Chaque soir, au moment où le soleil commence à se coucher sur la Méditerranée, des groupes d’Israéliens se rassemblent au sommet des collines proches de la frontière avec Gaza, pour pousser des acclamations, des cris de joie, et des sifflements approbateurs, au spectacle du déluge de bombes qui s’abat sur la population, à quelques kilomètres de là, dans une zone de conflit qu’on croirait sortie d’un cauchemar.
De vieux canapés, des chaises de jardin, des sièges de voiture défoncés, voire des caisses retournées, font office de places assises pour les spectateurs. Sur l’un des sommets, les branches d’un pin ont servi à installer une balançoire, dont l’occupant peut savourer l’oscillation douce, dans le souffle de la brise. Certains amènent des bouteilles de bière, d’autres des boissons non alcoolisées, d’autres encore des casse-croûtes.
Le Samedi, un cercle d’hommes se referme autour d’un narguilé. Presque tous tiennent leur téléphone intelligent à bout de bras, afin d’enregistrer les explosions, ou de prendre la pose, un large sourire aux lèvres, le pouce levé, parfois, pour des égoportraits sur fond de fumée noire.
En dépit des rapports selon lesquels des millions d’Israéliens vivraient dans la terreur des roquettes du Hamas, celles-ci ne découragent pas ces conflitologues de promontoire amateurs, que le voisinage de Gaza met à portée des tirs de missiles les plus rudimentaires. Certains viennent avec leurs enfants.
Dans la ville frontalière de Sdérot, que d’innombrables missiles, tirés depuis la Bande de Gaza, ont touchée au cours des dernières années, une famille se réunit sur un balcon, à l’étage supérieur ; ses membres sont recouverts, soit du drapeau israélien, soit de la bannière d’une des brigades de l’armée, la légendaire Brigade Golani. En cette période, une maison avec vue sur la guerre peut même se vendre au prix fort.
À la tombée de la nuit, l’atmosphère s’imprègne peu à peu d’une sensation de plaisir anticipé, exacerbé à la fois par l’attente – de voir les militants du Hamas intensifier leurs tirs de roquette (après avoir rompu leur jeûne, en cette période de Ramadan), et par l’espoir – de voir l’armée israélienne répliquer par la force.
Des exclamations approbatrices saluent le grondement sourd des tirs d’obus, l’éclair d’une explosion, la montée d’un voile de fumée. Un spectateur admiratif s’extasie : « Comme c’est beau ! ».
Âgée de 19 ans, Shimrit Peretz est venue en compagnie de son petit ami, Raz Sason, un soldat en quartier libre, qui porte son fusil d’assaut de l’armée en bandoulière.
Peretz explique : « Nous venons voir les bombardements », avant d’ajouter qu’il s’agit de leur quatrième sortie au sommet de la colline. Ils ont prévu de rester plusieurs heures : « C’est intéressant ». Le couple s’est muni d’un sac à dos, rempli de bouteilles d’eau, et de sacs de chips.
Contrairement à Sason, Peretz avoue ne pas s’en faire pour les civils palestiniens, pris dans les bombardements. En dépit de son inquiétude pour les innocents que les assauts surprennent, le jeune appelé regrette de n’être pas en compagnie de ses camarades à Gaza, de l’autre côté de la frontière. Il l’explique ainsi : « J’aimerais participer à l’attaque, afin de servir mon pays, et de venir en aide aux soldats qui sont dans la place ».
Le secteur, qui offre des panoramas spectaculaires, attire les équipes journalistiques, venues assurer la couverture des combats. Au sommet d’une colline toute proche, un incident semble sur le point d’éclater, à la suite des menaces proférées par un groupe d’Israéliens à l’encontre d’un photographe, qu’ils accusent d’être un « gauchiste ». Tandis qu’on nous déconseille de solliciter des interviews, les acclamations reprennent.
Harriet Sherwood
Harriet Sherwood est la correspondante du Guardian à Jérusalem. Elle fut auparavant rédactrice en chef du service « Nouvelles Internationales », puis du service « Nouvelles Nationales ».
Harriet Sherwood, depuis Sdérot, The Guardian, 20 Juillet 2014.
Article traduit par Hervé Le Gall
Original de l’article (en anglais)