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Connaissez-vous Bernadette Ségol ?

Il y a quelques années, les syndicats qui ne prônent pas le « dialogue constructif » et la « réforme » – en d’autres termes la collaboration avec le patronat et l’État-patron – ont éprouvé quelques difficultés à trancher une question épineuse : fallait-il intégrer les instances, les rouages, la bureaucratie de l’Union européenne ?

Entrer, c’était l’aléa de se voir infecter par le poison libéral. Ne pas entrer c’était risquer d’être constamment hors du coup, de ne pouvoir peser sur rien et laisser le champ libre aux syndicats « modérés » qui en seraient ressortis légitimés, en particulier aux yeux de la grande masse des non syndiqués. Le syndicat auquel j’appartiens, la fédération à laquelle il est rattaché furent parmi les derniers à accepter de jouer le jeu de « l’Europe », en se disant que, si la cuiller est longue, on peut s’attabler avec le diable.

J’ai toujours pensé que, vu la puissance de feu des milliers de banquiers, de groupes de pression multiples et variés harcelant sans relâche les représentants du peuple, les moyens dérisoires des forces syndicales ne feraient pas le poids. J’estimais par ailleurs – et je n’ai pas changé d’avis – que plus on s’affaire, plus on se croit utile et intéressant dans les sphères ouatées si loin de la vraie vie, moins on a d’envie et d’énergie pour descendre dans la rue et lutter dans les entreprises. Ce sont des habitudes que l’on perd très vite.

Pour rendre plus concret ce que j’avance ici, je vais revenir ici sur la lutte récente des cheminots français, son échec relatif par absence de perspective européenne. Cette absence n’est pas étrangère à la personnalité de la responsable syndicale suprême de l’Union européenne.

Pendant la grève des cheminots français, le silence de la Confédération européenne des syndicats fut assourdissant. Alors que cette CES prétend œuvrer en faveur d’un « syndicalisme européen », militer pour des « euro-manifestations », elle n’a rien fait pour, par exemple, aider à la convergences des luttes en France, en Allemagne et en Suède. En 2010, les autorités suédoises ont mis fin au monopole de l’opérateur national, les Statens Järnväger. Les rails sont toujours la propriété de l’État mais des entreprises privées comme Veolia (sa filiale Connex) opèrent désormais dans les chemins de fer, ainsi que dans les transbordeurs et les taxis. En Allemagne, les cheminots ont en ligne de mire la semaine de 37 heures. La CES ne s’est nullement intéressée à ces mouvements, n’a affiché aucune solidarité.

La CES regroupe des syndicats socialistes, mais aussi des démocrates-chrétiens et des libéraux. En France, la CES unit la CGT, la FSU mais aussi FO, l’UNSA, la CFDT ou la CFTC. Alors que les patrons sont tous du même côté de la barrière, les syndicats sont fortement désunis de part et d’autre des piquets de grève, ou lorsqu’il s’agit de négocier avec les patrons. Il ne faut donc pas s’attendre à trouver la CES à la pointe des luttes. Son objectif est d’aplanir, de concilier, d’aseptiser, de construire une Europe qui laisse libre cours aux menées du capital.

Cette CES est dirigée par une française qui n’a jamais milité dans un syndicat français : Bernadette Ségol. Elle est favorable au « dialogue social », entre « partenaires sociaux », naturellement. Elle croit en la construction d’une Europe unie, avec « une dimension sociale », créatrice de « prospérité et de compétitivité ». Organiser les luttes au niveau européen n’est pas vraiment sa tasse de thé.

Né en 1949, Bernadette Ségol (dont le nom, belle antiphrase, signifie « le loup victorieux ») est depuis mai 2011 Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats et depuis novembre 2011, vice-présidente du Mouvement européen (président Jean-Marie Cavada). Son slogan, aussi choc que subversif, est : « L’Europe, c’est vous ! » Bernadette Ségol a étudié la philosophie à l’Université de Toulouse. De 1974 à 1985 elle a œuvré au sein de la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et du cuir. En d’autres termes, elle n’a jamais travaillé dans la vie active, et a occupé des postes de cadres dans la machine associative.

En 1985, elle rejoint l’Euro-FIET, structure européenne de la Fédération internationale des employés, techniciens et cadres où elle est Secrétaire régionale pour l’Europe.

En 2000, elle est Secrétaire régionale Europe dans le cadre d’UNI-Europa. En mai 2011, elle quitte UNI-Europa pour devenir Secrétaire générale de la CES. La même année, en novembre 2011, elle est élue vice-présidente du Mouvement européen international lors du congrès de Varsovie.

Mieux que Bergeron, et peut-être même mieux que Notat !

PS : Notez bien : 250 milliards d’euros d’investissement = 11 millions d’emplois. Pas 11,8 ni même 11,5. If that isn’t a con, comme on dit en globish bruxellois...

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COMMENTAIRES  

01/08/2014 19:00 par Dwaabala

Accablant.
C’est peut-être cette personne qui est du côté de la vraie vie ? Ce rajout, parce qu’il faut dix caractères.

02/08/2014 04:24 par babelouest

Élève Dwaabala, veuillez je vous prie définir le terme "la vraie vie". En vers de préférence.

02/08/2014 10:10 par Dwaabala

babelouest

Bernadette ou la vraie vie
Jamais ne travailla dans la vie dite active :
Cadre, toujours, dans la machine associative.

02/08/2014 12:02 par Autrement

Et Marie-Noëlle Lienemann qui a voté le paquet ferroviaire au Sénat, c’est la vraie vie ? Déclaration de O. Dartigolles : "Vouloir que ceux que nous appelons au rassemblement pensent aujourd’hui, au millimètre près, ce que nous pensons et qu’ils aient des votes comparables aux nôtres reviendrait à fonctionner comme par le passé, sur le mode des injonctions." (Politis, 10/07/14). Le budget rectificatif, un millimètre ! La grève des cheminots, un millimètre ! Ça me rappelle Achille et la tortue, le noeud gordien, les écuries d’Augias à nettoyer...

Moi aussi, Messieurs, "j’estimais par ailleurs et je n’ai pas changé d’avis..."

02/08/2014 16:48 par Dwaabala

Oui, mais qu’est-ce qu’on peut faire ? (Question de socialiste de la base)

02/08/2014 20:56 par Autrement

Qu’est-ce qu’on peut faire ? – Mais...le saut dans la liberté !

02/08/2014 22:49 par Dwaabala

Avec mon esprit de l’escalier, quinze jours après : - Déjà, ne plus les suivre serait un premier pas ; mais la question était rhétorique. TINA.

03/08/2014 08:47 par Bernard Gensane

Le 10 juillet, la CES et la confédération syndicale étasunienne AFL-CIO se sont réunies dans le cadre d’un dialogue fructueux sur le traité transatlantique de libre-échange. Un document (rédigé uniquement en anglais) a suivi et a déjà fait trembler le monde (http://www.aflcio.org/...). Les deux confédérations veulent un traité « d’excellence » favorables « aux gens » (« the people »), une « prospérité partagée » (« shared prosperity ») et un « développement économique et social durable » (sustainable »).

Les deux confédérations sont persuadées que le développement du commerce entre les deux continents permettra la création d’emplois de qualités. Elles souhaitent que la démocratie soit « respectée » afin de garantir la « souveraineté des États » et « les droits sociaux et culturels ».

La « protection des travailleurs » (le mot « travailleur » finit par apparaître) ne devrait pas être considérée comme des « barrières commerciales ».

Les deux confédérations s’opposent à ce que des tribunaux privés (comme celui qui a fait du bien à Bernard tapie) puissent prendre le pas sur les instances juridictionnelles publiques, alors que, justement, TAFTA est fait pour cela.

Bref, du côté de Wall Street, on en tremble encore.

03/08/2014 17:01 par Autrement

C’est vrai, il y a là matière à mauvaise humeur, et même à pessimisme plus que syndical. Mais ensuite ?
Les textes présentés par B. G. sont à mettre en relation avec celui que nous a traduit Claire Paque, ici, qu’elle qualifie elle-même d’ « ubuesque », et qui lui semble (à juste titre, étant donné la situation réelle à Gaza) « relever de la psychiatrie lourde ».
Qu’est-ce qui ressort du rapprochement de ces textes, tous produits de la bureaucratie mondialisée ?
Qu’en fait, selon une formule naguère célèbre, « l’impérialisme est un tigre de papier ». Commentaire d’un bon copain de l’époque (universitaire lui aussi ) : « C’est pas faux... »

Les dominants hiérarchiques et leurs agents automates nous font désormais vivre quotidiennement dans un univers d’acronymes, entièrement artificiel, mais qui finit par être assimilé au réel. Pour nous, régionalement, ça va sans doute être une COMUE... ! ( Et pourtant, on résiste, comme ici..)
Tout acronyme, avant de mettre en mouvement les bras, les jambes et la tête de ceux qui s’y investissent, tire sa force et son autorité de son prototype immémorial : la syllabe sacrée, tant imprononçable qu’irreprésentable, du monothéisme, intériorisée (par les simples) comme un absolu. Pourtant, les puissants de ce monde nous montrent tous les jours que ces acronymes - ces lois, ces textes juridiques, ces règlements, ces traités, ces conventions internationales et autres chartes, déclarations, institutions et constitutions, ne sont pour eux que des chiffons de papier, quand ils font obstacle à leurs intérêts.
Nous pouvons faire de même !
Mettons hors jeu tous les acronymes officiels, démasquons les conciliabules ouatés. Regardons les vivants. Rien n’empêche un Etat-nation souverain (nation-citoyens et non nation-ethnie ou religion) de mettre tous ces textes à la poubelle et d’en promulguer d’autres. Evidemment, si chacun attend que le fameux « magma » régionalo-européâtre soit mis sur pied, ce sera d’autant plus difficile de résister. Et même pourtant ? Les Gazaouis ?
Nous sommes le grand nombre, et nous (pour le meilleur et pour le pire), nous ne sommes pas en papier.

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