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Trilogie de sauvetage de l’Enseignement supérieur tunisien

« Un projet (…) ne peut réussir que s’il devient une urgence, une priorité, une "évidence nationale" » [1].

1. Une exception post-Révolution de L’Enseignement supérieur tunisien

Dans l’euphorie des premiers mois après la victoire de la Révolution de Jasmin et quelques mois avant l’établissement (qui fut heureusement provisoire) du pouvoir islamiste, les universitaires tunisiens ont vu réaliser une de leurs revendications déjà posées depuis plusieurs décennies, à savoir la généralisation de l’élection de tous les Présidents des universités et Directeurs des établissements de l’Enseignement supérieur (désignés dans ce qui suit par Directeurs), alors que ce principe n’était appliqué jusqu’alors que dans les Facultés, soit dans moins de 10 % de la carte universitaire global. C’est une véritable révolution, nécessaire à la promotion des valeurs de la bonne gouvernance et de la démocratie dans la sphère universitaire, qui fut concrétisée par le Décret-loi n°31-2011 du 26 avril 2011 et le Décret n°683-2011 du 09 juin 2011 et qui va probablement avoir des répercussions dans d’autres pays, car, à ma connaissance, aucun pays de par le monde n’a adopté, à ce jour, un tel système électif généralisé pour la désignation de tous les responsables des institutions son Enseignement supérieur. Ainsi, par exemple, en France, pays qui partage avec nous le même modèle d’Enseignement supérieur, avec ses Facultés [renommées Unités d’Enseignement et de Recherche (UER), par la loi Faure (1968), puis Unités de Formation et de Recherche (UFR), par la loi Savary(1984)], ses Instituts, ses "Grandes Écoles" (appellation qui regroupe les Écoles d’ingénieurs, les Écoles normales supérieures, les Écoles de commerce et les Écoles vétérinaires, qui sont souvent qualifiées, à juste titre, "d’exception française") et son système LMD, les Directeurs des établissements de l’enseignement supérieur sont nommés soit par Décret du Président de la République qui les choisit à partir d’une liste de candidats agréés auparavant par le ministre de tutelle, à l’instar des Directeurs des Écoles normales supérieures [2], soit par Décret du Président de la République ou par Arrêté du ministre de tutelle, après l’avis du Conseil d’administration de l’établissement, à l’instar du Directeur de l’École nationale des ponts et chaussées [3] et du Directeur de l’École centrale de Lille [4], respectivement.

Les élections de la première génération de Présidents des universités, Doyens et Directeurs selon ce système électif généralisé s’est achevée à la fin juillet 2011, élus par les membres de leurs Conseils d’universités ou scientifiques, respectivement, eux- mêmes élus auparavant par leurs pairs, le mandat de chacun étant de trois ans, et tout cela moins de trois mois avant l’arrivée des islamistes au pouvoir.

En cette période où les diverses institutions de l’Enseignement supérieur sont en train de procéder au renouvellement de tous ces élus, je tiens à dire un grand merci à la quasi-totalité des élus sortant pour avoir été des garde-fous efficaces contre la wahhabisation de notre Université que l’ex-ministre (islamiste) de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a essayée de nous imposer par tous les moyens, y compris les moyens hors la loi (violant les Arrêts du Tribunal administratif) et les moyens violents, à travers des brigades salafistes qui ont semé la terreur, pendant des mois, dans certains Campus universitaires. Dans ce combat contre les ténèbres, un satisfecit particulier devrait être décerné au Conseil scientifique sortant de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba (FLAHM) et son courageux Doyen, Habib Khazdaghli, pour avoir empêché que le niqab n’intègre pas leur Faculté ; il faudrait dire, plutôt, ne désintègre pas leur Faculté ! D’ailleurs, le Congrès mondial des libertés académiques a consacré ce dernier "Doyen Courage", lors de sa session 2014 qui s’est tenue les 9 et 10 avril à Amsterdam, en lui attribuant le "Prix mondial des libertés académiques" [7].

2. L’Enseignement supérieur tunisien va mal, quelques indicateurs

Aujourd’hui, tous les indicateurs, nationaux et internationaux, se conjuguent pour mentionner que notre Enseignement supérieur va mal. Nous allons reprendre, dans ce paragraphe, celui de l’Institut National des Statistiques (INS) relatif aux taux de chômage des diplômés de l’Enseignement supérieur, ainsi que ceux du site "International Colleges and Universities ", concernant les Universités africaines [5], et de l’"Academic Ranking of World Universities " [6], réalisé par l’Université de Shanghai.

Les récents indicateurs publiés par l’INS montrent que le nombre de diplômés chômeurs de l’Enseignement supérieur est estimé à 241 mille au premier trimestre 2014, ce qui correspond à un taux de chômage de 31,4% se répartissant en 21,2% chez les hommes et 40,8% chez les femmes [8], ce qui prouve un dramatique excès de nouveaux diplômés en regard du niveau de l’activité économique ; et cela, avec une moyenne annuelle d’environ 60.000 nouveaux diplômés et un nombre d’étudiants estimé à, environ, 450.000, pour une population de près de 11 millions. À titre de comparaison avec la France, la Tunisie affiche un nombre d’étudiants plus élevé en proportion de sa population, puisqu’en France, on compte, environ, 2,3 millions d’étudiants pour une population plus de six fois plus importante.

Quant aux indicateurs académiques, dans le Top 500 de l’Academic Ranking of World Universities (le Classement académique mondial des universités), reconnu comme étant l’indicateur le plus fiable, aucune université tunisienne n’a jamais figuré, à ma connaissance , alors qu’on y trouve dans sa session 2013, par exemple, l’Université nationale de Singapour, l’Université des sciences et technologies du Roi Abdallah à Thuwal, l’Université du roi Abdulaziz à Djeddah, l’Université du Roi Saoud à Riyad, l’Université d’Istanbul. Pour ce qui est de l’indicateur de l’International Colleges and Universities, la Tunisie figure dans son Top 100 des Universités africaines, pour l’année 2014, mais, dans le dernier tiers du classement, avec l’Université de la Manouba (70ème), l’Université de Tunis El Manar (74ème), l’Université de Carthage (75ème), l’Université de Gabès (81ème) et l’Université de Sousse (82ème). Consolons-nous en mentionnant que le classement de l’International Colleges and Universities fait débat.

3. La trilogie de sauvetage

L’objectif de cette trilogie, composée des trois titres ci-dessous suivis chacun de son lien et de quelques commentaires, n’a point la prétention de proposer les grandes lignes d’un projet de réforme conduisant à un Enseignement supérieur idyllique d’où tous les problèmes auraient disparus comme par enchantement, comme le titre de ce billet le laisse entendre, mais, son but est, simplement, de contribuer humblement au débat, déjà ouvert, concernant cette énième réforme du dit enseignement qui devrait devenir «  une urgence, une priorité, une " évidence nationale" », en insistant sur ce que nous croyons être les fondamentaux incontournables pour assurer son succès, tout en étant fermement convaincu qu’avec une volonté politique réelle, sous la conduite d’un Ministre de tutelle qui soit à la fois motivé, compétent et vrai patriote, plaçant l’intérêt de la Nation au-dessus de tout intérêt personnel ou partisan, qu’avec l’adhésion des étudiants, des opérateurs économiques, des avant-gardes de la société civile et des enseignants, notre enseignement supérieur peut préparer efficacement notre pays "à cette compétition de la matière grise que sera le vingt et unième siècle" [9], sans laisser au bord du chemin un tel taux révoltant de diplômés-chômeurs.

a. « " La Charte du Parfait Doyen", valable, aussi, mutatis mutandis, pour tout élu... »

http://www.legrandsoir.info/la-charte-du-parfait-doyen-valable-aussi-m...

Initialement, j’avais écrit ce poème au printemps 2002, à l’occasion des élections des Doyens des Facultés, et l’avais diffusée dans le milieu universitaire, tunisien et étranger. En janvier 2005, il a fait la première page du numéro inaugural de la revue L’Universitaire*. Je l’ai fait paraître, le 4 juin 2011, dans Le Grand Soir sous le lien ci-dessus, à l’occasion des élections de la première génération de Présidents des universités, Doyens et Directeurs, selon ledit système électif généralisé.

Il a été repris, entre-temps, par plusieurs collègues ; voir, par exemple :

http://www.guglielmi.fr/spip.php?article233

Que les candidats aux élections de la deuxième génération de Doyens et Directeurs, qui vont avoir lieu du 16 au 28 courant, et de Présidents des universités, qui vont avoir lieu du 14 au 19 juillet 2014, s’en inspirent !

b. « Tunisie : La "Réforme-Mère " de toutes les Réformes Universitaires »

http://horchani.blog.lemonde.fr/2012/03/18/tunisie-la-reforme-mere-de-...

Une solution salutaire pour la bonne gouvernance participative de notre Université, tout en étant efficace pour stopper toute dérive vers un Choix de société étranger à notre Histoire et à notre Culture, Choix de société que les islamistes ont essayé(et essayeront) de nous imposer (s’ils reviennent au pouvoir), une solution pour stopper, également, la mainmise du seul Ministre, selon son bon vouloir et ses penchants partisans ou sectaires, aussi bien sur la pédagogie [ par exemple, l’autorisation ou l’interdiction du port du niqab dans les Universités ; suivez mon regard ! ] que sur les grandes décisions et orientations concernant notre Enseignement supérieur [ par exemple, la signature de Conventions entre nos Universités et des Universités wahhabites « ayant pour but, entre autres, l’échange d’étudiants, d’enseignants et de programmes » ; re-suivez mon regard !], est de nous battre pour la création d’un Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESR), Conseil National consultatif, représentatif, statutaire, compétent, indépendant et permanent, et cela, comme il est décrit dans le lien mentionné immédiatement ci-dessus.

c. « Tunisie-Réflexions sur l’état des lieux et la réforme de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique par Sami AOUADI »

http://blogs.mediapart.fr/blog/salah-horchani/040614/tunisie-reflexion...

Ces Réflexions de Sami AOUADI ont été rédigées dès la mise en place, il y a 22 mois, du Comité national de la réforme de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, constitué d’universitaires issus de structures élues, de représentants du Syndicat et du Ministère. Jusqu’à ce jour, les travaux de ce Comité n’ont guère progressé, à cause, principalement, de la période d’expectative que traverse, actuellement, le pays et, surtout, de l’absence de volonté politique de la part du ministre (islamiste) de l’époque de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qui avait lancé ce Comité, trop engagé qu’il était dans des considérations partisanes pour imposer son (plutôt leur) propre modèle de société.

4. Conclusion : Petit Vade-Mecum d’une Réforme responsable

« Les premiers ennemis, en matière de rénovation éducative, sont l’improvisation, la précipitation et la faiblesse de l’analyse de la situation, en se fondant sur des évaluations sans rapport avec la réalité, fautes de données, la hâte dans la préparation et l’application des réformes, l’exclusion des acteurs principaux que sont les enseignants de la réflexion, du débat et/ou de la participation dans toutes les étapes des réformes, la concentration entre les mains d’un lobby quelconque des décisions concernant les réformes, la confusion entre problème prioritaire et problème que l’on n’a pas su traiter, la tentation de traiter à la va-vite tout problème qui semble prioritaire en négligeant d’autres problèmes qui ne manqueront pas, par la suite, de paraître prioritaire. Une rénovation responsable doit inscrire parmi ses objectifs la résorption de l’échec scolaire et des inégalités sociales ou régionales et l’accession de tous les jeunes à une qualification professionnelle, certifiée par un diplôme, avant la sortie du Système éducatif. Cela exige des modifications qualitatives et quantitatives profondes à tous les degrés de notre enseignement. Une réforme réfléchie du Système éducatif (...) doit commencer, d’abord, par poser la question des bilans avant celle des objectifs, des filières avant celle des programmes, des savoirs spécifiques à chaque filière avant celle des structures, des finalités avant celle des réformes institutionnelles, des contenus avant celle des horaires et des modalités d’évaluation,... Après, il reviendra aux responsables de tirer les conséquences de cette réflexion sur les savoirs en terme de structures, d’institutions, de moyens,... »*.

Salah HORCHANI

* Extrait de mon Mémoire cité dans la Note de l’article 3.b. mentionné ci-dessus.

NOTES

[1] in « Commission Jacques ATTALI - Pour un modèle européen d’enseignement supérieur » : http://media.education.gouv.fr/file/94/9/5949.pdf

[2] Article 5 de : http://www.ens.fr/IMG/file/a_propos_ens/Decret_ENS_nov2013.pdf

[3] Article 13 de : http://www.enpc.fr/sites/default/files/decret.pdf

[4] Article 6 de : http://centrale.ec-lille.fr/documents/telechargements/51-statuts%20EC%...

[5] http://www.4icu.org/topAfrica/

[6] http://www.shanghairanking.com/ARWU2013.html

[7] http://blogs.mediapart.fr/blog/salah-horchani/120414/cmla-texte-integr...

[8] http://www.veille.tn/wp-content/uploads/2014/05/INS_Note_emploi_T1_201...

[9] in « Lettre de mission de Jacques Attali » : http://www.cefi.org/CEFINET/DONN_REF/RAPPORTS/ATTALI/MISSION.HTM

[10] Revue éditée par le Syndicat Général de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (SGESRS), l’un des deux ancêtres de la Fédération Générale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (FGESRS) [l’autre étant le Syndicat National des Professeurs et Maîtres de Conférences (SNPMC)]. La FGESRS, qui est issue de la fusion, en 2006, de ses deux ancêtres, regroupe les enseignants-chercheurs, les chercheurs à temps plein, les enseignants en technologies et les enseignants agrégés de Tunisie.


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