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Renaissance du socialisme ? Ce que nous promet le "siècle chinois"

« Seul le socialisme peut sauver la Chine » affirmait le fondateur de la Chine moderne, Mao Zedong, voici maintenant plus de 70 ans. A la vérité le problème, par rapport à 1949, s’est renversé : depuis l’échec de l’URSS, la conversion des démocraties populaires d’Europe au néolibéralisme, la chute de presque tous les régimes socialistes du tiers-monde, ces idéaux égalitaires sont mourants. Il faut dire aujourd’hui : « Seule la Chine peut sauver le socialisme ».

À une époque où les inégalités explosent dans presque tous les pays, où l’on constate partout les impasses du court-termisme et de la démagogie démocratiques, où chacun a pris conscience de l’ampleur de l’effondrement environnemental en cours, le monde a besoin de solutions alternatives au « laisser-faire » capitaliste. Il faut que des formes de planification à long terme, d’allocation plus rationnelle des ressources, de rationnement équitable prennent le relais du catastrophique modèle néolibéral de la croissance sans fin. En un mot, le socialisme doit revenir à l’ordre du jour.

Le socialisme a mauvaise presse. Dans les nombreux pays où l’expérience collectiviste a été tentée, elle a toujours fini par échouer à plus ou moins brève échéance. Il faut se rendre à l’évidence, nous explique-t-on : le socialisme « ça ne marche pas ». C’est oublier un peu vite les succès incroyables de pays sortis en un temps record du sous-développement. C’est oublier, surtout, la guerre totale, le blocus économique et le pilonnage médiatique menés contre eux par « le monde libre ». Aucun pays socialiste n’a eu le loisir de se développer en paix. Reste l’exception chinoise : celle qui confirme la règle. Depuis quarante ans, le socialisme à visage chinois vole de succès en succès.

« Mais la Chine n’est pas socialiste ! » vous rétorquera-t-on. « Depuis la Réforme et l’Ouverture de Deng Xiaoping, la Chine accueille capitaux occidentaux et technologies étrangères, abaissant le pavillon de l’idéologie maoïste, elle a libéralisé son économie, autorisé la propriété privée, orchestré une explosion de la consommation, s’est intégrée au commerce global et à la finance mondiale. Elle n’a plus de socialiste que le nom ! »

Si, répond Alice Ekman, chercheuse au CNRS, dans Rouge vif, l’idéal communiste chinois (2020) un ouvrage qui a le mérite de faire fi des étiquettes superficielles pour s’appuyer avant tout sur des définitions et des constatations (« renoncer à l’idéologie pour partir des faits », prônait Deng Xiaoping). Elle fonde sa démonstration sur 10 constats simples. Fondements du communisme toujours présents, symboles du maoïsme toujours là, volonté du PCC de gérer le quotidien des individus, parti unique désireux de renforcer son emprise sur l’économie nationale (au lieu de la réduire, comme le voudrait l’idéal friedmano-hayékien), etc débouchant sur cette conclusion provisoire : la Chine est et reste un pays communiste, c’est-à-dire dirigé par le PC et ayant vocation à exporter ses méthodes et ses approches. Le progressif raidissement des positions chinoises est la conséquence de l’extravagante guerre de propagande que mènent à ce pays les Etats-Unis et qui a culminé avec l’épisode Trump.

L’affrontement sino-étasunien avait commencé sur le terrain relativement inoffensif de la concurrence commerciale, avant de s’étendre à l’économie (part croissante du PIB mondial), à la technologie (part dominante des brevets mondiaux), à la géopolitique (domination de l’espace eurasiatique), déjà nettement plus stratégiques, mais n’excluant pas encore absolument la coopération. Désormais nous assistons à l’ouverture du front idéologique : la Chine veut faire mentir Fukuyama. C’est en soutien à cet effort que la diplomatie chinoise tisse avec des moyens toujours plus importants un « cercle d’amis » appelé à concurrencer l’empire étasunien.

Selon Alice Ekman, « trois développements permettent d’affirmer que la Chine souhaite promouvoir un système politique et économique spécifique dans le monde, qui s’inspire de son système national ». Il s’agit en résumé de sa rhétorique officielle, de plus en plus critique vis-à-vis des modèles occidentaux traditionnels, de l’activisme diplomatique coordonné qu’elle déploie en toute occasion auprès de toutes les institutions internationales, et enfin des grands projets d’infrastructures (routes, ports, chemins de fer, mais aussi banques et institutions internationales) qu’elle conduit aux quatre coins du monde.

On peut ajouter à cela l’exemple récent de la crise mondiale du Covid : alors que la Grèce et l’Italie étaient les premiers pays de l’UE touchés, leurs voisins se barricadèrent chacun derrière ses frontières, tandis que les États-Unis annonçaient à l’avance qu’un futur vaccin serait réservé à leurs ressortissants, et c’est de Chine qu’est venue d’abord l’aide, rapide et efficace. D’où cette constatation, brandie le plus souvent avec horreur par les têtes pensantes de la presse occidentale : le modèle chinois du « destin partagé » commence à séduire une partie de la population mondiale, et notamment (surprise ?) dans des pays de tradition démocratique. Faut-il s’en s’effrayer de ce nouveau "virus chinois" ?

Pour mieux comprendre les « valeurs asiatiques » que voudrait propager la Chine, une analyse intéressante est offerte par Cyrille Javary (Souplesse du dragon, 2002). Il insiste sur le fait que l’on ne peut pas comprendre ni interpréter correctement la culture et l’esprit chinois à partir de référents euro-centrés. Les Chinois, nous rappelle-t-il, ne se sont jamais passionnés comme les Européens sur les questions métaphysiques, celle des origines ou de l’au-delà. Contrairement à ces derniers, les descendants de Laozi et Confucius n’ont pas non plus formaté leur esprit à des raisonnements mathématiques binaires vrai/faux, ouvert/fermé, bon/mauvais. Au lieu d’en conclure (en bon Européen sûr de l’universalité de ses valeurs) qu’ils ont fait historiquement fausse route, Cyrille. Javary explicite la logique « graduée » du Yin et du Yang qui ne sont pas contraires mais complémentaires et comprennent chacun une parcelle de l’autre.

Le Yi Jing (Classique des Changements) abondamment cité, résume tout cela en une phrase : « La seule chose qui ne changera jamais est que tout change tout le temps ». A la question du pourquoi, si européenne, si fertile en théories et en suppositions invérifiables, les Chinois préfèrent celle du comment, tellement plus pragmatique et productive. C’est ici que se trouve peut-être la clé de la différence entre le Consensus de Washington et celui, en gestation, de Pékin.

Le consensus de Washington, on s’en souvient, c’est l’ensemble de recettes de l’orthodoxie économique et financière que l’Occident entend imposer à lui-même et au monde entier. Ouvrir tous les marchés à la concurrence étrangère, privatiser tous les secteurs économiques, lever les barrières tarifaires, accepter l’hyperinflation et/ou le chômage de masse comme les signes avant-coureurs d’un inévitable retour à l’équilibre et à la prospérité... à une échéance non précisée. A ces approches parfois efficaces mais socialement brutales voire contre-productives, la méthode chinoise préfère celle dite « tâter les pierres sous le courant » qui se résume par : la stabilité à tout prix, quitte à avancer lentement ; inventer un cheminement adapté à ses propres conditions et situations ; fixer un cap à long terme. Autant dire le contraire exact de la thérapie de choc du FMI et de la Banque mondiale qui préconise justement, ainsi que l’a parfaitement décrit Naomi Klein (The Shock Doctrine, the Rise of Disaster Capitalism, 2007) (La Stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre), la prise aussi rapide que possible de mesures draconiennes et irréversibles.

Que doit-on attendre de ce « siècle chinois » qui s’ouvre, à en croire la majorité des éditorialistes patentés ? Selon eux, bien sûr, l’émergence de la Chine représente une menace terrible. Pourtant il y fort à parier qu’il sera bien plus paisible que le « siècle américain » qui se referme.

Tout d’abord parce que la Chine ne vise pas la domination au sens étasunien. Une puissance insulaire (comme les Etats-Unis) ne se sent ni menacée ni concernée par les malheurs et les calamités qui frappent des pays éloignés. Puissance continentale, la Chine est au contraire historiquement préoccupée de la stabilité de ses voisins, tout désordre d’abord lointain pouvant rapidement se traduire par des menaces sur ses frontières. Et dans le contexte moderne, tous les pays sont voisins. Il est frappant d’observer le contraste qui existe entre l’activisme politique des Etats-Unis, sans cesse occupés à saper les systèmes politiques étrangers par des sanctions économiques et en y fomentant révoltes et soulèvements, et la sage retenue de la Chine qui se borne à d’amicales relations commerciales ou de coopération stratégique avec les pays qui en ont le désir.

Deuxièmement, en contraste avec le riche passé de pillage de ressources et d’aventures militaires intercontinentales des Étasuniens, la Chine est toujours restée concentrée sur ses problèmes intérieurs, les seules exceptions portant sur quelques différends frontaliers assez mineurs. Contrairement aux Etats-Unis qui revendiquent ouvertement un droit d’ingérence dans les affaires du monde entier, quitte à malmener à l’occasion l’ONU et le droit international, la Chine s’engage en toute occasion pour l’égalité des droits entre nations, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le primat de l’ONU dans le règlement des conflits.

Troisièmement, la Chine est une civilisation historiquement habituée à gérer l’égalité dans la diversité. La Chine a su au cours de son histoire organiser la cohabitation de peuples historiquement divers, contrairement au melting pot étasunien construit sur le génocide de la population d’origine et l’esclavage de populations africaines. Une compétence historique qui pourrait s’avérer cruciale pour l’avenir du monde globalisé.

Quatrièmement, contrairement aux deux millions et demi d’immigrants arrivés d’Europe sur un continent vierge aux ressources illimitées où ils forgèrent leur idéal d’expansion économique infinie, la Chine a de tout temps dû composer avec la surpopulation, le manque de ressources naturelles, la gestion de la pénurie. Une expérience historique qui arrive elle aussi à point nommé dans un monde surpeuplé dont on découvre aujourd’hui la finitude.

Enfin, cinquièmement, le système politique de la Chine, fait de planification et de concertation (aux niveaux district, commune, région, province et national) est le seul capable de s’appliquer dans le long terme à des populations immenses et variées telles que la sienne. A comparer au bilan des « grandes démocraties » : des politiques économiques en permanent affrontement, inféodées aux multinationales qui entraînent désindustrialisation, chômage de masse et mécontentement populaire. Un cirque électoral qui désorganise régulièrement les pays en faisant naître des promesses irréalistes, immanquablement trahies. Et une solidarité de façade du « camp démocratique » qui tourne au sauve-qui-peut à la moindre crise, qu’elle soit financière ou sanitaire.

Tout cela considéré, on se prend à imaginer que le monde dominé par la Chine que nous promettent les prophètes médiatiques ne sera pas forcément si terrible. Dans les années 1990, le monde entier s’était réjoui de voir terrassés les totalitarismes socialistes : on croyait alors la paix et la démocratie universelles à portée de main. La guerre froide appartenait au passé et la bienveillante toute-puissance de l’Oncle Sam allait conduire vers une félicité universelle tous les pays enfin réconciliés. Quelques interminables guerres inutiles, une crise démocratique persistante et des soubresauts économiques mondiaux ont eu raison de nos espoirs irréalistes.

Aujourd’hui, on veut au contraire nous effrayer par une influence chinoise forcément synonyme de terreur et de cauchemar. Les recettes chinoises, qu’il s’agisse de la cuisine, de la gestion de la crise des subprimes en 2008-09 ou de la lutte contre le Covid-19, se sont avérées plutôt plus savoureuses, pragmatiques et efficaces que celles dictées par Washington à ses vassaux. Une dose de sinisme pourrait-elle soulager un peu notre indigestion d’américanisme ?

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