrivions alors : « Tom et Jerry, célèbres personnages de dessins animés, sont en conflit permanent. Ils se courent après, se donnent des coups, construisent des pièges, se tirent parfois dessus et, quand ils semblent se réconcilier, ils sont en réalité en train d’élaborer de nouveaux subterfuges pour faire souffrir l’adversaire. Le spectateur rit de bon cœur, mais il reste dans l’ignorance : il ne sait pas pourquoi ces deux-là se détestent, on ne lui a jamais expliqué pourquoi Tom et Jerry ne peuvent pas parvenir à une trêve durable, voire une paix définitive ».

Dans le traitement médiatique dominant, Israël et les Palestiniens ressemblent, à bien des égards, à Tom et Jerry, accumulant les « attaques », les « ripostes » et autres « représailles », sans que l’on sache trop pourquoi. La couverture se focalise sur l’enchaînement des événements « spectaculaires », sans questionner et expliciter les causes profondes ou les dynamiques à long ou moyen terme. L’information est ainsi décontextualisée, déshistoricisée et dépolitisée. On évoque ainsi, à la une du Monde (voir plus haut), une « guerre sans fin » (et donc sans cause ?). Autre version avec Libération, où l’on apprend que tout ceci ne serait qu’une histoire de vengeance :

Jean Guisnel, dans un éditorial du Télégramme publié le 12 juillet , assume qu’il est vain d’essayer d’y comprendre quoi que ce soit : « Dans cet effroyable cycle de la provocation et de la répression, la question n’est même plus de savoir qui a allumé la mèche. Que trois jeunes Israéliens soient assassinés froidement, c’est abominable. Qu’un jeune Palestinien soit, en rétorsion, contraint d’avaler de l’essence à laquelle ses ravisseurs, en kippa, ont mis le feu, cela dépasse l’entendement ! À ce niveau de haine, les deux peuples acteurs de cette guerre sans fin n’ont besoin que de dialogue et de calme ».

Est-il venu à l’esprit de l’éditorialiste du Télégramme (et de nombre de ses confrères qui tiennent peu ou prou les mêmes propos), que si la solution résidait simplement dans le « dialogue et le calme », il y aurait bien longtemps que le conflit entre Israël et les Palestiniens serait résolu ? Ne pense-t-il pas qu’il existe des causes profondes et que les appels au « calme » et au « dialogue », quand bien même ils seraient sincères et généreux, n’auront de sens que si l’on s’attaque aux racines du conflit, à savoir l’occupation et la colonisation de la Palestine, sans quoi ils seront vains ? Jean Guisnel et ses confrères croient-ils réellement que « les violences » sont irrationnelles et qu’il suffit de dire « stop » pour qu’elles cessent ? Peut-être ne le croient-ils pas, mais c’est en tout cas ce qu’ils laissent entendre à leurs lecteurs, ce qui est, au mieux, de l’incompétence et, au pire, de la malhonnêteté.

Certains vont même encore plus loin dans la dépolitisation en y ajoutant une dose de mépris qui n’aide pas, lui non plus, le lecteur. Ainsi en va-t-il de ce courageux éditorialiste anonyme du Monde qui, le 10 juillet, « explique » : « Le gouvernement de Benjamin Nétanyahou promet de maintenir son opération tant que des roquettes seront tirées sur Israël ; le Hamas jure qu’il y aura des tirs tant que Gaza est bombardée par Israël… Si l’affaire n’était pas aussi grave, on parlerait de stratégie de cour de récréation ». « Une stratégie de cour de récréation ». Une fois de plus, Tom et Jerry ne sont pas loin.

Et on s’épargnera de commenter ce titre trouvé sur le site de BFMTV, symptôme de la dépolitisation du conflit entre Israël et les Palestiniens et de l’indécence de certains médias :

Le mot indécence étant peut-être faible lorsque l’on sait que deux jours plus tard, c’est ce titre que l’on découvrait sur le même site internet :

Misère….

Une information orientée

Information biaisée, information incomplète, information dépolitisée… autant de travers caractéristiques du bruit médiatique dominant, qui conduisent finalement nombre de journalistes et de médias à adopter, au nom souvent de la prétendue recherche d’un « équilibre » et d’une bienveillante « neutralité », une posture résolument orientée du côté du récit israélien. Il ne s’agit pas de dire ici que « les médias » ou « les journalistes » seraient « pro-Israël », ni même d’affirmer que cette posture partisane serait consciente ou volontaire pour la majorité d’entre eux. Il s’agit bien d’affirmer que les travers identifiés ci-dessus conduisent, naturellement, à favoriser Israël dans le traitement médiatique.

Exemple typique avec le traitement dominant de la vraie-fausse « trêve » du 15 juillet, sur proposition égyptienne. Les titres ont été d’une infinie variété :

Signalons cette amusante variante proposée par Ouest-France :

En résumé, chacun aura compris que « le Hamas » a « refusé » la « trêve » alors qu’Israël l’avait « acceptée ». Questions : quelles étaient les conditions de la trêve ? Pourquoi le Hamas l’a-t-il refusée ? Pour la plupart des articles dont nous venons de citer les titres, les explications sont plutôt… laconiques. Sur les conditions de la trêve, à peu près rien. Sur les raisons du refus du Hamas, à peu près pas grand-chose.

Ainsi, sur le site MyTF1.news : « Au neuvième jour du conflit qui l’oppose à Israël, le mouvement palestinien a, sans surprise, opposé une fin de non-recevoir à un éventuel cessez-le-feu. Sur le terrain, les raids israéliens s’intensifient. Comme mardi, le Hamas a de nouveau officiellement informé l’Égypte mercredi qu’il rejetait sa proposition de cessez-le-feu dans la bande de Gaza. Cette décision, sans surprise, implique la poursuite du conflit entre Israël et le mouvement islamiste ». C’est tout ? C’est tout.

Notons toutefois qu’une dépêche AFP publiée dans la journée du 15 juillet, et de laquelle semble s’être inspirés la plupart des sites d’information, précise un peu les choses : « Le Hamas exige l’arrêt des bombardements, la fin du blocus de Gaza en place depuis 2006, l’ouverture du poste-frontalier de Rafah avec l’Égypte et la libération des prisonniers arrêtés de nouveau après avoir été relâchés dans le cadre de l’accord d’échange du soldat israélien Gilad Shalit en 2011 ».

Dont acte ? Ou pas. Et nous touchons ici aux conséquences du traitement biaisé, incomplet et dépolitisé que nous évoquions plus haut. Que viennent soudain faire le blocus de Gaza et la libération des prisonniers dans cette affaire ? Ne s’agissait-il pas juste d’échanges de tirs et d’une « escalade meurtrière » qui avait débuté le 12 juin avec la disparition des trois jeunes Israéliens ? Les exigences du Hamas, lorsqu’elles sont (succinctement) exposées, apparaissent comme étant hors de propos, eu égard au récit et au bruit médiatique dominants, et surtout personne ne prend le soin de réellement les expliciter, à l’exception de quelques articles comme celui publié par Pierre Puchot sur Mediapart, qui fournit des éléments de contextualisation et des explications permettant d’aller au-delà de l’idée d’un « refus de la trêve » par le Hamas et de comprendre les raisons qui ont poussé le Hamas à rejeter « cette » trêve.

Dans cette affaire, le Hamas apparaît donc comme celui qui refuse d’arrêter les combats, tandis qu’Israël, que l’on fait apparaître (volontairement ou non) comme étant de « bonne volonté », en sort grandi.

Autre exemple de ce parti pris qui est avant tout, rappelons-le, une conséquence ou un « dommage collatéral » des travers identifiés ci-dessus, le glissement sémantique qui s’opère lorsqu’il s’agit de nommer les acteurs des événements en cours. Si l’on tient compte de l’ensemble des coordonnées de la situation, l’offensive israélienne contre la bande de Gaza est un épisode violent du conflit opposant Israël aux Palestiniens. Ce conflit existe en Cisjordanie, à Jérusalem, à Gaza et en Israël même, comme l’ont par exemple récemment montré les épisodes violents qui ont suivi la disparition des trois jeunes Israéliens et, a fortiori, la découverte de leurs corps.

Mais dans le cas qui nous préoccupe, et probablement en raison des mécanismes de dépolitisation, l’offensive israélienne contre Gaza est devenue, souvent, une guerre Israël-Gaza, visiblement déconnectée du conflit « global » qui oppose Israël aux Palestiniens.

Parfois même, l’offensive israélienne contre Gaza est devenue un affrontement Israël-Hamas :

La réduction d’un conflit global entre Israël et les Palestiniens à un affrontement entre « Israël » et « Gaza » est déjà problématique en soi. Si demain l’Italie bombardait la Corse, parlerait-on d’un affrontement entre l’Italie et la Corse ou d’un affrontement entre l’Italie et la France ? Cette réduction accompagne en réalité, consciemment ou non, la rhétorique et la politique israéliennes visant à séparer le sort de Gaza de celui de la Cisjordanie et des Palestiniens d’Israël. Il ne s’agit donc pas d’une simple erreur d’appréciation ou d’un mauvais choix dans les termes, mais bel et bien d’un accompagnement des positions israéliennes.

Le glissement consistant à parler d’un affrontement entre « Israël » et « Hamas » est encore plus critiquable. En premier lieu, parce que le Hamas n’est pas la seule force politique présente à Gaza, loin de là, et qu’il n’est pas le seul à avoir, ces derniers jours, lancé des roquettes vers Israël. En deuxième lieu, parce que le Hamas, et ce quelles que soient les critiques que l’on peut formuler à l’égard de sa stratégie ou de ses positions et projets politiques, est le parti qui a obtenu la majorité des suffrages lors des dernières élections législatives, et ne peut en aucun cas être considéré comme un groupe isolé du reste de la population palestinienne. Enfin, la rhétorique du « conflit Israël-Hamas » occulte un pan essentiel de la réalité : le conflit n’oppose pas Israël et le Hamas, un groupe politique avec ses orientations et ses pratiques, mais Israël et les Palestiniens, un peuple avec ses droits nationaux.

***

Que ce soit lors de l’épisode de la première « trêve » ou lorsque l’on s’intéresse à la qualification de l’offensive en cours, on se rend donc compte que les biais et travers médiatiques liés à la volonté revendiquée de traiter de manière « équilibrée » une situation asymétrique débouchent sur une occultation des tenants et aboutissants réels du conflit, assimilable à une malinformation, voire une désinformation. À force de vouloir simplifier à outrance, on gomme en effet les causes profondes du conflit, on « évite » toutes les informations qui pourraient renvoyer à ces causes profondes et on fournit, à l’arrivée, une information qui n’en est pas une et qui n’offre aucune clé de compréhension au lecteur, au téléspectateur ou à l’auditeur.

Le bruit médiatique général donne en réalité à lire, à entendre ou à voir une « guerre sans fin », au sein de laquelle les torts seraient partagés, les populations civiles victimes des mêmes politiques, et les « extrémistes » responsables de tous les maux. Le déséquilibre des forces et des légitimités est largement étouffé au nom d’une prétendue « neutralité » se manifestant par la revendication d’un traitement « équilibré » qui, dans une situation telle que celle du conflit opposant Israël aux Palestiniens, conduit à un accompagnement, voire une légitimation du récit israélien.
On en oublierait presque en effet que Jérusalem, la Cisjordanie et Gaza sont, selon la légalité internationale, sous occupation, que les colonies israéliennes s’étendent chaque jour un peu plus, que plus de 5 000 prisonniers politiques sont détenus par Israël, que plusieurs millions de réfugiés palestiniens vivent toujours dans des camps et que le peuple palestinien continue de revendiquer ses droits, consacrés par la légalité internationale. Ne serait-il pas de la responsabilité des médias de nous en informer, y compris et notamment lors des épisodes comme celui de l’offensive israélienne contre Gaza ?

Julien Salingue

PS : Ce texte a été rédigé avant le début de l’offensive terrestre engagée par l’armée israélienne dans la nuit du 17 au 18 juillet, dont le traitement médiatique semble malheureusement confirmer les tendances décrites dans cet article.

Cet article, gratuit, comme l’accès à la totalité de notre site est publié par une association de militants bénévoles, à l’exception de deux salariés modestement rémunérés et qui nous sont indispensables. Nous avons donc absolument besoin de 40 000 euros. Pour savoir pourquoi, c’est ici. Pour effectuer un don, c’est là. http://boutique.acrimed.org/14-faire-un-don.html

Notes

[1] Le premier Israélien mort en raison d’un tir de roquette a été tué le 15 juillet.

 http://www.acrimed.org/article4407.html

COMMENTAIRES  

26/07/2014 01:50 par redracam

Bravo J.Salingue. Super déconstruction de la propagande du "médiatique dominant" ou "comment rendre incompréhensible un génocide".
A noter cette semaine dans Libération la publication de la pièce "Antisémitisme, les réseaux de la haine" par W. le Devin et D. Albertini qui choisissent ce moment précis de parler d’antisémitisme ; juste comme par hazard.

26/07/2014 19:28 par domi

En regardant aujourd’hui les reportages de BFM TV sur Gaza, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un montage. On voit la reporter apparemment en situation, gilet pare-balle et tout le tralala, devant des scènes de rue de Gaza en ruines se déplaçant en signalant telle ou telle chose mais on s’aperçoit qu’il s’agit d’un film projeté derrière elle dans lequel elle fait semblant d’être.

je ne sais pas où s’arrêtera leurs tricheries, leurs mensonges et leur cynisme.

26/07/2014 21:16 par V. Dedaj

Pendant la première guerre contre l’Irak, les journalistes français se faisaient filmer devant des dunes de sable ... au Koweit en faisant croire qu’ils étaient en Irak. Ceci m’a été raconté par un journaliste de la télévision... Il paraît même que l’incontournable "interprète irakien" qui les accompagnait à l’image était parfois le même, qu’ils s’échangeaient et qui se faisait payer pour "poser". On lui faisait changer de pull ou de chemise, et hop, ça passait. Tout le monde n’y voyait que du feu.

27/07/2014 17:58 par Shanan Khairi

Juste "pour rire", ce matin l’éditorial du Soir, un des deux principaux quotidiens francophones belges, nous expliquait que les manifestations pro-palestiniennes à Bruxelles étaient "encadrées par Téhéran", que condamner Israël revenait à "pousser un cri de haine uni-directionnel" et appelait à interdire toute manifestation pro-palestinienne qui ne serait pas dans le même temps... pro-israélienne. Exigence d’équilibre et de paix paraît-il... Comprenne qui pourra...

28/07/2014 10:56 par Toff de aix

Excellent article en effet, à faire tourner le plus largement possible, il fournit les arguments et les clés pour comprendre, et décrypter ce qui se passe réellement. Tant il est vrai que lorsqu’on aborde la question autour de soi, on s’aperçoit que cette propagande malsaine fonctionne à merveille. Pareil avec l’Ukraine et le traitement médiatique qui lui est réservé. Tout ceci est une honte, je rêve un jour d’un grand procès pour crimes de guerre et contre l’humanité, avec dans le box des accusés les responsables US et israéliens, Obama et Netanyahu en tête, mais aussi avec leurs complices j’ai nommé les journalopes (ou pressetitués, c’est vous qui voyez).

22/08/2014 11:08 par TAIEB

L’article est très complet, argumenté et visiblement écrit pour des gens qui ne maîtrisent pas le sujet aussi bien que vous. Cependant la réalité y est bien maquillée et réussit certainement à convaincre par omission(s) ou exagération(s) une partie de votre lectorat. Ca n’est un secret pour personne que vous ne faites pas partie des défenseurs d’Israël et vous ne vous en cachez pas. Si j’’avais le temps j’aurais relevé toutes vos tentatives d’orienter fallacieusement vos lecteurs en y apportant à chaque fois une contradiction authentique et prouvée. A défaut je suis quand même obligé dans soulever une énorme. Vous écrivez : "La réduction d’un conflit global entre Israël et les Palestiniens à un affrontement entre « Israël » et « Gaza » est déjà problématique en soi....." Il ne s’agit pas d’une réduction mais d’une réalité. Le conflit ACTUEL celui qui se déroule depuis le 8 juillet est un conflit entre Israël et le Hamas. Il se déroule en parralèle du conflit Hamas, Fatah qui se déroule depuis la "prise de pouvoir" du Hamas dans la bande de Gaza. Prise de pouvoir accompagnée de violences dont je doute que vous ayez parlé. Tirs dans les genous des gens du Fatah, basculement des toits d’un immeuble avec les yeux bandés et les mains attachées dans le dos. Assassinat sommaires avant d’être exhibé comme des trophées et tirés par des motos. Pourquoi ne dites vous pas qu’aujourd’hui le seul pays arabe à soutenir le Hamas s’appelle le Quatar et que tous les autres s’en moquent éperdument quand ils ne se félicitent pas de leur situation comme l’égypte. Savez vous qu’au début de ce conflit le représentant palestinien à l’ONU accusait le Hamas de crime de guerre. Vu votre talent d’écriture, pourquoi ne feriez vous pas un article sur les méthodes de guerre du Hamas. Caches d’armes, de rampes de tir, de combattants etc... Je pense que vous pourriez y gagner en crédibilité

22/08/2014 11:39 par Maxime Vivas

Nos lecteurs ou l’auteur vous répondront s’ils le souhaitent.
Mais souffrez deux remarques :
- LGS donne à lire et il a signé une part infime des plus de 26 000 articles qu’il a publiés. Il n ’est pas nécessaire que LGS soit d’accord sur tout un article pour qu’il le publie (voyez l’affrontement autour du F de G, de l’Euro, etc.). Vous avez raison de noter nos choix éditoriaux, mais prenez garde à ne pas confondre LGS avec ses 1500 auteurs (qui ne sont pas clonés).
- Vous écrivez : "Ca n’est un secret pour personne que vous ne faites pas partie des défenseurs d’Israël et vous ne vous en cachez pas". Vous faites une erreur idéologique de fond. Est-ce que vous diriez qu’Haaretz, par exemple, est un quotidien ennemi d’Israël ? Non, les partisans de la politique guerrière, colonialiste, expansionniste du gouvernement (de droite et d’extrême droite) israélien sont ses ennemis (mortels).
Laissons du temps au temps et nous verrons, M. Taieb, où sont ceux dont l’aveuglement vous prépare un avenir de sang et de larmes.

22/08/2014 17:46 par DePassage

@TAIEB

Les lecteurs et lectrices de longue date de Le Grand Soir ne laisseront pas leur jugement influencé par la hasbara israhellorwellienne maître dans l’art de la réécriture de l’histoire et dans l’art de l’inversion des rôles…

Allez ouste ! Débarrasse le plancher !

23/08/2014 00:05 par Leo Lerouge

@TAIEB

Non, Israël n’est pas "en conflit" avec le "Hamas".
Ce sont les dirigeants israéliens qui le prétendent et qui s’en servent pour justifier et légitimer les opérations punitives répétées non seulement contre Gaza, enfermée entre quatre murs et sous le joug israélien, je vous le rappelle, mais contre tous les Territoires des Palestiniens.
Ils se servent du Hamas comme ils se sont servis de l’OLP en son temps pour leurrer les gogos incapables de réfléchir par eux-mêmes, et dont vous êtes un spécimen représentatif.

Ensuite, opposer les maigres possessions militaires du Hamas à la machine de guerre israélienne, quatrième armée du monde, capable d’attaquer par air, terre et mer, et largement sponsorisée par l’armée la plus équipée du monde et de très loin, ce n’est pas de l’"omission", c’est un mensonge éhonté, que seuls soutiennent les médias dédiés à la propagande pro-israélienne.

Et puis, comment peut-on prétendre être seulement "en conflit" avec le parti politique d’un pays quand, pour ce faire, on va sans scrupules assassiner la population civile, raser les lieux de travail et d’habitation, ou bombarder avec arrogance les écoles de l’ONU, censées être des sanctuaires ?

D’autre part, le Hamas n’a pas plus "pris le pouvoir" à Gaza que Netanyahou en Israël ou Hollande en France. Il y a été ELU on ne peut plus légalement sous la haute surveillance des "observateurs internationaux".

Quant à la résistance du peuple palestinien, qu’elle soit menée par le Hamas ou non, elle est parfaitement légale selon les lois internationales : tout peuple occupé a le droit de se défendre contre l’oppresseur.
Ce n’est aucunement le cas pour l’oppresseur, qui, si les dirigeants mondiaux actuels avaient une once de sens moral, aurait depuis longtemps été traduit devant la Cour Pénale Internationale.
Vous n’allez pas nier que ce qu’on appelle les Territoires Occupés le sont par Israël, non ?

D’autre part, dans la plus pure tradition de la hasbara, vous parlez des "méthodes de guerre du Hamas. Caches d’armes, de rampes de tir, de combattants".
Eh oui, les résistants ont besoin d’armes et n’ayant pas d’armée constituée, ni de moyens de se protéger, ils cachent les armes comme ils peuvent.
Ce n’est pas le cas d’Israël qui a des installations militaires (également implantées près des populations civiles, d’ailleurs) quasi-inviolables et qui ont même installé un "Dôme de fer", financé en partie avec les US dollars pour intercepter les roquettes.

Pourquoi donc Israël aurait-il le droit de se protéger et les combattants du Hamas devraient-ils tous s’installer dans un endroit vulnérable et isolé des populations ? Pour qu’Israël puisse tous les massacrer en prétendant qu’il a veillé à ne pas toucher les populations civiles ?
Ce serait plus crédible pour l’image de victime qu’il veut se donner que d’avoir sur les mains le sang d’enfants qui jouent sur une plage, évidemment.

Pendant la "guerre mondiale" n°2, les résistants ne s’étaient pas rassemblés dans un même endroit non protégé en attendant tranquillement d’être bombardés et exterminés. Alors, en effet, eux aussi circulaient parmi la population.
Qui, aujourd’hui, y trouverait à redire, quand ils ont permis de libérer le peuple français, parmi lesquels les Juifs de France, envoyés dans les camps par la volonté du pouvoir d’extrême-droite en place, et enfin sauvés de l’extermination programmée ?
Un projet d’extermination en vaut un autre et tous les moyens sont bons pour l’empêcher.
Ainsi, votre argument sur le Hamas qui se cache parmi la population est pitoyable.
Si vous soutenez les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, ayez au moins le courage de le dire clairement au lieu de trouver de piètres explications pour justifier les actes d’Israël.

Quant aux dégâts causés à Gaza par vos amis, ils dépassent largement ce que vous prétendez attribuer au Hamas sans, d’ailleurs, apporter de preuves concrètes de ce que vous avancez.
A la suite des récents bombardements israéliens, plus de 360 usines ont été rasées ou gravement endommagées, des milliers d’hectares de terres agricoles ont été détruits par les tanks, les bombardements et les frappes aériennes.
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (la FAO), environ 16.000 hectares de terres agricoles ont subi des dégâts directs considérables et la moitié des élevages de volailles ont été détruits, soit à cause des frappes, soit à cause de l’impossibilité d’accès aux terrains agricoles près de la frontière avec Israël.
Le bétail a, lui aussi, été décimé.
Il y a eu des pertes de plus de 9% de la production annuelle de pêche entre le 9 juillet et le 10 août.
Selon les estimations, il y aurait eu trois fois plus de pertes économiques que lors de l’offensive de 2008-09.
Le taux de chômage, qui était de 40% avant les frappes, va monter en flèche avec les destructions d’usines.
Et rendre les Gazaouis encore plus dépendants d’Israël pour les produits de base.
Etc. voir ici

Et vous, vous venez nous raconter des historiettes sans intérêt en prétendant que c’est nous qui ne sommes pas crédibles ?

NB : Et puis, mettez-vous au courant, au lieu de chercher on ne sait où des justificatifs à vos aberrations :
Le Hamas et le Fatah ont annoncé le 23 avril dernier qu’ils mettraient en œuvre les accords de réconciliation conclus au Caire en 2011 et au Qatar en 2012.
Et devinez quoi ? Israël a réagi en suspendant les négociations de paix avec les Palestiniens et en menaçant d’adopter des sanctions économiques.
Et, en mai, était créé le gouvernement d’union nationale de la Palestine.
Ça n’a probablement pas plu du tout, ça non plus.
On pourrait même chercher de ce côté-là une explication tout à fait vraisemblable à une telle folie destructrice.

01/09/2014 11:05 par Yousra

Bonjour,

Bravo pour cet article unique et véridique qui mérite d’être lu par tous. Vous éclairez ce que les journaux traditionnels cachent et je trouve cela très courageux.

Bonne continuation
Yousra

(Commentaires désactivés)